Le Bolchévik nº 204 |
Juin 2013 |
Gouvernement PS-Verts, un an après
Promesse tenue : austérité, terreur raciste, guerre impérialiste
5 mai Il y a un an nous avons fait campagne contre tout vote pour François Hollande aux élections présidentielles. Nous insistions qu’il n’y avait aucun choix pour les travailleurs dans ces élections (voir le Bolchévik n° 199, mars 2012). Nous prévenions que Hollande, dans le contexte d’une crise économique qui ne fait que s’aggraver, allait mener des attaques encore plus radicales contre les travailleurs ainsi qu’une lutte « implacable », selon ses propres termes, contre les sans-papiers.
Nous disions aussi que si Hollande allait retirer les troupes françaises d’Afghanistan (que Jospin avait envoyées en 2001 lorsque Hollande était chef du PS), c’était uniquement du point de vue des intérêts bien compris de l’impérialisme français. Nous rappelions que Hollande avait soutenu toutes les interventions militaires de Sarkozy, y compris en Côte d’Ivoire et en Libye. Si bien que nos lecteurs n’ont pu être surpris de la sanglante opération néocoloniale aujourd’hui en cours au Mali sous l’égide française où des centaines de « djihadistes » (dont combien de civils ?) ont été massacrés. Troupes françaises, hors du Mali et hors d’Afrique !
A vrai dire, peu de travailleurs nous ont traités il y a un an de diviseurs faisant le jeu de Sarkozy. Si beaucoup ont pourtant voté pour Hollande, c’était pour sanctionner les crimes de Sarkozy, mais tout de même avec l’illusion que cela ne pourrait pas être pire avec un social-démocrate au pouvoir. Aujourd’hui on peut voir toutefois que la cause des travailleurs n’a pas le moins du monde progressé du fait de l’éviction de Sarkozy. Là où celui-ci avait dû faire appel à ses amis personnels capitalistes pour qu’ils reportent les fermetures d’usines jusqu’après les élections, aujourd’hui il ne se passe pratiquement pas un jour sans une nouvelle annonce de fermeture d’usine avec la dévastation de zones entières tout autour et le rôle du gouvernement est de gérer cela dans l’ordre et en préservant la tranquillité de la bourgeoisie. Car Hollande dispose d’un atout incomparable : la complicité criminelle des bureaucraties syndicales, entre le chef de la CGT, à l’époque Bernard Thibault, qui avait appelé à voter pour Hollande, et celui de la CFDT qui maintenant signe l’ANI un plan de déréglementation anti-ouvrière du droit du travail dont le patronat osait à peine rêver.
La responsabilité des bureaucraties syndicales et des réformistes
Le Parti communiste, le Parti de gauche (PG) de Mélenchon ou le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou et Olivier Besancenot ont eux aussi appelé sans réserve, il y a un an, à la mobilisation au deuxième tour des élections pour le vote Hollande. Le résultat : la classe ouvrière semble momentanément réduite à des luttes défensives isolées dans des usines qu’ont condamnées les capitalistes pour cause de taux de profit insuffisant. La classe ouvrière paie aujourd’hui le prix de la trahison de ses directions. Comme nous le faisions remarquer il y a un an, l’élection d’un gouvernement capitaliste « de gauche » n’est pas un moindre mal par rapport à un gouvernement capitaliste de droite : il paralyse la classe ouvrière.
Aujourd’hui ces mêmes partis qui ont mis Hollande au pouvoir cherchent à se distancer un peu de lui. Le NPA titrait dans son hebdomadaire (Tout est à nous !, 18 avril) « A bas Hollande ! ». PCF, PG et NPA, rejoints par Eva Joly (la candidate des Verts bourgeois l’année dernière aux présidentielles), ont manifesté le 5 mai à l’appel de Jean-Luc Mélenchon pour relooker le capitalisme français avec une nouvelle constitution, une « sixième république ». Autrement dit, ils demandent l’élection d’une assemblée constituante.
