Le Bolchévik nº 188

Juin 2009

 

LO : discours du dimanche « pour le communisme » - et vote en semaine pour le budget des municipalités capitalistes de front populaire

Lutte ouvrière (LO) a beaucoup souffert de l’essor médiatique et électoral du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot. Elle a d’abord essayé de doubler à droite l’organisation de Besancenot sur le terrain social-démocrate en prenant part dès le premier tour lors des élections municipales de 2008 à des fronts populaires incluant le PS, le PCF et diverses petites formations capitalistes comme les chevènementistes ou les Radicaux de gauche. LO insistait qu’« obtenir des élus municipaux est extrêmement important pour notre rayonnement politique » (Lutte de classe, décembre 2007-janvier 2008), et elle était prête à en payer le prix – en prenant la responsabilité d’administrer directement l’austérité capitaliste contre les travailleurs dans les municipalités. LO continue depuis fidèlement à soutenir la mairie capitaliste là où elle fait elle-même partie de la majorité municipale. Nathalie Arthaud, la nouvelle porte-parole de Lutte ouvrière, a été élue sur la liste de la majorité municipale de Maurice Charrier, maire bourgeois sortant (ex-PCF) de Vaulx-en-Velin en banlieue lyonnaise. Jean-Pierre Mercier, tête de liste de LO aux élections européennes de juin pour l’Ile-de-France, fait de même partie de la majorité municipale dirigée par le PCF à Bagnolet. Son camarade dans la bureaucratie syndicale CGT de l’usine PSA d’Aulnay, Philippe Julien, élu à Saint-Denis sur la liste PCF, vient de voter le budget municipal le 12 février.

Mais face à la crise qui dévaste le monde capitaliste, Lutte ouvrière, essayant soudainement de se positionner à gauche du NPA, se gargarise maintenant du mot « communisme », mentionne même Trotsky et Lénine, et se réfère positivement à l’économie soviétique ! Elle débite même quelques vérités sur l’incomparable supériorité de l’économie collectivisée soviétique et raconte les prouesses de l’industrialisation accélérée de l’URSS en dépit du blocus impérialiste et de la bureaucratie.

C’est le comble du cynisme de la part de Lutte ouvrière qui a activement soutenu les forces œuvrant à la contre-révolution capitaliste en Union soviétique ! Les discours actuels de LO pour le communisme servent à masquer son propre rôle, à sa propre échelle, dans la contre-révolution capitaliste qui a englouti la patrie de la révolution d’Octobre et eu des conséquences catastrophiques pour les travailleurs en Russie, mais aussi dans le reste du monde. LO porte ainsi sa propre responsabilité dans la campagne mensongère de la bourgeoisie sur la « mort du communisme » qui a accompagné la chute de l’URSS.

Pendant des années Lutte ouvrière a nié que Boris Eltsine, le prédécesseur de Poutine, avait détruit l’Etat ouvrier dégénéré soviétique en 1991-1992 ; il y a encore deux ans elle déclarait lors de son congrès n’avoir « aucune raison de changer notre caractérisation de la société russe car bien de ses singularités demeurent liées au passé, à l’émergence de l’Etat ouvrier » (Lutte de classe, décembre 2006). Il semble que les porte-parole de Lutte ouvrière reconnaissent maintenant implicitement la destruction de la propriété collectivisée soviétique et le rétablissement du capitalisme en Russie. Ainsi, Nathalie Arthaud déclarait dans ses discours au premier trimestre : « Aujourd’hui, il n’y a plus aucune région de la planète où la vie des hommes ne soit pas entièrement dépendante de l’économie capitaliste, directement ou indirectement (« Face à la faillite du capitalisme, actualité du communisme », supplément à Lutte Ouvrière du 17 avril). La Russie serait passée d’Etat ouvrier à Etat bourgeois (on ne sait pas quand), mais cela n’a pas la moindre conséquence concernant le programme de LO.

Le soutien de LO aux forces de la contre-révolution capitaliste

Ceux qui cherchent à comprendre et s’approprier le communisme véritable doivent se tourner vers la seule organisation qui a défendu l’Union soviétique et les Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est jusqu’au bout contre l’impérialisme et la contre-révolution : la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste) et la tendance spartaciste internationale qui l’a précédée dans les années 1970 et 1980. Nous luttions en même temps pour une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne, dont la politique de coexistence pacifique avec l’impérialisme était l’antithèse de l’internationalisme prolétarien révolutionnaire de l’URSS de Lénine et Trotsky et minait de l’intérieur les fondements de la propriété collectivisée. Nous luttions pour remplacer la bureaucratie par un régime de démocratie soviétique (de conseils ouvriers) similaire à celui de la Russie soviétique des premières années après la révolution de 1917. Nous étions guidés par la perspective internationaliste d’étendre la dictature du prolétariat au monde entier et aller de l’avant pour édifier le socialisme, une société d’abondance basée sur une économie collectivisée et planifiée rationnellement dans l’intérêt de tous.

Notre lutte pour la révolution politique prolétarienne était basée sur la prémisse fondamentale de la défense inconditionnelle de l’Etat ouvrier. Les discours « antibureaucratiques » qui écartaient cette défense, comme ceux de LO, n’étaient au contraire qu’une couverture pour un soutien à une contre-révolution capitaliste « démocratique ». Et effectivement, lorsque l’Union soviétique est intervenue en Afghanistan en 1979, à la demande de son gouvernement qui faisait face à une insurrection moyenâgeuse de mollahs financés par la CIA et les services secrets saoudiens, Lutte ouvrière s’est mise à comparer l’intervention soviétique avec la guerre d’Algérie menée par l’impérialisme capitaliste français (Lutte de classe, 7 juillet 1980) ! Elle se plaçait ainsi implicitement dans le camp des mollahs antisoviétiques, partisans forcenés du voile islamique oppresseur.

