Le Bolchévik nº 198

Décembre 2011

 

De Hollande à Mélenchon et Besancenot, les sociaux-démocrates français les ont soutenus :

Les « révolutionnaires » de Sarkozy et de l’OTAN prennent le pouvoir en Libye

Le 20 octobre passaient en boucle sur les écrans dans le monde entier les images insoutenables du lynchage de Mouammar Kadhafi par les suppôts de l’OTAN. Les chefs des puissances impérialistes, dont les armées bombardaient la Libye sans relâche depuis des mois, ont applaudi l’assassinat de Mouammar Kadhafi et d’un de ses fils en le présentant comme une victoire pour la « démocratie ». Sarkozy a déclaré dans un communiqué spécial qu’« une page nouvelle s’ouvrait pour le peuple libyen, celle de la réconciliation dans l’unité et la liberté » – tandis que Brice Hortefeux, son ex-ministre de la police, voyait dans ce spectacle barbare la confirmation éclatante que Sarkozy était rien moins que « le champion du monde des droits de l’Homme ». Un autre fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, a été ensuite capturé ; il risque la mort. Le pays est plus divisé que jamais, certains témoignages faisant état de combats à l’arme lourde entre milices tribales et autres groupes rivaux, qui tous cherchent à s’assurer une part plus importante des miettes que leur laisseront les impérialistes dans la Libye « nouvelle ».

La guerre de l’OTAN contre la Libye a mis à nu la réalité du système impérialiste : une poignée de pays capitalistes avancés terrorisent et asservissent les sociétés plus faibles et moins développées. La « démocratie » dont se gargarisent les dirigeants impérialistes se mesure au nombre de cadavres d’immigrés africains noirs raflés pendant et après la victoire des rebelles. Amenés d’abord en Libye sous le régime de Kadhafi pour y servir de main-d’œuvre bon marché, ils ont été ensuite accusés d’être des « mercenaires pro-Kadhafi ». Une des premières choses que faisaient les rebelles après s’être emparés d’une zone contrôlée auparavant par les forces pro-Kadhafi, c’était de se livrer à des pogromes contre ces Africains noirs, et de plus en plus aussi contre les Libyens à la peau trop foncée.

En se livrant à ces actes de vendetta, les forces hétéroclites portées au pouvoir par les impérialistes de l’OTAN sont restées fidèles à la fois à leurs propres valeurs réactionnaires et à celles de leurs parrains « démocratiques ». La France est un enfer si l’on appartient aux minorités ethniques, en particulier les jeunes qui subissent la répression quotidienne des flics et la montée du chômage, tandis que le gouvernement s’enorgueillit de dépasser son objectif d’expulser 30 000 immigrés cette année. En annonçant ses « résultats », le flic en chef Guéant déclarait : « Nous voulons que la France reste la France. » De l’autre côté de la Manche, le Premier Ministre britannique David Cameron, en représailles à la révolte contre la terreur policière raciste et l’austérité qui avait secoué les villes d’Angleterre, a lancé en août dernier une vaste opération policière au cours de laquelle plus de 2 000 personnes ont été arrêtées.

L’ONU, après avoir donné son approbation aux bombardements terroristes de l’OTAN en Libye, s’est félicitée de la mise en place par les nouveaux dirigeants libyens d’une « commission d’enquête » sur comment Kadhafi est mort après avoir été capturé vivant ; cela montre bien l’hypocrisie qui caractérise l’ONU, ce repaire de brigands impérialistes, de leurs laquais et de leurs victimes. Son « Haut-Commissaire aux droits de l’homme » déclarait : « nous insistons sur la nécessité d’un jugement en bonne et due forme, conformément à la législation internationale ». Demander à la nouvelle équipe dirigeante libyenne – un ramassis d’anciens dignitaires du régime Kadhafi, de monarchistes, d’intégristes islamiques, d’anciens agents de la CIA, de chefs tribaux, etc. – de « faire toute la lumière » sur ce qui s’est passé, qui plus est sous le contrôle en dernier ressort des impérialistes, c’est demander à un psychopathe d’enquêter sur ses propres meurtres !

