Le Bolchévik nº 203

Mars 2013

 

Mali : Les capitulations de la gauche française face au général Hollande

L’attaque française au Mali a été un test crucial pour la gauche française : c’était la première opération militaire majeure du gouvernement de front populaire élu avec ses suffrages (LO laissant ses électeurs libres de voter Hollande ou de s’abstenir). Dans une intervention impérialiste de type colonial ou néocolonial les révolutionnaires prennent toujours le côté militaire des victimes de l’impérialisme, car les puissances capitalistes impérialistes (dont la France) sont les principaux ennemis des opprimés du monde entier qu’ils exploitent et massacrent depuis plus de cent ans. Par deux fois déjà ces puissances ont plongé l’humanité dans une guerre mondiale pour le partage et le repartage du monde parmi ce cartel de puissances. Toute défaite de l’impérialisme, affaiblissant celui-ci, peut être une ouverture pour la lutte de classe du prolétariat. Aussi nous avons publié une déclaration (reproduite ci-dessus) contre l’attaque française au Mali dès qu’elle a été annoncée. Sans donner le moindre soutien politique aux réactionnaires islamistes, nous avons pris la défense des insurgés du Nord-Mali qui se faisaient « détruire » par les soldats français, comme l’exigeait le chef de guerre Hollande. Troupes françaises, hors du Mali !

Quant à la gauche française, elle a bien montré là de quoi elle est faite : dans le meilleur des cas ce sont des « social-pacifistes hypocrites et faux », comme ceux contre lesquels l’Internationale communiste (IC) révolutionnaire de Lénine et Trotsky ordonnait de mener la lutte (c’était même une des 21 conditions pour adhérer à l’IC). Ne parlons pas du Parti socialiste et des Verts (un parti capitaliste « de gauche »), qui au gouvernement ont décidé et mené l’assaut français contre les islamistes au Nord du Mali. Le Parti communiste a exprimé son soutien tout en se lamentant que « une intervention devrait se faire sous le drapeau de l’ONU avec des forces africaines » (l’Humanité, 16 janvier), le député François Asensi (ex-PCF) déclarant quant à lui pour le Front de gauche au parlement : « abandonner le peuple malien à la barbarie des fanatiques aurait été une erreur, la non-intervention la pire des lâchetés » (l’Humanité, 17 janvier).

Les militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) prétendent que leur organisation s’est opposée à cette intervention. Ils ont titré en ce sens dans le premier numéro de leur hebdomadaire après le début de l’attaque française. Mais le NPA précisait ensuite : « La libération du nord Mali est un impératif, et les populations qui vivent sous le joug de ces “bandits qui se sont déguisés en musulmans” – pour reprendre l’expression d’une habitante de Tombouctou – sont de fait prisonnières » (article paru en première page de Tout est à nous !, 17 janvier). En d’autres termes ils soutenaient les buts de guerre affichés par Hollande, à savoir la lutte pour reprendre le nord du pays aux islamistes. La seule divergence qu’ils aient exprimée au fond avec le gouvernement, c’est que celui-ci ait fait le boulot avec des troupes françaises, au lieu d’envoyer des troupes maliennes commettre les massacres à leur place et pour leur compte : « L’intervention des troupes étrangères, dont les troupes françaises, menace d’enfoncer le pays dans une grave crise politique et humanitaire. »

Le NPA a appelé à une « mobilisation des populations [maliennes] et leur organisation pour la refondation politique du Mali où chacun et chacune aura sa place, quelles que soient son origine ou sa région » (Tout est à nous !, 31 janvier). Le NPA propage ainsi l’illusion qu’il serait possible sous le capitalisme d’avoir une coexistence fructueuse et pacifique des divers peuples qui composent le Mali. Il faudrait au contraire pour cela renverser le capitalisme, non seulement au Mali mais en France, dont les intérêts impérialistes exigent justement depuis cent ans de « diviser pour régner » en dressant les différentes populations les unes contre les autres (voir notre article en page 3). En réalité le NPA donne un soutien indirect au gouvernement de Bamako et prend la défense des frontières du Mali tracées par l’impérialisme. En ce qui nous concerne nous n’avions pas de côté dans la guerre civile entre ces deux camps bourgeois réactionnaires (junte militaire contre islamistes) avant l’intervention française. Nous sommes de même vigoureusement opposés aux forces africaines, tchadiennes ou autres, dépêchées aujourd’hui au Nord du Mali pour prendre la relève des forces spéciales françaises.