Dans toute l’histoire de France, la seule assemblée constituante qui a été révolutionnaire, c’était la première en 1789 : elle a liquidé le féodalisme pendant la Révolution française, sous la pression continuelle des masses plébéiennes de Paris, et elle a établi le règne du capitalisme à l’époque où celui-ci était encore progressiste contre les féodaux. Mais la deuxième assemblée constituante a organisé le massacre des ouvriers parisiens en juin 1848, la Troisième République s’est érigée sur les décombres sanglants de la Commune de Paris après 1871, la Quatrième sur la trahison du PCF qui a saboté les possibilités révolutionnaires ouvertes par les victoires de l’Armée rouge en 1944-1945 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et la Cinquième sur un putsch militaire réactionnaire en pleine guerre d’Algérie. Chacun de ces régimes a été mis en place au nom de la « démocratie », dans le but en réalité de stabiliser, de renforcer, de renouveler l’ordre bourgeois en France contre les travailleurs, et à l’étranger contre les rivaux de la bourgeoisie française et les peuples coloniaux et néocoloniaux.
Nous opposons aux appels réformistes à une sixième république capitaliste de l’impérialisme français la perspective d’une république des conseils ouvriers, une Première République soviétique de France, ou en quelque sorte une deuxième si l’on compte l’éphémère expérience de la Commune, dans la perspective des Etats-Unis socialistes d’Europe. Derrière les numéros il y a tout un programme, et derrière le numéro 6 de Mélenchon, c’est un programme pour donner du sang neuf à l’impérialisme français en pleine putréfaction. Nous rejetons tout appel à une « assemblée constituante », en France ou ailleurs (voir Spartacist français n° 41, à paraître prochainement ; l’édition en langue anglaise est déjà disponible). Nous gardons pour modèle la révolution d’Octobre où les ouvriers russes avaient, sous la direction des bolchéviks de Lénine, balayé le système capitaliste et commencé à construire une société ayant pour but de satisfaire les besoins, et non la course au profit des capitalistes.
Mélenchon a lancé son appel à la manifestation du 5 mai en réponse à l’affaire Cahuzac. Il veut faire croire qu’on pourrait moraliser les pratiques des larbins des capitalistes dans les ministères et au parlement. Le pantouflage dont avait bénéficié Cahuzac il y a vingt ans n’est que de la petite monnaie rendue pour la pièce qu’il avait donnée aux Servier et autres trusts pharmaceutiques quand il était conseiller technique d’un gouvernement Mitterrand. La rétribution des fonctionnaires de l’Etat capitaliste par ses maîtres capitalistes ne peut étonner que des réformistes endurcis comme Mélenchon ou Poutou. Lénine disait que (c’est lui qui souligne) « plus la démocratie est puissamment développée, et plus la Bourse et les banquiers se soumettent les parlements bourgeois », ce qui dénote « le caractère limité et relatif, au point de vue historique, du parlementarisme bourgeois » (la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).
Ce qui évidemment n’empêche pas les antiléninistes du NPA de revendiquer justement une « démocratie réelle ». Le NPA, qui n’appelle pas à une sixième république, appelle en revanche à une « république démocratique et sociale » (voir par exemple l’article de Sandra Demarcq dans Tout est à nous !, 25 avril). Rappelons que l’article premier de la constitution bonapartiste de la Cinquième République stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Mélenchon et Hollande agitent Cahuzac comme la brindille qui doit cacher la forêt. Les véritables capitalistes forment une infime minorité de la population et, eux, ils ne possèdent pas simplement 600 000 euros à l’ombre ou une ou deux belles résidences ; ils possèdent les moyens de production. Ce sont les Bettencourt, Peugeot et autres quelques centaines de familles qui forment la classe capitaliste de ce pays, et c’est leurs moyens de production que nous comptons exproprier.
Il s’agit d’en finir avec le système capitaliste de production, un système anarchique où l’on produit non pas pour satisfaire des besoins humains pourtant aisés à identifier, mais où l’on produit uniquement s’il y a des profits à tirer, et encore, si le taux de profit est suffisant et proche du taux de profit moyen escompté. C’est ce système irrationnel qui plonge périodiquement l’humanité dans des crises économiques meurtrières débouchant sur des guerres généralisées, et la dévastation et la mort pour des millions et des millions de personnes.
