Le Bolchévik nº 191

Mars 2010

 

Pour le droit à l'indépendance !

Référendum colonial en Martinique et Guyane

Le 10 janvier dernier avaient lieu des référendums dans les colonies de Martinique et Guyane. Il s’agissait de promettre davantage d’autonomie selon l’article 74 de la Constitution française. L’Etat français organisait ce référendum pour promouvoir une « relation rénovée avec la métropole », selon les termes de Sarkozy. Le non l’a emporté à une large majorité dans les deux pays, la participation étant légèrement supérieure à la moitié des inscrits. Le plébiscite avait été annoncé dans la foulée des longues grèves générales de l’année dernière en Martinique et Guadeloupe qui visaient les principaux exploiteurs capitalistes (dans de nombreux cas ce sont des békés, les descendants des propriétaires d’esclaves) et l’Etat français, y compris ses satrapes locaux. Les grèves avaient pour but premier de soulager la misère croissante et l’oppression raciste que subit la majorité de la population de ces colonies ; elles ont exposé aux yeux du monde l’hypocrisie de la bourgeoisie française qui voile sa cupidité impérialiste par des discours sur les « droits de l’homme ». Ces grèves ont aussi montré à nouveau, notamment au prolétariat multiethnique de France, qu’il faut mener des batailles de classe acharnées pour repousser les attaques des capitalistes et la répression. C’est dans ce contexte que Sarkozy a lancé le référendum d’autonomie, dans le but de redorer le blason de l’impérialisme français tout en cherchant à embobiner dans la juridiction coloniale ce qui restait de la résistance combative.

Si le « oui » l’avait emporté, il aurait été suivi par des années de négociations entre l’Etat français et ses serviteurs politiques dans les Caraïbes afin de mettre au point une loi qui ferait quelques retouches aux règles de l’administration. Cette loi aurait ensuite été soumise pour approbation au parlement français. Parmi les nouveaux « pouvoirs » il y avait éventuellement un hymne et un drapeau, ainsi que des possibilités accrues de taxation locale, un plus grand contrôle sur l’embauche dans le secteur public (c’est-à-dire les emplois martiniquais pour les Martiniquais) et quelques mesures supplémentaires concernant l’économie et l’environnement. Les décisions concernant les pouvoirs régaliens (la justice, la police, la défense, la monnaie, etc.) continueraient à être prises à Paris. En annonçant le référendum, Sarkozy a fait son petit show de bonaparte et a déclaré : « Tant que je serai président de la République, la question de l'indépendance de la Martinique ne sera pas posée. » Et aussi : « La Martinique est française et le restera. »

La participation était relativement élevée pour un tel vote, mais 45 % des électeurs inscrits ont tout de même boudé les urnes. Beaucoup exprimaient la crainte, plus vive que jamais dans cette période de crise économique et de chômage accru, que la victoire du « oui » pourrait conduire à la perte du statut colonial français et de l’appartenance à l’Union européenne, et ainsi des acquis sociaux restants, ce qui plongerait la majorité de la population dans une pauvreté plus grande encore. Il y avait aussi des travailleurs martiniquais qui dans la presse rejetaient le référendum en disant qu’il n’avait rien à voir avec leur lutte quotidienne pour la survie ; ils savent bien que les politiciens nationalistes et sociaux-démocrates qui prônaient le « oui » voulaient simplement avoir davantage leur mot à dire sur comment exploiter les travailleurs. Comme nous l’avons écrit dans « La grève générale secoue les colonies françaises » (le Bolchévik n° 187, mars 2009) : « Des dirigeants nationalistes en Guadeloupe et en Martinique ont souvent exprimé leur désir de voir transférer une bonne partie de l’administration de l’Etat à un organisme dirigé localement qui pourrait s’en prendre aux acquis sociaux. D’après les nationalistes, ces prestations sociales rendent l’agriculture et le tourisme non compétitifs face à la concurrence des autres îles caraïbes. Mais pour le moment les nationalistes ne mettent pas en avant la lutte pour l’indépendance – leur programme est plutôt de mettre la main pour eux-mêmes sur la manne coloniale qui depuis des siècles était empochée par les békés. »

Avec le référendum du 10 janvier il s’agissait de décider pour ou contre une coquille vide, une soi-disant « autonomie » accrue. La position de la LTF était l’abstention. Nous étions de même contre voter soit « oui » soit « non » au plébiscite qui a suivi deux semaines plus tard, où il s’agissait de décider de la fusion ou pas du conseil régional et du conseil général en Martinique et en Guyane. Aucun de ces référendums n’offrait quoi que ce soit de positif pour la classe ouvrière.

