Le Bolchévik nº 209

Septembre 2014

 

Retrait immédiat des flics et de la Garde nationale !

Ferguson : le vrai visage de l’Amérique capitaliste raciste

Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract publié le 22 août dernier par nos camarades américains de la Spartacist League/U.S.

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Tout flic américain sait que son insigne est un permis de tuer les Noirs. Michael Brown, un Noir de 18 ans, qui n’avait pas d’arme, a été exécuté en plein jour par un flic blanc. Son « crime » ? Il marchait dans la rue alors qu’on lui avait dit de se mettre sur le trottoir. Après qu’il avait reçu six balles, dont deux dans la tête, on l’a laissé gisant dans la rue pendant plusieurs heures ; les flics ont montré moins d’égards pour son corps sans vie que pour celui d’un chien errant. Comme toujours, la police essaie depuis de faire croire que la victime était en fait le criminel. Cinquante ans après l’adoption de la loi sur les droits civiques et l’abolition formelle des lois ségrégationnistes dans les Etats du Sud, voilà ce que cela veut dire encore aujourd’hui d’être noir aux Etats-Unis.

Ferguson, dans le Missouri, est une poudrière. Les manifestants en ont assez de s’entendre dire qu’ils doivent « retourner s’asseoir à l’arrière du bus » – c’est-à-dire la fermer, ne pas descendre dans la rue et rentrer chez eux avant le couvre-feu ; ils ne se laissent pas intimider et sortent manifester leur refus de la terreur des flics et de l’injustice raciste, qui sont inhérentes au système capitaliste. Dans cette banlieue majoritairement noire de Saint-Louis, les manifestants continuent de braver une armée de flics, pour la plupart blancs, qui les aspergent de gaz lacrymogène et leur tirent dessus à coups de balles en bois, de balles en caoutchouc et de grenades incapacitantes. Un de ces nervis en uniforme a été filmé en train de hurler : « Venez un peu par là, sales chiens ! » Ferguson est aujourd’hui quadrillée par la Garde nationale, une armée d’occupation. Nous exigeons le retrait immédiat des flics et de la Garde nationale, la libération des manifestants emprisonnés et la levée de toutes les inculpations !

La Garde nationale est constituée de réservistes de l’armée, et elle est utilisée pour réprimer les travailleurs, les Noirs et les militants de gauche qui osent défier le pouvoir en place ; c’est ce qu’elle a fait en défendant la ségrégation raciale à Little Rock en 1957, en écrasant le soulèvement de 1965 dans le quartier de Watts (Los Angeles), en réprimant les camionneurs en grève dans l’Ohio et en tuant des étudiants qui manifestaient contre la guerre du Vietnam à l’Université d’Etat de Kent, toujours dans l’Ohio, en 1970. La police a toujours utilisé tous les moyens à sa disposition pour faire respecter « l’ordre » capitaliste ; ces dernières années, elle a mis la main sur du matériel de guerre utilisé pendant l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak par l’impérialisme américain. C’est la même bourgeoisie américaine qui sème la terreur parmi ses victimes néocoloniales à l’étranger et qui opprime sans pitié la classe ouvrière, les Noirs et les immigrés aux Etats-Unis mêmes. Le message est clair : soumettez-vous, sinon gare.

De nombreuses personnes de gauche déplorent un usage « excessif » de la force, horrifiées qu’elles sont de voir des véhicules blindés et des flics pointer leur fusil d’assaut M16 sur les habitants de la zone de guerre de Ferguson (où les journalistes sont eux aussi traités en ennemis, aspergés de gaz lacrymogène et arrêtés). Des gens plus perspicaces au sein du gouvernement s’inquiètent de voir que leurs propres chiens de garde aient brisé leur laisse, et un agent de la police de la route, noir et résidant de Ferguson, a été chargé de calmer la foule. Mais cela ne fait aucune différence que les flics soient noirs, blancs ou hispaniques, qu’ils relèvent de l’Etat du Missouri ou de la police fédérale : ils servent et protègent un système bâti sur l’oppression raciste – hier l’esclavage, aujourd’hui l’esclavage du salariat. C’est la police tout entière dont la tâche est de protéger la propriété capitaliste et le pouvoir de la minorité qui profite de l’exploitation du plus grand nombre.

