Le Bolchévik nº 202

Décembre 2012

 

La grève des mineurs ébranle le régime de néo-apartheid en Afrique du Sud

A bas l’alliance capitaliste entre l’ANC, le PC et le COSATU ! Pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs !

Pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs !

Nous reproduisons ci-après le rapport, revu pour publication, de notre camarade Robert Carlyle présenté au meeting de la LTF à Paris le 15 novembre.

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Comme beaucoup d’entre vous ici ce soir le savent, les mineurs de platine de la mine de la société Lonmin à Marikana en Afrique du Sud ont arraché d’importantes augmentations de salaire au bout de six semaines de grève, mais c’était une victoire au goût amer. Trente-quatre de leurs camarades ont été abattus de sang froid par la police le 16 août dernier. D’autres ont été tués pendant les jours qui ont précédé ce massacre, d’autres encore dans les jours qui ont suivi. Comme l’expliquait un mineur interviewé par CNN, il fallait tenir bon, sinon leurs camarades seraient morts en vain. Le fait qu’il faille payer de son sang une augmentation de salaire dans les mines sud-africaines montre bien ce qu’est la vie de la population noire sous la « nouvelle démocratie » dans ce pays. L’augmentation de salaire qui en a résulté et la grève elle-même ont galvanisé de nombreux autres mineurs de platine, d’or, de chrome et de fer, et même au-delà dans d’autres secteurs de la puissante classe ouvrière sud-africaine.

Les grévistes de Lonmin et d’Impala Platinum (Implats, où il y avait eu une grève début 2012) ont mené leur lutte en passant outre l’opposition de la direction de leur syndicat, le NUM (Syndicat national des mineurs), et ils ont démontré qu’une lutte de classe acharnée pouvait gagner. Un commentateur faisait remarquer que cela représentait « un effondrement des relations sociales dans l’entreprise » en Afrique du Sud accompagné d’un « écroulement total des structures de négociation collective et de concertation, la destruction du syndicat majoritaire et l’émergence de comités de grève provisoires, souvent improvisés, pour représenter les travailleurs, ainsi que l’émergence d’un nouveau syndicat minoritaire » (Mail & Guardian, 12 octobre). Les bureaucrates du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU) et autres responsables syndicaux sont conscients qu’ils sont en décalage par rapport à la combativité des travailleurs ; aussi ils ont commencé à donner le feu vert à des grèves, comme celle des chauffeurs routiers qui a duré trois semaines.

Les grèves ont défié non seulement la direction de la fédération syndicale COSATU mais aussi le gouvernement capitaliste dont le COSATU fait partie intégrante. L’Alliance tripartite au pouvoir en Afrique du Sud, qui est dirigée par l’ANC, un parti nationaliste bourgeois, est une alliance de collaboration de classes dans laquelle les dirigeants du COSATU et du Parti communiste sud-africain (SACP) assujettissent les masses laborieuses aux exploiteurs capitalistes. Ces fronts populaires sont un mécanisme classique – et ici en France, c’est le mécanisme classique – au moyen duquel les PC ont maintes et maintes fois trahi des occasions révolutionnaires. Nous disons aujourd’hui en Afrique du Sud : Rompez avec l’Alliance tripartite ! Pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs !

Depuis le massacre de Marikana, de nombreux témoignages ont prouvé que les grévistes avaient été pourchassés et abattus de sang-froid par les flics ; un certain nombre ont été victimes d’exécutions sommaires, abattus alors qu’ils étaient agenouillés dans la boue, les mains en l’air, et qu’ils suppliaient qu’on leur laisse la vie sauve. Des photographies montrent que, dans de nombreux cas, des armes ont été déposées près du corps de grévistes désarmés pour dissimuler la véritable nature du massacre perpétré par les flics.

Les dirigeants du COSATU et du SACP ont été à l’avant-garde de la chasse aux sorcières du gouvernement contre les mineurs combatifs. La direction du NUM s’est solidarisée avec les flics, y compris après le massacre. Le journaliste Jared Sacks citait dans un article du Daily Maverick (13 octobre) des témoins qui affirmaient avoir vu des délégués syndicaux du NUM et d’autres syndicats commettre des meurtres à Marikana le 11 août, avant le massacre des flics, en abattant des grévistes qui protestaient contre la complicité du NUM avec les patrons de Lonmin. Après une réunion d’urgence convoquée par le président sud-africain Jacob Zuma, le secrétaire général du COSATU, Zwelinzima Vavi, s’est félicité de ce que Zuma avait « fait preuve d’autorité » et il a exprimé son soulagement que la réunion « a condamné les grèves violentes et a exhorté les institutions chargées de faire appliquer la loi pour lutter contre les actes illégaux » (City Press, 14 octobre).