A bas l’Union européenne capitaliste ! Pour les Etats-Unis socialistes d’Europe !
L’opposition du Parti de gauche ou du PCF à l’« euro-Merkel » n’a rien à voir non plus avec l’opposition au carcan impérialiste de l’Union européenne qui étouffe aujourd’hui les pays les plus faibles d’Europe (voir notre article sur Chypre en page 32), et tout à voir avec une tentative de défendre le capitalisme français face à son rival allemand qui lui taille des croupières. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si une partie des cadres du Parti de gauche proviennent du chevènementisme, une aile radicalement chauvine dans le spectre bourgeois « de gauche ». Quant à Mélenchon, il a précisé lors du récent congrès du PG que « nous ne sommes pas en train de dire que nous voulons une sortie de l’euro. En sortir aujourd’hui, ce serait accepter le triomphe de l’euro-Merkel. »
Un certain Christophe Miqueu, membre du bureau national du PG, a publié une tribune dans l’Humanité (19-21 avril) proposant de lutter contre le « déclin » de la France et ajoutant, comme si la France était un sujet colonial du Reich allemand : « Nous voulons reconquérir pour cela notre qualité de peuple libre, nous voulons retrouver notre souveraineté, bafouée par des années de mensonges et de trahison, dont la plus criante fut l’adoption du traité de Lisbonne. » L’impérialisme français est certes en position de plus en plus subordonnée par rapport à l’Allemagne, mais il demeure en haut du panier dans l’Union européenne, et à ce titre continue à en profiter d’où la faiblesse des oppositions dans la bourgeoisie proprement dite à l’UE aujourd’hui, qui lui sert aussi de paravent pour mener ses propres attaques contre la classe ouvrière de France.
En attisant le chauvinisme anti-allemand, Mélenchon et le PCF légitiment la propagande ultranationaliste des fascistes et de l’extrême droite qui effectivement se développent partout en Europe. Au temps pour les déclarations du même Mélenchon qu’il serait soi-disant le seul véritable candidat anti-Le Pen (d’ailleurs, sur la question de la Libye, Mélenchon avait réussi en 2011 à se placer en quelque sorte à droite de Marine Le Pen, lui soutenant les bombardements sarkozystes alors qu’elle s’y opposait pour ses propres raisons réactionnaires). Les fascistes non seulement commencent à faire des scores records dans des élections partielles, les provocations des bandes paramilitaires contre les homosexuels et les militants de gauche ont commencé à se multiplier. Il faut les écraser avant qu’ils ne deviennent une force crédible que la bourgeoisie puisse considérer comme la meilleure alternative à sa disposition pour mater la classe ouvrière ; toute l’expérience historique montre qu’il faut pour stopper les fascistes non des bulletins de vote, mélenchonistes ou autres, mais des mobilisations ouvrières/immigrées, basées sur la puissance du prolétariat organisé.
La « gauche de la gauche » a pour toute perspective de pousser Hollande à gauche
PCF, PG, NPA : pas une seule de ces organisations ne fait même semblant de regretter d’avoir jeté les travailleurs dans la gueule du loup en les appelant à soutenir politiquement par leur vote l’élection de Hollande il y a un an d’ailleurs ils s’apprêtent déjà à revoter PS-Verts au deuxième tour des élections municipales de l’année prochaine. Nous refusons depuis toujours de voter pour des coalitions avec la bourgeoisie (des « fronts populaires », que ce soit avec les chevènementistes, les Radicaux de gauche ou les Verts), alors que c’est ce que fait le NPA, ou son prédécesseur la LCR, depuis 40 ans (elle a même voté Chirac en 2002). Le front populaire mène toujours la classe ouvrière à la défaite.
