Le Bolchévik nº 189 |
Septembre 2009 |
Engels contre Jaurès à la fête de l'Huma
La fête de l’Humanité était marquée cette année notamment par le 150e anniversaire de la naissance de Jaurès, le fondateur du journal l’Humanité. Le PCF avait prévu de lui rendre tous les hommages, y compris en organisant trois grands débats en son honneur à l’Agora de la fête. On a eu droit y compris à l’autocritique de Roland Leroy sur la place insuffisante qu’avait longtemps accordée le PCF à Jaurès dans son panthéon. Voici l’intervention du représentant de la LTF lors du deuxième débat sur « Jaurès et les valeurs de gauche » où figuraient à la tribune l’historien Raymond Huard et les philosophes Laurence Loeffel et André Tosel :
« Je trouve cela très bien que le PCF se revendique plus que jamais de Jaurès. Jaurès, après une carrière de politicien bourgeois, a été de façon constante, avec l’Allemand Bernstein, à l’aile droite de la Deuxième Internationale d’avant la Première Guerre mondiale. Lénine et Rosa Luxemburg l’ont dénoncé comme le principal porte-parole du ministérialisme à l’occasion de l’entrée du socialiste Millerand dans un gouvernement bourgeois. Effectivement Marie-George Buffet tout comme Jean-Luc Mélenchon, qui étaient tous les deux ministres ou secrétaires d’Etat sous Jospin, s’inscrivent dans cette tradition antimarxiste de Jaurès de participer à un gouvernement bourgeois, une tradition opposée à la Révolution russe et à la dictature du prolétariat.
« Les marxistes s’opposent non seulement à la participation à un exécutif bourgeois, ils sont y compris contre se présenter aux élections pour de tels postes exécutifs comme celui de président de la République ou de maire.
« Non seulement Lénine et Rosa Luxemburg, mais aussi déjà Engels mettaient en garde le mouvement ouvrier contre Jaurès, et je voudrais ici reprendre une citation d’Engels reproduite dans notre journal le Bolchévik de la Ligue trotskyste [extraite d’une lettre à Paul Lafargue, écrite le 6 mai 1894] : “Puis ce M. Jaurès, ce professeur doctrinaire, mais ignorant, surtout en économie politique, talent essentiellement superficiel, abuse de sa faconde pour se forcer dans la première place et poser comme le porte-voix du socialisme qu’il ne comprend même pas.”
« La tradition d’Engels c’est le Bolchévik. Et l’Humanité c’est effectivement le journal de Jaurès. »
Nous renvoyons sur ce point au nouveau numéro de Spartacist édition française et notamment à notre article « A bas les postes exécutifs de l’Etat capitaliste ! Principes marxistes et tactiques électorales », qui revient plus longuement sur la lutte dans la Deuxième Internationale il y a plus de 100 ans contre le ministérialisme bourgeois. Cet article revient aussi sur l’opposition bolchévique au municipalisme bourgeois. Nous nous basons sur l’expérience de la Révolution russe et les leçons que nous ont imparties les bolchéviks de Lénine, et qui nous conduisent à formuler notre opposition à même nous présenter à l’élection à des postes exécutifs de l’Etat bourgeois. Quant à nos opposants, ils rejettent cette expérience et ils ont soutenu la contre-révolution capitaliste en URSS ; la contre-révolution, un pas en arrière catastrophique pour le mouvement ouvrier international, se reflète dans une régression idéologique qui conduit nos opposants à retourner aux modèles d’avant la Révolution russe, plus précisément l’aile droite de la Deuxième Internationale d’avant 1914.
La remarque d’Engels sur l’ignorance de Jaurès « surtout en économie politique » est d’autant plus pertinente et tranchante que beaucoup d’intervenants à la fête, obligés de convenir que Jaurès n’avait rien de marxiste dans sa politique, affirmaient qu’il l’était du moins en économie politique du fait qu’il reconnaissait la loi de la valeur de Marx.
Le PCF n’était pas le seul à revendiquer un retour aux traditions antimarxistes du mouvement ouvrier français d’il y a 100 ans. Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du nouveau Parti de gauche (PG), diffusait son nouvel opuscule l’Autre gauche où il insiste que le socialisme français se distingue de la social-démocratie classique à l’allemande par le fait qu’il intègre en plus le républicanisme bourgeois de la Troisième République. Le « Parti de gauche » de Mélenchon, c’est donc le « social-républicanisme de Jean Jaurès » (l’Autre gauche), plus la « planification écologique » ; son collaborationnisme de classes est donc à double entrée : la promotion de la République capitaliste laïque contre la droite, et l’unité de tous avec tous car avec la cause écologique « il y a un “intérêt général” spécifiquement commun à tous les humains ».
La contribution dans la fête de l’ex-« extrême gauche » à la réhabilitation de Jaurès était plus modeste, mais d’autant plus réelle qu’elle s’exprimait dans l’action : le NPA diffusait un tract proposant de faire l’unité avec les jauressistes du PC-PG lors des prochaines élections, et LO défendait (en réponse à nos interventions lors de ses meetings dans son stand) sa participation à la gestion municipale du capitalisme dans les municipalités jauressistes tenues par le PCF voire les chevènementistes.
Pour notre part nous nous réclamons des luttes contre Jaurès de Friedrich Engels, cofondateur avec Karl Marx du socialisme scientifique. Nos inspirateurs, ce sont les « 3L » qui ont continué son combat : Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et Vladimir Lénine. Cette continuité est passée ensuite jusqu’à nous par l’intermédiaire de Léon Trotsky et James P. Cannon, le fondateur du trotskysme aux Etats-Unis. Aujourd’hui nous luttons pour reforger la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste.