Le Bolchévik nº 202

Décembre 2012

 

Allégations mensongères de viol et vendetta impérialiste

Bas les pattes devant Julian Assange !

Cet article a été traduit et légèrement adapté de Workers Hammer (automne 2012), le journal de nos camarades britanniques.

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Julian Assange, le fondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks, a cherché refuge à l’ambassade d’Equateur à Londres à la mi-juin, après deux années passées en résidence surveillée en Grande-Bretagne. Assange est menacé d’extradition vers la Suède suite à des allégations forgées de toutes pièces d’« agression sexuelle » et « viol » – qui se résument à des accusations de rapports sexuels non protégés, rapports qui étaient d’après tous les témoignages librement consentis. Mais Assange craint à juste titre que ce ne soit qu’un prétexte pour faciliter son extradition vers les Etats-Unis. En lui accordant l’asile politique, l’Equateur a dressé un obstacle à la procédure de livraison d’Assange aux impérialistes américains qui ont fermement l’intention de se venger de lui et de WikiLeaks pour avoir levé le voile, si peu que ce soit, sur les crimes hideux de l’impérialisme américain et de l’impérialisme britannique.

WikiLeaks avait mis en ligne en avril 2010 une vidéo qui montrait un hélicoptère américain Apache mitraillant et tuant au moins douze civils à Bagdad en 2007, dont deux journalistes de l’agence Reuters, tandis que les pilotes se réjouissaient du carnage. La diffusion de cette vidéo a été suivie de la publication de centaines de milliers de télégrammes diplomatiques, ainsi que de documents classés secret défense détaillant des assassinats, des viols et la torture pratiqués par les impérialistes en Irak et en Afghanistan. Ces fuites ne révélaient pas grand-chose de nouveau, mais les gouvernements capitalistes britannique et américain étaient furieux qu’un peu de lumière soit faite sur leurs machinations. Alors que la Suède affiche une façade de « droits de l’homme », WikiLeaks a au contraire attiré l’attention sur le rôle militariste de ce pays, notamment en Afghanistan où il maintient une présence militaire depuis plus de dix ans.

Si Assange est extradé aux Etats-Unis, il pourrait être inculpé d’« espionnage », ce qui peut lui valoir la peine de mort. Bradley Manning, un soldat de l’armée américaine, est détenu dans une prison militaire depuis plus de deux ans dans des conditions abominables ; il est accusé d’« intelligence avec l’ennemi » – ce qui est passible de la peine capitale – pour avoir divulgué des documents secret défense à WikiLeaks. Si c’est bien Manning qui est à l’origine de ces informations, alors il a courageusement rendu service aux victimes de l’impérialisme. Nous disons : Libération immédiate de Bradley Manning ! Bas les pattes devant Julian Assange – laissez-le partir en Equateur !

Le gouvernement britannique, pris au dépourvu par le fait que l’Equateur a accordé l’asile à Assange, a réagi avec fureur. Une armée de flics a encerclé l’ambassade de ce petit pays pour tenter de récupérer Assange par l’intimidation ; pendant ce temps, le Ministère des Affaires étrangères menaçait de révoquer l’immunité diplomatique de l’Equateur et de prendre d’assaut le bâtiment afin d’arrêter Assange. Cette menace impérialiste arrogante de violer le protocole diplomatique internationalement reconnu provient du même gouvernement qui avait crié au meurtre en novembre 2011 contre l’Iran, lorsque des manifestants avaient brièvement occupé l’ambassade britannique à Téhéran. Ces manifestants protestaient contre l’imposition par l’impérialisme britannique de sanctions financières contre l’Iran du fait de son programme d’enrichissement nucléaire de l’uranium. William Hague, le ministre des Affaires étrangères, avait à l’époque parlé soudain avec éloquence du caractère sacré des ambassades ; il fustigeait le gouvernement iranien pour une « grave violation de la Convention de Vienne prescrivant la protection des diplomates et des locaux diplomatiques en toutes circonstances » (Guardian, 29 novembre 2011).

Les Iraniens ont certainement des raisons d’être en colère – parmi les révélations de WikiLeaks, il y avait des télégrammes montrant que l’Arabie saoudite, Bahreïn et d’autres pays arabes faisaient pression sur les Etats-Unis pour que ces derniers préparent une attaque contre les installations nucléaires iraniennes. Ces révélations montraient une nouvelle fois que l’Iran a vraiment besoin d’armes nucléaires pour dissuader les Etats-Unis ou Israël de l’attaquer. Et si Hague a dit à l’Equateur que « le Royaume-Uni n’accepte pas le principe de l’asile diplomatique », les impérialistes britanniques n’ont en revanche aucun problème avec cet asile quand il est au service de la campagne anticommuniste contre la Chine. Lorsque le dissident chinois Chen Guangcheng a cherché refuge dans l’ambassade américaine à Pékin en avril dernier, Hague s’est précipité pour faire la leçon au gouvernement chinois en l’accusant d’« abus de pouvoir », tandis que l’Union européenne exhortait la Chine à faire preuve de « la plus grande retenue » vis-à-vis de Chen.

