Le Bolchévik nº 203

Mars 2013

 

Manifestations en Inde après un viol meurtrier

Pour la libération des femmes par la révolution socialiste !

Une énorme vague de protestations contre l’oppression des femmes a déferlé en Inde en réaction à l’horrible viol collectif et la mutilation, le 16 décembre dernier à Delhi, d’une élève kinésithérapeute de 23 ans qui a succombé quelques jours plus tard à ses blessures. Des manifestations ont éclaté dans de nombreuses grandes villes, dont Kolkata (Calcutta), Mumbai, Bangalore et Panaji. Fait significatif, des manifestations ont aussi eu lieu au Pakistan, au Bangladesh, au Népal et au Sri Lanka, où la condition des femmes est similaire à celle qui prévaut en Inde.

Delhi, qui se targue de faire partie de la « nouvelle » Inde, où centres commerciaux et night-clubs voisinent avec d’immenses bidonvilles, était à l’épicentre des manifestations. La capitale connaît en fait le taux de viols enregistrés le plus important parmi toutes les grandes villes indiennes. Etudiants et jeunes ont manifesté plusieurs jours durant, défiant courageusement la police qui les attaquait à coups de canons à eau, de gaz lacrymogènes et de lathi (matraques en bambou).

Les femmes étaient d’autant plus en colère que les propos grossièrement misogynes se sont multipliés pour imputer la responsabilité de ce crime à la victime. M.L. Sharma, l’avocat de l’un des cinq accusés, déclarait ainsi que les femmes « respectables » ne se font pas violer, tandis que le fils du président indien, Abhijeet Mukherjee, qualifiait les manifestantes de « peinturlurées » et « défraîchies » – autrement dit « occidentalisées » et plus très jeunes. Un dirigeant de l’organisation fascisante hindoue Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) déclarait de son côté que les crimes sexuels « sont rares au Bharat mais arrivent fréquemment en Inde » (Wall Street Journal, 8 janvier). Le RSS a des liens avec le Bharatiya Janata Party (BJP), un parti qui prône la suprématie hindouiste et défend ouvertement l’Hindutva (« l’authenticité hindoue »), un mélange empoisonné de nationalisme et d’obscurantisme religieux dans le but de provoquer des pogroms visant notamment les musulmans.

Le terme « Bharat », le nom de l’Inde en langue hindi, fait référence à un passé imaginaire de ruralité idyllique – par opposition à l’Inde urbaine, soi-disant corrompue par l’influence décadente de l’Occident, notamment sur les femmes. En réalité la vie pour la plus grande partie de la population des villages indiens est faite de misère extrême et d’oppression brutale dans le cadre du système des castes. Dans les campagnes, le viol des femmes dalit (« intouchables ») est considéré comme faisant partie des privilèges de caste des hommes appartenant aux castes « supérieures » ; ceux-ci violent les femmes pour soumettre et humilier leurs victimes et la caste tout entière de celle-ci. D’après une étude sur la violence contre les femmes dalit publiée en mars 2006 par l’association « Campagne nationale pour les droits de l’homme des dalit », sur 500 femmes interrogées, 116 avaient été victimes d’un viol individuel ou collectif ; parmi les agresseurs, « les propriétaires fonciers appartenant aux castes dominantes constituaient le groupe le plus important ».

La police prête souvent main-forte aux milices qui font des descentes dans des villages dalit entiers, brûlent les maisons et violent les femmes. Un événement de ce type survenu en novembre 2012 dans l’Etat du Tamil Nadu donne une petite idée de l’ampleur de ces déchaînements de violence : 148 maisons de dalit ont été incendiées par une horde de 2 500 hommes, parce qu’une femme non dalit avait épousé secrètement un dalit. Les policiers violent et assassinent aussi en toute impunité dans le cadre de l’offensive menée par l’armée dans des régions comme le Chhattisgarh, dans l’est de l’Inde, une offensive qui vise une insurrection maoïste basée sur la population adivasi (tribale). Au Cachemire, l’armée d’occupation indienne a recours à une violence meurtrière, y compris le viol, pour réprimer la population musulmane ; les coupables sont assurés de l’impunité par la « Loi sur les pouvoirs spéciaux des forces armées ». En 1991, à Kunan Poshpora, des unités de l’armée indienne ont violé collectivement en une seule nuit plus d’une centaine de femmes du Cachemire âgées de 13 à 80 ans.

