Le Bolchévik nº 202

Décembre 2012

 

La guerre civile syrienne : l’héritage du « diviser pour régner » impérialiste

L’article ci-dessous, traduit de Workers Vanguard n° 1009 (28 septembre), est la version revue pour publication d’un document écrit en juillet dernier par un camarade de la Ligue communiste internationale afin d’alimenter les discussions au sein du parti.

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Avant même la fin de la Première Guerre mondiale, les impérialistes français et britanniques avaient anticipé sur leur victoire imminente en signant un traité secret, les accords Sykes-Picot de 1916. Avec ces accords ils se partageaient, avec l’assentiment de la Russie tsariste, les dépouilles de l’Empire ottoman allié de l’Allemagne. La publication de ce document par l’Etat ouvrier bolchévique fin 1917 exposa au grand jour ces machinations impérialistes et fit l’effet d’une bombe dans tout le Proche-Orient. Grèves et manifestations se multiplièrent en Egypte en 1919 ; en Mésopotamie (l’Irak actuel), les masses s’opposèrent aux 130 000 soldats britanniques déployés pour occuper ce territoire.

Jusqu’à son démembrement lors du dépeçage du Proche-Orient, la vaste région désignée des siècles durant sous le nom de Bilad el-Cham (les territoires de Damas) ou de « Grande Syrie » comprenait la Syrie, la Jordanie, le Liban et la Palestine. Bien qu’elle n’ait presque jamais constitué une entité politique unifiée, elle était perçue par ses habitants comme une zone culturelle homogène soudée par des liens économiques étroits. Mais la France s’empara de la Syrie et du Liban tandis que la Grande-Bretagne occupait la Jordanie et la Palestine, contre la volonté de leurs habitants qui étaient farouchement opposés aux accords Sykes-Picot et qui réclamaient une Syrie-Palestine unifiée.

La France créa en 1920 une entité qu’elle baptisa le « Grand Liban » en annexant au territoire du Mont Liban plusieurs régions musulmanes de la Syrie ; il s’agissait de fabriquer une enclave pro-occidentale au Levant. Dans le but de diviser pour régner, les Français accolèrent ensemble des populations musulmanes travaillées par le nationalisme arabe naissant avec une majorité chrétienne maronite chez laquelle ils entretenaient le mythe d’un héritage non arabe et dont ils espéraient bien qu’elle rechercherait la protection de la France. Celle-ci fit à la veille de la Deuxième Guerre mondiale un effort désespéré pour persuader la Turquie de se ranger du côté des Alliés contre l’Allemagne en détachant la province d’Alexandrette, au Nord-Ouest de la Syrie, et en la donnant à la Turquie. (La Turquie annexa Alexandrette, rebaptisée Hatay, mais s’allia quand même à l’Allemagne.)

Les hautes vallées inaccessibles et les montagnes de la côte méditerranéenne de la Syrie et du Liban avaient servi pendant des siècles de refuge à diverses minorités religieuses et ethniques fuyant les persécutions des pouvoirs locaux chrétiens ou musulmans. Les alaouites et les ismaéliens, deux minorités issues du chiisme, trouvèrent refuge en Syrie contre les foudres de pouvoirs sunnites successifs. Les chrétiens arméniens affluèrent en Syrie quand les Turcs seldjoukides venus d’Anatolie conquirent leur pays au XIe siècle. Plusieurs siècles plus tard, ils furent rejoints en 1915-1918 par d’autres Arméniens fuyant la terreur génocidaire des « jeunes Turcs ». Les druzes, une dissidence du chiisme apparue au Xe siècle, fuyaient les persécutions des califes fatimides en Egypte. Des Palestiniens fuyant les massacres perpétrés par les croisés après la prise de Jérusalem en l’an 1099 s’établirent sur les pentes du Mont Qassioun. Les fidèles de l’Eglise grecque orthodoxe et les catholiques de rite grec s’installèrent dans la région à la suite de scissions successives au sein de l’Eglise chrétienne. D’autres Kurdes et Arméniens s’enfuirent vers le Sud et s’installèrent en Syrie après l’annexion d’Alexandrette par la Turquie en 1939.