D’exiger des troupes locales pour faire le sale boulot de l’armée française est une constante ces dernières années de la politique du NPA. Ainsi en Libye il y a deux ans, le NPA était peut-être dans l’ensemble contre les bombardements de la France et de l’OTAN (tout en publiant quelques déclarations de chiens courants de l’impérialisme comme Gilbert Achcar en faveur de la « zone d’exclusion aérienne » prononcée contre la Libye au-dessus de son propre territoire), mais ils célébraient à grand bruit les rebelles réactionnaires libyens, qui à partir de l’intervention française étaient devenus simplement les troupes terrestres de l’impérialisme.

Leurs fameux « révolutionnaires » libyens, en bonne partie des islamistes réactionnaires (et/ou des monarchistes, agents de la CIA, etc.), ont armé jusqu’aux dents leurs congénères au Mali, qui ont pu ainsi occuper en 2012 le Nord du Mali. Mais là le NPA appelle à la « libération » contre les islamistes, chéris de leurs chéris libyens. La seule logique de ce paradoxe apparent, c’est que le NPA essaie de donner une couverture hypocrite aux opérations de son propre impérialisme, tout en débitant quelques lieux communs sur le fait que l’opération militaire visait à assurer les approvisionnements d’EDF en uranium extrait au Niger voisin.

Lutte ouvrière (LO) a été plus critique que le NPA du régime de Bamako, soulignant à juste titre le caractère réactionnaire, anti-femmes, anti-Touaregs de la junte militaire au pouvoir. Mais au fond sa position n’a guère été différente de celle des sociaux-démocrates du NPA. Aucun de ces groupes n’a pris la position élémentaire pour des marxistes de se placer, dans ce conflit militaire impliquant leur propre impérialisme, du côté des bandes en lutte contre les troupes françaises. LO et NPA ont attendu quatre semaines entières, et l’annonce par Hollande que le retrait des troupes françaises engagées était pour bientôt, pour organiser un premier rassemblement commun (avec Alternative libertaire) à Paris le 9 février contre l’intervention française. Et la « lenteur » de LO à descendre dans la rue n’était pas une question d’incompétence ni de « manque de forces » : leur politique était en réalité de détourner les travailleurs de la question du Mali, implicitement présentée comme une diversion par rapport aux attaques économiques menées par la bourgeoisie. Leur éditorial du 25 janvier, titré « Les travailleurs doivent riposter à la guerre… que le patronat leur mène », déclarait ainsi :

« Pendant que l'armée française est en guerre au Mali, on parle moins d'une autre guerre, elle aussi appuyée par le gouvernement, mais engagée ici-même en France : il s'agit de l'offensive menée par le patronat dans son ensemble contre les emplois, les salaires, les conditions de travail et les droits des travailleurs. Et c'est bien une guerre. […] Le grand patronat, appuyé par le gouvernement, a engagé une guerre. Eh bien, il faut qu'il la perde ! »

