Le Bolchévik nº 194 |
Décembre 2010 |
Le gouvernement de Dublin lance une attaque sauvage contre la classe ouvrière
L’Irlande ravagée par la crise économique européenne
L’article ci-dessous, écrit par nos camarades de la Spartacist League/Britain, est traduit de Workers Vanguard n° 970, 3 décembre.
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Confrontée à une crise financière dramatique qui menace d’engloutir d’autres pays européens, l’Irlande est en plein cauchemar économique. Avec des banques irlandaises exposées à des dettes massives dites « toxiques », le gouvernement de Dublin a été contraint de négocier un plan de sauvetage d’environ 85 milliards d’euros auprès du fonds d’urgence de l’Union européenne (UE). Avant même que les conditions du plan de sauvetage des banques aient été approuvées par la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement irlandais a annoncé un plan brutal d’austérité visant à réduire de 15 milliards d’euros le budget (déjà considérablement amputé).
Le « Plan national de redressement » élaboré par le Taoiseach (Premier ministre) Brian Cowen, du parti Fianna Fail, représente l’attaque la plus sévère contre le niveau de vie des travailleurs dans toute l’histoire de l’Etat irlandais. Soutenu par le Parti vert, partenaire de Cowen dans la coalition gouvernementale, le plan inclut la suppression d’environ 25 000 emplois dans le secteur public, de fortes hausses des impôts et des frais d’inscription des étudiants, de nouvelles réductions des prestations sociales et des salaires du secteur public ainsi qu’une réduction punitive d’un euro par heure du salaire minimum. Le budget doit être approuvé par le Dail (parlement) début décembre. Des élections législatives doivent suivre en janvier 2011, si le gouvernement n’est pas tombé d’ici là.
Néanmoins, le budget draconien de Dublin n’a pas suffi à calmer les marchés financiers, et les ventes massives de titres de dettes continue, ce qui entraîne l’explosion du coût des emprunts publics. La crise irlandaise arrive à peine six mois après le plan de sauvetage monstre de 110 milliards d’euros de l’UE pour la Grèce ; aujourd’hui, le Portugal et l’Espagne, fortement endettés, sont déjà rattrapés par la panique qui touche les marchés financiers européens, et des pays comme la Belgique sont aussi en grand danger. Les fonds destinés au sauvetage de l’Irlande vont servir à soutenir ses principaux créanciers, qui sont principalement des banques britanniques. Parmi celles-ci figurent la Royal Bank of Scotland et la Lloyds, qui toutes deux ont déjà été renflouées par les contribuables britanniques et qui, à elles deux, détiennent pour près de 80 milliards de livres [95 milliards d’euros] de dette irlandaise.
Les banques françaises et allemandes détiennent aussi beaucoup de dette irlandaise. Mais la vraie inquiétude concerne l’Espagne dont l’économie (sans parler du déficit) est considérablement plus grande que celles de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal réunies et pourrait être tout simplement trop grande pour que l’UE puisse la renflouer. Si la crise s’étend au-delà de l’Irlande, cela pourrait remettre en question l’existence de la monnaie unique européenne.
Le renflouement des banques européennes est l’objectif principal des plans de sauvetage impérialistes de l’Irlande, de la Grèce et de tous les autres pays dont il est question. En Irlande, en Grande-Bretagne et dans l’ensemble de l’Europe, chaque gouvernement est déterminé à faire payer aux masses travailleuses une crise qui est causée par le système capitaliste lui-même. Les mesures d’austérité que les gouvernements sont en train d’essayer de faire passer incluent des coupes claires dans les salaires des travailleurs du secteur public, la réduction des retraites et l’augmentation des impôts, toutes choses qui frappent plus durement les plus pauvres. En Irlande et ailleurs, ceci inclut les travailleurs immigrés.
Pour une lutte de classe contre l’austérité capitaliste !
Le seul moyen de lutter contre ces attaques, c’est par une lutte de classe sans concession. Cette année, la classe ouvrière grecque a déjà mené plusieurs grèves d’une journée contre l’austérité. En septembre et en octobre, les syndicats français ont plusieurs fois paralysé le pays notamment en bloquant les raffineries — en opposition à la loi visant à augmenter l’âge de la retraite. Et les syndicats espagnols et portugais ont organisé des grèves générales d’une journée contre les mesures d’austérité. Cependant, l’efficacité des luttes des travailleurs a été émoussée par la banqueroute politique des directions réformistes des travailleurs qui acceptent l’austérité capitaliste comme inéluctable tout en cherchant à atténuer les coups.