La majorité des habitants de la Syrie sont des sunnites arabophones (environ 60 % de la population). Les principales autres minorités religieuses sont les alaouites (12 %), les chrétiens, avec plus de sept Eglises différentes (14 %), les druzes (3 %) et les ismaéliens (1,5 %). Les Kurdes (9 %), les Arméniens (4 %), les Turcomans et les Circassiens sont les principales minorités nationales. Alors que les Kurdes, les Turcomans et les Circassiens sont presque exclusivement musulmans, les Arméniens sont chrétiens. Les alaouites, les druzes ainsi que les orthodoxes grecs sont arabophones.

Les racines de la suprématie alaouite

Les bains de sang qui ont marqué une bonne partie de l’histoire de la Syrie (et du Liban) sont un héritage du pouvoir ottoman, de la domination française qui lui a succédé, et de l’interpénétration des innombrables communautés religieuses et ethniques couplée avec les interventions impérialistes ; tous ces facteurs se sont combinés pour retarder le développement du capitalisme et empêcher la consolidation d’un Etat moderne. Les événements actuels en Syrie sont dans une large mesure la continuation des haines réciproques (dont certaines remontent à plusieurs siècles) qui se sont manifestées dans la longue et sanglante série de coups et contre-coups d’Etat, et de conflits ethniques et religieux qui caractérisent l’histoire syrienne depuis l’indépendance du pays en 1946.

Des intégristes sunnites déclenchèrent en avril 1964 une insurrection dans la ville de Hama, un bastion sunnite conservateur. Les insurgés mirent à sac les boutiques des marchands de vin, passèrent à tabac des membres du Baas, le parti nationaliste bourgeois, et ils tuèrent et mutilèrent un agent de sécurité ismaélien. Le gouvernement répliqua par une répression féroce, qui fit une centaine de morts. Une bonne trentaine d’élèves-officiers alaouites furent tués en 1979 à l’Ecole d’artillerie d’Alep lors d’un massacre fomenté par un officier sunnite. D’autres meurtres d’alaouites se produisirent dans la ville de Lattaquié. Le gouvernement répliqua immédiatement en lançant dans tout le pays une vague de répression contre les Frères musulmans.

Les violences se poursuivirent pendant tout le début des années 1980. Les Frères musulmans tentèrent en 1980 d’assassiner Hafez Al-Assad, le père de l’actuel président Bachar. En réponse, Al-Assad père fit assassiner de sang-froid 500 militants des Frères musulmans détenus dans une prison de Palmyre. La confrontation intercommunautaire entre les intégristes sunnites et le régime dominé par les alaouites atteignit son paroxysme en février 1982 ; ce fut l’affrontement le plus meurtrier de l’histoire de la Syrie moderne. Le régime rasa la ville de Hama, tuant entre 10 000 et 20 000 sunnites.

La confrontation entre les communautés se poursuit. Les médias bourgeois occidentaux mettent l’accent sur la répression du régime, mais personne ou presque ne mentionne les atrocités perpétrées par les intégristes sunnites. Par exemple, le massacre de Houla en mai dernier a été présenté par les médias comme l’œuvre de miliciens fidèles au régime Assad ; mais, d’après un journal allemand, il aurait en réalité été commis par des forces islamistes. Nul ne peut prédire l’issue du conflit, mais les intégristes islamiques ont déjà décidé du sort des minorités religieuses et ethniques avec leur cri de guerre « Al-Alawi ala tabout, wa al-Massihi ala Beirout » (les alaouites au cercueil, les chrétiens à Beyrouth).

