Le Bolchévik nº 200

Juin 2012

 

Célébrons la défaite de l’impérialisme français !

5 juillet 1962 : Il y a 50 ans, l’indépendance de l’Algérie

Les travailleurs du monde ont toute raison de célébrer l’indépendance de l’Algérie, proclamée il y a 50 ans à la suite d’une guerre barbare où l’impérialisme français eut recours aux crimes les plus abominables pour essayer de maintenir l’oppression coloniale de millions d’Algériens. Nous honorons la mémoire des centaines de milliers de militants et combattants, algériens dans leur immense majorité (pour certains d’origine européenne comme Maurice Laban ou Maurice Audin), qui sont tombés pour chasser l’impérialisme français – mais aussi les travailleurs, les conscrits en France, en Algérie, qui d’une façon ou d’une autre se sont opposés à la guerre d’Algérie et ont contribué à la défaite de l’impérialisme français. Leur lutte héroïque a non seulement permis d’arracher l’indépendance de l’Algérie, elle a été déterminante pour forcer l’impérialisme français à abandonner une à une, entre 1956 et 1977, sa mainmise formelle sur les autres pays qu’elle avait colonisés en Afrique, dont il ne reste que la Réunion et Mayotte. Elle a inspiré et encouragé une génération entière de militants ouvriers dans le monde dans les années 1960, de la lutte contre la guerre du Vietnam à la grève générale de Mai 68, un résultat direct de l’affaiblissement de la classe capitaliste française après sa défaite en Algérie – tout comme l’indépendance du Congo en juin 1960 avait été le précurseur immédiat de la grande grève générale belge de décembre 1960-janvier 1961.

Comme l’écrivait Léon Trotsky en 1937, « le mouvement des races de couleur contre les oppresseurs impérialistes est l’un des mouvements les plus puissants et les plus importants contre l’ordre existant et c’est pourquoi il lui faut le soutien complet, sans réticence, du prolétariat de race blanche. » Aussi, nous étions sans ambiguïté du côté des nationalistes algériens contre le colonialisme français. Mais cette libération n’a été que partielle, car elle s’est faite dans un cadre capitaliste. Notre programme, ce n’est pas seulement la libération nationale, c’est l’émancipation de toute l’humanité du joug du capitalisme, qu’il soit français, algérien ou autre, par une révolution socialiste. Et cela inclut donc de lutter politiquement contre la bourgeoisie nationale. Dès ses débuts dans les années 1960, notre tendance internationale s’est battue pour que les travailleurs algériens se dotent de leur propre parti, indépendant du FLN, indépendant de la bourgeoisie. Nous nous sommes opposés au mythe de l’unité nationale promu par Ben Bella et autres dirigeants bourgeois.

L’ère impérialiste, que le système capitaliste a déjà atteinte depuis plus de cent ans, signifie le partage du monde entre les principales puissances capitalistes, dont la France, puissance impérialiste de deuxième zone, et la lutte incessante pour le repartage du monde entre ces puissances. Dans ce carcan il ne peut y avoir de développement économique et social significatif pour un pays capitaliste opprimé comme l’Algérie. Le fondement de la théorie trotskyste de la révolution permanente dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, c’est que les tâches historiques comme une authentique libération nationale ne peuvent plus être accomplies par une bourgeoisie nationale naissante, car celle-ci est trop faible et trop dépendante des puissances impérialistes, et elle est trop soudée par la peur des masses ouvrières et paysannes ; c’est la classe ouvrière qui doit prendre le pouvoir en son propre nom et lutter pour étendre la révolution aux centres impérialistes.

Cette théorie a trouvé en Russie en 1917 une éclatante confirmation, où la classe ouvrière a pu prendre le pouvoir et s’y maintenir économiquement pendant trois quarts de siècle, malgré l’encerclement impérialiste et la dégénérescence stalinienne de la révolution à partir de 1924. La révolution algérienne a constitué au contraire une cruelle vérification par la négative : 50 ans plus tard, le pays est toujours dépendant de l’impérialisme, notamment de l’impérialisme français. Une sanglante guerre civile dans les années 1990, dont le régime militaire porte la responsabilité, a coûté la vie à plus de 100 000 personnes. Les énormes revenus du pétrole et du gaz disparaissent dans les coffres des banques impérialistes pendant que la population est en proie à un chômage massif et à une répression constante de la part d’un régime à bout de souffle. Les Kabyles continuent d’être brutalement opprimés alors que toute la société est en proie à une islamisation rampante, un indicateur de l’aggravation de l’oppression des femmes.

Il faut tirer les leçons des soulèvements de l’année dernière dans d’autres pays du Nord de l’Afrique : la classe ouvrière doit prendre la direction de tous les opprimés et lutter en son propre nom, indépendamment de l’ennemi de classe capitaliste. Comme nous le disons dans notre déclaration de principes (Spartacist édition française n° 32, printemps 1998) : « Ce n’est que sous la direction du prolétariat révolutionnaire que les pays coloniaux et semi-coloniaux peuvent obtenir une vraie émancipation nationale. Pour ouvrir la voie au socialisme il faut étendre la révolution aux pays capitalistes avancés. » Le prolétariat doit se doter pour cela d’un parti révolutionnaire d’avant-garde selon le modèle des bolchéviks de Lénine. En faisant au contraire alliance avec diverses forces bourgeoises « laïques » ou « de gauche », la bureaucratie de l’UGTT, la fédération syndicale tunisienne, et les petites organisations de la gauche tunisienne (et de même en Egypte) ont pavé la voie au renforcement de la réaction islamique. En Libye, une grande partie de la gauche dans le monde s’est rangée derrière les rebelles pro-impérialistes du « Conseil national de transition » (CNT), salué par le NPA français, Mélenchon et autres comme le « représentant légitime du peuple libyen » ; le CNT a fini par prendre le pouvoir à Tripoli dans le sillage des bombes de l’OTAN, et il a depuis officiellement instauré la charia alors que le pays continue d’être ravagé par des affrontements entre bandes armées.

Pour devenir une classe luttant consciemment pour ses propres intérêts, la classe ouvrière doit s’opposer avec intransigeance à toutes les formes de nationalisme bourgeois et d’intégrisme religieux, des deux côtés de la Méditerranée. Comme le dit déjà le Manifeste du Parti communiste (1847), « les ouvriers n’ont pas de patrie ». Les travailleurs français ont une responsabilité particulière pour défendre ici leurs frères de classe d’origine nord-africaine et pour s’opposer aux déprédations de l’impérialisme français en Afrique. Les travailleurs d’origine algérienne et nord-africaine sont une composante stratégique du prolétariat en France et ils joueront un rôle central non seulement pour faire le pont pour la révolution entre les deux rives de la Méditerranée, mais aussi afin de diriger la révolution socialiste ici même. Nous luttons pour forger des partis ouvriers révolutionnaires armés du programme de la Quatrième Internationale de Trotsky. C’est la seule voie pour non seulement réaliser une véritable libération de l’Algérie des griffes de l’impérialisme, mais pour renverser tout le système capitaliste.