Ce qui est nécessaire, c’est de forger une direction révolutionnaire de la classe ouvrière basée sur la conception que le prolétariat et les vampires capitalistes n’ont aucun intérêt en commun : les travailleurs doivent se battre pour ce dont ils ont besoin, et non pour ce que les patrons disent pouvoir se permettre. Au pouvoir capitaliste qui a mené l’Irlande au bord de la banqueroute, les travailleurs doivent dire : A bas le Plan national de redressement ! Mais pour mettre en branle la puissance sociale de la classe ouvrière organisée et forger une direction lutte de classe dans les syndicats, il faut mener une lutte politique contre la bureaucratie réformiste des syndicats et les dirigeants du Parti travailliste qui ont pris l’engagement de défendre les intérêts du capitalisme irlandais.
La servilité de la bureaucratie syndicale s’est manifestée début 2010, quand les dirigeants des principaux syndicats irlandais ont signé avec le gouvernement l’« accord de Croke Park », par lequel ils s’engageaient en fait à renoncer à la lutte de classe contre une série de réductions budgétaires déjà annoncées, et ce jusqu’en 2014. L’un des signataires, Jack O’Connor, dirigeant du Syndicat des personnels techniques, industriels et des services, a expliqué qu’il n’y avait aucune alternative. « Supposons un instant que nous puissions gagner une bataille industrielle pour un meilleur accord nous serions toujours confrontés au déficit », déclarait-il au Financial Times de Londres (23 mai). L’accord de Croke Park est l’aboutissement d’années d’accords de « partenariat » traîtres qui ont maintenu les salaires des travailleurs à un bas niveau durant les années de boom afin de soutenir l’économie du « tigre celtique ». Il n’y a pas de partenariat entre le capital et le travail, dont les intérêts de classe sont inconciliables !
Lors d’une manifestation de masse organisée à l’appel du Congrès des syndicats irlandais (ICTU) le 27 novembre, O’Connor a été hué par les manifestants qui criaient « Vendu ! » Le slogan de l’ICTU pour la manifestation était « Il y a un meilleur moyen, plus juste » de résoudre la crise capitaliste. Un des plus grands syndicats du pays, le Syndicat des électriciens et des techniciens, a appelé à une campagne de désobéissance civile « si le gouvernement n’organise pas de nouvelles élections législatives ». A la remorque du Parti travailliste et des dirigeants syndicaux, les groupes de gauche réformistes sont aussi en train de jeter leurs filets pour les élections législatives. Joe Higgins, député du Socialist Party au Parlement européen, a annoncé que son parti va s’associer avec ce qui reste du Socialist Workers Party (SWP) pour former la United Left Alliance (Alliance de la gauche unie ULA). Higgins a été rejoint par Richard Boyd-Barrett, un conseiller municipal élu sur la liste « People Before Profit Alliance » [Alliance pour les gens avant les profits] conduite par le SWP.
Afin que personne ne pense que l’ULA représente une menace pour l’Etat capitaliste irlandais, Boyd-Barrett assurait dans une déclaration à l’Irish Times ( 26 novembre) que cette alliance était basée sur de « simples principes de solidarité et de pouvoir populaire », et qu’il ne s’agissait pas « de parler d’extrémisme ». Le SWP est tellement embourbé dans l’idéologie de la « mort du communisme » que même les réformistes invétérés du Socialist Party déplorent que le SWP ait argumenté que « des politiques socialistes dissuaderont les gens de voter pour nos candidats ou de s’impliquer dans une alliance de gauche » (socialistparty.net, 11 novembre).
Quant à la version du « socialisme » que propose le Socialist Party, elle n’est pas autre chose que du réformisme travailliste à l’ancienne, résumé aujourd’hui dans son appel à la nationalisation des banques (accompagné du mot d’ordre « assez de plans de sauvetage »). Même en laissant de côté le fait que les banques sont soit déjà nationalisées, partiellement nationalisées ou sur le point de l’être, ce n’est nullement une mesure « socialiste » mais simplement un plan pour essayer de remédier à la crise capitaliste. Loin de constituer une remise en cause de l’Etat capitaliste clérical irlandais, l’ULA ne sera rien d’autre qu’un auxiliaire du Parti travailliste.
Des élections législatives conduiront presque certainement à un gouvernement de coalition entre le Fine Gael, un parti bourgeois, et le Parti travailliste. En effet, on estime actuellement que le Parti travailliste attirera les voix des travailleurs qui votaient traditionnellement pour le Fianna Fail. Actuellement crédité par les sondages de 27 % des intentions de vote, contre 10-12 % habituellement, le rôle potentiel du Parti travailliste dans le prochain gouvernement sera particulièrement utile pour la classe capitaliste. En promettant de « donner au peuple la direction nécessaire pour remettre ce pays sur la bonne voie, reconstruire l’économie et restaurer le moral de la nation », le Parti travailliste est le mieux placé pour essayer de convaincre la classe ouvrière de baisser les bras et d’accepter l’austérité.