Les alaouites (ou alaouis) constituent une branche schismatique du courant dominant du « chiisme duodécimain ». Comme les druzes et les ismaéliens, ils sont les vestiges de la poussée chiite qui a secoué le monde islamique vers le IXe siècle. Le terme alaouite (c’est-à-dire disciple d’Ali) est d’invention récente ; il date de la conquête française, après la Première Guerre mondiale. Avant cette époque, on les appelait nosaïris, du nom de leur fondateur Mohamed ibn Nosaïr. Les alaouites ont en commun avec les autres chiites la croyance qu’Ali, cousin et gendre du Prophète, était son héritier légitime, mais que cet héritage a été confisqué par les trois premiers califes (dirigeants). De plus, ils considèrent qu’Ali est « d’essence divine ».

Les alaouites ont été dénoncés pour cette raison, et pour les autres croyances ésotériques qu’ils professent, par les sunnites qui les considèrent comme des infidèles méritant la mort. Le juriste syrien du XIVe siècle Ibn Taymiyyah, défenseur de l’orthodoxie sunnite, les considérait comme plus dangereux que les chrétiens ; il demandait que les musulmans mènent contre eux la guerre sainte, et déclarait qu’il était légitime de verser leur sang et prendre leurs biens, et que c’étaient des apostats qui devaient être châtiés, voire exterminés, où qu’ils se trouvent. Aujourd’hui encore, ces fulminations sont utilisées comme justification par les adversaires des alaouites.

Les alaouites, négligés par le pouvoir ottoman, vivaient dans la misère dans leurs villages montagneux reculés. Ils n’avaient accès ni à l’éducation, ni aux emplois, ni à quelque service que ce soit. Des siècles durant, des générations successives d’alaouites chassés par la famine sont descendus vers les plaines de Syrie centrale autour de Homs et de Hama pour y travailler comme serfs et métayers au service de riches propriétaires fonciers sunnites. Sous l’occupation française, et au grand dam de la majorité sunnite, les alaouites se virent accorder des privilèges car ils furent enrôlés avec d’autres « minorités de confiance » dépourvues d’ambitions nationalistes dans les « troupes spéciales du Levant » que les Français utilisaient pour réprimer sans ménagement les nationalistes sunnites. Les alaouites occupaient au moment de l’indépendance une position prépondérante dans l’armée. Pas moins de 65 % des sous-officiers étaient alaouites en 1955, ce qui leur permit de prendre le contrôle du Parti baas et du gouvernement.

Le Parti baas

Le Parti baas arabe socialiste (Parti socialiste de la renaissance arabe) a été fondé en Syrie dans les années 1940, au moment de l’essor du nationalisme arabe et de la lutte anticoloniale, par deux enseignants damascènes, Michel Aflak (un chrétien orthodoxe grec) et Salah al-Bitar (un musulman sunnite). Le Baas défendait l’indépendance par rapport aux tutelles étrangères ainsi que la laïcité et le panarabisme. Sa devise était le mot d’ordre utopique « Une seule nation arabe à la mission éternelle » pour tenter de répondre aux siècles d’humiliation sous le joug des Ottomans et des puissances coloniales.

Le Parti baas acquit rapidement une base dans la population pauvre des campagnes, parmi les intellectuels petits-bourgeois des villes et les minorités religieuses arabes, et dans l’armée. Son idéologie laïque présentait un attrait particulier pour les minorités religieuses arabes, qui espéraient que le Baas les délivrerait de leur statut de minorité et briserait la domination exercée par les sunnites sur la vie politique syrienne. Les nationalistes arabes sunnites assignent traditionnellement un rôle central à l’islam sunnite et ils considèrent les minorités religieuses arabophones, qu’il s’agisse de musulmans hétérodoxes ou de chrétiens, comme des « subordonnés » timorés et des Arabes « imparfaits ». Cependant le Baas réprima durement les aspirations nationalistes « déviantes » autres que l’arabisme ; les non-Arabes (Kurdes, Arméniens et Circassiens) n’étaient pas autorisés à adhérer au parti, sauf s’ils acceptaient l’arabisation et abandonnaient leur identité ethnique.

