Le Bolchévik nº 191

Mars 2010

 

Besancenot et la Françafrique

Le NPA social-démocrate soutient le coup d’Etat militaire au Niger

Le 18 février avait lieu un coup d’Etat militaire au Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde. Ce pays enclavé du Sahel possède d’importantes mines d’uranium, exploitées depuis 40 ans par le groupe français Areva (et ses prédécesseurs), qui tire du Niger près de la moitié de l’uranium qu’il extrait chaque année. L’uranium est un métal d’importance stratégique particulièrement pour l’impérialisme français avec ses centrales nucléaires – et ses bombes atomiques. Le pays, dont de Gaulle avait organisé l’indépendance en 1960, reste étroitement enfermé dans le « pré carré » néocolonial français, la Françafrique dont Sarkozy et le président du Gabon Ali Bongo, fils d’Omar qui avait déjà régné pendant 42 ans, viennent de déclarer officiellement qu’elle est « révolue ».

Il se trouve que le président de l’Etat capitaliste nigérien, Mamadou Tandja, avait eu l’audace de vouloir renégocier les prix avec Areva, et qu’il a cherché à s’appuyer sur l’Etat ouvrier bureaucratiquement déformé chinois comme contrepoids à l’impérialisme français. Voilà un crime autrement plus grave aux yeux de l’impérialisme français que la liquidation physique de quelques opposants ou la dissolution du parlement : Tandja aurait été mis au cachot quelque part dans un camp militaire.

S’il y a du nouveau en Françafrique, ce n’est pas tant que Tandja ne s’est pas retrouvé immédiatement troué de balles. C’est que, surtout, il y a maintenant en France une organisation social-démocrate, qui se proclamait autrefois d’« extrême gauche », voire même « trotskyste », pour soutenir le coup d’Etat militaire qui a déposé Tandja. Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot vient en effet de publier un article (Tout est à nous, 25 février) qui commence dès le titre à blâmer Tandja pour ce qui lui arrive (« Niger – Contre-coup d’Etat »), le vilain ayant antidémocratiquement dissous le parlement et prorogé son propre mandat par un plébiscite bidon. Tout est à nous poursuit : « les agissements du président avaient été condamnés par la Communauté internationale […] et qualifiés par beaucoup de coup d’Etat constitutionnel ». La « Communauté internationale » (avec majuscule) c’est le nom que donne apparemment maintenant le NPA à l’impérialisme français, son gouvernement Sarkozy/Kouchner et ses alliés. Malgré les ordres de la « Communauté internationale », Tandja, récalcitrant, « voulait maintenir la VIe République (instaurée de façon autocratique) », d’après le NPA, qui dénonce à la suite « ces manœuvres de Tandja pour se maintenir au pouvoir et son entêtement visible à bloquer les négociations avec l’opposition ».

Et le NPA de saluer alors l’intervention militaire, donnant des conseils au Quai d’Orsay et au nouveau dictateur, Salou Djibo, qui déclare vouloir organiser des élections et préparer une nouvelle Constitution : « Certains observateurs considèrent ce putsch comme une possibilité de mettre fin à une dérive autocratique […]. Si le but du coup d’Etat était de débarrasser le pays de la dictature, qu’ils aillent jusqu’au bout et qu’ils ne se laissent pas atteindre par le vertige du pouvoir comme en Guinée, au Tchad, au Togo…. » Et ils continuent : « Confrontés [sic] à une famine qui s’annonce, à l’abandon des populations locales (notamment touarègues) et à la malédiction que représentent ses riches sous-sols, le Niger doit profiter de ce retournement de situation. Pour cela, il faut le laisser faire et abandonner définitivement le discours manichéen du silence ou de l’ingérence. »

Pour le NPA, la « malédiction » qui frappe le Niger n’est pas le joug de l’impérialisme français, mais la richesse de ses sous-sols ! Aussi obscènement pro-impérialistes que soient ces déclarations, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles suscitent de l’indignation dans les rangs du NPA. Le NPA est une organisation profondément social-démocrate, et en tant que telle, elle s’appuie sur la bureaucratie syndicale et l’aristocratie ouvrière (et aussi, de façon marquée pour le NPA, la petite bourgeoisie bohême) achetées par les impérialistes. Ceux-ci puisent notamment pour cela précisément dans les surprofits qu’ils tirent de la rente coloniale et néocoloniale, comme le pillage du Niger depuis plus de 100 ans. Comme l’expliquait Lénine en 1915 dans le Socialisme et la guerre :

« La base économique de l’opportunisme est la même que celle du social-chauvinisme : les intérêts d’une mince couche d’ouvriers privilégiés et de la petite bourgeoisie, qui défendent leur situation privilégiée, leur “droit” aux miettes des profits réalisés dans le pillage des autres nations par “leur” bourgeoisie nationale, grâce aux avantages attachés à sa situation de grande puissance, etc. »

L’argument massue du NPA pour se mettre au garde-à-vous derrière sa propre bourgeoisie, c’est la question de la « démocratie ». C’est au nom de la lutte pour la « démocratie » que le prédécesseur du NPA, la Ligue communiste révolutionnaire d’Alain Krivine, avait soutenu les contre-révolutionnaires procapitalistes de Solidarnosc en Pologne au début des années 1980, ou encore le politicien bourgeois de droite Chirac en 2002 lors des élections présidentielles. De là à soutenir une junte militaire en Françafrique, il n’y avait qu’un pas que le NPA a allègrement franchi.

La démocratie n’est qu’un habillage commode pour la bourgeoisie pour masquer sa propre dictature sanglante contre les classes et couches qu’elle exploite et opprime. En faisant disparaître la question première, démocratie pour quelle classe ?, le NPA se prononce inconditionnellement pour le pouvoir de la bourgeoisie, démocratique si possible, et sinon aussi, et toujours contre la dictature du prolétariat (qui après tout n’est démocratique que pour les travailleurs et les opprimés). Lénine écrivait dans sa polémique contre le renégat Kautsky :

« Il n’est point d’Etat, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa Constitution des biais ou restrictions permettant à la bourgeoisie de lancer la troupe contre les ouvriers, de proclamer la loi martiale, etc., “en cas de violation de l’ordre”, mais, en fait, au cas où la classe exploitée “violait” son état d’asservissement et si elle avait la velléité de ne pas se conduire en esclave. »

Au Niger on atteint le comble du grotesque avec le NPA soutenant une junte militaire, présentée comme une étape vers le rétablissement de la « démocratie ». Si le NPA voit la démocratie en rose et vert en France, apparemment selon lui la couleur kaki est assez bonne pour l’Afrique ! Après cent ans d’atrocités impérialistes françaises au Niger et dans la région, ces pays sont plongés dans une misère affreuse et croissante. La classe ouvrière est pratiquement absente dans toute cette partie de l’Afrique, ce qui veut dire qu’il manque la seule force sociale qui puisse prendre la direction de tous les opprimés pour briser une fois pour toutes le joug impérialiste et lutter pour une révolution socialiste internationale. En fait, ce sont les ouvriers d’Afrique de l’Ouest immigrés en France qui peuvent jouer un rôle stratégique et servir de pont vivant pour la révolution en France et dans ces pays. Cela rend d’autant plus vital de lutter en France même contre les déprédations de l’impérialisme français à l’étranger, et pour renverser le capitalisme ici même et dans le monde entier. Alors seulement on pourra commencer à réparer les ravages de l’oppression impérialiste et jeter les bases pour une société d’abondance basée sur une économie collectivisée et planifiée internationalement. Impérialisme français, hors d’Afrique !