Le Bolchévik nº 206

Décembre 2013

 

Austérité, matraquages racistes, expéditions militaires néocoloniales…

A bas le gouvernement capitaliste de Hollande/Duflot ! Pour un gouvernement ouvrier !

5 décembre – Le gouvernement Hollande bat au bout d’à peine un an des records historiques d’impopularité. Démantèlement des retraites, coupes sombres dans le budget de la Sécu, blocage des salaires dans le secteur public et dans l’industrie automobile, etc. : les ouvriers et la petite bourgeoisie, écœurés par ces attaques, se détournent en masse du gouvernement ; mais chaque nouvelle attaque contre la classe ouvrière et les opprimés encourage les capitalistes à en exiger toujours plus. En pleine débandade face à leurs concurrents étrangers, notamment allemands, ils ne voient pas d’autre issue que de faire plonger encore davantage les salaires directs et indirects (retraites et prestations sociales) pour essayer de restaurer leur taux de profit.

Pourtant la classe ouvrière demeure largement paralysée par le soutien donné au gouvernement par bureaucrates syndicaux et partis réformistes (notamment CGT et PCF). Les travailleurs sont isolés dans leur entreprise à mener des luttes souvent courageuses pour arracher quelques améliorations aux plans de licenciement qui pleuvent. Il faut rompre avec ces dirigeants traîtres, qui considèrent qu’il est légitime que les ouvriers se serrent encore davantage la ceinture pour sauver les usines françaises – et surtout les profits de la bourgeoisie. Pour se sauver elle-même, la classe ouvrière doit rompre avec la collaboration de classes avec les patrons et lutter en son propre nom.

Pour l’indépendance de classe du prolétariat contre les patrons et leur gouvernement !

Mais ce qu’on a tendance à voir ces derniers temps, c’est que certains ouvriers se retrouvent mobilisés… derrière leur propre patron. Ainsi les salariés de l’usine Gad de Josselin en Bretagne, encadrés par leurs chefs, ont attaqué le 22 octobre le piquet de grève érigé devant leur usine par leurs collègues de l’usine Gad de Lampaul – au lieu de se solidariser avec ces travailleurs promis au licenciement et de partir eux aussi en grève. Il y a eu par ailleurs l’assaut mené, à la tête de ses employés, par le patron de l’entreprise de préparation de volaille Tilly-Sabco contre la sous-préfecture de Morlaix – pour exiger le maintien des subventions de l’Union européenne à l’exportation de poulets congelés.

De même, des employés de magasins ont été mobilisés en région parisienne par leur propre patron pour l’ouverture de leur établissement la nuit ou le dimanche, contre les syndicats qui essayaient de faire respecter la législation ordonnant la fermeture des commerces. Nous sommes opposés à la limitation légale des horaires d’ouverture des magasins. Le problème dans la distribution, c’est que les emplois sont à temps partiel et les salaires tellement misérables que les travailleurs – surtout des travailleuses – en sont à espérer pouvoir travailler la nuit ou le dimanche pour survivre, grâce aux quelques pour cent de prime pour travail à ce moment-là.

Les syndicats, qui sont frappés de plein fouet par la destruction de leur propre base à coups de fermetures d’usines et d’atrophie de la classe ouvrière, essaient de syndiquer le personnel du commerce. Mais ce secteur, où les travailleurs sont atomisés dans de petites unités et/ou ont des horaires fractionnés, est particulièrement vulnérable aux attaques antisyndicales. Les patrons y sont à l’offensive pour exiger la flexibilité totale des horaires de travail. Les bureaucrates syndicaux, avec leur stratégie de se raccrocher à la législation, ont ainsi permis aux patrons de mettre en branle une machine de guerre antisyndicale où ce sont les travailleurs eux-mêmes qui servent de piétaille. Le résultat risque d’être un affaiblissement supplémentaire des syndicats, et la facture sera payée par les travailleurs, ceux qui veulent travailler le dimanche et ceux qui ne le veulent pas.