En Irlande, les gouvernements de « gauche » prennent la forme de « fronts populaires » c’est-à-dire de coalitions entre les réformistes du Parti travailliste et des représentants déclarés de la bourgeoisie. Les révolutionnaires sont inconditionnellement opposés à ce genre d’alliances qui enchaînent les travailleurs à l’ennemi de classe capitaliste. De même, nous sommes opposés à tout vote pour des partis bourgeois, y compris pour les nationalistes du Sinn Féin et les Verts.
Le Sinn Féin cherche lui-même à profiter du déclin du Fianna Fail. Le dirigeant du Sinn Féin Gerry Adams, un dirigeant de longue date du parti en Irlande du Nord [dominée par les protestants], se présente pour un siège au Dail au sud de la frontière. Martin McGuinness, du Sinn Féin, occupe le poste de premier ministre adjoint dans l’assemblée d’Irlande du Nord, où son parti a montré sa loyauté envers l’Etat orangiste protestant, y compris à sa force de police qui est tristement célèbre pour sa brutale répression de la minorité catholique opprimée. L’armée britannique maintient sur place une garnison de plusieurs milliers de soldats qui peuvent être appelés immédiatement pour porter « assistance » au Service de police d’Irlande du Nord/Police royale de l’Ulster. Nous disons : Tous les soldats britanniques et leurs bases hors d’Irlande du Nord immédiatement !
Le soutien du Sinn Féin à la répression contre les républicains irlandais dissidents en Irlande du Nord devrait plaire au gouvernement de Dublin, qui a mené la répression contre les républicains depuis la fondation de la république d’Irlande en 1921-1922. Le Sinn Féin et le Fianna Fail sont unis dans leur soutien au nationalisme catholique qui est vicieusement anti-femmes, anti-gens du voyage et anti-classe ouvrière. Le Sinn Féin a concocté son propre plan de redressement économique en promettant de réduire les dépenses. Ceci est une preuve supplémentaire de son engagement au service des banques, des patrons et de leur système capitaliste, qui est en train de ruiner les vies de la classe ouvrière.
Pour l’internationalisme prolétarien !
D’après l’économiste irlandais Morgan Kelly, près de 100 000 bénéficiaires de prêts hypothécaires vont se retrouver incapables d’honorer leurs emprunts dans la période qui vient : « Les gens font l’impossible ils ne payent pas d’autres factures et empruntent de fortes sommes à leurs parents afin de pouvoir rembourser leurs emprunts, à la fois parce qu’ils ont peur de perdre leur domicile et pour éviter la honte de reconnaître qu’ils sont ruinés », explique-t-il (Irish Times, 8 novembre). Il notait que la présence d’une équipe permanente « d’observateurs » de la Banque centrale européenne au Département des finances de Dublin (surnommés collectivement « les Allemands ») a provoqué un concert d’indignation nationaliste sur l’abandon à l’UE de la « souveraineté » de l’Irlande.
Le plan de sauvetage irlandais a aussi provoqué un déferlement de chauvinisme en Angleterre, au moins de la part des députés de l’aile droite du Parti conservateur. Cependant, la situation n’est pas dépourvue d’ironie. Notant que la « Grande-Bretagne lourdement endettée est en train d’emprunter presque 7 milliards de livres supplémentaires pour les prêter à une Irlande endettée de façon catastrophique », le journaliste Philip Stephens remarquait dans le Financial Times (22 novembre) que les opposants conservateurs à l’UE ne savaient pas s’ils devaient « savourer la crise de la zone euro ou réprimander David Cameron pour avoir contribué au plan de sauvetage irlandais ».
Le Premier Ministre britannique Cameron a essayé d’apaiser ses députés en prétendant que les 7 milliards de livres que le gouvernement a mis à la disposition de l’Irlande étaient juste de l’aide « pour un ami dans le besoin ». Pas exactement : le gouvernement capitaliste britannique est en train d’offrir à l’Irlande un prêt qui, s’il est accepté, devra être remboursé. C’est ce que le gouvernement britannique exige aujourd’hui de l’Islande qui a reçu un prêt de ce genre quand son système bancaire s’est effondré en 2008 et que l’économie a été précipitée dans la récession. A l’époque, le gouvernement travailliste britannique avait offert un prêt non par générosité mais parce que les banques islandaises détenaient d’énormes sommes appartenant à des investisseurs britanniques, y compris des municipalités. Les motivations de Cameron en ce qui concerne l’Irlande ne sont pas sans rapport avec le fait que l’économie britannique est en plein marasme et que les échanges commerciaux de la Grande-Bretagne avec l’Irlande excèdent ceux avec la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie réunis.
