Le Bolchévik nº 195 |
Mars 2011 |
Espagne : Le gouvernement « socialiste » décrète la loi martiale pour briser la grève
Défense des aiguilleurs du ciel !
L’article ci-dessous a été traduit de Workers Vanguard n° 871 (7 janvier).
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Le 4 décembre dernier, le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), dirigé par Luis Rodríguez Zapatero, déclarait la guerre à la classe ouvrière espagnole en décrétant « l’état d’urgence » dans les aéroports en réponse à un arrêt de travail des aiguilleurs du ciel. En application de mesures de loi martiale qui n’avaient plus été utilisées depuis la fin de la dictature sanguinaire du général Francisco Franco dans les années 1970, des policiers en armes sont allés chercher des adhérents du syndicat USCA des aiguilleurs du ciel dans un hôtel de Madrid où ils tenaient réunion et les ont contraints à reprendre le service dans les tours de contrôle. Les aiguilleurs du ciel ont été contraints de reprendre le travail sous peine d’arrestation ; ceux qui avaient participé aux arrêts de travail risquent aujourd’hui jusqu’à huit ans de prison pour actes séditieux. Afin d’éviter des grèves pendant les vacances de Noël, ces mesures d’urgence ont été prolongées jusqu’au 15 janvier.
Il y va de l’intérêt vital des travailleurs en Espagne, et dans toute l’Europe, de défendre les aiguilleurs du ciel. Une attaque contre un est une attaque contre tous ! Levée des inculpations des aiguilleurs du ciel !
Les aiguilleurs du ciel font remarquer que le gouvernement s’était livré à des provocations savamment calculées pour pousser à une épreuve de force et fournir un prétexte à la répression. Début 2010, il avait augmenté leur charge de travail annuelle, limité le paiement des heures supplémentaires et divisé les salaires par deux. L’année dernière, la plupart des aiguilleurs du ciel espagnols ont travaillé au-delà du maximum légal de 1 670 heures, et avec les nouvelles règles décrétées par le gouvernement, les arrêts maladie et les temps de récupération ne sont plus inclus dans le total annuel. En novembre dernier, ils s’étaient massivement mis en arrêt maladie immédiatement après l’annonce par le gouvernement de nouvelles attaques contre leurs conditions de travail, dans le cadre de la privatisation annoncée de 49 % d’Aena, la direction de l’aviation civile espagnole.
La campagne lancée par le gouvernement du PSOE contre les aiguilleurs du ciel s’inscrit dans le contexte de la crise financière capitaliste qui fait des ravages dans les pays de l’Union européenne (UE). Elle arrive peu après l’annonce par l’UE et le FMI d’un plan de renflouement des banques irlandaises de 85 milliards d’euros, et quelques mois après le plan de sauvetage de 110 milliards d’euros pour la Grèce, en contrepartie de la mise en place de mesures d’austérité drastiques. Le déficit budgétaire espagnol est le plus élevé de la zone euro après celui de la Grèce et de l’Irlande. D’après un article publié sur le site Web du Financial Times (15 décembre 2010), « Les taux des marchés suggèrent qu’il y a une chance sur quatre que l’Espagne se retrouve en cessation de paiements au cours des cinq prochaines années. » Le même article ajoute :
« Les analystes examinent par conséquent l’éventualité jusque-là impensable que l’Espagne ait besoin de solliciter un renflouement en puisant dans les 750 milliards d’euros disponibles auprès du fonds européen de stabilisation financière, du Fonds monétaire international et de l’Union européenne, ou même qu’elle négocie une cessation de paiements. L’une ou l’autre de ces options aurait de graves conséquences, étant donné que l’économie espagnole pèse plus que celles de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande réunies. »
En décrétant des mesures militaires contre les aiguilleurs du ciel, le gouvernement envoie un message aux marchés financiers internationaux : il est prêt à utiliser la répression brute pour intimider les syndicats et les réduire à la soumission. Le Wall Street Journal (8 décembre) notait avec approbation que « la réaction sévère du gouvernement a renforcé la position d’un Premier ministre en difficulté, et pourrait lui attirer davantage de soutiens pour faire passer des réformes ». Ce même article note que le coût des emprunts effectués par le gouvernement espagnol, qui avait augmenté en flèche pendant les semaines précédant la proclamation de l’état d’urgence, a commencé à diminuer immédiatement après. Parmi les projets de « réformes » du gouvernement figurent l’allongement de deux ans de l’âge de la retraite, qui passerait à 67 ans, et la suppression de l’allocation pourtant misérable de 426 euros que reçoivent les chômeurs de longue durée. Ceci dans un pays avec un taux de chômage de 20 %, le plus élevé de la zone euro.
L’attaque contre les aiguilleurs du ciel constitue une menace mortelle pour le mouvement syndical. Du fait notamment de l’importance du secteur du tourisme en Espagne, les travailleurs de l’industrie des transports aériens occupent une position stratégique et ont une énorme puissance sociale. En même temps, les syndicats sont généralement divisés selon leur alignement sur différents partis politiques, ce qui affaiblit leur capacité de lutte. Ce qu’il faut, c’est unir tous les travailleurs dans des syndicats industriels, avec par exemple un syndicat unique qui réunirait les pilotes, les aiguilleurs du ciel, les mécaniciens, les bagagistes et les hôtesses et stewards.