En réalité le programme maximum des NPA, PCF, PG est de faire croire qu’on peut pousser à gauche ce même gouvernement pour qu’il serve un peu mieux les intérêts des travailleurs. Jean-Luc Mélenchon a ainsi mis les points sur les i : le « coup de balai » qu’il avait évoqué, il n’en fait « pas une question doctrinale » ; il avait dans l’idée avec la manifestation du 5 mai de « recomposer dans la rue l’unité de fait que la direction du PS a rompue » (l’Humanité, 8 avril) autrement dit, rétablir l’unité avec les « salopards » du gouvernement qu’il avait osé dénoncer comme tels. Il est même candidat pour être Premier ministre de Hollande ! Cela donne tout son sens à cette autre boutade de Mélenchon qu’« il ne suffit pas qu’on ait changé le locataire (à l’Elysée), pour que l’on croie qu’on a changé de politique » : apparemment il suffirait en réalité de changer le locataire à Matignon en y mettant Mélenchon !
Lutte ouvrière peut sans peine se donner des airs de gauche face à ces charlatans réformistes. Ils ont ainsi pris leurs distances avec la manifestation du 5 mai. Ils ont titré il y a quelques semaines « Hollande ou Sarkozy, c’est du pareil au même » (Lutte Ouvrière, 22 mars). LO aujourd’hui dénonce Mélenchon dans un article de son dirigeant Georges Kaldy (Lutte Ouvrière, 12 avril) parce que Mélenchon « a contribué à le faire élire » (Hollande). Facile à dire aujourd’hui. Mais quand cela comptait, il y a un an, c’est un autre discours que tenait LO. Elle n’a peut-être pas voté Hollande en 2012 (après avoir voté pour Ségolène Royal, en 2007), mais elle se gardait bien de mettre Hollande ou Sarkozy sur le même plan ou de donner une consigne de vote d’abstention ; elle expliquait ainsi dans son éditorial des bulletins d’entreprise au lendemain du premier tour des élections présidentielles :
« Pour le second tour, Lutte Ouvrière ne donne pas de consigne de vote.
« Aucun travailleur conscient ne peut évidemment voter pour Nicolas Sarkozy. Certains de nos électeurs, confrontés au choix pipé entre un ennemi ouvert des travailleurs et un faux ami, s’abstiendront ou voteront blanc.
« D’autres, pour se débarrasser de Sarkozy, voteront pour François Hollande.
« Quel qu’ait été leur choix personnel, nous appelons les travailleurs, les victimes de la crise à se retrouver tous ensemble dans les luttes contre le grand patronat, les banquiers et le gouvernement. »
Lutte Ouvrière, 27 avril 2012
PSA Aulnay ou le réformisme de Lutte ouvrière en action
Loin du « tous ensemble », les travailleurs en lutte se retrouvent pourtant bien isolés dans les batailles qui ont lieu aujourd’hui, et notamment celle contre la fermeture de l’usine de PSA Aulnay où LO dirige depuis longtemps le principal syndicat ouvrier, la CGT. Environ deux cents travailleurs, notamment CGT, sont encore en grève depuis le 16 janvier, et ils sont courageusement parvenus à maintenir l’usine pratiquement à l’arrêt depuis cette date, en dépit des menaces patronales et gouvernementales et des sanctions financières qui pèsent sur les ouvriers (voir la déclaration du Comité de défense sociale que nous avons publiée dans le Bolchévik n° 203 en mars).
Mais la CGT nationale, toute à soutenir le gouvernement capitaliste, n’a pratiquement pas levé le petit doigt pour donner une chance aux travailleurs de remporter une victoire. L’appareil central de la CGT s’est contenté d’envoyer une fois Thierry Lepaon, aujourd’hui secrétaire général, devant l’usine, où il s’est livré à de la propagande protectionniste pour « produire français » (sans que protestent les militants de LO présents), autrement dit faire l’union entre capitalistes et travailleurs en France contre les travailleurs à l’étranger. Pour toute marque de solidarité, le congrès national de la CGT qui se tenait en mars a autorisé les grévistes à collecter de l’argent pendant la pause devant la cantine (quelques milliers d’euros). La prostration des directions syndicales devant leur gouvernement capitaliste montre qu’il faut arracher la direction des syndicats à ces traîtres réformistes et lutter pour une direction lutte de classe dans les syndicats. C’est une lutte indissociablement liée à la lutte pour forger un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste.
