Le Bolchévik nº 200

Juin 2012

 

Poutou, le « vrai candidat normal » – pendant que le NPA se déchire sur le pactole du Ministère de l’Intérieur

Philippe Poutou, le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) au premier tour des présidentielles, a finalement obtenu un score qui était encore inespéré quelques semaines avant les élections : un peu plus de 1% des suffrages exprimés. A partir du moment où la mayonnaise mélenchoniste commençait à prendre, le pari de Besancenot/Poutou de rallier les suffrages sociaux-démocrates à « gauche de la gauche » était perdant. Quitte à voter social-démocrate de gauche, autant voter utile en votant Mélenchon. Le NPA a faiblement prétendu qu’il se distinguait de Mélenchon qui serait trop inféodé au PS et à Hollande. En fait le NPA a vociféré lui-même tout autant que Mélenchon, pendant toute la campagne électorale, qu’il faudrait « battre Sarkozy », c’est-à-dire voter Hollande au deuxième tour, et il porte ainsi sa petite part de responsabilité pour le quinquennat d’attaques anti-ouvrières qui s’annonce.

Le NPA prétendait que ce qui le distingue, c’est qu’il ne va en aucun cas chercher à entrer au gouvernement, alors que, toujours d’après le NPA, on ne sait pas si on peut faire confiance ou pas à Mélenchon ou au PCF là-dessus. A cela, nous répondons premièrement que l’un des piliers fondateurs du NPA, c’est qu’il n’exclut pas de prendre part aux responsabilités dans un gouvernement capitaliste (du moment que celui-ci se présente sous un voile « anticapitaliste »). Et deuxièmement, Mélenchon lui-même a déclaré qu’il n’irait pas au gouvernement, et l’on ne voit pas quel intérêt il aurait à se compromettre dans un gouvernement aussi ouvertement droitier et anti-ouvrier que le sera celui de Hollande. Il fera comme le PCF en 1936, qui était resté en dehors du gouvernement Blum, ce qui l’avait placé en meilleure position pour casser la grève de Juin 36. Trotsky écrivait d’ailleurs le 5 juin 1936 :

« Plus criminelle et plus infâme que tout est, dans cette situation, la conduite des communistes : ils ont promis de soutenir à fond le gouvernement Blum, sans y entrer. “Nous sommes des révolutionnaires trop terribles, disent Cachin et Thorez – nos collègues radicaux peuvent mourir d’effroi, il vaut mieux que nous nous tenions à l’écart”. Le ministérialisme dans les coulisses est dix fois pire que le ministérialisme ouvert et déclaré. En fait, les communistes veulent conserver leur indépendance extérieure, pour assujettir d’autant mieux les masses ouvrières au Front populaire, c’est-à-dire à la discipline du capital. »

Il était tellement difficile de faire la distinction entre NPA et Front de gauche qu’un nombre significatif de militants du NPA, y compris des dirigeants de premier plan, sont passés à la concurrence en pleine campagne électorale. Cela avait en réalité commencé dès la fondation du NPA en 2009, quand des cadres de la LCR comme Christian Picquet étaient passés au Front de gauche. Le picquettisme, c’est l’hydre de Lerne du NPA : dès qu’un morceau se détache pour aller au Front de gauche, de nouvelles pousses picquettistes fleurissent immédiatement de tous les côtés sur le corps amaigri du NPA. Celui-ci a déjà perdu les deux tiers de ses membres.