Le Baas était devenu vers le milieu des années 1950 une force politique majeure, avec un nombre important de députés. Il joua un rôle influent dans l’union égypto-syrienne qui aboutit finalement à la création de la République arabe unie (RAU) en 1958 ; c’était pour les baasistes une étape vers la réalisation de leur programme panarabiste. Mais ils déchantèrent rapidement du fait de la domination économique et politique de l’Egypte sur la Syrie, ainsi que de la répression exercée par le régime de Gamal Abdel Nasser et de l’interdiction de tous les partis politiques, y compris le Baas. Le parti soutint le coup d’Etat de 1961 qui conduisit la Syrie à quitter la RAU.

La période qui suivit fut caractérisée par une lutte pour le pouvoir menée par des officiers supérieurs (majoritairement sunnites), lutte qui prit la forme d’une succession de coups d’Etat militaires et de contre-coups d’Etat, aboutissant à chaque fois à la purge d’une des factions. Ces multiples purges affaiblirent considérablement le groupe des officiers sunnites dans les cercles supérieurs du pouvoir. Les officiers appartenant aux minorités religieuses furent moins touchés par cette usure des cadres de l’armée, dans la mesure où ils n’étaient pas partie prenante de la lutte politique. C’est ainsi qu’ils purent accéder à des postes importants dans la hiérarchie militaire au début des années 1960.

Quand les baasistes s’emparèrent du pouvoir grâce à un coup d’Etat en 1963, la majorité du corps des officiers était composée d’hommes issus des minorités, notamment alaouites, druzes et ismaéliens. La direction du Comité militaire, le groupe d’officiers qui avait mené le coup d’Etat, était assurée par trois alaouites, Mohamed Omran, Salah Jedid et Hafez Al-Assad, qui s’employèrent rapidement à consolider leur pouvoir en purgeant leurs opposants dans l’armée, parmi lesquels des nassériens, des sunnites et même leurs alliés appartenant aux autres minorités. Ces purges furent si massives que beaucoup considèrent que si la Syrie subit une défaite dans la guerre de 1967 contre Israël, ce fut notamment parce qu’elle s’était engagée dans ce conflit avec un corps d’officiers très affaibli.

Dans les années 1960, plusieurs tentatives de coup d’Etat menées par des opposants aux alaouites furent suivies d’une répression sanglante. Des luttes fractionnelles et des rivalités personnelles se firent jour à la même époque au sein du groupe de militaires alaouites au pouvoir. Hafez Al-Assad purgea en 1970 la faction Jedid et, à la faveur d’un coup d’Etat qualifié de « mouvement correctif », il émergea comme l’homme fort qui devait gouverner la Syrie jusqu’à sa mort en 2000 et son remplacement par son fils Bachar. Le coup d’Etat de 1970 mit fin au cycle de coups de force militaires qui avait ponctué l’histoire politique syrienne, mais pas aux règlements de compte internes sanglants, y compris à l’intérieur même de la famille Al-Assad. Rifaat Al-Assad, le frère cadet d’Hafez, assiégea Damas en 1984 à la tête d’unités de blindés et d’artillerie. Cette tentative de coup d’Etat fut matée et Rifaat fut exilé en Europe de l’Ouest, où il réside toujours.

Pour élargir la base de son régime, Hafez Al-Assad mit en place un « Front national progressiste » rassemblant des partis prêts à accepter le rôle dirigeant du Baas. Parmi ceux-ci figurait le Parti communiste syrien (PCS), qui entra sans se faire prier au gouvernement d’Assad et qui reste aujourd’hui encore un proche allié du régime. Assad tendit aussi la main à une partie de l’élite sunnite de Damas et d’Alep, dont de nombreux représentants furent nommés à des postes clés dans l’armée et le gouvernement (la femme de Bachar est issue d’une riche famille sunnite damascène).