Malheureusement LO a fait preuve une fois de plus dans cette grève de sa conception que « par définition, l’activité municipale comme l’activité syndicale ne peuvent être révolutionnaires, mais sont réformistes » (Lutte de Classe, février 2008). LO condamne peut-être aujourd’hui « le réformisme » dans sa revue confidentielle pour les cadres (Lutte de Classe, avril), ajoutant que « c’est l’Etat, tout l’Etat qui est au service de la grande bourgeoisie, de l’organisation capitaliste de la société ». Mais dans la pratique LO a utilisé cette grève pour semer des illusions dans l’Etat capitaliste en général, et dans ce gouvernement « socialiste » en particulier. La lutte à Aulnay montre que LO a au fond exactement la même politique que ses concurrents réformistes du NPA/PG/PCF : faire pression pour pousser à gauche ce gouvernement capitaliste, pour que ce dernier fasse pression sur les capitalistes.
La CGT de PSA Aulnay que dirige LO a ainsi fait un « coup d’éclat » à la réunion du conseil national du PS le 13 avril, où des grévistes se sont introduits aux cris de « le changement, c’est maintenant ! » Le représentant de la CGT, Jean-Pierre Mercier, par ailleurs dirigeant de LO, a fait un discours si grotesquement réformiste que nous devons en citer de longs extraits ici. Il a d’abord interpellé les militants du PS pour dénoncer le manque de patriotisme de la famille Peugeot : « Sa fortune, elle est placée en Suisse, elle est pas placée en France, ni dans l’entreprise. » Il a continué dans la même veine contre Peugeot-l’anti-France : « Il faut que vous sachiez que la famille Peugeot, que la direction de Peugeot instrumentalise la justice de ce pays [ ]. Il va falloir que la justice de ce pays ne se fasse pas avoir par la famille Peugeot. » Voilà bien le réformisme de LO en concentré : LO fait croire que la justice est au-dessus des classes, alors qu’elle est au cur de l’Etat capitaliste pour faire respecter l’ordre bourgeois contre les ouvriers ! Puis Mercier a fait appel aux sentiments de ces ministres, maires de grandes villes et autres notables :
« Avec Cahuzac, vous avez eu le sentiment de vous faire trahir. Eh bien, je peux vous dire, on peut témoigner, nous, ici à PSA Aulnay, qu’un très grand nombre de salariés se sont sentis trahis parce que le gouvernement n’intervenait pas de leur côté dans le dossier de PSA Aulnay. Ce sentiment de trahison, on est en train de le partager de chaque côté. Eh bien il faut que ça s’arrête, ce sentiment de trahison, et pour que ça s’arrête, vous savez, si on est seuls devant les patrons, si on est seuls devant les employeurs, forcément, au nombre qu’on est, c’est peut-être eux qui vont remporter la manche. Mais on le paiera tous. On le paiera tous parce que c’est un boulevard qui est ouvert, qui est offert au Front national. Et ça, ça serait une vraie catastrophe nationale pour le pays, ça serait une catastrophe pour le monde du travail. »
Ainsi, LO propose de lutter contre le FN non pas en mobilisant la classe ouvrière pour écraser les fascistes, mais en demandant au PS de changer de politique ! Jean-Pierre Mercier lui-même a d’ailleurs eu un débat avec Florian Philippot (vice-président du FN) à la télé le Premier Mai, contribuant ainsi à légitimer les vils appels à la violence anti-immigrés de cette racaille comme s’il y avait quelque chose à discuter avec elle. Mais on n’en a pas fini avec Mercier au siège du PS :
« Alors la solution elle est où ? Eh bien elle est d’intervenir, d’intervenir politiquement, de mettre tout son poids dans le dossier de PSA Aulnay pour que Peugeot entende raison, parce que c’est pas à Peugeot de faire sa loi, c’est quand même le gouvernement qui a entre les mains le pouvoir politique, le pouvoir législatif d’intervenir et de faire entendre raison à Peugeot. [ ] On est venus ici dans un esprit de dialogue, dans un esprit de vous demander, de faire passer le message qu’on obtienne, une bonne fois pour toutes, ce médiateur, un médiateur avec de réels pouvoirs. »