A beaucoup d’égards, la victime du viol de Delhi symbolise toute une couche de jeunes femmes qui vivent en ville, ont bénéficié d’une bonne éducation et ont trouvé du travail à la faveur de la croissance économique qu’a connue l’Inde ces dernières années. Son père, originaire de la région rurale de l’Uttar Pradesh, un des Etats les plus pauvres de l’Inde, avait émigré à Delhi il y a trente ans. Sa fille venait de réussir l’examen pour devenir kinésithérapeute ; comme tant d’autres jeunes femmes, elle travaillait dans un centre d’appels et aimait les vêtements occidentaux. Elle avait brisé un tabou en allant au cinéma, le soir de l’agression, accompagnée d’un homme appartenant à une caste de brahmanes, alors que sa propre famille était issue d’une caste d’agriculteurs.

L’augmentation des violences contre les femmes dans les villes indiennes fait partie intégrante d’un retour de bâton réactionnaire contre cette couche de jeunes femmes qui bénéficient de certaines possibilités d’ascension sociale et dont la condition est relativement privilégiée par rapport à celle des masses pauvres. Dans l’Inde « nouvelle », les femmes qui portent des talons hauts et des jupes courtes, ou qui pensent qu’elles ont le droit de choisir elles-mêmes leurs amis ou même de se marier hors de leur propre caste, sont vues comme une menace contre la morale traditionnelle, l’institution de la famille, la domination de la religion hindouiste et le système des castes qui domine la vie dans les campagnes.

La question de la libération des femmes est explosive en Inde, comme en fait dans tout le sous-continent indien. La lutte pour satisfaire les besoins les plus élémentaires des femmes – l’alphabétisation, l’éducation, la contraception, la fin du mariage forcé et la possibilité d’échapper à la misère et à la terrible oppression du système des castes – exige d’éradiquer la société capitaliste jusque dans ses fondations. L’essor de l’économie indienne a créé des richesses fabuleuses pour quelques-uns et plongé dans une misère encore plus grande l’immense majorité de la population. Dans les campagnes, des millions de paysans sont chassés de leur terre et s’entassent dans les bidonvilles tentaculaires des grandes villes, dans un dénuement indicible. La réalité sociale de l’Inde montre bien que la libération des femmes nécessite rien moins qu’une révolution socialiste.

Les flics : des ennemis mortels des femmes et de tous les opprimés !

Les manifestations contre le viol représentaient un cri de colère contre le traitement infligé aux femmes en Inde. En même temps, un grand nombre des revendications avancées ont un caractère « sécuritaire » réactionnaire, auquel la gauche réformiste a fait écho. Par exemple, le Parti communiste indien (marxiste), PCI(M), appelle à renforcer les pouvoirs de l’Etat capitaliste, à savoir des flics et des tribunaux. Il a d’abord publié un message de condoléances pour un policier qui avait trouvé la mort en participant à la féroce répression policière contre les manifestations à Delhi. C’est monstrueux (le message a depuis été retiré de son site internet www.cpim.org). Le PCI(M) a ensuite demandé le 4 janvier à la commission Verma, nommée par le gouvernement, d’introduire « une peine ferme de prison à vie, jusqu’à la mort » pour les violeurs et de « recruter beaucoup plus de femmes dans la police ».

Ce n’est pas la première fois que ce parti, qui pendant des dizaines d’années a administré l’Etat capitaliste au Bengale occidental, prend ainsi fait et cause pour les flics. Le gouvernement dirigé par le PCI(M) avait réprimé dans le sang en 2006 les paysans pauvres de Singur et Nandigram pour le compte de Tata Motors, un des plus grands groupes capitalistes indiens (voir « La banqueroute politique du stalinisme indien », Workers Vanguard n° 993, 6 janvier 2012).

Nous sommes contre toute extension des pouvoirs répressifs de l’Etat capitaliste qui pourrait être introduite sous prétexte de protéger les femmes. Qu’on ne s’y trompe pas : les mesures bourgeoises utilisées afin de faciliter les condamnations pour viol seront utilisées en priorité pour condamner des dalit, des musulmans et des pauvres en général – qui sont souvent punis pour des viols et autres crimes perpétrés par des membres des castes dominantes et de la police.

