Le Bolchévik nº 204 |
Juin 2013 |
Bas les pattes devant la Syrie et l’Iran !
Obama en Israël pour piétiner les Palestiniens
Cet article a été traduit de Workers Vanguard (n° 1021, 5 avril), le journal de nos camarades aux Etats-Unis.
Si Barack Obama est allé en Israël, en Cisjordanie et en Jordanie en mars dernier, c’était pour faire avancer les plans de l’impérialisme américain dans l’agitation actuelle au Proche-Orient. Obama a réaffirmé les engagements de Washington envers ses partenaires subalternes israéliens en promettant de prolonger jusqu’en 2027 le versement des milliards de dollars que les USA fournissent chaque année à l’Etat sioniste. Quand le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a réclamé une « menace crédible d’action militaire » pour mettre un coup d’arrêt au prétendu programme d’armement nucléaire iranien, Obama a répété qu’en effet « toutes les options sont sur la table ». Tout en jetant quelques os à Netanyahou, Obama a donné une gifle aux Palestiniens opprimés en couvrant d’éloges le sionisme et en déposant une gerbe sur la tombe du fondateur de ce mouvement, Theodor Herzl. L’appel qu’avait lancé Obama, au début de son premier mandat, à « geler » les implantations de nouvelles colonies israéliennes dans les territoires occupés est oublié depuis longtemps.
Obama a été applaudi pour un discours où il a dit aux jeunes Juifs de voir leur propre société à travers les yeux des Palestiniens. Obama lui-même a pu se faire une idée de la manière dont les Palestiniens le voient quand il a visité la ville de Ramallah en Cisjordanie : il a été reçu par des manifestants dont beaucoup portaient des portraits de lui en uniforme de l’armée israélienne avec pour légende « Aucun espoir ». A Ramallah, Obama, commandant en chef de l’impérialisme américain, a poussé le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à s’engager dans la comédie des « négociations » avec Netanyahou ; pendant ce temps les colons sionistes, soutenus par le gouvernement israélien et son armée, continuent d’engloutir toujours plus de territoires palestiniens. En échange du déblocage d’une aide de 500 millions de dollars pour l’Autorité palestinienne, Obama a incité Abbas à s’abstenir de soumettre la moindre plainte contre l’expansion des colonies israéliennes à la Cour pénale internationale. Tandis qu’Obama invoquait cyniquement la perspective d’un « Etat palestinien indépendant », l’appropriation des terres par les sionistes ne laisse guère assez de territoire pour ne serait-ce qu’imaginer un Etat palestinien viable.
Depuis que l’Etat israélien a été fondé en 1948, son existence même repose sur le déplacement forcé et l’oppression du peuple palestinien. A ce jour, bien plus de la moitié de la Cisjordanie a été confisquée aux Palestiniens, ou leur est interdite. Il y a des terres occupées par des colons meurtriers, d’autres coupées en deux par le mur qui entoure la Cisjordanie, d’autres encore utilisées comme « voies de contournement » ou comme zones militaires interdites d’accès aux Palestiniens. 500 000 colons occupent déjà la Cisjordanie et Jérusalem-Est ; Tel Aviv a annoncé en novembre un projet de construction de plus de 3 000 logements supplémentaires qui couperaient pratiquement Jérusalem-Est de Ramallah et du reste de la Cisjordanie. Quand les habitants de la Cisjordanie essayent de se rendre au travail, à l’école ou à l’hôpital, ils doivent traverser des postes de contrôle militaires et des barrages (il y en a plus de 500) où ils subissent humiliation, intimidation et mauvais traitements. Les enseignants et le personnel de santé ont récemment fait grève parce qu’ils n’avaient pas été payés par l’Autorité palestinienne, qui dépend d’Israël pour percevoir et lui reverser impôts et droits de douane.
Tout en enfermant les Palestiniens de Cisjordanie dans un ghetto, les dirigeants sionistes ont en fait depuis longtemps transformé Gaza en camp de concentration pour les Palestiniens, entouré par une clôture électrique, un mur et la Méditerranée. Près de 80 % de la population de Gaza dépend de l’aide humanitaire pour survivre. La mortalité infantile en Cisjordanie et à Gaza est environ sept fois supérieure à celle d’Israël, et l’espérance de vie de ces Palestiniens est de presque neuf ans inférieure à celle des Israéliens.