La question a pris des dimensions carrément sordides ces dernières semaines. La LCR de Krivine-Besancenot, au moment de sa dissolution en 2009 pour créer le NPA, avait en fait maintenu une structure LCR afin de continuer à toucher les subsides gouvernementaux octroyés pendant cinq ans sur la base des résultats de la LCR aux législatives de 2007. Il s’agit de gros sous : près d’un million d’euros par an. Or l’association contrôlant cet argent est passée aux picquettistes (voir le-monde.fr, 30 mars). Aussi, quand Pierre-François Grond et quelques autres cadres du NPA sont passés au Front de gauche il y a un mois, espérant sans doute quelques récompenses parlementaires ou ministérielles en échange de leur trahison, ils ont pris la caisse avec eux, une dot substantielle dont la perspective a dû jouer dans leur entreprise de séduction de Mélenchon. Mais Besancenot et Krivine se sont avérés bien près de leurs sous (plus exactement, près des sous du gouvernement) : ils ont immédiatement couru aux tribunaux bourgeois pour remettre la main sur le magot. Les banques ont du coup annulé les chèques qu’avaient voulu tirer les picquettistes, et aux dernières nouvelles Krivine et Besancenot ont retiré leur plainte.

En tant que marxistes, nous nous opposons par principe à toucher de l’argent de l’Etat capitaliste – « qui paie les violons choisit la musique ! » – et nous nous opposons de même à avoir recours à l’Etat capitaliste pour laver le linge sale du mouvement ouvrier. Cette affaire vraiment obscène montre la putréfaction social-démocrate du NPA, où l’on fait appel aux tribunaux capitalistes pour qu’ils départagent deux factions et décident à qui doivent revenir les subventions de l’Etat capitaliste. L’idée même d’une ligne de classe séparant les ouvriers des capitalistes et de leurs institutions n’a aucun sens pour ces sociaux-démocrates.

Poutou s’est présenté comme le « vrai candidat normal », le seul travailleur comme tout un chacun dans cette campagne, etc. Il a écrit dans son opuscule programmatique, Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule ! : « Ma candidature est bien celle d’un anonyme parmi les dizaines de millions d’anonymes. » Un axe essentiel de sa campagne populiste, c’était qu’il y en a marre des politiciens professionnels.

Il faut souligner l’hypocrisie de la démarche : le NPA s’est créé grâce à la promotion par les médias bourgeois d’Olivier Besancenot, qui lui-même a reçu sa formation politique grâce à un poste pendant un an d’attaché parlementaire d’Alain Krivine, lorsque celui-ci était parlementaire européen. La véritable question, c’est d’être un homme politique pour quelle classe ? Ce que nous reprochons à Poutou, Krivine ou Besancenot, ce n’est pas qu’ils soient ou non des politiciens de carrière à temps plein, c’est qu’ils sont des réformistes qui répandent l’illusion dans la classe ouvrière qu’en faisant pression sur la bourgeoisie elle pourrait adopter des choix rationnels et dans l’intérêt du peuple ; ils veulent même faire croire que l’on pourrait obtenir que les flics désarment et que l’ONU, cette caverne de brigands impérialistes et de leurs victimes, soit l’objet d’une « réforme juste », comme dirait Hollande !

Avec sa polémique contre les politiciens professionnels, Poutou se fait en réalité le relais de la propagande anticommuniste contre les militants communistes à plein temps. La classe ouvrière a besoin de révolutionnaires professionnels uniquement dans la mesure où elle veut une révolution et où elle veut vaincre. Philippe Poutou milite contre les révolutionnaires professionnels parce qu’il est contre la révolution prolétarienne. Il a beau être ouvrier, sa politique, c’est du dilettantisme petit-bourgeois. Lénine expliquait ainsi dès 1902 :

« Or, j’affirme : 1° qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants stable et qui assure la continuité du travail ; 2° que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant, et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide (sinon il sera plus facile aux démagogues d’entraîner les couches incultes de la masse) ; 3° qu’une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire ; 4° que, dans un pays autocratique, plus nous restreindrons l’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires de profession ayant fait l’apprentissage dans l’art d’affronter la police politique, plus il sera difficile de “repérer” une telle organisation et 5° d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer d’une façon active. »

Que faire ?

C’est un parti comme celui de Lénine que nous cherchons à construire, et il sera forgé dans une lutte implacable contre les ennemis du trotskysme révolutionnaire, y compris les charlatans réformistes du NPA.