Les bureaucrates syndicaux placent leurs espérances dans une législation capitaliste de l’Etat français imbibée de catholicisme : s’il y a des restrictions au travail de nuit et du dimanche, c’est en partie parce que la femme est censée être alors à la maison pour une deuxième journée de travail, le travail domestique au service de son mari et de ses enfants. Les chefs syndicaux font ainsi appel à des lois réactionnaires, au lieu de lutter pour le partage du travail entre toutes les mains, c’est-à-dire des emplois à temps complet et salaire complet (serait-ce 30 heures payées 40), qui permettraient aux travailleurs de choisir librement s’ils veulent ou non travailler le dimanche ou la nuit (avec des primes en plus). Et pour que toutes les femmes puissent travailler à plein temps, il faut des crèches et garderies gratuites et de qualité, ouvertes 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Le capitalisme en pleine putréfaction est manifestement incapable de satisfaire des revendications aussi simples que celles-ci, malgré les progrès technologiques immenses depuis cent ans et les millions de chômeurs et de chômeuses à la recherche d’un emploi. Cette question du travail de nuit et du dimanche, parce qu’elle va au cœur de l’oppression des femmes dans le système capitaliste basé sur la propriété privée des moyens de production, n’a en définitive de solution équitable pour les travailleurs et les travailleuses que dans le cadre du renversement révolutionnaire du système capitaliste par la classe ouvrière. Nous luttons pour forger une direction révolutionnaire dans les syndicats, à l’opposé des plans foireux des bureaucrates basés sur la législation capitaliste.

La révolte antifiscale des petits-bourgeois et la « révolution fiscale » des sociaux-démocrates

Dans ce contexte de relative atonie ouvrière et de subordination des travailleurs à leur patron et au gouvernement capitaliste de front populaire, les protestations des petits-bourgeois contre le matraquage fiscal dont ils sont victimes acquièrent d’autant plus de visibilité. L’affaire des « bonnets rouges » bretons mobilisés contre l’écotaxe a du coup polarisé la « gauche de la gauche » d’une manière qui surtout met en évidence le réformisme des diverses organisations qui la composent.

Les marxistes s’opposent sans ambiguïté à l’écotaxe, un impôt sur les poids lourds décidé par Sarkozy. Le Parti socialiste avait voté pour, surtout par souci d’orthodoxie financière et pour renflouer les caisses de l’Etat bourgeois afin d’engraisser un peu plus les banques ; les Verts, un parti bourgeois « de gauche », s’étaient abstenus sur l’écotaxe parce qu’elle n’allait pas assez loin. Le gouvernement prétend sans rire que le produit de l’écotaxe servirait à des projets d’infrastructure, notamment le développement du rail – alors même que le fret ferroviaire est en cours de liquidation progressive depuis des années, sous l’effet de la politique de rentabilisation de la SNCF mise en œuvre par les gouvernements de droite comme de gauche (y compris entre 1997 et 2002 avec un ministre PCF des transports, Jean-Claude Gayssot). En réalité, le paiement de l’écotaxe conduirait un certain nombre de petits producteurs à la faillite et en tout cas à une dépendance accrue face aux gros patrons – ceux-là même qui ont organisé les manifestations contre l’écotaxe.

Car la mobilisation des « bonnets rouges » contre l’écotaxe n’avait pas grand-chose à voir avec une initiative des victimes de ce nouvel impôt. C’est le patronat breton qui a monté toute cette opération – avec un succès qui a dépassé toutes ses espérances : l’écotaxe a été suspendue, et le gouvernement capitaliste vient de promettre deux milliards d’euros de subventions aux capitalistes locaux. Derrière la mobilisation on trouvait en effet le patron de l’entreprise textile Armor-Lux (qui s’est en plus offert un coup de publicité en produisant les fameux bonnets rouges), l’industriel Jean-Jacques Hénaff qui possède la principale entreprise de fabrication de pâté du pays, Michel-Edouard Leclerc, dont les supermarchés (comme ceux de Système U et d’Intermarché), ont fermé l’après-midi du mercredi 16 octobre en signe de protestation. Sans compter le président de la FDSEA qui organise la grande agriculture du département, le président du MEDEF breton, etc.