La perspective qu’offrent les féministes et la gauche réformiste consiste à se tourner vers l’Etat capitaliste pour qu’il garantisse la protection des femmes ; elle s’exprime invariablement dans des revendications pour la présence dans les rues de flics en plus grand nombre ou mieux formés. Le groupe pseudo-trotskyste Nouvelle Vague (basé à Pune), affilié à la Ligue internationale des travailleurs moréniste, a publié le 19 janvier une déclaration où il proposait « que les femmes soient davantage représentées dans la police » (www.litci.org). On trouve le même genre de chose sous la plume du groupe « Socialiste radical » affilié à l’ex-Secrétariat unifié : il préconise « des programmes approfondis de sensibilisation au genre et à la sexualité pour la police et la magistrature » (www.radicalsocialist.in, 20 janvier). En particulier en Inde, il est grotesque de semer des illusions que la police va protéger les femmes contre les violeurs, et cela peut être mortellement dangereux : les femmes risquent autant de se faire violer par des flics que par quelqu’un d’autre. Il est de notoriété publique que les commissariats de police sont des endroits dangereux pour une femme seule.

Si toute tentative pour lutter contre l’oppression des femmes en Inde est aussi explosive, cela montre combien ce sont des sornettes libérales de croire qu’on puisse évoluer petit à petit vers l’égalité pour les femmes en faisant confiance à l’Etat et à ses lois. L’égalité des droits est d’ailleurs déjà inscrite dans la Constitution indienne – sans que cela porte outre mesure à conséquence. Seule la révolution prolétarienne pourra répondre aux problèmes brûlants auxquels les femmes sont confrontées.

Le taux d’alphabétisation moyen des femmes indiennes est de 48 %, un niveau scandaleusement bas (contre 73 % pour les hommes). D’après une étude de l’UNICEF, 90 % des mariages sont des mariages arrangés (ceci vaut pour toutes les grandes religions et toutes les castes). Le taux de divorce est de 1,1 %, contre près de 50 % pour les Etats-Unis. Particulièrement pesante pour les femmes est la pratique ancienne et répandue de la dot – une quantité d’argent, de biens ou de terres que la famille de la mariée est obligée de verser. Le système de la dot fait que les filles sont un fardeau financier pour leur famille, ce qui incite à la pratique des avortements sélectifs (pour ceux qui peuvent se payer et le test et l’avortement). Comme la plupart des femmes n’ont pas accès à l’avortement, l’infanticide des filles est une pratique courante. La « mort pour dot », c’est-à-dire l’assassinat d’une épouse par son mari ou sa belle-mère, est un phénomène en augmentation. Le chiffre officiel était en 2008 de 8 172 « morts pour dot », mais d’après l’Association internationale contre la dot et l’immolation par le feu des femmes mariées, le chiffre réel pourrait être trois fois supérieur. Bien sûr, la pratique de la dot est interdite par la loi depuis 1961 – autant pour l’illusion libérale que la législation permettrait d’en finir avec le viol et les violences contre les femmes.

Une autre pratique largement répandue dans le sous-continent indien est le crime « d’honneur » : des femmes sont assassinées par des membres de leur propre famille parce qu’elles ont transgressé les limites des comportements sexuels considérés comme acceptables, notamment les relations sexuelles hors mariage ou les relations affectives intercastes. Parfois, ce sont les victimes de viol qui sont assassinées. Il arrive fréquemment qu’en Inde les victimes de viol soient contraintes d’épouser leur violeur pour préserver « l’honneur ». Pratique courante parmi les hindouistes, les sikhs et les musulmans, le crime d’honneur est la forme la plus brutale du contrôle exercé par les familles sur la sexualité des femmes.

Selon cette conception de l’honneur, la femme n’est rien d’autre qu’un bien meuble, propriété de son père ou de son mari qui peut en disposer à sa guise. Comme le faisait remarquer Friedrich Engels dans son ouvrage majeur l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884) : « Pour assurer la fidélité de la femme, donc la paternité des enfants, la femme est livrée au pouvoir discrétionnaire de l’homme : s’il la tue, il ne fait qu’exercer son droit. » La famille est le pilier central de l’oppression des femmes ; avec la religion, elle est aussi un des fondements de l’ordre capitaliste.