Le « processus de paix », qui dure par intermittence depuis des décennies sous les auspices des Etats-Unis, n’a apporté rien d’autre qu’un renforcement de la misère et de l’oppression pour les masses palestiniennes. Quelque 4 500 Palestiniens sont enfermés dans les geôles israéliennes où la torture sévit. Il y a eu en février de grandes protestations après la mort d’Arafat Jaradat, un père de famille âgé de 30 ans arrêté pour avoir jeté des pierres au cours d’une manifestation. Jaradat est mort après avoir été sauvagement battu par ses geôliers. Les manifestants réagissaient aussi à une longue grève de la faim menée par quatre détenus politiques palestiniens. Ces hommes ont été emprisonnés dans le cadre du système de « détention administrative » grâce auquel Israël maintient indéfiniment en captivité de nombreux Palestiniens, sans procès ni même inculpation. L’un des grévistes de la faim, un habitant de Cisjordanie, a été libéré en mars et exilé à Gaza ; un autre, Samer Al-Issawi, continue la grève de la faim et son état de santé serait critique [il a finalement été libéré fin avril d’après l’Humanité du 29 avril].
L’Etat israélien est soutenu à fond par les partis démocrate et républicain de l’impérialisme américain, et il est également appuyé par les dirigeants de l’Allemagne et d’autres puissances capitalistes. Pour défendre ses intérêts au Proche-Orient riche en pétrole, l’impérialisme américain verse chaque année quelque trois milliards de dollars d’aide militaire à Israël ; il fournit depuis longtemps plus d’un milliard de dollars par an à l’Egypte, ce qu’il continue de faire avec Mohamed Morsi, des Frères musulmans, au gouvernement. Les travailleurs du monde entier doivent exiger : Troupes sionistes et colons, hors de Cisjordanie et de Jérusalem-Est ! A bas l’aide américaine à Israël et à l’Egypte !
Machinations impérialistes
Obama a créé la surprise lors de son voyage en orchestrant un appel téléphonique depuis le tarmac de l’aéroport, lors duquel Netanyahou a présenté ses excuses au Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, pour l’attaque par la marine israélienne du bateau turc Mavi Marmara en mai 2010, qui s’était soldée par la mort de neuf militants. Le bateau essayait d’apporter de l’aide humanitaire à Gaza, qui étouffe sous le blocus imposé par Israël (avec la complicité de l’Egypte) depuis que le Hamas en a pris le contrôle militaire en 2007. Avec ces excuses de Netanyahou et son accord pour offrir une compensation aux victimes, les relations entre ces alliés stratégiques de l’impérialisme américain se raccommodent.
Ce qui a conduit Obama à négocier ce marché, c’est la guerre civile en cours en Syrie, qui s’étend à présent aux pays voisins. La Turquie constitue le point d’entrée pour livrer des armes et autres fournitures aux rebelles syriens. Ces rebelles, soutenus par les impérialistes, et dont beaucoup sont des intégristes islamistes, se battent pour renverser le régime bourgeois meurtrier de Bachar Al-Assad. Des groupes sunnites provenant d’autres pays musulmans ont acquis une importance accrue dans la rébellion ; ils semblent souvent tout aussi désireux de mener une guerre communautaire contre les nombreuses minorités religieuses syriennes que de combattre le régime d’Al-Assad. Cela complique les choses pour les dirigeants américains et israéliens, qui ne prennent pas à la légère la perspective de djihadistes s’emparant du considérable stock d’armes syrien.
De nombreux groupes réformistes, comme l’International Socialist Organization aux Etats-Unis, proclament leur solidarité avec la « révolution syrienne », donnant ainsi un soutien aux tentatives des impérialistes de chasser Al-Assad. A l’opposé les réformistes du Workers World Party s’opposent aux rebelles, mais ils accordent politiquement créance à Al-Assad en dépeignant faussement comme anti-impérialiste son régime bourgeois nationaliste ainsi que ceux d’autres pays du tiers-monde. Comme nous le disions dans « Impérialistes, bas les pattes devant la Syrie ! » (le Bolchévik n° 202, décembre 2012) :
« Les marxistes révolutionnaires n’ont aucun côté à soutenir dans cette guerre civile. Quel que soit le vainqueur, cela ne ferait avancer en rien la cause de la classe ouvrière et des opprimés. Mais les travailleurs ont un côté à prendre pour s’opposer à toute intervention militaire impérialiste. En cas d’attaque impérialiste, nous serons pour la défense de la Syrie tout en maintenant notre opposition politique au régime couvert de sang d’Assad. »
La CIA s’active en Turquie depuis début 2012 au moins pour aider à déterminer quels groupes de rebelles anti-Assad doivent recevoir les armes achetées par les alliés des Etats-Unis, à savoir le Qatar, l’Arabie saoudite et la Jordanie. L’administration Obama hésite à intervenir militairement de façon directe dans le conflit. Cependant, quand la France et la Grande-Bretagne ont cherché en mars (sans succès) à obtenir le feu vert de l’Union européenne pour envoyer des armes aux rebelles, le Secrétaire d’Etat John Kerry a déclaré que Washington « ne fait pas obstacle ». A peine Obama avait-il quitté Jérusalem que Kerry a débarqué à Bagdad en exigeant que le gouvernement irakien, dominé par les chiites et pro-iranien, ferme son espace aérien aux envois d’armes au régime d’Al-Assad depuis l’Iran.
