Le Bolchévik nº 189

Septembre 2009

 

Impérialistes, bas les pattes devant l’Iran !

A bas le régime clérical ! Aucun soutien aux mollahs « réformateurs » !

Pour un parti léniniste-trotskyste en Iran, qui lutte pour la révolution ouvrière !

L’article suivant est traduit de Workers Vanguard, journal de la Spartacist League/U.S., n° 939, 3 juillet 2009.

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29 juin – Quelques mois à peine après avoir célébré son 30e anniversaire de règne brutal et oppressif, la République islamique d’Iran est secouée par les manifestations les plus importantes qu’elle ait connues depuis la « révolution iranienne » de 1978-1979. Ces manifestations de masse ont été provoquées par le sentiment très répandu que le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, qui est soutenu par le « Guide suprême », l’ayatollah Ali Khamenei, a volé la victoire à son rival Mir Hussein Moussavi dans les élections présidentielles du 12 juin dernier. Après une semaine de manifestations où des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Téhéran et d’autres villes aux cris de « Mort au dictateur » et « Allah Akbar » (« Dieu est grand »), le régime a riposté. Plusieurs manifestants auraient été abattus par les basiji, la milice paramilitaire détestée, liée au corps d’élite de la Garde révolutionnaire, ainsi que par la police ; des centaines de personnes ont été enfermées dans la tristement célèbre prison d’Evin. La Ligue communiste internationale, dont la Spartacist League est la section américaine, appelle le mouvement ouvrier international à exiger : Libération de tous les manifestants antigouvernementaux !

La fraude qui a entouré la réélection d’Ahmadinejad a cristallisé tous les mécontentements qui travaillent la société iranienne : les femmes forcées à porter le hidjeb (voile), les jeunes condamnés pour avoir montré des signes d’affection en public, la misère généralisée et un chômage en augmentation. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour exiger de nouvelles élections. Bien sûr, de nombreux indices indiquent qu’il y a eu fraude. Mais les élections, avec ou sans fraude, étaient elles-mêmes une fraude ; elles étaient contrôlées par les mollahs qui avaient approuvé à l’avance toutes les candidatures.

Le soutien dont bénéficie Moussavi tient en partie à ce qu’il appelle à de vagues « réformes » sur les droits des femmes et autres questions sociales. Mais Moussavi, un des fondateurs de la République islamique, est tout autant un assassin que ses opposants au sein du régime actuel. Sous son règne, entre 1981 et 1989, des milliers et des milliers de militants de gauche, de Kurdes et de militant(e)s pour les droits des femmes ont été massacrés dans les prisons iraniennes et jetés dans des fosses communes. Des centaines de milliers d’Iraniens sont morts au cours de la guerre contre l’Irak, dans les années 1980. En 1999, des manifestations étudiantes ont été noyées dans le sang par le gouvernement « réformateur » du président de l’époque, Mohammad Khatami, qui est aujourd’hui un allié de Moussavi.

Les forces qui manifestent dans les rues des villes iraniennes sont hétérogènes, mais elles sont politiquement subordonnées à l’un des camps de ce qui n’est fondamentalement qu’un affrontement entre factions rivales au sein de l’élite cléricale au pouvoir. Un des principaux alliés de Moussavi est l’ancien président Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, dont la corruption est de notoriété publique ; surnommé le « roi de la pistache », il est peut-être l’homme le plus riche d’Iran. Moussavi et Rafsandjani appellent à « ouvrir » un peu plus l’économie par des privatisations et des investissements étrangers. Ils cherchent aussi à mettre en sourdine la démagogie « anti-impérialiste » associée à Ahmadinejad. A l’étranger, les manifestations ont été applaudies par tout un éventail de forces politiques iraniennes, des monarchistes à ce qui reste de la gauche, en passant par des démocrates bourgeois. Les ouvriers et les opprimés d’Iran n’ont aucun intérêt à soutenir ni l’une ni l’autre des cabales qui se battent pour savoir quelle est la meilleure manière de perpétuer le régime sanglant des mollahs.

