Le Bolchévik nº 196

Juin 2011

 

Hommage à la Commune de Paris

Au 140e anniversaire de la Commune de Paris, nous rendons hommage aux militants prolétariens héroïques qui ont pris le pouvoir à Paris en mars 1871, la première expression historique de la dictature du prolétariat. Deux mois plus tard, l’armée française écrasait la Commune dans le sang. Des dizaines de milliers de communards furent massacrés et des dizaines de milliers d’autres furent emprisonnés ou déportés. Nous reproduisons ci-après des extraits de l’Etat et la révolution, œuvre fondamentale de Lénine écrite à la veille de la Révolution d’octobre 1917.

* * *

On sait que, quelques mois avant la Commune, au cours de l’automne 1870, Marx avait adressé une mise en garde aux ouvriers parisiens, s’attachant à leur démontrer que toute tentative de renverser le gouvernement serait une sottise inspirée par le désespoir. Mais lorsque, en mars 1871, la bataille décisive fut imposée aux ouvriers et que, ceux-ci l’ayant acceptée, l’insurrection devint un fait, Marx, en dépit des conditions défavorables, salua avec le plus vif enthousiasme la révolution prolétarienne. Il ne s’entêta point à condamner par pédantisme un mouvement « inopportun », comme le fit le tristement célèbre renégat russe du marxisme, Plékhanov, dont les écrits de novembre 1905 constituaient un encouragement à la lutte des ouvriers et des paysans, mais qui, après décembre 1905, clamait avec les libéraux : « Il ne fallait pas prendre les armes. »

Marx ne se contenta d’ailleurs pas d’admirer l’héroïsme des communards « montant à l’assaut du ciel », selon son expression. Dans le mouvement révolutionnaire des masses, bien que celui-ci n’eût pas atteint son but, il voyait une expérience historique d’une portée immense, un certain pas en avant de la révolution prolétarienne universelle, un pas réel bien plus important que des centaines de programmes et de raisonnements. Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, s’en servir pour passer au crible sa théorie : telle est la tâche que Marx se fixa.

La seule « correction » que Marx ait jugé nécessaire d’apporter au Manifeste communiste, il la fit en s’inspirant de l’expérience révolutionnaire des communards parisiens.

La dernière préface à une nouvelle édition allemande du Manifeste communiste, signée de ses deux auteurs, est datée du 24 juin 1872. Karl Marx et Friedrich Engels y déclarent que le programme du Manifeste communiste « est aujourd’hui vieilli sur certains points ».

« La Commune, notamment, a démontré – poursuivent-ils – que “la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’Etat, toute prête, et de la faire fonctionner pour son propre compte” »…

Les derniers mots de cette citation, mis entre guillemets, sont empruntés par les auteurs à l’ouvrage de Marx la Guerre civile en France.

Ainsi, Marx et Engels attribuaient à l’une des leçons principales, fondamentales, de la Commune de Paris une portée si grande qu’ils l’ont introduite, comme une correction essentielle, dans le Manifeste communiste.

Chose extrêmement caractéristique : c’est précisément cette correction essentielle qui a été dénaturée par les opportunistes, et les neuf dixièmes, sinon les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des lecteurs du Manifeste communiste, en ignorent certainement le sens. […] Qu’il nous suffise, pour l’instant, de marquer que l’« interprétation » courante, vulgaire, de la fameuse formule de Marx citée par nous est que celui-ci aurait souligné l’idée d’une évolution lente, par opposition à la prise du pouvoir, etc.

En réalité, c’est exactement le contraire. L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la « machine de l’Etat toute prête », et ne pas se borner à en prendre possession.

Le 12 avril 1871, c’est-à-dire justement pendant la Commune, Marx écrivait à Kugelmann :

« …Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la Révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la briser. (Souligné par Marx ; dans l’original, le mot est zerbrechen.) C’est la condition première de toute révolution populaire réelle sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris » (Neue Zeit, XX, 1, 1901-1902, p. 709.) […]

« Briser la machine bureaucratique et militaire » : en ces quelques mots se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à l’égard de l’Etat au cours de la révolution.