Les patrons redoublent d’efforts pour briser les grèves. Des dizaines de milliers d’ouvriers sont actuellement menacés de licenciement. Anglo American Platinum, le plus grand producteur mondial de platine, a licencié 12 000 ouvriers pour avoir participé à une grève « illégale ». Mais c’est la tournure que prendra la lutte de classe qui décidera si les patrons arriveront ou non à leurs fins. Les mineurs de Lonmin ont repris le travail. La région des mines est en quelque sorte sous la loi martiale, l’armée se tenant prête à intervenir pour prêter main forte à la police. Les flics utilisent régulièrement des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser les piquets de grève et les réunions des mineurs. Des tactiques de ce genre sont utilisées régulièrement par les conseils municipaux contrôlés par l’ANC pour empêcher les organisations de quartier dans les bidonvilles (les « townships ») de manifester pour réclamer des services publics de base comme l’électricité ou l’eau potable.

Ces derniers jours, les 30 000 mineurs en grève à Anglo American Platinum étaient menacés de licenciement s’ils refusaient de reprendre le travail. En ce qui concerne les mineurs de Marikana arrêtés pendant la grève, même si l’Etat a abandonné temporairement les poursuites judiciaires pour meurtre et tentative de meurtre contre les survivants du massacre, ils sont toujours sous la menace d’une inculpation pour trouble à l’ordre public (une audience est prévue le 12 février 2013).

En d’autres termes, il n’y aura pas de justice pour ces mineurs abattus par les flics. Les flics resteront les chiens de garde de la classe capitaliste sud-africaine jusqu’à ce que le système capitaliste soit mis à bas par une révolution socialiste prolétarienne et remplacé par un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs. Et ce dont je vais parler ce soir, c’est comment on peut réaliser cela.

Les origines du néo-apartheid

Après plus de 18 ans de gouvernement de l’Alliance tripartite et d’oppression version néo-apartheid, la base de la société est en pleine éruption, et ceci affecte y compris beaucoup de membres du Parti communiste sud-africain et du COSATU. Ils en ont assez de voir leurs dirigeants trahir encore et toujours les luttes ouvrières au nom de cette alliance bourgeoise.

Chacune des trois composantes de l’Alliance tripartite au pouvoir en Afrique du Sud s’appuie sur l’autorité politique acquise dans la classe ouvrière au cours de la lutte pour faire tomber le régime de l’apartheid, lutte qui a abouti il y a 18 ans à l’accord de partage du pouvoir entre l’ANC et le Parti national afrikaner blanc. Mais dès le début nous avions fait remarquer que, bien que la superstructure juridique de l’apartheid ait été abolie, l’inégalité sociale et raciale, fondamentalement, se perpétuait. Nous disions à l’époque : « L’accord ANC-De Klerk trahit la libération des Noirs » et « Mandela et l’ANC servent de couverture au pouvoir capitaliste raciste ».

C’est pourquoi nous avons appelé néo-apartheid l’oppression dans cette société. Le régime dirigé par l’ANC est tout simplement le nouveau visage de la domination de la classe bourgeoise. Ce régime massacre aujourd’hui les travailleurs noirs tout comme le faisait le gouvernement précédent pour défendre le pouvoir des maîtres capitalistes, qui sont pour l’essentiel blancs.

La division raciale fondamentale existe toujours entre la minorité blanche privilégiée, qui vit dans une relative aisance, et la masse de la population noire, qui vit dans des conditions du tiers-monde – et cette division s’est aggravée sous l’Alliance tripartite. Ce n’est plus maintenant le Brésil mais la « nouvelle » Afrique du Sud qui est le pays du monde où le fossé entre les riches au sommet de la pyramide et les masses en bas est le plus grand.

Pourtant le régime capitaliste de l’ANC repose sur la fiction d’une « nation arc-en-ciel » luttant dans l’unité pour dépasser les divisions raciales, y compris par exemple avec des mesures pour soi-disant donner un pouvoir économique aux Noirs ; je parle ici du black economic empowerment, qui veut dire mettre des visages noirs à la devanture des entreprises capitalistes, le capital et le pouvoir restant en réalité largement entre les mains des Blancs. Cela fait quinze ou vingt ans que nous luttons contre cette idéologie du néo-apartheid, qui est largement partagée par la gauche sud-africaine (voir notre brochure de 1997 en anglais, The Fight for a Revolutionary Vanguard Party : Polemics on the South African Left [La lutte pour un parti révolutionnaire d’avant-garde : polémiques avec la gauche sud-africaine]).

Aujourd’hui, environ 57 % des Sud-Africains vivent avec moins de 325 rands par mois (environ 30 euros), et les chefs d’entreprise gagnent en moyenne 59 millions de rands par an (plus de 5,3 millions d’euros). Le quart de la population active environ est au chômage, et les salaires de ceux qui ont réellement un emploi sont misérables ; les prisons sont remplies à craquer de jeunes Noirs et coloureds (en partie d’origine malaise) ; et les décès en prison sont monnaie courante, le système de santé est une mauvaise plaisanterie, avec l’épidémie du sida et les autres maladies qui sévissent ; une grande partie de ceux qui ont la chance d’avoir un toit vivent dans des baraques en tôle et en carton, sans eau potable ni installations sanitaires. Les rivalités tribales et ethniques et la violence anti-immigrés sont alimentées par la bourgeoisie pour maintenir les masses divisées ; l’arriération anti-femmes symbolisée par la lobola, le prix de l’épousée, est omniprésente.

