Le Bolchévik nº 196

Juin 2011

 

Baie des Cochons, avril 1961 :

La Révolution cubaine a mis en déroute l’invasion soutenue par les USA

Nous célébrons en avril le 50e anniversaire de la défaite de l’invasion de la baie des Cochons (Playa Girón) organisée par la CIA, une tentative d’abattre la révolution sociale qui avait renversé le capitalisme en 1960. Cette attaque, lancée le 17 avril 1961 par des troupes composées de contre-révolutionnaires et de mercenaires équipées de bombardiers, de péniches de débarquement et de chars américains, fut repoussée en moins de trois jours par les héroïques combattants cubains. Les informations sur la composition sociale des forces d’invasion fournies par les autorités cubaines étaient révélatrices : 100 propriétaires de plantation, 67 propriétaires terriens, 35 propriétaires d’usine, 112 entrepreneurs, 179 personnes vivant de revenus ne provenant pas d’un salaire, 194 anciens soldats de la dictature de Batista qui venait d’être renversée par la guérilla de Castro.

C’est le président démocrate John F. Kennedy qui, au début de son mandat de chef des armées de l’impérialisme américain, donna l’ordre de lancer l’opération de la baie des Cochons. Kennedy ne pardonna jamais à la CIA ce fiasco, dont la préparation avait reçu le feu vert de l’administration républicaine Eisenhower un an plus tôt. Par la suite, Kennedy continua de renforcer l’embargo contre Cuba et nomma son frère, le ministre de la Justice Robert F. Kennedy, responsable de l’« opération Mangouste » – une campagne de sabotage, de déstabilisation et de terreur mobilisant la CIA et une série d’agences gouvernementales. Dans le cadre de cette opération furent organisés plusieurs complots visant à assassiner Castro, et d’importants subsides furent versés à un centre d’espionnage à Miami constitué de gusanos (vers de terre, le surnom donné aux contre-révolutionnaires cubains) et de mafiosi. En octobre 1962, pendant la crise des missiles cubains, Kennedy amena le monde au bord de la guerre nucléaire sur la question des missiles soviétiques qui avaient été installés à Cuba avant d’être ensuite retirés.

Les intrigues et autres tentatives d’assassinat ont continué, que les présidents soient démocrates ou républicains. Début avril, un tribunal fédéral d’El Paso a acquitté Luis Posada Carriles, 83 ans, ancien agent de la CIA et survivant de la baie des Cochons, qui était accusé d’avoir menti lors d’une audience d’examen de son dossier d’immigration. Cet assassin est recherché à la fois par Cuba et par le gouvernement capitaliste populiste vénézuélien d’Hugo Chávez pour avoir fait exploser en 1976 un avion de ligne cubain avec 73 personnes à bord ; il est également recherché pour avoir organisé en 1997 des attentats à la bombe qui avaient tué un touriste italien et blessé douze autres personnes dans des hôtels à Cuba. Les fédéraux poursuivaient Posada Carriles en justice pour des infractions à la législation sur l’immigration afin de lui éviter l’extradition réclamée à plusieurs reprises par le Venezuela. Nous disons : extradez Posada Carriles vers Cuba !

Bien que gouvernés par une bureaucratie stalinienne nationaliste, les ouvriers et les paysans de Cuba bénéficient de nombreux acquis du fait du renversement du capitalisme sur l’île. Quand la guérilla petite-bourgeoise de Castro fit son entrée à La Havane en janvier 1959, l’armée et le reste de l’appareil d’Etat capitaliste de la dictature de Batista soutenue par les Etats-Unis furent détruits. Le nouveau gouvernement dut faire face à des tentatives de plus en plus nombreuses de l’impérialisme américain pour le réduire à sa merci par des pressions économiques. Lorsque Eisenhower tenta de diminuer les quotas de sucre cubain en janvier 1960, Castro signa un accord avec l’Union soviétique pour lui en vendre un million de tonnes par an. Quand les raffineries de pétrole détenues par l’impérialisme refusèrent de traiter le brut russe, cela entraîna la nationalisation des entreprises américaines à Cuba en août 1960, y compris les raffineries de sucre, les compagnies pétrolières ainsi que les compagnies d’électricité et de téléphone. En octobre de la même année, 80 % de l’industrie du pays avait été nationalisée. Cuba est devenu un Etat ouvrier déformé suite à ces nationalisations généralisées qui liquidèrent la bourgeoisie en tant que classe.