Les impérialistes américains et britanniques cherchent à intervenir dans cette situation d’agitation politique, et ils ont augmenté leurs émissions de radio à destination de l’Iran. Obama a déclaré qu’il était « horrifié et scandalisé » par la répression en Iran. Pendant ce temps, près de 200 000 soldats américains continuent de ravager l’Irak et l’Afghanistan, aux frontières est et ouest de l’Iran, tandis que des forces spéciales américaines mènent des opérations clandestines à l’intérieur même du pays. Après 30 ans de règne oppressif des mollahs, il y a sans aucun doute beaucoup de gens en Iran qui ont des illusions dans la démocratie bourgeoise occidentale, ou qui voient dans les impérialistes « démocratiques » des alliés potentiels. Ces illusions ont sans doute été renforcées par le ton plus mesuré d’Obama envers l’Iran (comparé à celui des fous de guerre de Bush et de sa bande) après sa prise de fonction.

Qu’il soit administré par les démocrates ou par les républicains, l’impérialisme US est l’ennemi mortel des travailleurs du monde entier. C’est la CIA, en collaboration avec les Britanniques, qui avait organisé le coup d’Etat de 1953 qui a renversé le Premier ministre Mohammad Mossadegh ; il s’agissait d’annuler la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company que Mossadegh avait décrétée. Les impérialistes avaient alors rétabli le pouvoir du shah, et ils ont soutenu la dynastie tyrannique et sanguinaire des Pahlavi jusqu’à son renversement en 1979. A bas l’occupation impérialiste de l’Afghanistan et de l’Irak ! Etats-Unis, hors du Pakistan et d’Asie centrale ! Impérialistes, bas les pattes devant l’Iran !

Les impérialistes US et leurs alliés israéliens, qui possèdent des armes nucléaires, ont de façon répétée menacé l’Iran d’actions militaires contre son programme nucléaire. Face à de telles menaces, nous disons que l’Iran a besoin d’armes nucléaires comme moyen de dissuasion contre ce genre d’agression. Le fait que l’Irak voisin ne disposait pas d’« armes de destruction massive », y compris nucléaires, a encouragé les Etats-Unis à envahir et occuper ce pays, ce qui a conduit au carnage et à l’occupation abominables que subit l’Irak depuis six ans. Tout en appelant à la défense militaire de pays néocoloniaux comme l’Irak ou l’Iran contre une agression impérialiste, nous ne donnons pas un iota de soutien politique à ceux qui les gouvernent et imposent leur domination à « leurs » masses opprimées. Nous disons : A bas tous les cheiks, colonels, mollahs et bouchers sionistes ! Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !

Les réformistes se sont prosternés devant les mollahs

Dans l’agitation qui secoue aujourd’hui l’Iran, tous les camps prennent comme modèle de leur activité politique le renversement, en 1979, de l’autocrate honni qu’était le shah Mohammed Reza Pahlavi. Quand l’opposition à la monarchie éclata à cette époque, il y eut notamment de puissantes grèves sur les champs de pétrole et dans tout le pays ; l’Iran aurait pu devenir le foyer de la révolution prolétarienne au Proche-Orient. Mais les mobilisations de masse furent canalisées vers une croisade réactionnaire pour une « République islamique » ; la quasi-totalité de la gauche, en Iran et au niveau international, applaudit l’opposition dominée par les mollahs et dirigée par l’ayatollah Khomeiny. Nous avons été les seuls, dans la gauche, à appeler le prolétariat à lutter indépendamment de la hiérarchie islamique et contre elle, et à balayer le Trône du Paon pour instaurer un gouvernement ouvrier et paysan.