Même si l’économie s’est beaucoup diversifiée depuis cinquante ans, l’exploitation minière représente encore, directement ou indirectement, plus de 25 % de l’activité économique du pays. Elle emploie 500 000 ouvriers dont la vie n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de l’apartheid. Si vous êtes un mineur qui travaille à l’abattage, votre travail est éreintant et dangereux, et vous gagnez un salaire de misère. L’année dernière, il y a eu 123 décès dans les mines. Et si vous ne mourez pas écrasé par un éboulement, vous avez six fois plus de chances que le reste de la population d’attraper la tuberculose si vous êtes mineur. Sinon, vous êtes peut-être un travailleur migrant avec une famille dont la survie dépend de votre maigre salaire et que vous voyez une ou deux fois par an ; vous vivez dans un foyer sordide, vous dormez sur une couchette au-dessus d’autres mineurs, l’entreprise vous fait manger de la nourriture avariée.

Le gouvernement capitaliste de l’Alliance tripartite représente les « randlords », c’est-à-dire les « seigneurs du Rand », du nom de la région minière sud-africaine historique du Witwatersrand. Les randlords possèdent une énorme richesse, en particulier l’industrie minière. Il y avait toute une mythologie pendant l’époque du mouvement anti-apartheid, tant en Afrique du Sud qu’à l’étranger, selon laquelle l’ANC était le parti de la libération et qu’il allait apporter l’égalité aux ouvriers noirs. En fait, l’ANC, dès sa création il y a cent ans, était de nature petite-bourgeoise, dominé par une soi-disant élite noire. Il représentait les intérêts d’une bourgeoisie noire en devenir (même si jusqu’à une époque récente, il n’y avait pas de capitalistes noirs). Donc lorsque l’ANC a conclu un accord avec la bourgeoisie blanche en 1994, c’était l’aboutissement logique de son programme.

Il faut noter que l’apartheid n’a pas été mis à bas par les guérilleros de l’ANC, aussi héroïques qu’ils aient été pour beaucoup d’entre eux. Il n’a certainement pas été mis à bas par les campagnes de désinvestissement et de boycott menées par des libéraux et des militants de gauche en Europe et aux Etats-Unis. C’est la lutte de classe menée par le puissant mouvement syndical principalement noir, organisé dès le milieu des années 1980 en grande partie dans le cadre de la fédération syndicale COSATU, qui a fait vaciller sur ses bases l’Etat de l’apartheid et qui a convaincu des secteurs clés de la bourgeoisie blanche, et leurs principaux bailleurs de fonds à Londres et à Washington, qu’il fallait un changement.

Un facteur crucial dans l’arrivée au pouvoir de la coalition autour de l’ANC a été la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique en 1991-1992. L’Union soviétique avait soutenu l’ANC matériellement et diplomatiquement pendant des décennies. Alors que le régime stalinien de Mikhaïl Gorbatchev s’effondrait, et dans le contexte de luttes ouvrières combatives en Afrique du Sud, l’ANC accepta le « partage du pouvoir » avec les dirigeants de l’apartheid raciste, dont un secteur estimait que l’ANC au gouvernement ne représenterait plus une menace pour le maintien au pouvoir de la classe dirigeante blanche.

A bas le front populaire du PC et du COSATU avec l’ANC !

J’ai dit tout à l’heure que l’Alliance tripartite est un front populaire, donc je veux expliquer ce qu’est un front populaire. C’est un bloc entre des partis bourgeois – dans ce cas l’ANC – et des organisations ouvrières réformistes, sur la base d’un programme commun qui est la défense du capitalisme. Dans un front populaire, les réformistes acceptent les limites du programme de leur « allié » capitaliste.

Du point de vue de la bourgeoisie, un front populaire peut être très efficace pour maintenir la paix sociale. Les partis ouvriers réformistes forment un bloc avec des formations bourgeoises, dans certains cas c’est seulement « l’ombre de la bourgeoisie », comme disait Trotsky pendant la guerre civile espagnole en 1936-1939, vu que l’essentiel de la bourgeoisie était du côté franquiste. En France c’est la forme historique de collaboration de classes au niveau parlementaire. Les éléments bourgeois dans le front populaire servent de garantie pour rassurer la bourgeoisie, et les réformistes vont s’en servir si nécessaire pour cacher leur propre trahison. C’est ce qu’avait fait le PCF en Juin 36 en étranglant une situation pré-révolutionnaire : il avait prétendu que la tiédeur de son propre programme était une condition indispensable à l’unité de tous les « progressistes ».