Les impérialistes sont totalement coupables de l’assassinat de l’ex-numéro un libyen, même d’après leurs propres lois de la guerre, qui ne s’appliquent qu’aux perdants. D’après la presse, un drone américain espionnait le convoi qui avait quitté Syrte avec Kadhafi à bord le 20 octobre. Ce convoi aurait ensuite été bombardé par un Mirage français. Les rebelles libyens – très certainement avec l’appui d’un des commandos des forces spéciales impérialistes qui opéraient au sol – ont alors achevé les survivants, dont Kadhafi.

Dès 1986, les Etats-Unis avaient tenté d’assassiner Kadhafi, alors considéré comme un allié de l’Union soviétique. Une de ses filles avait alors été tuée lors d’un bombardement. Depuis une dizaine d’années, l’homme fort de Tripoli était un allié des impérialistes dans la « guerre contre le terrorisme » ; il leur prêtait ses salles de torture. Il avait aussi signé des accords avec les impérialistes européens pour empêcher l’émigration vers la forteresse Europe raciste. Dès le début de la guerre aérienne de l’OTAN en mars dernier, Kadhafi était une cible à abattre prioritaire et l’OTAN a tenté à plusieurs reprises de l’éliminer.

Les tueurs impérialistes se déchaînent

Quand la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont commencé leurs bombardements, la Ligue communiste internationale (LCI) a publié, le 20 mars 2011, une déclaration qui appelait à défendre la Libye contre l’attaque impérialiste. Nous appelions « les travailleurs du monde entier à prendre position pour la défense militaire de la Libye, un pays semi-colonial, contre l’attaque qui a été lancée hier par une coalition de gouvernements impérialistes rapaces […]. Tout ce que les travailleurs des pays impérialistes entreprendront pour stopper les déprédations et les aventures militaires de leur gouvernement constituera un pas en avant vers leur propre libération de l’exploitation capitaliste, de la misère et de l’oppression. » Nous notions aussi que l’intervention impérialiste, avec l’approbation des cheikhs, des rois et des bonapartes casqués de la Ligue arabe, conduirait au massacre d’innombrables innocents (voir « Défense de la Libye contre l’attaque impérialiste », le Bolchévik n° 196, juin).

Maintenant qu’ils ont assassiné Kadhafi, les vautours impérialistes se précipitent pour encaisser les dividendes de leur sale guerre. Alors que les chasseurs-bombardiers de l’OTAN continuaient à s’acharner sur les derniers bastions kadhafistes à Syrte et Bani Walid, l’impérialisme français affrétait un avion spécial pour envoyer à Tripoli une délégation de représentants de 80 sociétés de différents secteurs d’activité, dont des entreprises du bâtiment avides de décrocher des contrats pour la « reconstruction » du pays. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat au commerce extérieur, ne faisait pas mystère de la détermination de la bourgeoisie française à encaisser les bénéfices sonnants et trébuchants de sa sale guerre : « Même ceux qui n’ont pas voté les frappes de l’Otan quand les Libyens avaient besoin d’eux viennent à la chasse aux contrats ! Alors, pourquoi les Français, qui ont décidé l’Otan à intervenir au moment décisif, s’en priveraient-ils ? »

Cette pique de Lellouche visait l’Allemagne, mais aussi la Chine ; l’Union européenne (UE), qui reste le principal partenaire commercial de la Libye, cherche à enrayer le développement des relations économiques entre ce pays et l’Etat ouvrier déformé chinois. En 2010, la Chine achetait 10% du brut libyen. En même temps, les alliés de l’OTAN, en particulier la France et l’Italie, sont à couteaux tirés pour savoir qui aura la plus grosse part des richesses pétrolières de Libye. A l’époque où elle était encore la puissance coloniale en Libye, avant la Deuxième Guerre mondiale, l’Italie avait utilisé des gaz de combat contre des civils libyens et emprisonné plus de 100 000 personnes dans des camps de concentration.

