Le Bolchévik nº 204 |
Juin 2013 |
Les staliniens chinois font le jeu des impérialistes contre la Corée du Nord
L’article ci-dessous a été publié le 22 mars dernier dans Workers Vanguard, le journal de nos camarades de la Spartacist League/U.S.
Quand la Corée du Nord a réussi en février dernier son troisième essai nucléaire, les Etats-Unis ont réagi, comme on pouvait s’y attendre, par des menaces militaires, et plus que cela. Le nouveau ministre de la Défense américain, Chuck Hagel, a annoncé le déploiement de batteries de « défense antimissile » sur la côte Ouest des Etats-Unis pour faire face à la « menace » nord-coréenne. Des milliers de soldats américains et sud-coréens participent à des manuvres aéronavales et terrestres conjointes, y compris des opérations des forces spéciales. Les impérialistes ont aussi fait adopter par les Nations Unies une nouvelle salve de sanctions économiques qui viennent s’ajouter aux mesures déjà en vigueur ayant conduit une grande partie de la population nord-coréenne à la famine. Le régime du Parti communiste chinois (PCC) a perfidement soutenu les sanctions déjà votées et il utilise son influence pour faciliter l’ouverture de « négociations » à six ayant pour objectif le désarmement nucléaire de la Corée du Nord. Comme la Chine, la Corée du Nord est un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé. Cette fois-ci, Pékin a de façon méprisable aidé à rédiger le texte des sanctions, concrétisant ainsi la politique stalinienne de « coexistence pacifique » avec l’impérialisme.
La nouvelle résolution de l’ONU oblige les pays membres de l’organisation à faire respecter l’embargo contre la Corée du Nord, là où les résolutions précédentes leur demandaient seulement de le faire. Pékin, qui pratique une politique d’équilibriste, n’a jamais engagé d’action de ce type contre Pyongyang. La Chine est le seul partenaire commercial digne de ce nom de la Corée du Nord. Elle aide à maintenir à flot une économie qui a été durement frappée par la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique en 1991-1992, son principal soutien économique à l’époque. Mais des voix s’élèvent au sein du PCC pour demander que la Chine passe son allié d’hier par pertes et profits. Le Financial Times de Londres publiait dans son édition du 27 février un billet de Deng Yuwen, rédacteur en chef adjoint de Study Times, le journal de l’Ecole centrale du Parti communiste chinois, qui déclarait froidement : « Pékin doit laisser tomber Pyongyang et faire pression pour la réunification de la péninsule coréenne. » On sait que le nouveau ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, un des acteurs principaux des négociations sur le désarmement qui s’étaient terminées par un échec en 2009, souhaite la rupture des liens entre la Chine et la Corée du Nord.
L’article de Deng Yuwen reconnaissait toutefois que beaucoup de Chinois « voient les relations avec Pyongyang sous l’angle des sacrifices communs pendant la guerre de Corée » de 1950-1953. Cette guerre fut déclenchée par une invasion impérialiste, menée sous la conduite des Etats-Unis dans le but d’écraser une révolution sociale. Un Etat ouvrier avait été créé au Nord sous la protection militaire soviétique au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Cet Etat, avec comme chef Kim Il-sung, était modelé sur l’URSS gouvernée par la bureaucratie stalinienne. Les ouvriers et les paysans s’étaient engagés dans une lutte pour écraser les capitalistes et les propriétaires fonciers dans toute la péninsule. Les Etats-Unis, qui étaient les gendarmes impérialistes en chef dans la période de l’après-guerre, avaient lancé leur machine de guerre contre les masses coréennes en utilisant les Nations Unies comme couverture, et la péninsule était devenue la ligne de front de la guerre froide contre l’Union soviétique. Après d’importants succès initiaux des Nord-Coréens, le colosse militaire américain avait réussi à repousser la ligne de front près de la frontière entre la Corée et la Chine, sur le fleuve Yalu.
L’intervention massive de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise retourna la situation. Après une série d’attaques menées par des vagues humaines successives, acte héroïque qui coûta la vie à un million de Chinois, les forces impérialistes furent repoussées au sud du 38e parallèle. Le régime du PCC de Mao Zedong, arrivé au pouvoir un an plus tôt, avait compris que le but des impérialistes était d’écraser la révolution sociale non seulement en Corée mais aussi en Chine. De fait, plusieurs responsables politiques et militaires américains de l’époque avaient envisagé la possibilité de bombarder la Chine à coup d’armes atomiques.
L’armistice de 1953 scella la division de la péninsule coréenne entre un Etat ouvrier déformé au Nord et un Etat capitaliste au Sud. Les impérialistes avaient transformé la Corée en un champ de ruines. Pas moins de quatre millions de Coréens étaient morts. Les Etats-Unis maintiennent depuis lors une présence militaire massive au Sud (28 500 soldats aujourd’hui). Ces forces américaines ont maintenu au pouvoir pendant des décennies des dictatures détestées. Et depuis tout ce temps, le corps expéditionnaire américain est une épée de Damoclès menaçant les Etats ouvriers chinois et nord-coréen et la classe ouvrière sud-coréenne en lutte contre l’exploitation et l’oppression.