Hollande lui-même avait un programme 100 % anti-ouvrier, et nous n’aurions voté pour lui en aucun cas, même s’il s’était présenté seul, mais il s’est tout de même entouré de petites formations bourgeoises « de gauche », les Radicaux de gauche, les chevènementistes et les Verts (en attendant le moment de faire l’unité avec Bayrou).Dès leur arrivée au pouvoir, Hollande et Ayrault ont commencé à faire passer une série d’attaques contre les ouvriers, les immigrés, etc. Les patrons multiplient plans sociaux et fermetures de boîtes comme PSA Aulnay, et il ne se passe quasiment rien. Pourquoi ? Parce que pour les réformistes et les traîtres à la classe ouvrière qui dirigent le prolétariat aujourd’hui, ce gouvernement est le leur, et ils ne vont pas mobiliser contre leur gouvernement ! C’est pour cela que nous disons que le front populaire paralyse et démoralise la classe ouvrière.

Pour nous, la question de l’indépendance de la classe ouvrière est un principe, quelle que soit la manière dont la question est posée. Donc pour les marxistes c’est une question de principe de ne pas voter pour des coalitions bourgeoises. Et cela montre la différence avec les LO, NPA et autres Front de gauche pour qui cette question est purement « tactique », les plus hypocrites étant Lutte ouvrière qui a laissé les ouvriers se dépatouiller en leur âme et conscience entre l’abstention et le vote Hollande — ils parlaient d’un « choix personnel » (Lutte Ouvrière, 23 avril).

Ici en France, le PCF reprend à son compte ce que racontent ses camarades en Afrique du Sud en qualifiant la grève des mineurs de platine d’« illégale » et les travailleurs qui rompent avec le COSATU d’anticommunistes au niveau politique (l’Humanité, 3 octobre). Je cite : « Les patrons des mines l’ont bien compris, qui facilitent l’implantation d’AMCU et aiguisent les rivalités avec la NUM. Il est vrai que Mathunjwa [le secrétaire général de l’AMCU] décrit AMCU comme “apolitique et non communiste” ! » Les déclarations du PCF sur l’Afrique du Sud rappellent celles des staliniens français qui avaient cassé toute mobilisation gréviste en Juin 36 et en 1944-1945 en disant « Il faut savoir terminer une grève » (Maurice Thorez) ou « la grève c’est l’arme des trusts » (Gaston Monmousseau) en défense du Front populaire (Juin 36) ou du « Front national » (avec de Gaulle) après la guerre.

La « révolution par étapes » contre la révolution permanente

En Afrique du Sud, la fédération syndicale COSATU et le Parti communiste sud-africain travaillent à subordonner les intérêts des ouvriers à ceux des exploiteurs capitalistes à travers le front populaire nationaliste. Les travailleurs sont trahis dès le départ. On a pu le voir très clairement lors de la grève de Lonmin : les bureaucrates syndicaux du NUM et les dirigeants du SACP se sont mobilisés activement contre la grève aux côtés des patrons ; ils ont dénoncé les grévistes et ils ont imputé la responsabilité de la « violence » aux travailleurs afin de justifier le massacre de Marikana. Mais il faut comprendre que la trahison du SACP découle logiquement de son programme réformiste stalinien de « révolution par étapes » ; sa perspective est une alliance avec une soi-disant aile « progressiste » de la bourgeoisie nationale.

D’après cette « théorie » fumeuse, l’Afrique du Sud est en pleine « révolution démocratique nationale » qui va « évoluer » vers le socialisme. Selon le SACP, l’Etat sud-africain n’est pas bourgeois ; il constitue « un terrain de classe contesté » et peut donc être poussé à agir dans l’intérêt de la classe ouvrière. Mais c’est exactement le programme qu’a exprimé le secrétaire général du COSATU Zwelinzima Vavi quand il a déclaré lors d’un meeting de grévistes sur une mine de la société AngloGold, le 19 octobre, qu’il fallait « reprendre la région de Rustenburg [bastion de la grève du platine] des mains de la contre-révolution ». Il n’est pas étonnant qu’il ait dû fuir sous une volée de pierres.

La théorie stalinienne de la « révolution par étapes » dans les pays arriérés va fondamentalement à l’encontre de la conception marxiste selon laquelle il existe deux classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, et que l’Etat doit être gouverné par l’une ou par l’autre de ces classes.

Flics, matons et vigiles, hors des syndicats !

Le massacre de Marikana est la preuve la plus claire qu’on puisse imaginer qu’il y a bien un Etat capitaliste en Afrique du Sud ! Il montre aussi ce que nous avons toujours expliqué à propos de la « révolution par étapes » : au cours de la première étape, la bourgeoisie « progressiste » arrive au pouvoir, et au cours de la deuxième « étape », les travailleurs se font massacrer.