Notre point de départ, c’est de défendre le droit d’autodétermination pour les colonies françaises. En tant qu’opposants intransigeants du colonialisme français, qui se basait dans les Caraïbes sur l’esclavage, nous serions en faveur de l’indépendance. Mais nous sommes contre toute indépendance forcée, et nous n’exigeons pas actuellement l’indépendance immédiate de la Martinique, de la Guyane ou d’autres colonies, notamment parce que la vaste majorité de la population y est opposée aujourd’hui : elle perçoit très bien que, après l’indépendance sous le capitalisme, les oppresseurs impérialistes chercheraient à réduire encore plus son niveau de vie. C’est pourquoi l’internationalisme prolétarien et la lutte pour la révolution socialiste aux USA, en France et dans d’autres pays capitalistes avancés doivent être le fondement de notre programme pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’oppression coloniale et l’exploitation dans les colonies françaises. C’est d’autant plus important étant donné la petite taille du prolétariat dans les Caraïbes françaises (essentiellement dans la construction et des services de base comme les transports et l’enlèvement des ordures ainsi qu’une mince couche d’ouvriers agricoles dans les plantations). C’est en France que réside principalement la puissance sociale du prolétariat originaire de Guadeloupe et de Martinique ; ce prolétariat émigré représente un lien vivant pour la révolution socialiste en France et dans les Caraïbes.

Notre position sur la question nationale se place dans la tradition révolutionnaire des bolchéviks de Lénine. Pour ces derniers il était clair que la fédération ou l’autonomie acceptent fondamentalement la poursuite de la domination capitaliste coloniale. Lénine disait : « Un changement réformiste est celui qui n’ébranle pas les bases du pouvoir de la classe dominante, dont il n’est qu’une concession, et qui maintient sa domination. Un changement révolutionnaire sape le pouvoir jusque dans ses fondements. Dans le programme national, le réformisme n’abolit pas tous les privilèges de la nation dominante ; il n’établit pas l’égalité complète des droits ; il ne supprime pas toutes les formes d’oppression nationale. Une nation “autonome” n’est pas l’égale en droits d’une nation “souveraine” » (« Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes »). Lénine écrivait, toujours en 1916 : « Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes signifie exclusivement leur droit à l’indépendance politique, à la libre séparation politique d’avec la nation qui les opprime » (« La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes – Thèses »).

Combat ouvrier donne une couverture prolétarienne « de gauche » aux nationalistes

La position marxiste n’a rien à voir avec la capitulation face au nationalisme ni avec le réformisme grossier de Combat ouvrier (CO), le groupe associé en Martinique à Lutte ouvrière (LO). CO reconnaît l’évidence en écrivant dans son éditorial du 19 décembre que « pour cette campagne du référendum, ce qui est criant, c’est qu’ils [les « politiciens de Martinique »] ne se sont engagés à rien du tout : ils n’ont même pas fait semblant de nous promettre quoi que ce soit ! C’est dire si demain ils ont bien l’intention de gérer le nouveau statut selon les seuls intérêts des possédants et des notables de Martinique ! » Mais à peine quelques lignes plus bas, CO se met à soutenir implicitement un vote « oui » au référendum du 10 janvier ! Et sur quelle base ? En prétendant que les travailleurs et les pauvres (qui apparemment, contrairement à CO, n’y comprennent rien) étaient soi-disant pour une autonomie accrue selon l’article 74 ; aussi, en solidarité avec ces travailleurs, CO s’est rangé derrière le « oui ». Ils argumentent de plus que cette mesure « nous » permet de faire pression plus efficacement sur l’exécutif bourgeois local et pour obtenir des décisions qui soient « en faveur des couches laborieuses et pauvres » :

« Cependant, mais si une forme quelconque de pouvoir local était créé après le vote de l’article 74 ou 73 aux référendums des 10 et 24 janvier, cela aurait l’avantage pour nous d’avoir sous la main tous ces politiciens chargés des mauvaises besognes contre les travailleurs et les pauvres. Le siège de ce pouvoir sera plus proche et nous pourrons nous y rendre quand nous aurons des comptes à demander.