En réaction à la proclamation de l’état d’urgence, il aurait fallu des actions de protestation de masse de la part des puissantes fédérations syndicales espagnoles l’Union générale des travailleurs (UGT), alignée sur le PSOE, et les Commissions ouvrières (CC.OO.) liées à la coalition de la Gauche unie (Izquierda Unida, IU), au sein de laquelle le Parti communiste espagnol (PCE) est la force dominante. Au lieu de cela, les bureaucrates syndicaux de ces deux fédérations, qui soutiennent le gouvernement du PSOE, ont scandaleusement repris à leur compte les attaques de Zapatero contre les grévistes. Cándido Méndez, le secrétaire général de l’UGT, a dénoncé la mobilisation des aiguilleurs du ciel comme « aucunement justifiée », tandis qu’une déclaration publiée le 6 décembre dernier sur le site Web des CC.OO. la déclarait « intolérable » et la traitait d’« acte d’une grave irresponsabilité, qui mérite de notre part “le rejet le plus ferme et le plus total” ».
Confrontés aux attaques les plus féroces depuis des dizaines d’années contre leur emploi et leur niveau de vie, les travailleurs, dans toute l’Europe et notamment en Grèce et en France ont mené d’importantes batailles de classe. Mais ces luttes des travailleurs ont été sapées par la banqueroute politique de leurs directions réformistes traîtres, qui acquiescent à l’austérité capitaliste et cherchent simplement à faire passer la pilule en en atténuant un peu les effets. Ceci souligne la nécessité de forger une direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Une telle direction, se basant sur la ferme conviction que les intérêts des travailleurs et ceux des patrons sont inconciliables, lutterait pour ce dont les travailleurs ont besoin, et non pas pour ce que les patrons disent qu’ils peuvent se permettre d’accorder. Ceci doit faire partie intégrante de la lutte pour forger un parti ouvrier révolutionnaire basé sur la conception marxiste que le système capitaliste doit être renversé par une révolution socialiste.
En Espagne, les dirigeants de l’UGT et des CC.OO. s’appliquent à défendre les intérêts de « leur » classe dirigeante capitaliste. Méndez, le secrétaire général de l’UGT, a déclaré carrément que : « La paix sociale est le droit inaliénable et la responsabilité de tous. Ce n’est pas nous qui rompons la paix sociale, et nous ne voulons pas le faire dans l’avenir » (abc.es, 23 février 2010). En juin 2010, après l’annonce par Zapatero d’une nouvelle loi attaquant les droits des travailleurs, les dirigeants de l’UGT et des CC.OO. avaient appelé à une grève générale d’une journée trois mois après, ce qui revenait à demander au gouvernement la permission de faire grève. La grève générale du 29 septembre a été menée avec comme mot d’ordre « Pas comme ça », et comme revendication une « sortie de crise juste et équilibrée ».
Il faut forger un parti trotskyste en Espagne !
Pour justifier leur refus de défendre les aiguilleurs du ciel une trahison de classe les dirigeants traîtres de l’UGT et des CC.OO. expliquaient que l’USCA n’est pas un syndicat, et que les aiguilleurs du ciel sont des privilégiés très bien payés. Plusieurs groupes de gauche réformistes, qui ont l’habitude de se tourner vers le PSOE pour défendre la « démocratie » et empêcher la droite bourgeoise de retourner au pouvoir ont eux aussi joint leur voix aux dénonciations des aiguilleurs du ciel. La Gauche unie se lamente beaucoup de la proclamation de l’état d’urgence, mais cela n’a pas empêché Gaspar Llamazares, son représentant au parlement, de dénoncer la mobilisation des aiguilleurs du ciel, la qualifiant d’« abus de pouvoir contre les travailleurs » qui laissera les syndicats « affaiblis pour défendre les droits syndicaux et sociaux ».
Au contraire, un communiqué de presse publié le 5 décembre dernier par le STAVLA, un syndicat des hôtesses et stewards, identifiait clairement les enjeux pour le mouvement syndical. Après avoir affirmé son soutien inconditionnel aux aiguilleurs du ciel, le STAVLA exprimait son espoir que :
« leur action HEROIQUE et leur courage auront pour effet de réveiller une société endormie, individualiste et déprimée, afin qu’elle lutte pour ses droits économiques et syndicaux dans le pays où le taux de chômage est le plus élevé d’Europe. Si nous nous laissons abuser par les manipulations perverses du gouvernement et si nous applaudissons à son action, nous aurons permis à cette attaque contre les droits fondamentaux de tous les travailleurs espagnols de réussir et de se perpétuer. »
Les aiguilleurs du ciel espagnols sont un groupe de cols blancs bien payés, à la marge du mouvement syndical. Mais si Zapatero arrive à faire passer cette attaque scandaleuse contre l’USCA, son gouvernement aura obtenu un feu vert pour mener d’autres attaques contre la classe ouvrière tout entière. De fait, à l’été 2010, le conseil régional de Madrid, dirigé par la droite, a menacé de recourir à l’armée pour briser une grève du métro.