Que signifie cette théorie mensongère ? On peut le voir avec l’idée que la police noire dans l’Afrique du Sud de l’après-apartheid ferait soi-disant partie de la classe ouvrière. Cette illusion est renforcée par le fait que certains policiers de la « nouvelle » Afrique du Sud ont autrefois combattu les armes à la main avec l’ANC contre l’apartheid. Sous l’apartheid, les flics noirs étaient bien sûr haïs parce qu’il était évident qu’ils étaient au service de l’oppresseur raciste. Maintenant, l’ANC et ses partisans réformistes disent que l’Etat, avec son gouvernement « démocratique » à majorité noire, est au service des masses. Donc un flic blanc est peut-être toujours un Boer raciste, mais un flic noir est soi-disant votre « camarade ». L’Afrique du Sud est un pays capitaliste, et le système capitaliste est défendu par l’Etat bourgeois sud-africain. Et comme l’a expliqué Lénine, l’Etat est un instrument pour la répression d’une classe par une autre, pour la répression de ceux qui travaillent par la classe dominante. Et cet instrument, ce sont des bandes d’hommes armés au service de la bourgeoisie. C’est cela, les flics, qu’ils soient blancs ou noirs.

Pour les marxistes les flics ne sont pas des travailleurs. Ils font partie de l’appareil d’Etat capitaliste, qui est là pour préserver, par la violence organisée, le système d’exploitation de la classe ouvrière par les capitalistes. Nous avons comme mot d’ordre : Flics, gardiens de prison et vigiles, hors des syndicats !

Si quelqu’un ici connaît la Gauche révolutionnaire (GR), vous savez peut-être qu’ils disent que les flics et les gardiens de prison sont des « travailleurs en uniforme ». Eh bien, les camarades de la GR en Afrique du Sud, dont le groupe s’appelle le Mouvement des démocrates socialistes (DSM), considèrent également que les flics sont des travailleurs et des camarades syndicalistes. C’est aussi la position de Lutte ouvrière, y compris en Afrique du Sud. Ces opportunistes n’ont pas osé la mettre en avant lorsque les flics ont « fait leur travail » en massacrant les mineurs de Marikana, mais je vous renvoie à l’article de LO sur la grande grève du secteur public de 2010 en Afrique du Sud (Lutte de classe, octobre 2010). Ces illusions dans la nature de classe de la police bourgeoise sont suicidaires en Afrique du Sud aujourd’hui !

Pour une direction révolutionnaire dans les syndicats !

Les dirigeants procapitalistes des syndicats du COSATU travaillent à enchaîner les travailleurs à leurs exploiteurs ; mais à la base des syndicats il y a beaucoup de travailleurs subjectivement révolutionnaires qu’il faut gagner à un programme révolutionnaire. Ceci est vrai également pour le Parti communiste sud-africain, dont beaucoup de militants sont aussi membres des syndicats et de l’ANC. Le SACP est un exemple de ce que Lénine appelait un « parti ouvrier bourgeois » – il a une base ouvrière mais une direction et un programme procapitalistes. Les mineurs combatifs d’Afrique du Sud étaient à juste titre dégoûtés par la corruption générale des représentants des syndicats et du gouvernement dans l’Afrique du Sud du néo-apartheid. C’est sans doute un facteur qui a contribué à les pousser à lutter, même contre leurs propres dirigeants.

Cyril Ramaphosa est un excellent exemple de « ceux qui vont à la soupe » et qui constituent aujourd’hui l’élite noire post-apartheid. C’était un dirigeant de l’ANC à l’époque de l’apartheid, et l’un des fondateurs et des dirigeants du NUM. Il était l’un des négociateurs qui ont conçu l’accord de partage du pouvoir en 1994. Aujourd’hui, c’est l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud ; il a un patrimoine d’environ 250 millions de dollars investis dans l’industrie ; il est d’ailleurs actionnaire de Lonmin.

C’est l’hostilité profonde à l’encontre de ces « grosses légumes » qui est à l’origine de la popularité croissante de Julius Malema, l’ancien président de l’organisation de jeunesse de l’ANC. C’est l’un de ceux qui haussent le plus le ton contre Zuma dans le milieu de l’ANC (bien qu’il ait été exclu de l’ANC début 2012). C’est un démagogue populiste bourgeois ; il crache du venin raciste afin de détourner les travailleurs d’une compréhension de classe de ce qu’est l’ordre du néo-apartheid, il rend ainsi en fin de compte service à l’ANC. Il est l’allié du rival de Jacob Zuma lors des prochaines élections, Kgalema Motlanthe. La popularité de Malema a augmenté après le massacre de Marikana, quand il a appelé à la nationalisation des mines pour tirer profit de la juste colère des travailleurs. Comme l’ont écrit nos camarades à propos de la politique de nationalisations de Malema, il s’agit d’un programme de réformes bourgeoises qui ne mettront pas un terme à la surexploitation des mineurs : Malema propose à la place « une répartition des actions entre les propriétaires actuels des mines et le gouvernement (avec une part majoritaire pour ce dernier), ce qui signifie que l’Etat bourgeois devient associé dans l’exploitation directe des travailleurs » (Spartacist South Africa n° 8, hiver 2012).