L’héritage de la France en Afrique du Nord est encore plus sanglant ; des centaines de milliers d’Algériens ont été massacrés, torturés et mutilés rien qu’entre 1954 et 1962, pendant la sale guerre coloniale menée par la France. A l’annonce que le « Conseil national de transition » (CNT) avait rebaptisé la place de la Révolution algérienne à Tripoli « place d’Abou Dhabi », quelqu’un faisait remarquer sur le blog « Algeria-Politique » : « Depuis le 5 juillet 1962, pas un avion français n’a largué ses bombes sur l’Afrique du Nord et ses populations grâce aux sacrifices de générations d’Algériens, mais aussi des autres peuples de la région. Dieu merci et par la grâce de “révolutionnaires” d’un nouveau type, l’erreur a été “réparée” et merci d’avoir débaptisé cette place et je suggère même de la dénommer place des généraux Challe et Morice » (le Monde, 31 août) ; Challe et Morice étaient deux généraux français dont le rôle a été particulièrement meurtrier pendant la guerre d’Algérie. L’assassinat de Kadhafi coïncidait avec le 50e anniversaire du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, quand plusieurs centaines d’Algériens qui manifestaient pour l’indépendance de leur pays furent tués par la police, et leur corps jeté dans la Seine.

Kadhafi était à n’en pas douter un dictateur qui réprimait violemment tous ceux qu’il soupçonnait de s’opposer à lui. Notre défense militaire de la Libye contre les bombardements de l’OTAN n’impliquait aucun soutien politique à son régime capitaliste. D’ailleurs, au début de la guerre civile, nous n’avions pas pris parti entre les deux camps bourgeois en présence, tous deux également réactionnaires (voir le supplément au Bolchévik de mars 2011). Mais les choses ont changé avec l’intervention des impérialistes, les ennemis principaux des travailleurs et des masses opprimées, qui dominent le monde. Dans tout conflit militaire entre les impérialistes et les pays qu’ils asservissent, c’est pour ces derniers que les travailleurs de tous les pays doivent prendre fait et cause. Faire comprendre la nécessité de ce choix fait partie intégrante de la lutte pour le socialisme, qui libérera l’humanité de l’oppression et de la misère imposées par les exploiteurs capitalistes.

Le « changement de régime » en Libye, une menace mortelle pour les femmes

Immédiatement après l’assassinat de Kadhafi, Moustapha Abdeljalil, président du CNT, proclamait que la Libye était désormais un pays « libre ». Il ajoutait dans le même discours que la législation du pays serait désormais basée sur la charia, le droit musulman vieux de treize siècles qui régit tous les aspects de la vie et qui (comme toutes les religions établies) codifie l’infériorité du statut des femmes. Abdeljalil a précisé que toutes les lois contraires aux préceptes islamiques seraient considérées comme illégales et il a donné un avant-goût de ses intentions en annonçant que le divorce serait interdit et la polygamie légalisée.

Le régime capitaliste de Kadhafi était une dictature qui réprimait impitoyablement toute opposition, et c’était un pays islamique où les femmes étaient opprimées. Ceci dit, en comparaison avec la monarchie féodale du roi Idriss, soutenue par les Britanniques, qui l’avait précédé, le régime de Kadhafi représentait pour les femmes quelques avancées, rendues possibles par les pétrodollars. Les femmes avaient obtenu un meilleur accès à l’éducation, et en 2010 elles constituaient la majorité des étudiants et des diplômés des universités. Le pourcentage de femmes ayant un emploi avait également considérablement augmenté, et depuis une vingtaine d’années un système de crèches avait été mis en place, permettant ainsi à davantage de femmes de travailler. Toutefois, l’arriération religieuse et le poids des traditions perduraient, et la vie des femmes continuait à être régie par des coutumes barbares.

