Le Bolchévik nº 202 |
Décembre 2012 |
« Cercle Léon Trotsky » sur l’Algérie : révolution permanente contre économisme
Lutte ouvrière (LO) publie régulièrement le texte des conférences du Cercle Léon Trotsky (CLT), qui servent d’exposé théorique des positions politiques de cette organisation. Le CLT du 16 novembre avait pour thème « Il y a 50 ans, la fin de la guerre d’Algérie La fin du colonialisme mais pas de l’oppression ». Un auditeur peu familier de LO aurait pu imaginer que l’exposé allait faire une large part à la théorie de la révolution permanente : celle-ci fut en effet un aspect central du combat de Trotsky contre le reniement par l’Internationale communiste stalinisée du programme révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux comme l’Algérie, au profit du programme menchévique traître de « révolution par étapes ». Mais la perspective et le programme de la révolution permanente étaient en fait totalement absents de l’exposé présenté ce soir-là par Geneviève Reimeringer (comme en règle générale de tous les articles, documents et résolutions de LO sur les pays du « tiers-monde »).
Pour entendre prononcer les mots « révolution permanente », les auditeurs du CLT ont dû attendre l’intervention d’un camarade de la Ligue trotskyste. Après avoir rappelé qu’en Algérie le FLN s’était montré incapable de satisfaire les aspirations des masses, dans tous les domaines, et que cette faillite du nationalisme bourgeois avait pavé la voie à la montée de la réaction islamique, notre camarade expliqua :
« Il existe une solution prolétarienne, c’est la perspective de la révolution permanente. Dans les pays capitalistes néocoloniaux comme l’Algérie, seule la dictature du prolétariat peut apporter une solution véritable aux tâches démocratiques bourgeoises. La classe ouvrière doit prendre le pouvoir en son propre nom et entraîner derrière elle la paysannerie et les masses pauvres des villes et des campagnes ; elle doit exproprier la bourgeoisie et lutter pour étendre la révolution aux métropoles impérialistes.
« La théorie de la révolution permanente est un apport majeur de Trotsky et la généralisation de l’expérience de la Révolution russe. Elle est toujours d’une actualité brûlante dans les pays capitalistes dominés. Il faut lutter politiquement contre le nationalisme bourgeois qui empoisonne la conscience des travailleurs ; et contre les fronts populaires nationalistes qui enchaînent le prolétariat à la bourgeoisie soi-disant “anti-impérialiste”. C’est ce combat que mènent quotidiennement les sections de la LCI [Ligue communiste internationale] qui luttent pour construire des partis trotskystes d’avant-garde dans ces pays, notamment en Afrique du Sud et au Mexique.
« Mais Lutte ouvrière a une autre perspective : LO pense que dans tous les pays capitalistes, qu’ils soient impérialistes ou néocoloniaux, la lutte économique, pour les salaires et les conditions de travail, suffira à faire progresser les “idées communistes” parmi les travailleurs. Du coup, nul besoin dans les pays néocoloniaux de mener bataille contre le nationalisme ou la politique menchévique de révolution par étapes.
« Ce que cela donne en pratique a été illustré par l’attitude récente de LO à l’égard de la gauche tunisienne. Le 23 février 2011, juste après la chute de Ben Ali, un représentant de LO, Michel Rodinson, avait été invité à prendre la parole à un meeting du “Front du 14 janvier”, un bloc entre des organisations ouvrières et des groupes nationalistes bourgeois, baassistes ou nassériens. Lors de ce meeting où l’assemblée a entonné l’hymne national tunisien, le représentant de LO n’a pas eu un seul mot de critique contre ce front populaire nationaliste et pour défendre l’indépendance politique du prolétariat le B.A.-BA du marxisme.
« Ce soir-là, c’est une de nos camarades de la LCI qui est intervenue, depuis la salle, pour défendre la perspective internationaliste prolétarienne de la révolution permanente contre le nationalisme bourgeois que LO ne dénonce avec tellement d’intransigeance et de fermeté que le vendredi soir au CLT ou pendant le week-end de la Pentecôte. »
Piquée au vif, Geneviève Reimeringer rétorqua que « ce qu’a dit le camarade [de la LTF] à propos de notre camarade qui était là pour la Tunisie, c’est juste un tissu de mensonges », ce qui « prouve juste que le stalinisme a dépassé les limites des partis staliniens et qu’il atteint d’autres partis ». Voici selon Reimeringer la preuve irréfutable du caractère mensonger de nos accusations : « Ce jour-là [le 23 février 2011], en effet au rassemblement qui a eu lieu, le camarade de Lutte ouvrière a fait tout un discours pour expliquer le rôle de l’armée, pour expliquer le danger que représentait l’armée. Ca n’a pas été tellement apprécié par une partie des militants qui étaient là, alors oser dire qu’on n’avait aucune critique à ce moment-là, c’est juste un tissu de mensonges, et ça juge tout ce que vous êtes. »
La répartie de Reimeringer était une forme d’aveu : si Michel Rodinson avait parlé de l’armée en Tunisie, il n’avait par contre jamais avancé la moindre critique, même la plus fraternelle, contre le bloc des organisateurs du meeting avec des organisations capitalistes (l’intervention de Rodinson est disponible sur le site internet de LO). Il n’avait pas eu un seul mot contre le programme nationaliste bourgeois ni contre la nature de classe de ce front populaire nationaliste, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une alliance entre des organisations ouvrières et des formations nationalistes bourgeoises. C’était une capitulation politique devant le nationalisme bourgeois et le menchévisme de la gauche tunisienne, qui ont permis la prise du pouvoir par les islamistes en Tunisie.
Mais comment Reimeringer aurait-elle pu répondre à notre intervention ? Elle est conseillère municipale à Bagnolet, élue sur la liste du maire PCF, le « Groupe Majorité ensemble pour le renouveau de Bagnolet » un front populaire incluant les chevènementistes bourgeois du MRC. Elle a personnellement voté à plusieurs reprises le budget du maire, et le 12 avril dernier encore elle a approuvé la taxe d’habitation en s’abstenant pour une fois sur les dépenses (sur le municipalisme de LO, voir notamment notre article « Expulsions racistes à Bagnolet LO se solidarise avec les expulsés pour redorer le blason de la municipalité PCF », le Bolchévik n° 192, juin 2010).
Reimeringer s’est mise dans la suite de sa réponse à notre intervention à nous accuser de n’avoir que « mépris » pour la lutte économique et de « considérer que se battre sur le terrain des intérêts économiques c’est mineur », ajoutant que « c’est scandaleux de la part d’organisations qui se réclament du trotskysme » ! On ne pouvait exprimer plus clairement l’opposition de LO au léninisme-trotskysme. Comme l’a réaffirmé Lénine il y a plus d’un siècle dans Que faire ?, sa polémique acérée contre les « économistes » russes, la lutte économique, c’est-à-dire la lutte pour les salaires et les conditions de travail, ne suffit pas pour « faire progresser les idées communistes » : le prolétariat a besoin d’un parti marxiste d’avant-garde pour acquérir une conscience authentiquement révolutionnaire, c’est-à-dire la conscience de sa tâche historique, la révolution socialiste, et des moyens nécessaires pour la réaliser et donc la conscience qu’il faut rompre avec ceux qui ont fait la promotion en Tunisie d’une frauduleuse première étape « démocratique » à la révolution : les front-populistes du « Front du 14 janvier ». Et leurs cautions « de gauche » à la LO. Nos interventions dans les meetings de nos opposants en février 2011 ou au dernier CLT ont précisément pour but de faire avancer la construction d’un tel parti.