Le NUM étant détesté par de nombreux mineurs, de nombreuses grèves éclatent sans direction syndicale officielle. Elles sont dirigées par des comités de mineurs qui se forment dans le feu de la bataille. Il y a aussi un autre syndicat des mineurs, l’Association des mineurs et des ouvriers du bâtiment (AMCU), qui a été impliqué dans plusieurs conflits, comme à Lonmin et Implats, où l’on estime que 20 000 mineurs ont quitté le NUM (Mail & Guardian en ligne, 12 octobre). L’AMCU a été créée en 1998 par d’anciens membres du NUM qui étaient des mineurs de fond ; il compte aujourd’hui environ 30 000 membres au niveau national.

En général, les révolutionnaires sont favorables à ce que les travailleurs s’organisent dans un seul syndicat par industrie, car c’est un moyen pour la classe ouvrière d’avoir le maximum de force contre les capitalistes. (En France, nous luttons pour de tels syndicats industriels et contre l’organisation du mouvement syndical selon les positions politiques, car ceci divise et affaiblit les travailleurs dans un secteur donné.) Cependant, nous ne condamnons pas toutes les scissions au sein du mouvement syndical. Celles-ci doivent être jugées au cas par cas, et si la majorité des mineurs de platine ou d’autres secteurs veulent rejoindre l’AMCU, ils en ont assurément le droit. Ce sont les trahisons de classe des bureaucrates du NUM qui sapent l’unité des travailleurs dans l’industrie minière. Mais en tout cas, créer de nouveaux syndicats n’est pas en soi une réponse aux attaques des patrons. Il faut forger une direction lutte de classe dans les syndicats, basée sur l’indépendance complète vis-à-vis de la bourgeoisie et de son Etat ; c’est là un élément essentiel de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire qui défendra tous les exploités et les opprimés.

Il faudrait un comité central de grève qui chapeauterait toute l’industrie minière ; ce comité central serait basé sur des comités de grève élus localement ; beaucoup ont déjà été constitués pendant les grèves. Un tel comité aurait pour but d’organiser et d’unifier les luttes des mineurs en rassemblant les travailleurs par-delà leur affiliation syndicale. Il se battrait pour assurer un salaire égal pour un travail égal. Il lutterait pour chasser les labour brokers, des agences de recrutement parasites à la solde des patrons qui peuvent ainsi contourner les syndicats (à Lonmin, les travailleurs employés par les labour brokers n’ont pas bénéficié de l’augmentation des salaires). Il serait chargé de coordonner les milices ouvrières d’autodéfense destinées à stopper les briseurs de grève et d’organiser la défense contre la violence des flics. Il mettrait en avant des revendications qui sont dans l’intérêt des populations noires autour des mines. Il chercherait à entraîner dans la lutte ceux qui, comme les épouses des mineurs, ont activement soutenu les grèves.

Le sort des pauvres des townships est tout aussi peu enviable. Ils subissent des coupures d’électricité et d’eau, à supposer qu’ils aient accès à ces services essentiels. En dépit des promesses mensongères du gouvernement de fournir un logement à tous les Sud-Africains, des millions de personnes continuent à vivre dans des bidonvilles. La misère capitaliste frappe le plus durement les femmes noires, qui connaissent des taux significativement plus élevés de pauvreté et d’infection par le VIH, à quoi s’ajoute la pratique généralisée de la polygamie, de la lobola, voire de l’ukuthwala (le « mariage par rapt ») dans certaines zones rurales. Des études montrent que jusqu’à 50 % des femmes sont victimes de violences de la part de leur conjoint.

Pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs

Les travailleurs d’Afrique du Sud n’obtiendront pas des salaires et des conditions de travail décents, ni un logement, des écoles ou des hôpitaux, ni même l’eau potable, en laissant en place le système capitaliste, que ce soit dans le cadre de l’Alliance tripartite ou pas. La solution pour laquelle nous, trotskystes, nous battons, c’est une révolution ouvrière qui détruira l’Etat capitaliste et le remplacera par un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs. Une telle chose n’arrivera pas spontanément, quels que soient la combativité des travailleurs et le nombre de grèves : il faut pour cela la direction d’un parti révolutionnaire. Le modèle qu’il faut suivre, c’est la Révolution d’octobre 1917 en Russie. Les travailleurs russes avaient renversé la classe capitaliste et instauré la dictature du prolétariat – le pouvoir ouvrier. Le Parti bolchévique de Lénine et de Trotsky avait rendu possible cette victoire historique en prenant la direction des travailleurs en lutte et en menant un combat politique victorieux contre les partis réformistes russes – des partis comme aujourd’hui en Afrique du Sud le SACP, ou comme LO en France. Ces partis cherchaient à enterrer la révolution en enchaînant la classe ouvrière russe au front populaire de l’époque, resté dans l’histoire sous le nom de gouvernement provisoire.