La classe ouvrière doit comprendre que le système capitaliste lui-même peut et doit être renversé par une révolution ouvrière. Une direction révolutionnaire lutterait pour une série de revendications transitoires faisant le lien entre les attaques actuelles contre la classe ouvrière et les pauvres et la conscience de la nécessité d’une révolution prolétarienne. Confrontée au chômage de masse, une direction lutte de classe dans les syndicats réclamerait le partage du temps de travail entre toutes les mains ouvrières, sans diminution des salaires. Contre la précarité de l’emploi, il est nécessaire d’éliminer les différences entre les travailleurs en CDD et en CDI, ce qui nécessite de lutter pour syndiquer les non-syndiqués. Dans l’intérêt des femmes, qui sont particulièrement opprimées sous l’Etat capitaliste clérical irlandais, nous réclamons le droit à l’avortement libre et gratuit et des crèches gratuites et de qualité ouvertes 24h sur 24. Contre le racisme de l’Etat bourgeois et sa politique de diviser pour régner, nous exigeons les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !
Nous sommes implacablement opposés à l’UE, un bloc commercial impérialiste à l’intérieur duquel les grandes puissances impérialistes européennes coopèrent contre la classe ouvrière et les immigrés, ainsi que contre leurs rivaux impérialistes aux Etats-Unis et au Japon. A l’intérieur de l’UE, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne dominent les Etats-membres plus pauvres du « deuxième cercle », qui incluent les pays d’Europe de l’Est dévastés par la contre-révolution capitaliste, laquelle a aussi détruit l’Union soviétique en 1991-1992. Aujourd’hui l’Europe de l’Est est utilisée comme un marché et comme une source de main-d’uvre à bas prix et de matières premières par les grandes puissances de l’UE.
La monnaie unique européenne a permis à l’impérialisme allemand d’accroître sa compétitivité aux dépens des autres pays de la zone euro. Mais la monnaie unique, et l’UE elle-même, sont intrinsèquement instables, sujettes aux intérêts nationaux conflictuels des gouvernements capitalistes européens. Notre opposition prolétarienne et internationaliste à l’UE est à l’opposé de l’« euroscepticisme » réactionnaire et du chauvinisme qui sont un poison pour la lutte de classes, parce qu’ils servent à dresser les uns contre les autres les travailleurs selon des divisions nationales et qu’ils renforcent le racisme.
Les taux de croissance extraordinaires de l’Irlande pendant les années du « tigre celtique » étaient basés sur un impôt sur les sociétés extrêmement bas, un boom dans la construction et une bulle du marché immobilier. Les entreprises américaines ont profité non seulement d’un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, mais aussi d’une escroquerie connue sous le nom de « Double Irish ». Ceci n’est pas une double dose de whisky Jameson mais une méthode pour échapper même aux faibles taux d’imposition en déplaçant les profits dans et hors des filiales irlandaises. Cette méthode d’évasion fiscale était particulièrement appréciée par Facebook et Google.
La classe ouvrière irlandaise est maintenant victime du cycle boom-récession qui est inévitable sous le capitalisme. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le seul moyen de sortir de cette crise est que les travailleurs d’Irlande au Nord et au Sud se joignent au prolétariat multiethnique de Grande-Bretagne, qui a une forte composante irlandaise, pour renverser l’ordre capitaliste dans toutes les îles britanniques. La classe ouvrière de Grande-Bretagne, qui doit actuellement affronter une énorme attaque sous la forme des réductions budgétaires du gouvernement libéral démocrate/conservateur, doit mener une lutte de classe pour défendre ses propres intérêts et forger une nouvelle direction révolutionnaire en opposition au réformisme travailliste.
En tant qu’internationalistes prolétariens, nous nous opposons vigoureusement au protectionnisme nationaliste et au chauvinisme anti-irlandais, qui s’exprime avec virulence dans le slogan « les emplois britanniques pour des travailleurs britanniques ». Notre programme pour une république ouvrière en Irlande, partie intégrante d’une fédération volontaire des républiques socialistes des îles britanniques, est basé sur la conviction que le sort de la classe ouvrière sur ces îles y est indissolublement lié. La révolution socialiste balayera le « Royaume-Uni » réactionnaire, le mini-Etat orangiste en Irlande du Nord, qui est de façon inhérente un instrument d’oppression contre la minorité catholique, et l’Etat clérical catholique au Sud. Notre tâche est de construire des partis léninistes-trotskystes déterminés à lutter pour la révolution socialiste sur les deux rives de la mer d’Irlande une partie essentielle de la lutte pour des Etats-Unis socialistes d’Europe.