« Alors, nous militants de Combat Ouvrier comprenons que des travailleurs aient désir de faire passer ce changement de statut 74 et d’aboutir à une forme de pouvoir local. […]

« Alors, nous nous sentons solidaires des travailleurs qui veulent voter en faveur de la naissance de cette forme de pouvoir local. […]

« Dès maintenant, il faut se dire que nous aurons à surveiller les politiciens et autres notables dans l’exercice de ce pouvoir et être prêts à leur demander des comptes à tout moment, pour que les décisions soient le plus souvent possible tournées, un peu plus, en faveur des couches laborieuses et pauvres. »

Quelle touchante confiance dans l’appareil d’Etat colonial, l’instrument des exploiteurs pour réprimer les exploités ! Et ce, si peu après la répression brutale des grèves générales et alors qu’il s’emploie avec détermination à renverser les acquis principaux de ces luttes. CO s’aligne sur la position de ses partenaires martiniquais du Collectif du 5 février (K5F), dont fait partie le syndicat CGTM où l’influence de Combat ouvrier est notoire. Le président du K5F, Philippe Pierre-Charles, est dirigeant et membre fondateur du Groupe révolution socialiste (GRS) proche du Nouveau parti anticapitaliste. Le GRS a ouvertement appelé à voter pour l’article 74, mais « sans illusions », c’est-à-dire à voter pour cette imposture coloniale en sachant parfaitement que cela va à l’encontre des intérêts des travailleurs et des pauvres. Le soutien qu’ont donné CO et Cie à la mascarade du référendum a servi à donner du crédit aux « réformes » de Sarkozy et aux efforts de celui-ci pour repeindre la devanture de la domination coloniale française.

Vu la défaite écrasante du camp du « oui » lors du référendum du 10 janvier, CO a cherché à prendre ses distances avec sa position initiale de « solidarité » avec les travailleurs imaginaires qui « aient désir de faire passer ce changement de statut 74 » ; ils ont prétendu dans un communiqué diffusé dans Lutte Ouvrière du 15 janvier (mais pas dans Combat Ouvrier…) :

« Nous, Combat Ouvrier, n'avions donné aucune consigne de vote, car nous ne voulions pas cautionner les actes passés, présents ou futurs de politiciens qui se moquent bien des intérêts et des aspirations des travailleurs. Cette consultation était un faux choix ! »

Cette capitulation devant le nationalisme petit-bourgeois n’est aucunement nouvelle pour CO. En Guadeloupe ils font partie du LKP au nom du « tous ensemble ». Cette organisation est une coalition front-populiste combative, incluant le mouvement ouvrier mais aussi toute une série d’organisations nationalistes et culturelles petites-bourgeoises. Au fond, le LKP représente le programme du nationalisme bourgeois. Sa nature front-populiste est déterminée non seulement par les organisations qui en font partie mais aussi au niveau de son programme. Par exemple, parmi les 149 revendications du LKP mises en avant lors des grèves de l’année dernière, nombre d’entre elles étaient soutenables, y compris l’augmentation de 200 euros pour tous les bas salaires et les minima sociaux, ainsi que les revendications pour un vaste programme de construction de logements sociaux et un véritable service de transports publics. Cependant, beaucoup d’autres revendications, comme la priorité à donner aux capitalistes locaux par rapport aux autres (« Priorité et facilité d’accès au marché et aux aides publiques pour les entreprises Guadeloupéennes ») soulignent la nature nationaliste bourgeoise du bloc, qui s’adresse au : « peuple de Guadeloupe, ouvriers, paysans, artisans, retraités, chômeurs, entrepreneurs, jeunes » (souligné par nous).

En France le parti révolutionnaire a pour tâche de rassembler les travailleurs aux côtés des nations opprimées et pour le droit de celles-ci à l’autodétermination. En Guadeloupe et en Martinique, la tâche cruciale est de briser l’emprise de la fausse conscience nationaliste. Le fait que CO participe au LKP et au Collectif du 5 février dont il forme l’élément d’« extrême gauche » va exactement dans le sens opposé : CO donne une couverture de gauche au nationalisme petit-bourgeois. En France LO applaudit sans la moindre critique le travail de CO dans le LKP, le K5F, etc. ; mais la collaboration de classes de LO en France est tout aussi criminelle, comme par exemple l’appel à la classe ouvrière pour qu’elle vote Ségolène Royal en 2007 (« sans illusions », bien entendu), ou sa participation à des majorités municipales au côté du PCF mais aussi d’écologistes, alternatifs, chevènementistes et autres pour administrer localement l’austérité capitaliste. Ils font ainsi obstruction à l’indépendance de classe et à la conscience révolutionnaire qui sont indispensables pour lutter pour une révolution socialiste et en finir avec le joug colonial et l’héritage de l’esclavage dans les Caraïbes.