Ce qui s’est passé à Ferguson n’est pas une aberration. La prolifération des policiers spéciaux, l’occupation par les flics des quartiers hispaniques et des ghettos noirs dans tout le pays, et les incarcérations massives résultant de la « guerre contre la drogue » font partie depuis des décennies de la vie quotidienne des Noirs. Pendant ce temps, les capitalistes ont petit à petit désindustrialisé l’économie ; ils ont laissé tomber les usines automobiles et les aciéries qui autrefois fournissaient des emplois, et enfoncé encore plus profondément dans le désespoir les ghettos dévastés. A la poursuite du profit, ils ont conduit la société à la ruine et ont fait payer tout le monde sauf eux-mêmes. Comme il n’y a pas d’emplois disponibles pour les jeunes de la classe ouvrière et des minorités, les capitalistes ne voient guère l’utilité de dépenser de l’argent pour leur éducation, et encore moins pour une protection sociale. La seule chose qu’ils ont à offrir, c’est une répression débridée.

Michael Brown avait tout contre lui, mais il avait réussi à échapper aux griffes du système carcéral ; il avait eu son baccalauréat et il allait entrer à l’université. Sa mère ne dit que la triste vérité quand elle déclare : « Est-ce que vous savez combien c’était dur pour moi de le garder à l’école et de lui faire avoir le bac ? Vous savez combien d’hommes noirs ont le bac ? Pas beaucoup. Parce qu’on les rabaisse à un niveau tel qu’ils sentent qu’ils ne pourront rien obtenir dans la vie. “Ils essaieront de m’avoir de toute façon.” » Cet enfer raciste qu’est l’Amérique a condamné Trayvon Martin, Oscar Grant [deux jeunes Noirs assassinés] et beaucoup d’autres à un destin similaire.

Le gouvernement et les médias bourgeois vilipendent les « agitateurs extérieurs » à Ferguson ; cela rappelle les shérifs racistes dans le Sud qui dénonçaient les militants anti-ségrégationnistes venus du Nord. De leur côté, les démocrates et les prédicateurs noirs, à tous les niveaux en commençant par la Maison Blanche d’Obama, n’arrêtent pas de dire aux manifestants de se calmer, de ne pas se mêler aux « délinquants » et de rentrer chez eux. Mais cette fois-ci de nombreux manifestants ne s’y laissent pas prendre.

L’assassinat de Michael Brown a touché une corde sensible chez ceux qui refusent d’être une fois encore les témoins silencieux du meurtre d’un Noir par un flic. Ils en ont assez des promesses creuses d’« espoir » et de « changement » ; ils en ont assez des conseils paternalistes qu’en y mettant du sien on peut s’en sortir ; ils en ont assez d’être rendus responsables de tous les maux de la société ; ils en ont assez de cette illusion d’égalité qui sert à enrober la réalité fondamentale d’une oppression raciste systématique. Comme l’a fait remarquer un étudiant de la Howard University, « le problème, c’est que ce pays n’est pas post-racial, que ce pays n’est pas juste, que ce pays n’est pas libre ».

Les autorités veulent canaliser la colère des masses vers les urnes, et le politicien démocrate [noir] Al Sharpton va dans le même sens quand il reproche aux habitants de Ferguson leur taux élevé d’abstention électorale. Il ne faut se faire aucune illusion dans les démocrates ou dans le gouvernement fédéral : celui-ci supervise le système pourri que les flics « servent et protègent ». L’idée que la police fédérale va mettre au pas les forces de l’ordre racistes locales est un mensonge. Des agents du FBI ont infiltré le Ku Klux Klan et ont été impliqués dans d’horribles crimes, comme l’attentat à la bombe dans une église de Birmingham en 1963 ou le massacre de militants de gauche et de syndicalistes à Greensboro en 1979. Beaucoup de gens à Ferguson pensent qu’ils obtiendront réparation grâce à une enquête du Ministère de la Justice, mais nous les mettons en garde : le ministre de la Justice Eric Holder et ses semblables sont les flics en chef qui interviennent pour que les gens arrêtent de descendre dans la rue, en promettant qu’un jour peut-être justice sera rendue ; dans le meilleur des cas, ils mettent en place des réformes cosmétiques.