Malheureusement un certain nombre d’ouvriers ont pris part à cette manifestation, qui avait entre autres pour but de détourner la colère ouvrière des plans de licenciements qui se multiplient dans l’industrie agroalimentaire de la région : l’objectif des capitalistes licencieurs était en fait d’obtenir de nouvelles réductions d’impôts, tout en prétendant défendre les intérêts des travailleurs.

Le NPA, toutes cliques et fractions confondues, s’est pris d’enthousiasme pour la manifestation des bonnets rouges à Quimper le 2 novembre, qui bénéficiait également de la contribution de l’UMP sarkozyste, du « Printemps français » (un groupe fascisant dans l’orbite du Front national), du Vatican (représenté par les évêques du coin) et de divers autonomistes bretons. Le NPA a tenté de nier contre toute évidence le fait qu’il s’agissait là de mobilisations organisées par l’ennemi de classe. Pour cette manif, le NPA a construit ce qu’il présente comme un « pôle ouvrier indépendant », dont les participants devenaient ainsi officiellement la couverture de gauche de ce microcosme du capitalisme français. Une telle perspective de subordonner la classe ouvrière à ses maîtres bourgeois ne présage rien d’autre que de nouvelles défaites pour les ouvriers.

En opposition à la manifestation de Quimper il y avait les bureaucrates syndicaux qui ont organisé le même jour, avec le soutien du Front de gauche (y compris mélenchonistes et PCF), une manifestation, non pas pour dégager les rues de Quimper de la racaille fascisante et des gros patrons, mais à 70 kilomètres de là, à Carhaix. Avec Mélenchon et le PCF il y a toujours une dose de chauvinisme centralisateur, non pas « jacobin » mais bonapartiste, car c’est Napoléon Bonaparte qui avait liquidé l’autonomie administrative locale. Aucun privilège pour aucune langue ! Pour le droit d’utiliser le français ou le breton dans tous les aspects de la vie publique, y compris le droit à l’éducation bilingue !

Lutte ouvrière au côté de Mélenchon, à deux mètres à gauche

LO a essayé dans cette affaire de manger à tous les râteliers sans se salir les mains : ils ont proclamé qu’on ne pouvait pas « ne pas se sentir solidaire de la colère qui s’est manifestée le samedi 2 novembre à Quimper » (éditorial des bulletins d’entreprise, 4 novembre), tout en dénonçant la manœuvre des patrons ; et ils ont eu un cortège à Carhaix tout en pointant du doigt son caractère progouvernemental. Mais leur politique n’est au fond qu’une variante un peu radicale du médiocre réformisme du Front de gauche, dont ils essaient désespérément depuis des mois de se démarquer.

LO a ainsi fièrement pris toute sa place dans la manifestation Front de gauche du 1er décembre à Paris pour une « révolution fiscale », une version « révolutionnaire » de la 14e proposition électorale du candidat Hollande. (Le Premier ministre a d’ailleurs bien compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette campagne de la « gauche de la gauche » en annonçant une remise à plat en grand de la fiscalité – dont en fait les travailleurs ont tout à craindre.) Jean-Pierre Mercier et Nathalie Arthaud, dirigeants de LO, ont gentiment aidé à porter la banderole de tête « Contre l’injustice fiscale – Taxer le capital – Non à l’augmentation de la TVA », et Arthaud a fait un discours dans la foulée de Mélenchon et Pierre Laurent (PCF) où elle a proposé sa version de la « révolution fiscale » : taxer le capital en supprimant carrément tous les impôts directs sur les salaires et tous les impôts indirects.

LO a juste oublié de dire que pour obtenir des capitalistes les centaines de milliards que cela représente en France chaque année, il ne suffirait pas de « taxer le capital », mais il faudrait briser le pouvoir des capitalistes. Il faudrait détruire l’Etat bourgeois et le remplacer par un pouvoir reposant sur des conseils ouvriers. Il faudrait tout prendre, en expropriant les capitalistes. Mais cela exigerait une révolution ouvrière, chose que Lutte ouvrière ne va pas avancer sur une tribune prêtée par Mélenchon !

Au lieu d’un programme permettant aux ouvriers de faire la transition entre les revendications immédiates et la perspective de la prise du pouvoir, LO revient à la perspective de la Deuxième Internationale d’avant Lénine et Trotsky : un programme minimum sous le capitalisme. Comme sur la photo de famille du 1er décembre, ils sont juste un peu à gauche de Mélenchon (vu de face).