La politique proche-orientale de l’administration Obama, qui a retiré presque toutes ses troupes d’Irak et réduit la présence de l’armée américaine en Afghanistan, se caractérise par ailleurs par un bellicisme sans cesse croissant envers l’Iran. Les forces américaines au Koweït et la présence navale américaine dans le golfe Persique ont été renforcées. Sous prétexte de stopper la prétendue course aux armes nucléaires que mènerait le régime islamique, l’impérialisme américain et ses alliés européens imposent des sanctions économiques de plus en plus draconiennes contre l’Iran, étranglant son économie et prélevant un lourd tribut sur la population. Les impérialistes ont imposé des sanctions similaires contre la Syrie pour essayer de renverser le régime d’Al-Assad.
Comme l’a clairement indiqué Obama au cours de son voyage en Israël, il y a, derrière les sanctions économiques, une menace de guerre. Que l’Iran soit ou non en voie de développer des armes nucléaires, il n’a certainement pas échappé à Téhéran que dans le monde d’aujourd’hui il est indispensable de posséder des têtes nucléaires pour dissuader toute attaque militaire et résister aux diktats des impérialistes. Il est du devoir du prolétariat américain de s’opposer aux sanctions et à tous les autres moyens par lesquels « sa propre » bourgeoisie cherche à faire valoir ses intérêts dans le monde. Il faut, entre autres, défendre l’Iran contre toute attaque militaire des impérialistes ou d’Israël.
En tant que marxistes, si nous défendons militairement l’Iran ou la Syrie, cela n’implique pas le moindre soutien politique aux régimes réactionnaires de ces pays qui exercent une oppression multiforme et répriment brutalement les luttes ouvrières. Mais il faut comprendre que c’est l’impérialisme américain qui représente le plus grand danger pour les travailleurs et les opprimés de cette planète. Il faudra rien moins que le renversement du système capitaliste-impérialiste par la révolution prolétarienne pour débarrasser le monde de cette menace et ouvrir la voie à un avenir socialiste.
Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !
Les Américains qui reconnaissent et dénoncent la situation désespérée du peuple palestinien ont un dilemme qu’a bien exprimé Rashid Khalidi, professeur à l’université de Columbia, dans un article d’opinion publié dans le New York Times (12 mars) : Khalidi a fort justement observé que « l’Amérique contribue depuis des dizaines d’années à créer une situation où, malgré les vux pieux de soutien à un Etat palestinien, il n’y a qu’une seule véritable autorité souveraine entre la mer Méditerranée et le Jourdain : l’Etat d’Israël ; et cela restera le cas dans l’avenir prévisible. » Cependant la solution que propose Khalidi est d’appeler Obama à « adopter une nouvelle ligne de conduite » reposant sur un soutien au « droit des Palestiniens à la liberté, à l’égalité et à un Etat indépendant ». Khalidi conseille ainsi de s’en remettre à l’impérialisme américain, la force même qui depuis des décennies contribue à assurer l’oppression des Palestiniens.
Un dilemme similaire se présente aux jeunes Palestiniens qui cherchent une alternative à l’Autorité palestinienne, dont la prostration est complète devant les sionistes et leurs commanditaires impérialistes américains. Un certain nombre de militants qui ont perdu leurs illusions politiques vis-à-vis de l’Autorité palestinienne ont lancé un mouvement de « résistance populaire non violente » contre l’occupation israélienne. Le film israélo-palestinien Cinq caméras brisées, nominé aux Oscars pour le prix du meilleur documentaire, décrit les manifestations qui ont lieu chaque semaine à Bil’in, un village de Cisjordanie, contre le « mur de séparation » qui a coupé le village de la plus grande partie de ses terres dans le cadre de la construction d’une colonie.