Les « socialistes » contribuent à la chasse aux sorcières

Les accusations de viol portées contre Assange par deux femmes en Suède ne sont tout simplement pas crédibles. Ces deux femmes sont entrées en contact avec Assange à des moments différents et, d’après ce qu’elles ont elles-mêmes raconté, elles ont eu des rapports sexuels librement consentis avec lui. Aucune d’elles n’a affirmé à l’époque qu’elle avait été victime d’un viol ou d’une agression sexuelle. L’une des soi-disant « victimes » a organisé un barbecue pour Assange le lendemain de la soi-disant « agression ». L’autre est allée à la police après avoir échangé des emails avec la première, et encore apparemment pour voir si l’on pouvait contraindre Assange à subir un test de dépistage après qu’un préservatif se serait soi-disant déchiré lors d’un rapport sexuel. Des procureurs en Suède ont d’abord ouvert, puis clos, puis rouvert une enquête sur ces accusations. Assange – qui n’a été inculpé d’aucune infraction – a proposé à plusieurs reprises d’être interrogé par les autorités suédoises, soit à Londres, soit par vidéoconférence, mais les autorités suédoises ont toujours refusé.

Les capitalistes et les écrivailleurs à leur solde dans les médias – et en particulier la presse soi-disant « libérale » – ont cyniquement exploité ces accusations de viol pour calomnier Assange et discréditer WikiLeaks. Comme l’explique Seumas Milne dans le Guardian (21 août) : « Si l’on considère qu’Assange s’est fait un nom en organisant la plus grande fuite de documents secrets gouvernementaux de l’histoire, on pourrait penser que chez les gens qui vivent de la liberté d’information il y aurait au moins encore une certaine préoccupation pour son sort. Mais la virulence de l’hostilité des médias britanniques à l’égard du fondateur de WikiLeaks est désormais sans borne. » Pour la presse britannique, écrit Milne, Assange « n’est rien d’autre qu’un “monstre narcissique”, un “prédateur sexuel” qui a enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, et un exhibitionniste cinglé ». Ces propos venimeux visent quelqu’un « qui n’a encore fait l’objet d’aucune inculpation et encore moins d’une quelconque condamnation ».

En France, si le PCF a émis quelques doutes sur la chasse aux sorcières contre Assange, le NPA et LO ont à notre connaissance systématiquement refusé de s’exprimer contre la menace d’extradition. Que ce soit la CIA, Manuel Valls ou n’importe quel criminel impérialiste, dès que ces derniers prononcent des mots comme « viol » ou « droits des femmes », les NPA/LO se mettent au garde-à-vous – à vous dégoûter de la cause des femmes, s’il s’agissait bien d’elle dans un cas comme celui-ci.

En Grande-Bretagne, la gauche réformiste s’est jointe à la chasse aux sorcières contre Assange en prenant pour argent comptant les allégations de viol. On a pu le voir avec la violente réaction de la presse bourgeoise contre le député George Galloway. Celui-ci avait simplement déclaré dans une vidéo diffusée sur Internet que « même dans le pire des cas, si les allégations de ces deux femmes était vraies, vraies à 100 %, et même si une caméra dans la pièce avait filmé la scène, cela ne constitue pas un viol. Du moins pas aux yeux d’une personne sensée. » Salma Yaqoob, une des chefs de file du parti Respect de Galloway, a condamné ses propos comme « profondément décevants et faux », et elle a ensuite démissionné de Respect.