Tout cela pour demander un médiateur ! Fort logiquement, un certain nombre de pontes du Parti socialiste ont applaudi Mercier de façon nourrie ! L’un d’eux faisait remarquer : « Cela faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu des ouvriers à la direction du PS ...» (Lutte Ouvrière, 19 avril). En effet ! Sans LO, quel ouvrier songerait aujourd’hui à aller demander aux caciques du Parti socialiste d’intercéder pour lui ? Quant à la revendication d’un médiateur, James P. Cannon, fondateur du trotskysme américain, écrivait la chose suivante lors de la grande grève des camionneurs de Minneapolis en 1934, dirigée par les trotskystes :
« A cette époque, un des tours favoris de ces escrocs connus sous le nom de médiateurs fédéraux consistait à réunir dans une salle les dirigeants de grève inexpérimentés, à les flatter et à les amener à faire un quelconque compromis qu’ils n’étaient pas mandatés à faire. [
]
« La grève a été une lutte dure et âpre mais nous nous sommes beaucoup amusés à préparer les sessions du comité syndical de négociation avec les médiateurs. Nous les méprisions, eux et tous leurs artifices et leurs ruses, et leurs prétentions hypocrites de bonne camaraderie et d’amitié envers les grévistes. Ils n’étaient rien d’autre que les agents du gouvernement à Washington, lui-même l’agent de l’ensemble de la classe des employeurs. C’était parfaitement clair pour un marxiste. »
Histoire du trotskysme américain, 1928-1938
Oui, pour un marxiste. Il faut aujourd’hui réimplanter le marxisme dans la classe ouvrière. Lutte ouvrière a beau s’en réclamer encore de temps en temps dans ses revues pour les cadres (et encore : il suffit de voir à quel point il est exceptionnel qu’elle cite Marx, Lénine ou Trotsky dans sa propagande), elle montre par sa pratique quotidienne et son intervention dans les usines qu’elle est un obstacle à la diffusion du marxisme dans la classe ouvrière.
Un parti révolutionnaire lutterait au contraire pour une série de revendications transitoires, par exemple le partage du travail entre toutes les mains, et pas au sens réformiste dont parle LO (répartir rationnellement la charge de travail entre les usines françaises du groupe PSA), mais au sens d’une lutte sérieuse contre le chômage qui ronge les quartiers du 9-3 autour de l’usine. Cela signifie une lutte pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici, et un contrôle syndical sur l’embauche pour déjouer la discrimination raciste dont font usage quotidiennement les patrons pour dresser les travailleurs les uns contre les autres. De même, nous exigeons l’ouverture des livres de comptes des capitalistes, non pas à la LO pour voir où il y a de l’argent chez Peugeot pour payer le chômage partiel des travailleurs, mais pour montrer que les travailleurs doivent prendre eux-mêmes le contrôle des entreprises et lutter pour leur propre pouvoir de classe : une révolution socialiste.
Cela fait trente ans qu’oscille le balancier où un gouvernement de droite est remplacé par un gouvernement de « front populaire », où le Parti socialiste (et le PCF en 1981 et 1997) gouverne en bloc avec des partis capitalistes comme les Radicaux de gauche et les Verts. Ces gouvernements se retournent toujours contre la classe ouvrière, démoralisant celle-ci et préparant un retour en force de la droite et de l’extrême droite ; et le cycle recommence, avec à chaque fois une nouvelle série de crimes racistes par les flics et les fascistes, et une nouvelle percée du Front national. Pour rompre avec le cycle infernal des fronts populaires et de la réaction, la classe ouvrière a besoin d’une nouvelle direction opposée de façon intransigeante à la collaboration de classes. Elle a besoin d’un parti révolutionnaire d’avant-garde, un parti construit sur le modèle des bolchéviks de Lénine et Trotsky qui avaient dirigé la classe ouvrière russe en octobre 1917 à une révolution victorieuse et à la liquidation du capitalisme. C’est un tel parti que nous cherchons à construire. Pour de nouvelles révolutions d’Octobre !