L’instauration d’une théocratie chiite suite au renversement du shah a conduit à une répression brutale contre les Kurdes et autres minorités nationales, à l’exécution des grévistes, des homosexuels, des personnes adultères et autres accusés de « crimes contre Dieu », à la lapidation des femmes non voilées, au massacre des militants de gauche et à l’interdiction de tous les partis et journaux d’opposition. Nous écrivions dans notre Déclaration de principes internationale (Spartacist édition française n° 32, printemps 1998) :

« La “Révolution iranienne” de 1979 a ouvert une période d’ascendance politique de l’islam dans le monde historiquement musulman ; ce développement a contribué à la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, et a en retour été puissamment renforcé par celle-ci. La prise du pouvoir par Khomeiny en Iran, et sa consolidation, ont constitué une défaite semblable à l’écrasement du prolétariat allemand par Hitler en 1933, même si cela s’est accompli à une échelle locale plus restreinte. Avec notre mot d’ordre de “A bas le Shah ! Pas de soutien aux mollahs !” et l’attention que nous avons portée en particulier à la question femmes (“Non au voile !”), nous, tendance spartaciste internationale (TSI), nous sommes trouvés en totale opposition à la capitulation du reste de la gauche devant la réaction dirigée par les mollahs. »

Aujourd’hui, la plus grande partie de la gauche réformiste recommence la même stratégie traîtresse d’il y a 30 ans en s’alignant derrière l’une ou l’autre aile du clergé au pouvoir en Iran. Ce qui reste du Toudeh, le Parti communiste pro-Moscou qui avait soutenu Khomeiny avant d’être écrasé par lui, a appelé à voter pour les « candidats réformistes », y compris Moussavi dont les mains sont couvertes du sang des militants du Toudeh (Tudeh News, juin 2009). De leur côté, les pseudo-trotskystes de la Tendance des marxistes révolutionnaires iraniens (IRMT), associée à la Tendance marxiste internationale (TMI) dirigée par Alan Woods [dont la section française est le groupe La Riposte], appelaient stupidement dans une lettre ouverte à Moussavi du 16 juin (www.marxist.com) : « Vous devez choisir entre l’un ou l’autre des côtés : avec la population qui a voté pour vous ou avec le vali-e faghih [le Guide suprême] (et l’appareil répressif de l’état). Etre au service de la population devrait signifier que vous devez couper les liens avec l’ensemble de l’appareil d’état. » L’IRMT se décrit comme un successeur du Parti ouvrier socialiste (HKS) iranien, qui lui aussi avait soutenu l’accession au pouvoir de Khomeiny.

Aux Etats-Unis, certains groupes de gauche se sont rangés du côté de l’aile cléricale pro-Ahmadinejad contre les manifestations, en prétendant que ce faisant ils s’opposent à l’impérialisme US. Un article mis en ligne le 24 juin sur le site internet du Workers World Party (WWP) déclarait ainsi : « Les socialistes révolutionnaires ou les communistes se distinguent nettement d’Ahmadinejad sur bien des points. Cependant, dans le conflit actuel, son camp est plus anti-impérialiste. » Après 30 ans de règne sanglant des mollahs, le WWP continue à proclamer que « le peuple iranien a énormément bénéficié de sa révolution, et on ne lui fera pas facilement faire demi-tour » (Workers World, 17 juin). De la même façon, un article du 22 juin (pslweb.org) du Party for Socialism and Liberation (PSL), une scission du WWP, dénonçait les manifestations en ces termes : « Les impérialistes américains et britanniques espèrent qu’une victoire de ce mouvement conduirait au renversement contre-révolutionnaire de la révolution anticoloniale de 1979. »

L’avenir de l’Iran dépend avant tout du prolétariat, la seule classe qui a la puissance sociale et l’intérêt objectif de rassembler derrière elle la jeunesse radicalisée, les femmes et les nationalités opprimées pour s’attaquer au système capitaliste lui-même. S’il ne fait aucun doute que des ouvriers, à titre individuel, ont participé aux manifestations, il n’y a pour l’instant aucun signe qu’un secteur du puissant prolétariat iranien soit intervenu pour affirmer ses intérêts de classe indépendants contre le régime islamique. Deux déclarations de groupes ouvriers en Iran ont été largement diffusées sur Internet. La première, signée « Les travailleurs d’Iran Khodro » (la plus grande société automobile du Moyen-Orient), appelait à une grève de protestation de 30 minutes en « solidarité avec le mouvement du peuple d’Iran ». Dans une deuxième déclaration, le syndicat Vahed, qui représente les conducteurs de bus de Téhéran, a également exprimé son soutien au « mouvement du peuple iranien pour construire une société civile libre et indépendante ».