Les manifestations spontanées de colère des travailleurs et des dépossédés à Ferguson sont justifiées et cruciales. Mais à moins que le mouvement ouvrier ne se mobilise activement en défense des opprimés, ces explosions sociales isolées resteront impuissantes face aux capitalistes et à leurs forces de répression, ce qui renforcera le désespoir. Il est important que plusieurs syndicats à New York aient appelé leurs membres à participer le 23 août à une manifestation en solidarité avec les victimes de la violence policière, dont Eric Garner, tué par les flics le mois dernier. Mais en organisant cette manifestation, Sharpton a pour objectif de pousser à une intervention fédérale pour obtenir « justice ».

Les armes les plus puissantes du mouvement ouvrier organisé sont dilapidées par les directions syndicales qui enchaînent politiquement les travailleurs à l’ennemi de classe ; ces armes, ce sont le nombre, la composition multiraciale et la capacité de bloquer les rouages de la production pour le profit. Les traîtres qui dirigent les syndicats font preuve d’une loyauté servile envers le Parti démocrate, et ils colportent l’idée mensongère que l’on pourrait faire pression sur le gouvernement dans le sens des intérêts des travailleurs et des pauvres. Ce même Etat capitaliste qui terrorise les Noirs s’en prendra à la classe ouvrière quand elle se lancera dans des luttes combatives. Les droits des travailleurs et les droits des Noirs progresseront ensemble ou reculeront séparément. Pour que le mouvement ouvrier déploie sa puissance pour se défendre lui-même et pour défendre tous les opprimés, il faut forger une nouvelle direction lutte de classe, qui refusera de se plier aux règles du jeu des patrons.

Nous ne prétendons pas que cela sera facile, particulièrement quand le mouvement syndical est en train de perdre une guerre de classe menée unilatéralement par les patrons. Mais c’est la seule voie pour aller de l’avant. Il n’y aura pas de libération des Noirs dans cette société sans une révolution socialiste qui brisera les chaînes du capitalisme américain raciste. Et il n’y aura pas de révolution socialiste qui n’inscrive pas sur son drapeau la lutte pour la libération des Noirs.

Le Missouri était un Etat esclavagiste, et Ferguson se trouve juste au Nord de Saint-Louis, une ville fortement marquée par la ségrégation. En 1857, l’arrêt de la Cour suprême dans la tristement célèbre affaire Dred Scott stipulait qu’un Noir « n’a aucun droit que le Blanc soit contraint de respecter » ; cet arrêt officialisait le fait que les esclavagistes sudistes pouvaient empiéter sur le Nord. La tombe de l’ancien esclave Dred Scott se trouve sur la West Florissant Avenue, à quelques kilomètres à peine de l’endroit où les manifestations de Ferguson ont attiré l’attention du monde entier.

Il a fallu la Guerre civile [de Sécession], la deuxième révolution américaine, pour détruire le système esclavagiste. Mais la promesse de la liberté pour les Noirs a été trahie par une alliance entre le capital nordiste et les classes possédantes sudistes contre les aspirations des Noirs affranchis. Il faudra une troisième révolution, une révolution socialiste prolétarienne, pour finir le travail de la Guerre civile, éradiquer l’oppression capitaliste raciste et instaurer une société socialiste égalitaire. La Spartacist League se consacre à la construction du parti ouvrier révolutionnaire multiracial qui est nécessaire pour atteindre ce but.