Toujours dans le but de s’attirer les bonnes grâces des sunnites, Hafez Al-Assad fit promulguer une nouvelle constitution stipulant que seul un musulman pouvait devenir président. Dérogeant à la coutume alaouite, il assistait régulièrement à la prière du vendredi et accomplit le pèlerinage à La Mecque. Il prit l’habitude de commencer ses discours par des formules religieuses et des versets du Coran. (Les alaouites ne bâtissent pas de mosquées, ne jeûnent pas pendant le mois de ramadan et ne font pas le pèlerinage.) Il cessa de faire référence au panarabisme du Baas, mit à l’écart la direction civile du parti, y compris ses membres fondateurs, et revint sur les nationalisations et la timide réforme agraire qui avaient été effectuées au milieu des années 1960.

Les prétentions laïques du régime sont contredites non seulement par l’attitude d’Assad père envers les sunnites, mais aussi par le conservatisme réactionnaire de plus en plus marqué de l’Etat, qui s’est manifesté par la construction de mosquées, la nomination d’imams et le contrôle exercé sur leur prêche du vendredi, et par le nombre croissant de femmes voilées dans les rues de Damas et d’Alep.

La Syrie et les puissances mondiales

De par sa situation stratégique sur la côté orientale de la Méditerranée, la Syrie aiguise depuis toujours les appétits des grandes puissances. La ville d’Alep, située à la croisée des mondes arabe, turc et perse, était une étape majeure de la route de la soie. Au fil des siècles, la région a été occupée successivement par de nombreux conquérants : Alexandre le Grand, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les croisés, la dynastie ayyubide fondée par Saladin, les Mongols, les Ottomans et les Français.

La France a des intérêts dans la région depuis le temps des croisades, quand Raymond de Toulouse s’était emparé des ports prospères du Levant. Les chrétiens maronites persécutés avaient accueilli en libérateurs les croisés, avec qui ils avaient fait alliance contre les musulmans. Ils servirent plus tard de base pour la pénétration coloniale française. Les Britanniques, quant à eux, devinrent les protecteurs des druzes et la Russie tsariste accorda sa protection aux chrétiens orthodoxes. Les paysans maronites se révoltèrent en 1859 contre les seigneurs féodaux druzes, qui répliquèrent en massacrant plus de 12 000 maronites. Ce massacre servit de prétexte à la France pour intervenir militairement. Karl Marx écrivit à la veille de l’invasion française, en août 1860, un article publié dans le New York Daily Tribune (« Les événements en Syrie ») ; il disait :

« Les conspirateurs de Pétersbourg et Paris gardaient en réserve, au cas où leurs efforts pour tenter la Prusse échoueraient, l’incident spectaculaire des massacres syriens, qui devait être suivi par une intervention française, laquelle […] ouvrirait par une voie dérobée la porte à une guerre européenne générale. En ce qui concerne l’Angleterre, j’ajouterai seulement qu’en 1841 Lord Palmerston avait livré aux druzes des armes que ceux-ci ont conservées depuis lors, et qu’en 1846 il avait de facto aboli, par une convention conclue avec le tsar Nicolas, le joug turc sous lequel étaient courbées les tribus sauvages du Liban ; Palmerston avait stipulé pour elles une quasi-indépendance qui, avec le temps et les efforts habiles des instigateurs européens, ne pouvait que produire une riche moisson de sang. »

L’occupation française en Syrie fut féroce. Le général Henri Gouraud, qui commandait l’armée française du Levant, « avait transformé Damas en un amas de ruines », écrivait Jean Genet, qui avait servi dans l’armée française à la fin des années 1920. Devant la tombe du dirigeant musulman Saladin (qui était kurde), le général Gouraud déclara en faisant référence aux croisades : « Ma présence ici consacre la victoire de la Croix sur le Croissant. » Une série de révoltes contre la domination française furent réprimées impitoyablement. L’aviation française bombarda Damas à plusieurs reprises. Les nationalistes syriens furent emprisonnés, assassinés et exilés dans d’autres colonies françaises. Après des années de lutte, la Syrie accéda à l’indépendance en 1946.