Pour les femmes, l’exclusion et la ségrégation ne peuvent que s’aggraver maintenant qu’elles sont officiellement encouragées par les nouveaux dirigeants libyens. L’apologie de la charia à laquelle s’est livrée Abdeljalil était tout sauf une désagréable « surprise », comme ont voulu le faire croire les dirigeants occidentaux et leurs laquais. Le 3 août déjà, le CNT avait adopté une Déclaration constitutionnelle provisoire qui n’était passée inaperçue que de ceux qui voulaient se laisser aveugler par la propagande sarkozyste d’un Bernard-Henri Lévy (BHL). Elle commençait par la formule « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux », et son article premier proclamait : « l’Islam est la religion, la Chariaa Islamique est la source principale de la législation. »

La libération des femmes est indissolublement liée à la lutte des travailleurs pour construire une société communiste égalitaire d’abondance matérielle. Nous luttons pour libérer les travailleurs du joug de la religion. Comme l’expliquait Marx, « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur […]. Elle est l’opium du peuple. » Dans la société communiste future, la Bible et le Coran, avec leurs cruels préceptes anti-femmes, ne seront plus que des documents historiques. La libération des femmes nécessite non seulement la lutte contre les exactions impérialistes, mais aussi la prise du pouvoir par les travailleurs au moyen d’une révolution socialiste.

Pour la révolution socialiste internationale !

La défense de la Libye contre les bombardements de l’OTAN aurait dû être un réflexe élémentaire, non seulement pour les révolutionnaires prolétariens qui s’opposent à l’impérialisme, mais aussi pour quiconque refuse de laisser les puissances capitalistes dominantes imposer leur loi aux pays plus faibles en utilisant leur supériorité militaire. Mais telle n’était pas la position de la plupart des réformistes sociaux-démocrates. Au début de la rébellion contre le régime de Kadhafi, ils ont emboîté le pas aux impérialistes en reprenant à leur compte les récits non confirmés de massacres de civils par les forces kadhafistes, tout en présentant la « résistance » libyenne sous un jour flatteur.

Comme le notait la déclaration de la LCI, ce qui était au début essentiellement une guerre civile entre le régime bourgeois de Kadhafi basé à Tripoli et une opposition soutenue par l’impérialisme et basée dans l’est du pays – conflit dans lequel le prolétariat n’avait pas de côté à prendre – s’est retrouvé subordonné à l’intervention militaire impérialiste quand ont été déclenchés, le 19 mars, les bombardements. Avant le début de ceux-ci, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Besancenot avait, comme d’autres, pris fait et cause pour l’opposition libyenne. Dans une déclaration datée du 21 février, le NPA affirmait ainsi son « soutien total aux insurgés dans leur lutte pour la démocratie et la chute de la dictature ». Comme nous l’écrivions dans le Bolchévik n° 196 (juin) :

« Le NPA a signé l’appel à une manifestation ayant lieu à Paris l’après-midi du 19 mars demandant la “reconnaissance du Conseil national de transition [CNT] intérimaire, seul représentant légitime du peuple libyen” ; l’appel reprochait aux impérialistes d’hésiter et de tergiverser face aux crimes de Kadhafi, autrement dit leur demandait d’intervenir ; effectivement, les bombardiers français lançaient les frappes à 17h45 contre leurs victimes libyennes. »

A l’annonce de la mort de Kadhafi, les impérialistes n’étaient pas seuls à se réjouir. Dans une déclaration datée du 21 octobre, le NPA a exprimé sa « compréhension » à « la joie et le sentiment de victoire de la population » qui « signe la fin définitive de l’ancien régime libyen », « un nouvel encouragement pour les millions de femmes et d’hommes qui, en Syrie ou au Yémen, se dressent héroïquement contre leur tyran ». Seuls de misérables sociaux-démocrates loyaux envers leur propre classe dirigeante pouvaient ainsi voir dans la mort de Kadhafi une « victoire » et une raison de se « réjouir » pour la population libyenne, alors que cette mort scellait le triomphe d’un nouveau régime plus étroitement soumis aux impérialistes, sans parler des affrontements fratricides qui faisaient rage entre tribus et clans, ni de son programme hostile aux femmes et aux travailleurs africains. La conclusion de la déclaration du NPA est à l’unisson des envolées « démocratiques » des BHL, Sarkozy et consorts sur lesquels il s’est aligné de façon particulièrement grotesque : « La dictature abattue, rien ne s’oppose à ce que soit mis en place un nouveau pouvoir démocratiquement élu respectueux de toutes les libertés démocratiques et soucieux d’utiliser les richesses du pays pour satisfaire les immenses besoins de la totalité de la population. »