C’est toute la doctrine « économiste » de LO qui s’exprime ici : la lutte contre les fauteurs de guerre impérialiste et leurs agents dans le mouvement ouvrier n’est pas considérée comme un « devoir » (thèses de l’Internationale communiste), mais comme une diversion par rapport à la lutte économique elle-même. LO pense que la conscience révolutionnaire peut émerger de l’intérieur même de la lutte économique des ouvriers contre les patrons et leur gouvernement ; les marxistes insistent que pour que la classe ouvrière acquière une conscience révolutionnaire, une compréhension qu’elle doit et peut renverser le système capitaliste tout entier par une révolution ouvrière, il faut précisément la sortir du cadre étroit de la lutte économique contre les patrons. Celle-ci est simplement une lutte pour répartir un peu plus favorablement pour les ouvriers la plus-value créée par ceux-ci ; c’est une lutte nécessaire, mais elle reste dans le cadre du capitalisme (Lénine appelait le syndicalisme « la politique bourgeoise de la classe ouvrière »), alors que la question en dernier ressort pour des révolutionnaires c’est de balayer tout ce système capitaliste. Pour diffuser cette compréhension dans le prolétariat il faut l’intervention consciente d’un parti léniniste d’avant-garde.

Lutte ouvrière a encore critiqué récemment l’intervention française, la plaçant dans la continuité des guerres en Irak, en Afghanistan et en Libye. Ils ont expliqué : « Toutes ces guerres se menaient prétendument pour la bonne cause. La démocratie, la protection des civils, la lutte contre le terrorisme, le droit des femmes » (Lutte ouvrière, 15 février). La « lutte contre le terrorisme », une « bonne cause » ?? Alors que Hollande est en pleine entreprise de légitimation du « bushisme » en France ?

La « lutte contre le terrorisme » est la justification d’une « guerre sans fin » à l’extérieur et d’un accroissement démesuré des mesures policières à l’intérieur du pays contre les jeunes de banlieue soupçonnés de nourrir une « cinquième colonne » islamiste, contre les militants basques ou kurdes, les épiciers « anarcho-autonomes » de Tarnac et en dernier ressort la classe ouvrière organisée. Depuis vingt ans que Vigipirate est en place (niveau « rouge » et plus depuis une dizaine d’années), Lutte ouvrière ne s’y est jamais opposée. Pendant ce temps les jeunes de banlieue se font descendre par les flics ; encore dans la nuit du 13 au 14 février Yassine Aibeche, âgé de 19 ans, a été tué par un agent de police de proximité – un flic normal, d’après le Monde (16 février), bien noté par sa hiérarchie (sa femme avait porté plainte contre lui). A bas Vigipirate ! A bas la guerre raciste « contre le terrorisme » !

Ce qu’on appelait l’« extrême gauche » française a pris l’habitude de donner un soutien implicite ou explicite aux interventions militaires de son propre impérialisme, directement ou par l’intermédiaire de forces supplétives. Comme toujours pour ce genre de choses, c’est le premier pas qui compte. C’était il y a plus de trente ans lors de l’intervention soviétique en Afghanistan. L’impérialisme français de Mitterrand était impliqué idéologiquement en tant que fer de lance de la guerre froide en Europe de l’Ouest, mais aussi via un soutien médical clandestin aux insurgés anticommunistes : des infirmières et médecins comme Bernard Kouchner allaient rafistoler les mollahs Omar, commandants Massoud et autres Ben Laden que l’Armée rouge avait neutralisés. LO avait immédiatement pris le côté des moudjahidin anti-femmes en les comparant aux combattants vietnamiens contre l’impérialisme. Il y avait eu un petit débat dans le Secrétariat unifié dont faisait partie le prédécesseur du NPA, la Ligue communiste révolutionnaire ; l’enthousiasme provoqué en 1981 par l’élection de Mitterrand avait fini de convaincre la LCR de rallier ouvertement le camp impérialiste (voir notre article dans Spartacist édition française n° 18-19, hiver 1981-1982).

Depuis cette époque tous ces groupes sont des opposants conscients de l’internationalisme prolétarien révolutionnaire. Pour construire un parti ouvrier léniniste il est essentiel de démasquer ces charlatans devant tous les travailleurs. Troupes françaises, hors du Mali, hors d’Afrique !