L’attaque de Zapatero contre les aiguilleurs du ciel et la réaction des bureaucrates syndicaux et des réformistes rappellent celle menée en 1981 par le président américain Ronald Reagan contre PATCO, le syndicat américain des aiguilleurs du ciel. Il avait réagi à la grève de PATCO en faisant mettre à pied 12 000 de ses adhérents, tandis que les dirigeants du syndicat étaient conduits en prison menottés. Comme aujourd’hui en Espagne, les syndicats avaient la puissance sociale nécessaire pour bloquer les aéroports et mettre en échec cette attaque. Mais les dirigeants traîtres des syndicats américains ont refusé de mobiliser cette puissance sociale, ce qui a encouragé la bourgeoisie à lancer des attaques massives contre le mouvement syndical dans son ensemble.
Le gouvernement espagnol et Aena ont imposé des conditions de travail épouvantables aux aiguilleurs du ciel, qui sont bien entendu obligés de faire des heures supplémentaires parce que les patrons d’Aena refusent d’embaucher suffisamment. Ces conditions de travail sont une menace directe pour la sécurité des vols, une situation considérablement aggravée par l’état d’urgence. La Fédération internationale des aiguilleurs du ciel (IFATCA) a sorti un communiqué déclarant : « Etant donné la contrainte sous laquelle nos collègues espagnols sont obligés de travailler, l’IFATCA déclare que la sécurité de l’espace aérien et des aéroports espagnols restera gravement menacée tant que le contrôle de l’armée restera en vigueur. »
Alors même que la loi martiale décrétée par Zapatero constitue une remise en cause des droits démocratiques, la réaction des réformistes a été de colporter des illusions dans la démocratie bourgeoise. Les marxistes savent bien que le gouvernement est le comité exécutif de la classe dirigeante. Comme l’expliquait Lénine dans la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky (1918), « Il n’est point d’Etat, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa Constitution des biais ou restrictions permettant à la bourgeoisie de lancer la troupe contre les ouvriers, de proclamer la loi martiale, etc., “en cas de violation de l’ordre”, mais, en fait, au cas où la classe exploitée “violait” son état d’asservissement et si elle avait la velléité de ne pas se conduire en esclave. » L’Etat capitaliste, qui est là pour défendre le pouvoir de la bourgeoisie, ne peut pas être réformé et mis au service des intérêts des opprimés ; il doit être renversé par une révolution ouvrière et remplacé par un Etat ouvrier.
Le 10 décembre, en opposition au conseil régional de droite de Madrid, les dirigeants de l’UGT et des CC.OO. à Madrid avaient organisé des lectures publiques d’articles de la Constitution espagnole qui garantit officiellement le droit au travail et le droit de grève. Soutenue par le PSOE et le PCE, la Constitution déclare que l’Etat espagnol est une monarchie parlementaire. Le roi actuel, Juan Carlos de Borbón, a été choisi par Franco lui-même pour lui succéder à la tête de l’Etat. La Constitution formalise également la perpétuation de l’oppression des minorités nationales en particulier les Basques et les Catalans au nom de « l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ». Le roi n’est pas une simple figure ornementale, mais le commandant en chef des forces armées. C’est Juan Carlos qui a signé le décret royal proclamant l’état d’urgence contre les aiguilleurs du ciel.
Pendant la Guerre civile espagnole de 1936-1939, le PSOE et le PCE, ainsi que les anarchistes et les centristes du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) avaient pavé la voie à la dictature du boucher Franco en liquidant une révolution prolétarienne et en subordonnant la classe ouvrière à la bourgeoisie « démocratique » (voir « Trotskysme contre front-populisme dans la guerre civile espagnole », Spartacist édition française n° 39, été 2009). Après la mort du dictateur en novembre 1975, les réformistes sont à nouveau venus au secours des capitalistes, au moment où une puissante vague de grèves menaçait d’ébranler de fond en comble l’ordre bourgeois. Cette trahison a elle aussi été perpétrée au nom de la « démocratie ».
La monarchie espagnole, l’héritage du franquisme et tout le système capitaliste peuvent et doivent être balayés par une révolution ouvrière. Ce qu’il faut, c’est construire un parti d’avant-garde léniniste-trotskyste pour conduire le prolétariat, à la tête de tous les opprimés, dans la lutte pour un gouvernement ouvrier qui expropriera les sangsues capitalistes et commencera à construire un ordre socialiste égalitaire basé sur une expansion massive des forces productives. Ce parti devra se faire le champion des droits à l’autodétermination des nations opprimées, des pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés, de l’émancipation des femmes et des pleins droits démocratiques pour les homosexuels. Pour une fédération des républiques ouvrières dans la péninsule Ibérique ! Pour des Etats-Unis socialistes d’Europe !