Le NPA « tous ensemble » derrière les rebelles du général Sarkozy

La question de la Libye est devenue ces derniers mois une pomme de discorde fractionnelle à l’intérieur du NPA, où une nouvelle « opposition » est apparue, cette fois-ci derrière Pierre-François Grond et Myriam Martin. Tous deux membres du Comité exécutif, ils ont rassemblé 40% des voix à la conférence du NPA de juin 2011. Au fond, pour ces opportunistes, c’est du « gauchisme » de présenter un candidat NPA au premier tour de l’élection présidentielle de l’an prochain et de se contenter de soutenir Hollande, Joly et Cie au deuxième tour. Ils veulent s’immerger dans le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et du PCF et présenter un candidat commun au premier tour. Mais comme les deux fractions du NPA finiront par appeler à voter pour le front populaire d’austérité raciste mené par le Parti socialiste, rien ne les sépare au fond politiquement.

Grond et compagnie ont ouvertement soutenu la résolution de l’ONU autorisant l’attaque impérialiste contre la Libye (voir l’article de Marie-Do Bartoli dans Tout est à nous ! du 31 mars 2011). Mélenchon avait lui aussi applaudi les bombardements français en Libye, et le PCF, dans une déclaration à l’Assemblée nationale le 22 mars dernier, avait soutenu toutes les mesures de la résolution 1973 de l’ONU, y compris la « zone d’exclusion aérienne » et autres mesures de guerre des impérialistes, en les qualifiant de « légitimes pour étouffer le régime libyen et protéger les populations civiles ».

Pour la majorité, Armelle Pertus, ancienne tête de liste NPA dans les Hauts-de-Seine aux régionales de 2010, écrivait récemment dans le journal du NPA Tout est à nous ! (27 octobre) qu’il fallait être dès le début contre l’intervention de l’OTAN en Libye, qu’elle dénonçait comme une « reprise en main occidentale d’un processus révolutionnaire » – ce qui montre une fois de plus que, dès le début, tout le NPA était d’accord qu’une « révolution » était en cours et avait choisi le camp opposé au clan au pouvoir, celui de la racaille pro-impérialiste du CNT. Et elle conclut : « Pour nous, la seule force capable de se débarrasser de la dictature en Libye, et en ce moment même en Syrie, c’est le peuple, les travailleurs sur place. Notre tâche, pour les y aider, est d’affaiblir les puissances impérialistes, de dégager notre propre gouvernement » – ce qui signifie envoyer à l’Elysée François Hollande, qui avait lui aussi soutenu l’attaque impérialiste.

Quant aux « travailleurs sur place » en Libye, littéralement des centaines de milliers de travailleurs (en particulier les nombreux immigrés originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie) ont perdu leur emploi ; ils ont été chassés du pays ou jetés dans des centres de détention grâce au « processus révolutionnaire » du NPA. Lors de la visite du représentant de l’Union européenne à Tripoli le 12 novembre, le CNT s’est engagé à reprendre le travail de flic que faisait Kadhafi pour le compte de ses maîtres impérialistes de l’UE dans le but d’empêcher toute émigration vers l’UE.