Défendre la Corée du Nord ainsi que la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste, c’est le devoir du prolétariat dans le monde entier, à commencer aux Etats-Unis. Mais ce n’est certainement pas ce qu’on peut entendre du côté de l’International Socialist Organization (ISO), les partisans de Tony Cliff aux Etats-Unis. David Whitehouse, de l’ISO, concède dans un article en ligne intitulé « Pourquoi la montée des tensions en Corée ? » (socialistworker.org, 15 mars) que « la crise actuelle est made in USA ». Mais il prend aussi bien soin de dénoncer la Corée du Nord comme « une tyrannie où la plus grande partie de la population vit dans la misère ». Dennis Rodman, ancienne vedette du basket à la retraite, a été bien mieux inspiré quand, après avoir assisté à un match-exhibition à Pyongyang au côté de Kim Jong-un, le numéro un du régime stalinien nord-coréen, il a déclaré que Kim avait un message à faire passer à Obama : appelez-moi. Pour avoir fait cette simple déclaration, Rodman a été traîné dans la boue, raillé et calomnié de tous côtés, depuis les attachés de presse de la Maison Blanche jusqu’aux médias locaux. Il n’a pas désavoué ses déclarations, ce qui est tout à son honneur.
L’article de l’ISO mettait en garde contre la possibilité que les Etats-Unis et la Corée du Sud aient des plans pour une invasion terrestre du Nord. C’est plutôt gonflé quand on pense que la dernière fois où une invasion de ce genre a eu lieu, en 1950, Cliff et ses acolytes avaient capitulé devant les impérialistes américain et britannique en refusant de défendre la Corée du Nord, rompant ainsi définitivement avec le trotskysme. Les cliffistes ont soutenu depuis cette époque tous les mouvements contre-révolutionnaires appuyés par les impérialistes qui visaient l’ex-Union soviétique, la Chine et les autres pays non capitalistes. Les cliffistes sud-coréens, qui vivent plus près de la zone démilitarisée, expriment leur anticommunisme sans détour. Ils dénoncent les essais nucléaires nord-coréens dans un article posté le 23 février sur le site web socialistworker.uk par Young-Ik Kim et intitulé « Corée du Nord : un épouvantail nucléaire créé par Washington » ; ils déclarent dans cet article que ces essais n’ont « rien à voir avec l’anti-impérialisme ou le socialisme ». Ils expliquent ensuite que « le programme nucléaire [du Nord] mené aux dépens du niveau de vie de son peuple ne fera qu’accroître la tension dans la région ». Cette phrase aurait pu être écrite mot pour mot par le Wall Street Journal.
Ceux qui, contrairement aux lèche-bottes cliffistes, voient la nécessité de se tenir aux côtés des Etats ouvriers contre l’ennemi de classe capitaliste doivent comprendre que cela implique de soutenir le développement par ces Etats d’armes nucléaires et des vecteurs associés : ce sont des moyens de dissuasion essentiels contre une attaque impérialiste. Les militants de gauche chinois feraient bien de se rappeler le combat mené par la Chine elle-même pour acquérir des armes nucléaires. Comme nous l’écrivions dans « Bureaucratie et révolution à Moscou et Pékin » (Spartacist édition anglaise n° 3, janvier-février 1965) : « Tous les marxistes révolutionnaires doivent saluer le développement de la bombe A par la Chine ; c’est un renforcement bienvenu des défenses de la Chine à un moment où la Révolution chinoise non seulement est menacée d’une agression par l’impérialisme américain mais aussi est systématiquement trahie par la bureaucratie soviétique en quête de “coexistence pacifique”. »
Le contraste entre la lutte héroïque de l’APL en 1950-1953 et le rôle de larbin des impérialistes joué aujourd’hui par Pékin sur la question du nucléaire nord-coréen pourrait apparaître comme une discontinuité fondamentale. Ces deux choses montrent en fait la nature contradictoire de la bureaucratie stalinienne parasitaire. La bureaucratie, dont les privilèges découlent de l’économie collectivisée qui est au cur de l’Etat ouvrier, est parfois contrainte de défendre cet Etat contre les forces capitalistes. En même temps, le dogme stalinien du « socialisme dans un seul pays » veut dire que les nécessités de son propre Etat font loi. Ceci amène inévitablement à rechercher des accommodements avec l’impérialisme mondial, à poignarder d’autres régimes communistes dans le dos et à trahir des révolutions dans d’autres pays.
Après la brouille entre les bureaucraties soviétique et chinoise à la fin des années 1950 et dans les années 1960, la Chine de Mao forgea une alliance contre-révolutionnaire avec l’impérialisme américain contre l’URSS. En opposition résolue à ces deux régimes, nous, trotskystes, avions comme mot d’ordre : pour l’unité communiste contre l’impérialisme ! La continuité entre le PCC de Mao et le régime chinois d’aujourd’hui, avec son « économie socialiste de marché », réside dans leur opposition commune au programme marxiste de révolution prolétarienne mondiale. Léon Trotsky avait expliqué dans la Révolution trahie en 1936 et dans de nombreux autres écrits qu’au bout du compte le privilège bureaucratique, la négation des droits politiques de la classe ouvrière et la conciliation envers l’impérialisme mettront en péril l’existence même de l’Etat ouvrier, à moins que les travailleurs ne parviennent à chasser la bureaucratie stalinienne. Ce pronostic a été tragiquement confirmé en Union soviétique.
En Corée du Nord, le « socialisme dans un demi-pays » de la famille Kim s’accompagne d’un népotisme et d’un culte de la personnalité particulièrement grotesques. Malgré sa rhétorique virulente contre les Etats-Unis et leurs laquais sud-coréens, le régime de Pyongyang a renoncé à toute perspective de renversement révolutionnaire de la classe capitaliste sud-coréenne. Nous appelons à la réunification révolutionnaire de la Corée, qui passera par une révolution politique prolétarienne au Nord et une révolution ouvrière socialiste au Sud. Ceci fait partie intégrante de la perspective d’une Asie socialiste que défend la Ligue communiste internationale (LCI), perspective qui nécessite également une révolution politique pour chasser le régime stalinien chinois, et surtout le renversement de l’impérialisme japonais par le prolétariat de ce pays. La LCI s’est donné pour tâche de forger, dans le monde entier, les partis léninistes-trotskystes indispensables pour diriger ces luttes.