La question fondamentale à laquelle est confronté aujourd’hui le prolétariat iranien, c’est la nécessité de construire un parti ouvrier marxiste qui luttera pour l’indépendance de classe du prolétariat – vis-à-vis des religieux, des nationalistes et des éléments pro-impérialistes – et pour le pouvoir ouvrier. Une différence fondamentale entre la situation aujourd’hui et celle de 1979, c’est qu’avant la victoire de la « Révolution islamique », d’importants secteurs du prolétariat étaient dirigés par des partis de gauche, principalement le Toudeh. Cette génération de dirigeants ouvriers de gauche a été liquidée par ce même régime que les dirigeants du Toudeh et d’autres partis de gauche avaient contribué à hisser au pouvoir.

Pour la révolution permanente !

En 1978-1979, la gauche, en Iran et au niveau international, a soutenu les forces de la réaction cléricale dirigées par Khomeiny en affirmant que celles-ci dirigeaient une révolution « anti-impérialiste ». Le journal de l’International Socialist Organization (ISO) titrait alors : « La forme : religieuse – L’esprit : la révolution » (Socialist Worker, janvier 1979). Le Socialist Workers Party (SWP) américain proclamait « Victoire en Iran : Les masses iraniennes montrent la voie pour les travailleurs du monde entier » (Militant, 23 février 1979). Brian Grogan, un dirigeant du groupe britannique du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale (SU) de feu Ernest Mandel, s’est même vanté d’avoir scandé avec la foule « Allah Akbar » lors d’une manifestation à Téhéran. Le HKS, affilié au SU, est allé jusqu’à se présenter aux élections pour l’« Assemblée des experts » créée par les mollahs – avant de rejoindre les rangs des victimes de ceux-ci.

Nous n’avons pas hésité une seconde pour défendre le HKS et les autres militants de gauche persécutés par le régime des mollahs. Le SWP américain et le SU au contraire, aveuglés par un opportunisme grotesque, minimisèrent pendant des mois les dangers que couraient leurs propres camarades emprisonnés. Nous écrivions dans « Le suivisme criminel du SU et de l’OCI : l’histoire prend sa revanche » (le Bolchévik n° 13, octobre 1979) : « SU, OCI, HKS – Ernest Mandel, Jack Barnes, Alain Krivine, Pierre Lambert et les autres : vous avez commis un crime pour lequel le tribunal de l’histoire vous tiendra responsables. Il vous faudra vivre avec cela, puisque vos propres camarades peuvent bien en mourir. »

La soi-disant « Révolution islamique » de 1979 a été une confirmation par la négative de la théorie et du programme de la révolution permanente du dirigeant bolchévique Léon Trotsky. A l’époque de l’impérialisme, aucune tendance de la bourgeoisie des pays à développement capitaliste retardataire, comme l’Iran, ne peut jouer le moindre rôle progressiste, car elles sont toutes trop dépendantes des impérialistes et craignent trop l’action indépendante du prolétariat. Elles sont incapables de résoudre les tâches démocratiques bourgeoises associées aux grandes révolutions européennes du XVIIe et du XVIIIe siècles, comme la réforme agraire, l’indépendance nationale, les libertés démocratiques et les droits des femmes.