Au fond, leur perspective est de redistribuer l’argent un peu différemment, un peu plus en faveur des pauvres, y compris éventuellement des « bonnets rouges » (s’ils sont des petits patrons). Mais une telle politique ne fait que montrer la faillite des directions de la classe ouvrière, même si elle est enrobée de discours que la classe ouvrière doit prendre la direction des mobilisations de petits-bourgeois ruinés et enragés par la crise. On peut gagner les petits bourgeois derrière la classe ouvrière, ou tout au moins les neutraliser, mais seulement dans la mesure où le prolétariat a à sa tête une direction déterminée à faire rendre gorge aux capitalistes qui pressurent les « petits », à détruire leur Etat et à exproprier leurs moyens de production. La politique des LO/NPA sur les mobilisations de petits-bourgeois – soit derrière les patrons comme le NPA, soit en proposant comme le fait LO des ajustements fiscaux dans le cadre capitaliste – ne peut à terme que gonfler les voiles des fascistes en confortant l’image que ces derniers cherchent à projeter : qu’ils seraient les seuls à s’opposer au « racket de l’Etat », les seuls à être radicalement « anti-système ».

Les réformistes et l’Etat bourgeois

L’Etat est un organe de répression au service de la classe dominante capitaliste, un instrument dont le rôle est de maintenir par la force le système d’exploitation des ouvriers grâce à la violence des flics, de l’armée et autres « détachements spéciaux d’hommes armés », comme le disait sans fioritures Lénine. C’est pourquoi les réformistes mentent quand ils prétendent qu’on pourrait le réformer pour le mettre au service des travailleurs et des opprimés.

Pour le PCF, qui depuis 1944 a déjà pris part par trois fois à un gouvernement capitaliste et gère lui-même l’Etat dans un nombre considérable de municipalités, l’Etat est là pour tout. Le PC, tout comme les moralistes petits-bourgeois de LO, soutient actuellement la campagne du PS pour interdire le recours à la prostitution. PCF et LO feignent d’ignorer que déjà dans le Manifeste du Parti communiste (1848) Marx et Engels expliquaient que la prostitution est le « corollaire » de la famille bourgeoise : c’est une institution inséparable de la monogamie sexuelle des femmes, elle-même pilier fondamental de la famille bourgeoise. Une telle législation renforcerait encore les pouvoirs de la police, son droit de s’immiscer dans les activités privées et mêmes sexuelles de la population, ses possibilités de faire chanter clients et vendeurs, et elle augmenterait les dangers qu’encourent nombre de personnes prostituées.

L’aggravation de l’exploitation et de l’oppression en cette période de crise capitaliste produit inévitablement les conditions d’une riposte des ouvriers et des opprimés. Mais en soi cela ne préjuge pas de l’issue de la lutte. Il faut pour cela un parti révolutionnaire, comme l’a montré la Révolution russe. Aujourd’hui les effets de la collaboration de classes au sommet de l’Etat bourgeois se font sentir jusqu’au cœur du mouvement ouvrier, où règnent la démoralisation et l’asservissement à la bourgeoisie. On voit cette régression ailleurs dans le monde, car le principal facteur matériel qui l’explique est la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique il y a vingt ans. Mais ce phénomène de régression est inégal de par le monde, et il n’est pas non plus éternel. Comme nous le disons dans notre « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » (Spartacist édition française n° 32, printemps 1998) :

« Certes le climat idéologique de la “mort du communisme” affecte la conscience du prolétariat, mais dans beaucoup de pays du monde, des combats de classe acharnés constituent une base objective pour la régénération du marxisme en tant que théorie du socialisme scientifique et de la révolution prolétarienne. Ce n’est pas le communisme, mais sa parodie, le stalinisme, qui s’est montré sans issue. […]
« Pour que l’humanité tout entière progresse, il faut que les forces, actuellement modestes, qui adhèrent au programme révolutionnaire de Lénine et Trotsky, forgent des partis ayant l’expérience, la volonté et l’autorité qu’il faut parmi les masses pour diriger des révolutions prolétariennes victorieuses. »