L’émancipation des femmes est une question stratégique pour la libération de tous les opprimés en Inde et dans le sous-continent indien tout entier ; cela nécessite le programme de la révolution permanente. La classe ouvrière, à la tête de la paysannerie et de toutes les masses opprimées, doit s’emparer du pouvoir d’Etat au moyen d’une révolution socialiste, réorganiser la société sur la base de la propriété collectivisée et étendre la révolution au niveau international, notamment aux centres impérialistes. Le modèle historique pour tout ceci est la Révolution d’octobre 1917 en Russie, qui fut dirigée par le Parti bolchévique de Lénine et Trotsky. Dans cette perspective, la lutte pour la libération des femmes est d’une importance stratégique.

Asservissement impérialiste, patriarcat et castes

L’Inde possède un prolétariat significatif – dans les usines automobiles, les mines, la sidérurgie, les chemins de fer, le textile, l’industrie des machines-outils. Les capitalistes indiens et les puissances impérialistes auxquelles ils sont inféodés sont parfaitement conscients du pouvoir potentiel de la classe ouvrière. Les ouvriers de l’usine Maruti Suzuki (le plus grand groupe automobile indien) de Gurgaon, près de Delhi, ont mené en 2012 une série de grèves très dures ; ils se sont heurtés à une violente répression.

Le travail du prolétariat produit les richesses qui engraissent la classe dirigeante indienne et les banquiers internationaux. Mais ce pouvoir potentiel est entravé par les directions existantes de la classe ouvrière. La classe ouvrière, déjà clivée par caste, par religion et par ethnie, est divisée encore un peu plus entre des syndicats concurrents affiliés à des partis politiques. Il est essentiel de forger une direction marxiste révolutionnaire qui luttera pour l’unité et l’indépendance de classe du prolétariat. Le prolétariat qui a une conscience de classe doit faire sienne la lutte pour l’émancipation des femmes et se mettre à la tête de tous les opprimés ; il doit gagner à sa cause les masses des campagnes en prenant fait et cause pour une révolution agraire qui renversera les propriétaires fonciers et les capitalistes.

L’Inde est un exemple classique de « développement inégal et combiné ». Plus de 60 ans après l’indépendance, et malgré son « miracle » économique, elle reste un pays majoritairement rural – pas moins de 72 % de ses 1,2 milliard d’habitants vivent dans des villages où les conditions d’existence sont misérables. L’oppression de caste est maintenue par le système des panchayat, les conseils de village qui décrètent ce qui est acceptable dans tous les domaines des rapports sociaux. Ces conseils disposent de l’autorité nécessaire pour punir les mariages intercastes tout comme les violations du code vestimentaire imposé aux femmes. La libération des femmes et la destruction du système des castes sont liées de manière inextricable.

La persistance de l’arriération rurale est l’héritage de la domination coloniale britannique qui a exploité, retardé et démembré le pays. Si la transition à partir d’une société pré-capitaliste n’a pas abouti en Inde à la dissolution des rapports patriarcaux et de caste, c’est parce que la domination coloniale les a préservés, manipulés et renforcés. La Compagnie des Indes orientales britannique s’était emparée du territoire des Indes en exploitant les conflits entre potentats locaux et en attisant les antagonismes ethniques, religieux, tribaux et de caste. Le pillage colonial enrichit la classe dirigeante en Grande-Bretagne et provoqua l’effondrement complet de branches entières de l’économie indienne, et notamment de son agriculture irriguée. La paysannerie fut accablée par les impôts qu’elle devait payer aux propriétaires fonciers locaux et à l’Etat colonial. Pour collecter les impôts, les propriétaires fonciers et leurs agents avaient recours à la spoliation, à la violence et la cruauté contre les pauvres des campagnes.

Une fois terminée la conquête de l’Inde, les autorités britanniques créèrent une armée indigène, recrutée majoritairement parmi les hautes castes. Cette situation perdura jusqu’à la révolte des cipayes de 1857, qui fut le détonateur de ce que Marx appela « la première guerre d’indépendance indienne ». La composition de l’armée fut par la suite modifiée. Mais la politique de « diviser pour régner » resta le principe directeur, dont Marx écrivait au moment de la révolte de 1857 qu’elle « fut la grande règle par laquelle la Grande-Bretagne réussit, pour environ cent cinquante ans, à rester maîtresse de son empire indien ».