Quant aux multiples groupuscules qui se sont liquidés dans le NPA ces dernières années (« tendance CLAIRE », « gauche révolutionnaire », « CCR-plateforme 4 », etc.), la seule critique qu’ils aient pu éventuellement avoir de la majorité de Besancenot sur la question de la Libye, c’est que le NPA ne faisait pas suffisamment campagne pour une ligne qu’ils partageaient, soutenant sous une forme ou une autre les rebelles pro-impérialistes contre Kadhafi. Ils ont bien leur place « tous ensemble » dans le NPA social-démocrate. Aux origines du NPA il y avait le liquidationnisme pabliste, du nom de Michel Pablo qui avait détruit la Quatrième Internationale trotskyste au début des années 1950. Trahissant la lutte ardue pour construire un parti ouvrier révolutionnaire, les pablistes ont cherché sans cesse des raccourcis sous forme de « nouvelles avant-gardes » à soutenir politiquement, espérant tout au plus les pousser vers la gauche. En France cela a d’abord été le PCF stalinien, puis le guérillisme petit-bourgeois, le féminisme, etc. Leur soutien écœurant à l’armée de terre de Sarkozy en Libye (les « rebelles ») n’est qu’un nouvel avatar de leur putréfaction social-démocrate et de leur cynisme. Ce n’est guère caricaturer le pablisme que de le résumer en paraphrasant le dicton : tout ce qui bouge est rouge (ou rose).

De la Libye à la Syrie : le NPA récidive

Comme Kadhafi, Al-Assad est un dictateur local qui recourt à une répression meurtrière pour se maintenir au pouvoir, mais dans l’éventualité d’une attaque impérialiste, le prolétariat international doit se prononcer pour la défense militaire du pays néocolonial qu’est la Syrie, sans donner le moindre soutien politique au régime capitaliste d’Al-Assad. Mais le 14 octobre, le NPA a publié sur son site internet un article intitulé « Solidarité avec le peuple syrien. A bas Bachar el Assad ! Dans la rue le 15 octobre », où il appelait à « interpeller les chefs d’Etats du prochain G20 à Cannes » ! On pouvait y lire :

« Dans cette situation dramatique, le peuple syrien ne cesse d’appeler à la solidarité internationale. Il est plus que temps de répondre à cet appel pour soutenir les manifestants syriens, pour obliger tous les gouvernements à caractériser les crimes de masse dirigés par Bachar, et à prendre toutes les sanctions diplomatiques et économiques capables de saper le pouvoir syrien et d’empêcher son impunité. »

Pour les réformistes du NPA, l’impérialisme français gorgé du sang de ses victimes coloniales (y compris syriennes) et néocoloniales peut être « obligé » à lutter contre l’oppression ! A croire que Sarkozy les a entendus : il met en œuvre les mesures proposées par le NPA, et en supplément il a déjà envoyé des forces spéciales pour entraîner les rebelles (voir le Canard enchaîné, 23 novembre). Troupes françaises, hors du Proche-Orient, hors d’Afrique, hors d’Afghanistan !

L’histoire des capitulations pablistes à l’impérialisme français est bien longue. En 1999, sous Jospin, la LCR, prédécesseur du NPA, appelait déjà à une occupation impérialiste au Kosovo sous l’égide de l’UE et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), une autre cabale impérialiste. Elle écrivait à l’époque dans son journal (Rouge, 1er avril 1999) : « L’OTAN n’était pas le seul ni surtout le meilleur point d’appui d’un accord. On pouvait trouver les conditions d’une police multinationale (notamment composée de Serbes et d’Albanais) dans le cadre de l’OSCE pour appliquer un accord transitoire » !

En 2002-2003, la LCR avait signé, au côté du PS, des Verts et Cie, tous les appels chiraquistes contre la guerre en Irak : « La France doit s’opposer à cette guerre. Elle peut et doit utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies » (tract d’appel à la manifestation contre la guerre du 12 octobre 2002), ou encore « Nous demandons au gouvernement français de prendre les initiatives nécessaires auprès des instances internationales (Assemblée générale de l’ONU, Cour internationale de Justice,…) pour condamner les Etats agresseurs » (appel à la manifestation du 15 février 2003).

Mais c’est pendant les années 1980, quand Mitterrand était en Europe le fer de lance de la campagne antisoviétique, que la LCR a réellement fait ses preuves comme petit soldat de sa propre bourgeoisie en applaudissant les forces contre-révolutionnaires, de Solidarność aux « démocrates » russes de Boris Eltsine. La contre-révolution capitaliste dans l’ex-Union soviétique a été une énorme défaite pour les travailleurs du monde entier ; elle a encouragé les impérialistes à recourir à la force contre les pays plus faibles, ce qui conduit à une multiplication des bombardements, des guerres et des occupations, avec notamment les massacres en Afghanistan et en Irak et tout récemment en Libye.