L’expérience de la Révolution bolchévique de 1917 a montré que seul le prolétariat, à la tête des masses paysannes et des masses plébéiennes des villes, peut libérer la société dans les pays à développement capitaliste retardataire. Au Proche-Orient, seul le prolétariat peut briser les chaînes du traditionalisme réactionnaire et de la domination impérialiste. Trotsky déclarait en 1928 : « plus on allait vers l’Orient, plus mesquine et lâche devenait la bourgeoisie, et plus grandes les tâches qui incombent au prolétariat » (l’Internationale communiste après Lénine). Lorsqu’ils prendront le pouvoir et instaureront la dictature du prolétariat, les ouvriers des pays arriérés devront nécessairement promulguer des mesures socialistes, comme l’expropriation des moyens de production et l’instauration d’une économie planifiée. Cependant, ces révolutions ne pourront subsister et se développer qu’à condition de s’étendre aux pays capitalistes avancés d’Occident et au Japon.

Rejetant cette perspective marxiste, le Toudeh, dans la droite ligne de l’Internationale communiste (Comintern) stalinisée, insistait qu’à cause de l’arriération économique et historique de l’Iran, le prolétariat ne pouvait pas prendre le pouvoir en son propre nom. Il argumentait qu’au lieu de cela il devait y avoir une « révolution par étapes », la première étape devant être dirigée par la bourgeoisie « progressiste » ou « anti-impérialiste » et se limiter à réaliser les tâches démocratiques capitalistes. La révolution socialiste, prétendait-il, arriverait dans un avenir lointain, non spécifié. Comme d’habitude, la deuxième étape de la révolution, l’étape prolétarienne, n’est jamais arrivée.

Le Toudeh et le reste de la gauche iranienne ont attribué au clergé islamique des vertus « anti-impérialistes », ce qui a rendu leur base ouvrière aveugle face aux graves dangers auxquels elle serait confrontée en cas de victoire des mollahs, et qui a préparé l’écrasement brutal de la classe ouvrière. En fait, pendant les premières années du régime des mollahs, des cadres du Toudeh sont allés jusqu’à combattre au côté des pasdarans assassins et des nervis fascisants hezbollahis pour tuer d’autres militants de gauche iraniens. Et pendant la guerre Iran-Irak, une guerre réactionnaire des deux côtés, le parti Toudeh demandait à ses militants de se présenter à leur mosquée (!) pour faire leur service militaire dans les pasdarans.

Quand ils défendaient le concept de « révolution par étapes », Staline et ses acolytes pouvaient au moins affirmer qu’ils soutenaient des forces bourgeoises modernisatrices. Par exemple, pendant la Révolution chinoise de 1925-1927, le Parti communiste chinois avait reçu de Staline et de ses sbires l’instruction de se subordonner au Guomindang, le parti nationaliste bourgeois dirigé par Chiang Kai-shek. Les staliniens argumentaient que ce pas supposé vers l’accomplissement de la « première étape » de la Révolution chinoise se justifiait par le fait que Chiang s’opposait à la dynastie mandchoue décadente et critiquait le bandage des pieds des femmes. Malgré tout, le résultat de cette trahison stalinienne fut l’extermination de dizaines de milliers de communistes et d’ouvriers combatifs, désarmés par Chiang lors du massacre de Shanghaï, en avril 1927.

Quelle prétention à la modernisation aurait bien pu avoir la caste rétrograde des mollahs en Iran ? Le caractère réactionnaire de l’opposition islamique était évident depuis le début, surtout de par sa position sur la question femmes. Dans « A bas le shah ! A bas les mollahs ! » (Workers Vanguard n° 219, 17 novembre 1978), nous lancions cette mise en garde :

« Les musulmans appellent à une république islamique. Ils soutiennent la Constitution de 1906, et en particulier l’article ajouté en 1907, qui garantit explicitement le droit de veto du clergé sur toute la législation. L’opposition des mollahs au shah est une opposition réactionnaire, même si elle exploite les crimes de la dictature du shah. La haine fanatique de toute avancée sociale postérieure à l’époque du prophète Mahomet (au VIIe siècle !) trouve son reflet dans les régimes militaires du Pakistan ou de la Libye, et dans le regain d’obscurantisme qui a lieu dans toute la région, avec l’oppression brutale des femmes qui l’accompagne. »