L’élimination de la production pour le profit et l’introduction d’un semblant de planification centralisée sur l’île ont fourni du travail, un logement et une instruction à tout le monde. Aujourd’hui encore, Cuba a l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde, le pays est réputé pour son système de santé et le nombre d’enseignants et de médecins par habitant est le plus élevé du monde. La mortalité infantile est moins élevée qu’aux Etats-Unis, dans l’Union européenne ou au Canada. Nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier déformé cubain, tout en appelant à une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne, dont le programme nationaliste de « socialisme dans un seul pays » est un obstacle à l’extension nécessaire de la révolution socialiste à l’Amérique latine et, de façon vitale, au bastion de l’impérialisme américain.

La lutte pour défendre et étendre la Révolution cubaine a toujours distingué notre tendance dès ses débuts en tant que Tendance révolutionnaire (RT) à l’intérieur du Socialist Workers Party (SWP). Contre la majorité du SWP qui identifiait le régime de Castro au gouvernement bolchévique révolutionnaire de Lénine et Trotsky, la RT s’est battue pour la conception que Cuba était devenu un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé. En effet, après la baie des Cochons, le régime de Castro resserra son emprise politique sur le pays. Les journaux trotskystes furent censurés, les principaux dirigeants syndicaux furent remplacés par des apparatchiks staliniens, un système de parti unique fut mis en place, etc. La RT défendait la nécessité de construire des partis léninistes-trotskystes à Cuba et aux Etats-Unis, tandis que la majorité du SWP abandonnait de plus en plus totalement toute perspective révolutionnaire en se mettant à la traîne du castrisme et du nationalisme noir.

A partir de cette analyse de la Révolution cubaine, la SL [Spartacist League, notre section américaine] a pu étendre la théorie marxiste pour expliquer comment des Etats ouvriers bureaucratiquement déformés avaient été créés [voir notre brochure Pour la révolution politique ! Les Etats ouvriers déformés et la théorie marxiste : Chine, Cuba, Indochine…]. A Cuba, un mouvement petit-bourgeois a pu, dans des circonstances exceptionnelles – l’absence de la classe ouvrière comme prétendante à part entière au pouvoir, la fuite de la bourgeoisie nationale, l’encerclement par des impérialistes hostiles, l’aide de l’Union soviétique –, finalement détruire les rapports de propriété capitalistes. Mais le castrisme (comme d’autres mouvements de guérilla paysans) ne pouvait pas conduire la classe ouvrière vers le pouvoir politique. Comme nous l’expliquons dans la « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » de la Ligue communiste internationale :

« Dans les circonstances historiques les plus favorables qui puissent se concevoir, la paysannerie petite-bourgeoise n’a été capable de créer qu’un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé, c’est-à-dire un Etat de même ordre que celui qui a émergé de la contre-révolution politique de Staline en Union soviétique, un régime anti-ouvrier qui a bloqué les possibilités d’extension de la révolution sociale en Amérique latine et en Amérique du Nord, et qui a empêché Cuba d’aller plus avant vers le socialisme. Pour mettre la classe ouvrière au pouvoir politique et ouvrir la voie au développement socialiste il faut, en plus, une révolution politique dirigée par un parti trotskyste. »

L’Union soviétique, qui avait fourni à Cuba un soutien militaire et une aide économique cruciaux, n’existe plus ; elle a été détruite par la contre-révolution capitaliste de 1991-1992 qui a suivi des décennies de mauvaise gestion stalinienne et de pressions impérialistes. L’économie cubaine a énormément souffert des conséquences de cette destruction, quoique de façon inégale et non uniforme. La majorité de la bourgeoisie américaine veut continuer à étrangler l’île par l’embargo commercial, mais certains éléments en son sein préconisent le desserrement de l’embargo et la fin de la politique américaine d’isolement diplomatique de Cuba, car ils pensent que ce seraient là des moyens plus efficaces pour renverser les acquis de la révolution. En attendant, Cuba reste dans la ligne de mire des impérialistes, un fait chaque jour rappelé à la population par la présence d’une base navale américaine (également centre de torture et de détention) dans la baie de Guantánamo. Etats-Unis, hors de la baie de Guantánamo, immédiatement ! La défense de l’Etat ouvrier déformé cubain contre l’ennemi de classe fait partie intégrante de notre programme pour le renversement de l’impérialisme américain sanguinaire par la révolution prolétarienne ici, dans le « ventre de la bête ».

Traduit de Workers Vanguard n° 978, 15 avril