Le Socialist Workers Party (SWP, dont les sympathisants en France militent dans le NPA) a également pris Galloway pour cible ; c’était son partenaire de coalition dans Respect avant leur scission en 2007. Judith Orr, une dirigeante du SWP, a publié un article dans Socialist Worker (1er septembre) fustigeant Galloway parce qu’il avait affirmé qu’Assange n’était coupable de rien de plus que « d’avoir enfreint les règles de la bienséance en matière de sexe ». Orr objecte à Galloway en expliquant que « la lutte pour la libération des femmes consiste pour nous en partie à ne plus à être considérées [sic] comme des objets sexuels. » L’intérêt du SWP pour la libération des femmes sonne creux, c’est le moins qu’on puisse dire, vu sa longue histoire de capitulations devant des réactionnaires islamistes comme les Frères musulmans en Egypte. Il est certain que George Galloway, qui flatte également la réaction islamique et s’oppose à l’avortement, est loin d’être un partisan des droits de la femme. Mais cela n’était pas un problème pour le SWP lorsqu’il s’agissait de former la coalition Respect avec Galloway en 2004 ; ces opportunistes avaient alors enterré la question de l’oppression des femmes (et les droits des homosexuels) afin d’éviter de s’aliéner les mosquées. Le SWP se pose maintenant avec cynisme en défenseur des droits de la femme, alors qu’en réalité il fournit une couverture à la chasse aux sorcières contre Julian Assange, que les impérialistes ont déclaré ennemi public.

Le Socialist Party (dont les sympathisants en France, la Gauche révolutionnaire, viennent de se carapater du NPA – voir notre article dans le Bolchévik n° 201, septembre) s’est joint à la vendetta contre Assange, y compris dans un éditorial de son organisation sœur suédoise, Rättvisepartiet Socialisterna, qui s’oppose à l’extradition d’Assange aux Etats-Unis tout en soutenant tacitement son extradition vers la Suède. On peut y lire notamment : « Au niveau international, l’affaire tourne autour du fait que l’impérialisme américain doit punir WikiLeaks, et il ne fait aucun doute que l’Etat suédois et son gouvernement seraient heureux d’aider les Etats-Unis à obtenir l’extradition d’Assange. Cependant, l’affaire repose également sur de graves allégations de viol qui doivent faire l’objet d’une enquête » (Socialist, 30 août). En Ecosse, l’International Socialist Group (une scission du SWP) présente Assange comme un violeur avant même qu’il n’ait été inculpé, et encore moins condamné. Sarah Watson déclare dans un article posté sur Internet : « Assange a commis des viols et il doit comparaître devant un tribunal en Suède » (internationalsocialist.org.uk, 22 août).

Nous nous opposons à l’ingérence du gouvernement dans la vie sexuelle privée des individus, ainsi qu’à toute criminalisation automatique d’un acte sexuel, comme le font les lois réactionnaires sur « l’âge de consentement ». Comme principe directeur, nous préconisons le concept du consentement effectif – c’est-à-dire la compréhension et l’accord mutuels. Confondre relations sexuelles consenties et viol revient à banaliser le crime horrible qu’est le viol. La gauche réformiste a en partage une foi touchante dans l’Etat capitaliste ; elle lui confie la réglementation de l’activité sexuelle des jeunes ainsi que la « protection » des femmes et des enfants.

L’Etat en Suède, tout comme en Grande-Bretagne, n’est certainement pas connu pour sa compassion envers les femmes violées. Des membres de l’organisation Women Against Rape [Femmes contre le viol] ont écrit un article intitulé « Nous sommes des Femmes contre le viol, mais nous ne voulons pas l’extradition de Julian Assange » (Guardian, 23 août) qui exprimait un scepticisme salutaire sur l’intérêt soudain pour les victimes de « viol » dans l’affaire Assange :

« Quand Julian Assange a été arrêté pour la première fois, nous étions frappées par le zèle inhabituel avec lequel il était poursuivi pour des allégations de viol.
« Il semble encore plus clair aujourd’hui que les allégations contre lui sont un écran de fumée derrière lequel un certain nombre de gouvernements tentent de réprimer WikiLeaks parce que WikiLeaks a audacieusement révélé au grand public leurs plans secrets de guerres et d’occupations, avec leur cortège de viols, d’assassinats et de destructions. »

Julian Assange est un libéral bourgeois qui cherche vainement à débarrasser le système impérialiste de ses pires excès en dénonçant ses crimes. En essayant de faire tomber Assange, WikiLeaks et Bradley Manning, les impérialistes américains et britanniques font savoir que toute dénonciation ou même toute description fidèle des crimes et des atrocités impérialistes sera punie par la prison à vie ou la peine de mort. Il est dans l’intérêt de la classe ouvrière et de tous les opprimés de lutter contre la chasse aux sorcières contre Assange ; c’est une tentative pour criminaliser la dissidence et faire taire les opposants aux guerres et aux occupations de l’impérialisme ainsi qu’à la répression intérieure menée au nom de la lutte contre le « terrorisme ». Nous, marxistes, cherchons à faire comprendre que la guerre impérialiste, avec toute sa sauvagerie, est inhérente à la domination de classe capitaliste. Ce n’est que lorsque le capitalisme aura été détruit pour de bon par la révolution ouvrière que l’humanité sera enfin débarrassée de ces horreurs.