Notre programme pour un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs est une application à l’Afrique du Sud de la perspective de la révolution permanente de Trotsky. Trotsky expliquait que dans le monde colonial et néocolonial, où le capitalisme a connu un développement retardataire, les tâches démocratiques associées aux révolutions bourgeoises des XVIIe et XVIIIe siècles ne peuvent être réalisées que par la classe ouvrière au pouvoir. La bourgeoisie ne peut pas mener à bien ces tâches démocratiques, car à l’époque de l’impérialisme, la bourgeoisie nationale des pays comme l’Afrique du Sud dépend des impérialistes et de leur ordre économique, dont l’économie sud-africaine fait partie intégrante. La bourgeoisie a peur de mobiliser les masses pour réaliser ces tâches démocratiques, car les masses, une fois dans la rue, pourraient bien se retourner contre elles. Alors, pour que les millions de personnes vivant dans les townships, les campements et les villages de squatters aient un logement décent, pour que toute la population ait l’électricité et l’eau potable et une éducation gratuite et de qualité, pour qu’il y ait l’égalité pour les femmes et les minorités tribales ou ethniques, pour satisfaire tous ces besoins pressants des masses, on ne pourra pas se passer d’une transformation révolutionnaire de l’économie et de la société sous la dictature du prolétariat, tout en luttant pour promouvoir la révolution socialiste internationale.

Ceci est aussi vrai pour une grande partie du monde où le capitalisme a connu un développement retardataire, comme les pays du sous-continent indien, une grande partie du Moyen-Orient, de l’Afrique, du Maghreb et de l’Amérique latine. Prenez l’Egypte : en l’absence d’un parti révolutionnaire pour mobiliser les travailleurs dans une lutte pour renverser le capitalisme, les luttes courageuses de début 2011 n’ont pas apporté la démocratie bourgeoise et elles ne le pouvaient pas. Aujourd’hui la misère demeure, l’oppression des femmes et des minorités continue, ainsi que l’alliance avec l’impérialisme américain. La véritable alternative posée, c’est un régime capitaliste autoritaire (dictature militaire ou théocratie islamiste des Frères musulmans) ou bien la dictature du prolétariat.

En 1935, les staliniens se sont mis à défendre la politique du « Front populaire » qui a rendu explicite le programme de collaboration de classes avec les bourgeoisies « démocratiques ». Ils se sont mis à défendre le programme que les bolchéviks avaient dû combattre afin de mener les travailleurs au pouvoir en 1917. Des trahisons de front populaire ont été commises en France et en Espagne dans les années 1930, en Indonésie en 1965, au Chili dans les années 1970. D’ailleurs en France, quand le PCF a adopté en 1935 le Front populaire avec les radicaux, un parti colonialiste, il a abandonné ouvertement la lutte pour l’émancipation des peuples coloniaux.

Pour un parti ouvrier léniniste d’avant-garde !

Dans le numéro du 12 octobre de son hebdomadaire, LO conclut son article sur l’Afrique du Sud en disant que « la classe ouvrière sud-africaine dispose d’un levier formidable, capable de balayer tous les obstacles, pourvu qu’elle dispose d’une politique susceptible d’unifier ses forces ». Comme d’habitude, LO ne développe pas ce que doit être cette « politique ». Pour ce qui est des « obstacles » qui se dressent devant la classe ouvrière sud-africaine, le plus important est la politique du front populaire nationaliste. Le prolétariat sud-africain ne peut pas réaliser son potentiel révolutionnaire tant qu’il est lié à ses exploiteurs à travers l’ANC et son idéologie nationaliste bourgeoise. Mais comment LO peut-elle présenter un programme pour « balayer les obstacles » du front populaire quand elle-même en France a voté Mitterrand en 1974 et 1981, ou Royal en 2007, et n’a même pas été capable d’appeler à l’abstention lors des dernières présidentielles ? Rien d’étonnant venant de gens qui siègent confortablement dans les conseils municipaux dans des villes comme Bagnolet, à côté de leurs partenaires du PCF, et qui votent le budget de « leur » police municipale.

Comment peuvent-ils alors prétendre « unifier les forces » du prolétariat sud-africain ? Ils n’ont au fond rien d’autre à présenter que la même bouillie réformiste avec laquelle ils sont en train de mener à la défaite les ouvriers de l’usine de PSA Aulnay qu’ils dirigent. Leur programme maximum est d’arracher quelques miettes aux patrons en agitant le spectre d’une « explosion sociale », mais pas de lutter pour prendre la direction de la classe ouvrière pour organiser le renversement du système capitaliste. Dans leur numéro du 28 septembre ils concluaient ainsi leur article sur la grève de Marikana : « Bref, ils auraient [les mineurs sud-africains] de quoi faire craindre à la bourgeoisie une crise sociale incontrôlable et ils auraient donc les moyens de lui arracher beaucoup plus encore. »