La République islamique est un enfer pour les femmes. Dès son arrivée au pouvoir, Khomeiny réimposa le hidjeb pour les femmes dans les lieux publics. Celles qui ne se soumettaient pas à ce décret étaient punies de 74 coups de fouet ou d’un an d’emprisonnement. En même temps, le témoignage d’un homme était considéré comme valant deux fois celui d’une femme. Le fouet et les amputations furent appliqués par les tribunaux, et les femmes convaincues d’adultère pouvaient être lapidées. Le mariage des enfants fut réintroduit, tandis que des lois encourageaient la polygamie et empêchaient les femmes de quitter un mari violent. Le droit du mari au divorce unilatéral fut réinstauré.

Certains usages modernes ont pourtant fait leur chemin jusqu’en Iran. Malgré le rétablissement du mariage des enfants, l’âge moyen du premier mariage pour les femmes a continué à augmenter, passant de 19 ans avant 1979 à 24 ans aujourd’hui. D’après la New York Review of Books (2 juillet), le taux d’alphabétisation dépasse 95 % pour les deux sexes. Aujourd’hui, les femmes représentent la majorité des étudiants. Mais malgré ces tendances, les femmes représentent seulement 15 % des travailleurs du secteur formel. Le recensement de 2006 a révélé que seulement 3,5 millions d’Iraniennes étaient salariées, contre 23,5 millions d’hommes.

Il y a six ans, pendant une vague de manifestations en Iran, nous avancions notre perspective de libération des femmes par la révolution socialiste :

« Dans les pays d’Orient, la question de l’oppression des femmes est une des forces motrices les plus puissantes de la révolution socialiste. D’ailleurs, quand les bolchéviks sont arrivés en Asie centrale dans les années qui ont suivi la révolution d’Octobre, c’est parmi les femmes qu’ils ont trouvé les principaux soutiens à leur programme, et qu’ils ont gagné leurs principaux cadres politiques. Il en va de même pour l’Iran. Un parti léniniste-trotskyste, prenant fait et cause pour les droits des femmes contre le carcan ancestral de la religion et de la famille, trouvera ses combattants les plus loyaux et les plus courageux parmi les femmes. »

– « Pour la révolution ouvrière en Iran ! », Workers Vanguard n° 807 (1er août 2003)

WCPI : des apologistes de l’impérialisme « démocratique »

Le Parti communiste ouvrier d’Iran (WCPI) dénonce à la fois les factions Ahmadinejad et Moussavi du régime clérical. Cependant, dans son opposition à la République islamique, le WCPI s’est tourné à maintes reprises vers les puissances impérialistes, considérées comme des alliés potentiels – alors que ce sont des ennemis bien pires des opprimés du monde entier que les ayatollahs dans la néocolonie misérable qu’est l’Iran. Un représentant du WCPI écrivait ainsi dans l’Evening Standard de Londres (17 juin), à propos des manifestations en Iran : « Il est temps aujourd’hui que les gens en Occident fassent pression sur les gouvernements occidentaux pour isoler politiquement le régime, au lieu de lui chercher des justifications et de le légitimer. » Un communiqué mis en ligne sur Internet le 22 juin annonce fièrement que Hamid Taqvaee, un dirigeant du WCPI, « a écrit à des chefs d’Etat et au Secrétaire général de l’ONU au nom du peuple d’Iran, pour appeler les gouvernements “à rompre immédiatement tout lien politique avec la République islamique d’Iran, à fermer leurs ambassades et consulats, et à obtenir son expulsion des Nations Unies et des autres institutions internationales” ».

La nature réactionnaire des appels du WCPI à l’impérialisme démocratique s’est révélée dans les faits en Irak. En 2003, ce qui était alors l’organisation sœur du WCPI en Irak a soutenu l’occupation impérialiste dans ce pays en n’appelant qu’à remplacer les occupants américano-britanniques par « l’intervention des Nations Unies ». Ceci après que l’embargo de l’ONU, imposé à l’Irak après la guerre du Golfe de 1991, avait provoqué la mort d’environ un million et demi de personnes.