Pour une fédération socialiste de l’Afrique du Nord ! Pour la révolution permanente du Maghreb à l’Egypte !

La « révolution arabe » que les NPA et consorts aiment applaudir ne peut par définition pas être une révolution faite par les travailleurs des pays arabes contre leur bourgeoisie car elle confond les travailleurs arabes et les bourgeoisies arabes dans un seul « peuple ». Cette conception nie la nécessité de l’indépendance politique du prolétariat par rapport à toutes les forces bourgeoises et constitue un obstacle au développement des bases mêmes d’une conscience de classe au sein du prolétariat.

Il y a une différence entre les événements en Libye et les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte : dans ces deux derniers pays il existe une classe ouvrière puissante et concentrée qui a joué un rôle de premier plan dans le renversement des régimes en place. Le prolétariat est la seule force qui possède la puissance sociale et l’intérêt de classe nécessaires pour se placer à la tête de tous les pauvres et de tous les opprimés et mener à bien une révolution socialiste pour renverser tous les régimes sanguinaires de la région. Mais pour accomplir cette tâche, la classe ouvrière doit apparaître comme force révolutionnaire sous son propre drapeau.

La tâche des marxistes authentiques est de combattre les illusions dans la nouvelle « révolution arabe » et toutes les manifestations du nationalisme, qui en Egypte a conduit les masses à accorder leur confiance à l’armée, ce qui a ouvert la voie à la répression d’Etat meurtrière de ces dernières semaines et ensuite à la victoire électorale des islamistes réactionnaires ; et de même en Tunisie (voir notre article page 5). Il faut également dissiper les illusions dans l’impérialisme « démocratique », qui seront utilisées par les capitalistes pour dévoyer la lutte contre la dictature. Les bombardements de l’OTAN en Libye, tout comme l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak, sont là pour rappeler que la « démocratie » n’est qu’un masque dissimulant la vraie nature de l’impérialisme, qui par nature cherche à asservir les pays néocoloniaux.

Il faut des partis ouvriers révolutionnaires pour diriger le prolétariat dans la lutte pour la révolution socialiste, contre les régimes militaires bonapartistes, les intégristes islamistes et toutes les forces politiques bourgeoises, ouvrant ainsi la voie à l’émancipation des femmes et à la libération de tous les opprimés et de tous les exploités grâce à la collaboration révolutionnaire avec le prolétariat des centres impérialistes. Les impérialistes chercheront assurément à écraser un mouvement révolutionnaire de ce type : la lutte pour le pouvoir prolétarien en Afrique du Nord et au Proche-Orient doit être liée à la lutte pour le pouvoir ouvrier dans les pays capitalistes avancés. Il y a en France des centaines de milliers de travailleurs d’origine nord-africaine ; ils sont une composante clé des secteurs stratégiques syndiqués du prolétariat ici, et ils constitueront le lien indispensable à cette extension d’une future révolution socialiste. Comme nous l’écrivions (supplément au Bolchévik, mars 2011) :

« Il est clair que le prolétariat libyen a subi un coup terrible dans le conflit actuel ; les travailleurs immigrés – une composante majeure de la classe ouvrière dans ce pays – fuient en masse le chaos, la violence armée et les agressions racistes. L’avenir des masses libyennes sera décidé par une lutte de classe ouvrière s’étendant, au-delà du terrain national, aux prolétariats de l’Algérie, de la Tunisie et tout particulièrement de l’Egypte. Il faut pour cela forger des partis ouvriers révolutionnaires, parties intégrantes d’une Quatrième Internationale authentiquement trotskyste, qui fera le lien entre le combat pour une fédération socialiste de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient et la lutte pour la révolution prolétarienne dans les centres impérialistes. »