Il faut noter que Lutte ouvrière voit en Afrique du Sud un « régime multiracial ». Aussi incroyable que cela puisse paraître, leur substantiel article paru récemment dans Lutte de classe (septembre-octobre) ne mentionne que les capitalistes noirs depuis la fin de l’apartheid, mais pas les travailleurs noirs ni les capitalistes blancs ! C’est pourtant une tâche fondamentale de la révolution prolétarienne de commencer à éradiquer l’oppression raciale dans ce pays, et c’est une tâche qu’elle seule peut résoudre. Nous cherchons à incarner cela dans le mot d’ordre de gouvernement ouvrier centré sur les Noirs – un régime où les Blancs qui accepteront une véritable égalité avec les Noirs auront toute leur place. De faire disparaître la perpétuation de l’oppression raciale, comme le fait LO, c’est donner à entendre que le capitalisme peut résoudre la question raciale en Afrique du Sud – c’est nier la théorie de la révolution permanente appliquée à ce pays. Mais c’est logique pour des économistes qui veulent faire croire que dans la lutte économique elle-même les autres aspects de l’oppression peuvent être complètement transcendés.

Il nous faut un parti léniniste d’avant-garde. Pas un parti qui a trahi la classe ouvrière, comme le SACP ou le PC français, ou un parti de ceux qui sont à leur traîne, mais un parti façonné sur le modèle des bolchéviks qui ont conduit les travailleurs au pouvoir en Russie en 1917. On construira un tel parti d’avant-garde, rassemblant les ouvriers avec la conscience de classe la plus élevée et des intellectuels révolutionnaires, en gagnant les meilleurs éléments du SACP contre ses dirigeants procapitalistes, ainsi que d’autres militants. Le mécontentement qui existe dans la société sud-africaine, s’il ne s’exprime pas dans les luttes suivant un axe de classe, peut facilement prendre une forme réactionnaire, avec des polarisations selon des lignes de fracture raciales, ethniques et tribales. Comme nous l’écrivions en 1995, ce qui est nécessaire est un parti ouvrier révolutionnaire qui :

« ne défend pas simplement les intérêts particuliers de la classe ouvrière, notamment de son secteur syndiqué, mais qui combat pour éradiquer toutes les formes d’oppression nationale et sociale […]. Pour unir tous les opprimés, un parti ouvrier doit se faire activement le champion des droits démocratiques de ceux qui ont des raisons de se sentir menacés par le type de nationalisme que prêche l’ANC – comme les Métis, les Indiens, les villageois Zoulous, les immigrés du Mozambique, du Zimbabwe et des autres Etats africains voisins. »

– « Lettre à la Workers Organisation for Socialist Action », Spartacist édition française n° 29, été 1996

L’interpénétration des questions de race et de classe en Afrique du Sud a donné une certaine légitimité à l’idéologie nationaliste colportée par l’ANC, cette idée fausse que les Africains noirs auraient un intérêt commun transcendant les divisions de classe. Mais la politique favorable aux investisseurs de l’ANC a provoqué une désillusion généralisée parmi les masses laborieuses. De grandes manifestations contre les coupes sombres dans les services publics ont lieu depuis plusieurs années dans les townships, et maintenant des secteurs importants du prolétariat ont commencé à bouger. Le gouvernement a répondu par une répression sauvage. Cela met en évidence la fragilité et l’instabilité de la démocratie bourgeoise en Afrique du Sud. Le fossé qui sépare les masses pauvres de la caste blanche privilégiée, ainsi que de l’élite noire, est tout simplement trop vaste pour pouvoir facilement se résorber dans le cadre d’un maquignonnage parlementaire et des crises de succession apparemment interminables à la direction de l’Alliance tripartite.

L’aspiration des masses à l’égalité nationale et sociale exige que le prolétariat prenne le pouvoir. C’est au cœur de la conception de la révolution permanente de Trotsky : dans les pays à développement capitaliste retardataire, la réalisation des tâches démocratiques pressantes exige la destruction du capitalisme. Un gouvernement ouvrier centré sur les Noirs expropriera la bourgeoisie, instaurera une économie planifiée et collectivisée pour prendre en main la nécessaire amélioration des conditions de vie des travailleurs noirs, tout en défendant les droits démocratiques des populations métisses et indiennes et de ceux parmi les Blancs qui accepteront un gouvernement centralement basé sur la classe ouvrière noire.

Un gouvernement ouvrier doit se lier aux masses laborieuses dans toute la région dans le cadre d’une fédération socialiste de l’Afrique australe ; il devra se battre de toutes ses forces pour étendre le pouvoir des travailleurs aux pays industriels avancés. Une révolution socialiste en Afrique du Sud devra faire face à de nombreux ennemis ; en même temps, elle trouvera de puissants alliés dans le prolétariat des centres impérialistes dévastés par une récession économique prolongée, ainsi que dans d’autres pays où les masses se sont fortement identifiées à la lutte contre la suprématie blanche. Sur la base d’une planification socialiste internationale, nous pourrons construire une société vraiment humaine dans laquelle l’exploitation associée au pouvoir des magnats de la mine et des impérialistes sera une relique du passé.