En même temps, le WCPI se distingue des autres groupes de gauche iraniens parce qu’il met en avant la question clé des droits des femmes, et parce qu’il est contre le voile. Mais après l’intervention de l’Union soviétique en 1979 en Afghanistan, contre une insurrection intégriste soutenue par la CIA, le WCPI considérait que l’Armée rouge était tout aussi réactionnaire que les guerriers de la foi moudjahidin. Le WCPI s’était joint à la plus grande partie de la gauche en refusant de soutenir l’intervention soviétique. Il avait justifié cette prise de position en expliquant que l’URSS était devenue « capitaliste d’Etat » au milieu des années 1920.

Nous, trotskystes, avons défendu de façon inconditionnelle l’Etat ouvrier dégénéré soviétique contre la contre-révolution intérieure et les agressions impérialistes, tout en appelant à une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne parasitaire. Nous disions « Salut à l’Armée rouge en Afghanistan ! », et nous appelions à étendre les acquis sociaux de la révolution d’Octobre aux peuples afghans. Tout en mettant en garde que la bureaucratie du Kremlin était capable de capituler devant les impérialistes, nous insistions sur le fait que l’intervention de l’Armée rouge était objectivement en défense de l’Union soviétique, et qu’elle constituait en même temps un coup porté à l’intégrisme islamique qui menaçait de ramener les femmes à un quasi-esclavage. Le retrait du Kremlin d’Afghanistan a conduit à la victoire des moudjahidin, avec ses affreuses conséquences aujourd’hui pour les femmes afghanes, et il a donné un formidable élan aux forces de la restauration capitaliste qui ont triomphé en Union soviétique.

Il faut une révolution ouvrière en Iran !

L’Iran bouillonne aujourd’hui de contradictions et de tensions qui vont en s’exacerbant. Une nouvelle génération a grandi – environ 70 % de la population a moins de 30 ans –, qui n’a pas fait l’expérience de la « Révolution islamique » ni de la féroce guerre contre l’Irak dans les années 1980. Ces jeunes, dans leur grande majorité éduqués, et dont la vision du monde a été élargie par l’accès à Internet et à d’autres médias, étouffent sous le carcan médiéval imposé par le régime clérical. En même temps, l’Iran reste une prison des peuples, où les Azéris, les Kurdes, les Arabes, les Baloutches et les autres peuples opprimés par le régime chauvin grand-perse représentent près de la moitié de la population.

Les manifestations actuelles surviennent en plein milieu d’une grave récession économique, aggravée par la crise financière mondiale. Totalement dépendantes du pétrole, les recettes d’exportation se sont effondrées avec la chute du prix du brut, qui est passé d’un maximum d’environ 140 dollars le baril à environ 70 dollars aujourd’hui. En même temps, le taux d’inflation est d’environ 24 %, et le taux de chômage officiel de 17 %. Plus de 35 % des moins de 30 ans connaissent le chômage de longue durée.

La seule voie vers une authentique modernisation sociale et économique, pour libérer l’Iran du joug impérialiste, pour libérer les femmes iraniennes de l’esclavage qu’elles subissent, pour garantir le droit à l’autodétermination nationale pour les Kurdes et les nombreuses autres nationalités opprimées, passe par la destruction de la domination de classe capitaliste en Iran. Ce qui manque cruellement aux masses iraniennes, c’est un parti ouvrier révolutionnaire, capable de diriger la lutte contre le régime clérical réactionnaire. Pour forger un tel parti, les militants de gauche en Iran doivent comprendre quelles sont les racines des trahisons des dirigeants qui, en 1979, ont contribué à une défaite historique en fraternisant avec les forces de la réaction islamique, présentées comme une alternative « progressiste » au shah.