Après le départ des Britanniques et des Français au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les impérialistes américains entendaient bien hériter de cette région. Avant l’Iran (1953) et le Guatemala (1954), c’est contre les nationalistes syriens que la CIA fomenta son premier coup d’Etat en 1949 après que la Syrie eut refusé d’autoriser l’Aramco à construire un oléoduc entre le golfe Persique et la Méditerranée. Ce coup d’Etat fut mis en échec en quelques mois, et son auteur, Hosni el-Zaïm, fut tué. Mais les Etats-Unis ne renoncèrent jamais à dominer la Syrie ; ils fomentèrent de nouveaux coups d’Etat pendant la guerre froide tandis que la Syrie s’alignait de plus en plus avec l’Union soviétique. Les Etats-Unis rangèrent la Syrie en 1979 parmi les « Etats soutenant le terrorisme », une désignation qui a eu depuis lors pour conséquence toute une série de sanctions économiques. Les impérialistes sont déterminés aujourd’hui, avec l’aide des monarchies réactionnaires du Golfe, à faire tomber le régime syrien pour affaiblir les alliés de celui-ci, l’Iran et le Hezbollah.

Le Parti communiste syrien

Le PCS a été fondé dans les années 1920 sous le nom de Parti communiste de la Syrie et du Liban. Interdit par les autorités coloniales françaises, il joua cependant un rôle important dans la lutte pour l’indépendance, pendant laquelle il organisa grèves et manifestations. Ses militants étaient principalement kurdes et membres d’autres minorités. Son secrétaire général Khalid Bakdash et la plupart de ses autres dirigeants étaient kurdes.

Le PCS sortit de la clandestinité en 1954 ; c’était un parti petit mais extrêmement actif et très bien organisé. Bakdash devint lors des élections législatives organisées cette année-là le premier dirigeant communiste élu au parlement dans tout le monde arabe. Le PCS devint rapidement le parti communiste le plus grand et le mieux organisé du monde arabe, et l’une des principales forces politiques en Syrie. Il prit le contrôle des principales organisations syndicales. A l’été 1957, « il aurait peut-être été en mesure de chercher à prendre le pouvoir politique », écrit Walter Laqueur dans The Middle East in Transition [Le Moyen-Orient en transition]. Mais le PCS suivait la ligne front-populiste stalinienne de subordination de la classe ouvrière à des forces bourgeoises. Khalid Bakdash dit à maintes reprises que son parti était davantage nationaliste radical que communiste ; il déclara au parlement que « la Syrie est nationaliste arabe, pas communiste, et elle le restera ».

A son arrivée au pouvoir en 1970, Assad mit fin à l’interdiction du PCS qui avait été décrétée après le coup d’Etat baasiste, et il l’autorisa à rejoindre son « front progressiste » sous réserve que le PCS acceptât ses conditions. Le PCS ne se fit pas prier et se vit octroyer des postes ministériels. Quand la Syrie intervint en 1976 dans la guerre civile libanaise au côté des maronites contre les Palestiniens, le PCS scissionna, et un groupe oppositionnel appelé Bureau politique se constitua sous la direction de Riyad el-Turk. Le parti connut une nouvelle scission en 1986 à propos de la politique de perestroïka (les « réformes » orientées vers le marché) et de glasnost (libéralisation politique) de Mikhaïl Gorbatchev en URSS, Bakdash et la majorité de sa base kurde étant critiques de Gorbatchev. Les deux fractions sont demeurées dans le Front national progressiste du régime Assad.