Les militants de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP), qui étaient hier des « combattants de la liberté », sont aujourd’hui devenus les gardiens de l’occupation sioniste. Cette transformation prend sa source dans la logique même du nationalisme petit-bourgeois. L’OLP de Yasser Arafat avait beau faire des discours ronflants sur la « guerre populaire » à la fin des années 1960 et au début des années 1970, le peuple palestinien n’a jamais eu la puissance sociale ni la force militaire pour prendre le dessus sur l’Etat sioniste équipé d’armes nucléaires. Cependant les régimes arabes dont l’OLP recherchait le soutien sont, tout autant que les oppresseurs sionistes, les ennemis du peuple palestinien. On en a eu maintes fois la preuve, du massacre du Septembre noir, perpétré en 1970 par la monarchie jordanienne, à l’expulsion de centaines de milliers de travailleurs palestiniens par le Koweït et l’Arabie saoudite suite à l’opération « Tempête du désert » menée par les Etats-Unis contre l’Irak en 1991.
L’OLP a signé en septembre 1993 avec Israël les « accords de paix » d’Oslo sous l’égide des Etats-Unis. Nous avons dénoncé cet accord comme un « marché grotesque sur le dos du peuple palestinien assujetti » et disions qu’il « apposerait le sceau de l’OLP sur l’oppression nationale des masses arabes palestiniennes, opprimées depuis si longtemps » (le Bolchévik n° 125, novembre-décembre 1993). La destruction de l’Union soviétique par une contre-révolution capitaliste en 1991-1992 est sous-jacente à cette trahison. Privée du soutien diplomatique et financier que lui procurait auparavant Moscou, l’OLP (tout comme d’autres mouvements et régimes nationalistes du tiers-monde) en est rapidement venue à s’entendre avec l’impérialisme américain. Si aujourd’hui beaucoup de Palestiniens, un peuple historiquement cosmopolite, sont poussés dans les bras des intégristes islamiques antisémites et anti-femmes comme le Hamas, c’est précisément à cause de la faillite complète du nationalisme palestinien.
Il n’y aura pas de justice pour le peuple palestinien sans révolution socialiste en Israël et dans toute la région. Israël et la Palestine constituent un cas de deux peuples interpénétrés revendiquant le même territoire. Pour assurer tant au peuple palestinien qu’au peuple juif le droit à l’autodétermination nationale il faut que le prolétariat renverse le pouvoir capitaliste israélien mais aussi jordanien, libanais et syrien, des pays qui abritent plusieurs millions de Palestiniens. Seule la création d’une économie planifiée au sein d’une fédération socialiste du Proche-Orient peut résoudre équitablement les revendications en conflit sur les terres et les ressources, et éliminer toutes les discriminations basées sur la langue, la religion ou la nationalité.
Nous n’entretenons aucune illusion qu’il serait facile de rompre avec le chauvinisme qui empoisonne l’esprit de la classe ouvrière juive. Cependant Israël est, comme toutes les sociétés capitalistes, divisée en classes avec des travailleurs juifs, arabes et aussi immigrés exploités par la même classe dirigeante capitaliste. Les marxistes révolutionnaires doivent utiliser chaque grève, chaque occasion pour élargir le fossé entre les travailleurs et les dirigeants israéliens, et pour convaincre le prolétariat israélien qu’il est de son intérêt de défendre les Palestiniens et de s’opposer à la classe dirigeante sioniste.
Morcelé il y a longtemps par les impérialistes, le Proche-Orient est un foyer de conflit où les peuples se font concurrence les uns les autres. En même temps, la pénétration impérialiste a concentré le prolétariat dans certains endroits stratégiques, des ports et usines textiles d’Egypte aux champs de pétrole iraniens. Lors des soulèvements du « printemps arabe » de ces deux dernières années, les principales composantes politiques en jeu ont été des forces bourgeoises allant des officiers et des libéraux aux fondamentalistes islamiques qui sont toutes subordonnées à l’impérialisme et oppriment leur propre population. Le prolétariat ne ressort pas encore en tant que force indépendante. Ce qu’il faut, c’est construire des partis ouvriers révolutionnaires internationalistes, forgés dans une lutte sans concession contre le nationalisme bourgeois et petit-bourgeois, contre le fondamentalisme religieux, et dédiés au programme de la révolution socialiste mondiale.