Depuis l’indépendance de 1947, l’Inde capitaliste est restée dépendante du capital financier international, et elle le restera en dépit des mythes sur sa transformation en superpuissance. De son côté, la bourgeoisie indigène a utilisé le système des castes pour perpétuer la domination hindouiste. Le Parti du Congrès manipule au service du chauvinisme hindou les divisions de caste et le communautarisme depuis l’époque de Mohandas (le « mahatma ») Gandhi et de Jawaharlal Nehru, une période que les libéraux bourgeois présentent aujourd’hui comme une occasion rêvée d’instaurer une « démocratie laïque ». Le Congrès représentait les intérêts des commerçants et des élites des villes et, par-dessus tout, des fermiers riches. Le chauvinisme hindou et hindi a toujours été une composante importante du nationalisme indien du Congrès.

Gandhi, l’idole des libéraux, était profondément imprégné de préjugés de caste et d’arriération anti-femmes. Dans le contexte de l’effroyable bain de sang qui accompagna la partition de l’Inde, Gandhi conseillait aux jeunes femmes menacées de viol de se mordre la langue et de retenir leur respiration jusqu’à ce que mort s’ensuive. Nous écrivions dans notre article « Les staliniens ont trahi la révolution indienne en faisant alliance avec Churchill » (Workers Vanguard n° 970, 3 décembre 2010) : « Gandhi avait pour tâche d’obtenir des Britanniques le maximum de concessions possibles, dans l’intérêt commun qui était de sauver le capitalisme, tout en écartant la menace que représentait la montée des luttes, de plus en plus combatives, des ouvriers et des paysans. Ce que le magnat du textile Ambalal Sarabhai résumait en disant que Gandhi “était la meilleure garantie que possédait l’Inde contre le communisme ”. »

De peur que les « intouchables » puissent s’unir avec les musulmans et constituer un contrepoids parlementaire, le Congrès fit appel au dirigeant dalit B.R. Ambedkar pour présider la commission de rédaction de la Constitution, qui interdit l’« intouchabilité » mais laissa intact le système des castes. Des sièges furent réservés au parlement pour les « intouchables » et les « populations tribales » (les dalit et les adivasi aujourd’hui). En guise de réforme minimale, un pourcentage d’emplois publics fut réservé plus tard aux dalit et aux membres des castes inférieures. Ambedkar finit par regretter d’avoir participé à la rédaction de la Constitution ; il déclara que dans l’Inde indépendante « la même tyrannie, la même oppression, la même discrimination qui existaient autrefois existent encore, et peut-être en pire ».

L’ignoble chauvinisme hindou du Congrès a provoqué des pogroms contre les sikhs en 1984. Il a aussi pavé la voie à l’arrivée au gouvernement du BJP, qui surfait sur une vague de pogroms anti-musulmans dont le point culminant fut la destruction de la mosquée Babri à Ayodhya en 1992. Les émeutes menées par les chauvins hindous à Ayodhya furent déclenchées en partie par la proposition de la Commission Mandal, nommée par le gouvernement, de réserver des emplois aux membres de certaines castes inférieures.

Contrairement aux illusions libérales, une société laïque « démocratique » n’était historiquement pas à l’ordre du jour pour l’Inde indépendante sous le régime capitaliste. Seule la révolution socialiste prolétarienne, s’étendant au reste du sous-continent indien et aux centres impérialistes, pourra s’atteler à la tâche titanesque d’en finir avec la pénurie. C’est seulement de cette manière qu’on pourra jeter les bases matérielles pour éradiquer l’oppression des femmes et l’oppression de caste, ainsi que pour libérer toutes les masses pauvres. Un formidable développement des forces productives arrachera des millions de femmes et d’hommes à l’arriération rurale pour les intégrer à une société industrialisée. Nous cherchons à construire un parti léniniste-trotskyste en Inde, faisant partie intégrante d’une Quatrième Internationale reforgée ; il sera déterminé à lutter pour une fédération socialiste du sous-continent indien.

– Traduit de Workers Vanguard n° 1017, 8 février