C’était pourtant un exemple rare où l’intervention soviétique était indubitablement progressiste, et nécessaire pour la défense du flanc sud de l’URSS. L’Afghanistan était un pays terriblement arriéré. L’absence de tout prolétariat faisait de l’Armée rouge la seule force pouvant apporter le progrès social, et c’est ce qu’elle fit en permettant aux femmes de se dévoiler et d’aller étudier jusqu’à Moscou et devenir médecins, enseignantes, etc. La collectivisation soviétique des moyens de production, en dépit de la bureaucratie stalinienne, était incompatible avec l’exclusion sociale complète des femmes que voulaient réimposer les moudjahidin de la CIA et de Bernard Kouchner.

Aussi, nous, les trotskystes, avions salué l’Armée rouge. Nous avions exigé l’extension des acquis de la révolution d’Octobre aux peuples afghans. Nous mettions en garde que la bureaucratie stalinienne risquait de trahir dans l’espoir d’amadouer les impérialistes. Effectivement Gorbatchev a ordonné le retrait des troupes soviétiques, qui était achevé début 1989. LO avait souhaité neuf ans auparavant que le peuple afghan « puisse se libérer de l’oppression étrangère » russe (ibid.) : leur vœu était exaucé ; quant à nous, nous avons dénoncé ce retrait, qui pavait la voie à l’effondrement final de l’URSS dans les trois ans qui ont suivi et qui allait renvoyer les femmes afghanes à la réclusion de la burqa.

En Pologne, en août 1980, il y eut une grande grève dans les chantiers navals de Gdansk. Les griefs de la classe ouvrière contre la bureaucratie stalinienne, qui avait hypothéqué l’économie aux mains des banquiers impérialistes, étaient justifiés. Mais nous avons mis en garde dès le début de cette grève contre les dirigeants des travailleurs qui étaient manifestement des catholiques anticommunistes. Nous disions : « Une Pologne ouvrière, oui ! La Pologne du pape, non ! » Lors de son premier congrès en septembre 1981, Solidarnosc, le seul « syndicat » qu’aient jamais aimé Reagan, Thatcher ou Le Pen, adopta sans équivoque un programme de restauration du capitalisme. Il fallait stopper Solidarnosc, et c’est ce que nous avons dit en cherchant à mobiliser la classe ouvrière polonaise pour qu’elle se réapproprie ses racines prosocialistes, défende l’Etat ouvrier contre les forces de la réaction cléricale et de l’impérialisme, et renverse la bureaucratie stalinienne qui avait pavé la voie à Solidarnosc. En décembre 1981 nous avons donné un soutien militaire au coup d’Etat du Premier ministre polonais Jaruzelski, qui a donné un répit en mettant temporairement en échec la tentative de prise du pouvoir par Solidarnosc. A peine huit ans plus tard, en 1989, le même Jaruzelski décidait cette fois d’abandonner le pouvoir aux contre-révolutionnaires de Solidarnosc, qui ont effectivement détruit l’Etat ouvrier déformé polonais, instauré l’une des législations anti-avortement les plus réactionnaires de toute l’Europe, et aujourd’hui restaurent la propriété foncière du Vatican.

Alors que la LCR d’Alain Krivine faisait un portrait mensonger de Solidarnosc au début des années 1980 comme s’il s’agissait d’une organisation socialiste, LO reconnaissait ouvertement le caractère réactionnaire et clérical de sa direction – mais cela ne l’a jamais empêchée de la soutenir ! Leur prétexte c’était que les ouvriers suivaient massivement Solidarnosc, donc il fallait en faire l’expérience avec eux. Leur ouvriérisme était un alibi transparent pour soutenir des forces réactionnaires. Sur le terrain domestique la même logique les conduisait à soutenir le front populaire antisoviétique de Mitterrand (par ailleurs chaud partisan de Solidarnosc) et à voter pour lui (« sans illusions mais sans réserve »). Si LO critiqua la social-démocratie de Mitterrand sur la Pologne en décembre 1981 c’est de la droite, pour s’être rendue au statu quo qu’avaient réimposé les chars de Jaruzelski (voir Lutte de classe, 19 janvier 1982) !

En novembre 1989, le mur de Berlin tombait face à un soulèvement populaire en République démocratique allemande (RDA) qui constituait un début de révolution politique. LO déclarait : « même si cette réunification [de l’Allemagne] se fait entièrement sous l’égide du capitalisme, les révolutionnaires communistes n’ont aucune raison d’y être opposés dans la mesure où le prolétariat et plus généralement la population est-allemande le veulent » (Lutte de classe, décembre 1989). C’était voir les événements à travers le prisme de la propagande impérialiste : les ouvriers cherchaient en réalité une alternative socialiste au régime stalinien sclérosé d’Erich Honecker. Nous sommes intervenus de toutes nos forces pour une réunification révolutionnaire de l’Allemagne, pour une Allemagne rouge des conseils ouvriers. Des milliers de travailleurs dévoraient notre presse chaque jour : nous éditions un journal pratiquement quotidien en décembre 1989, Arbeiterpressekorrespondenz (correspondance de presse ouvrière), en plus de notre revue internationale en allemand Spartacist et du journal (alors hebdomadaire) de la Trotzkistische Liga Deutschlands, Spartakist.

Notre propagande avait un impact croissant, qui se manifesta notamment lors de la manifestation de Treptow à Berlin-Est le 3 janvier 1990 où un quart de million de personnes prirent part à une manifestation prosoviétique dont nous avions été à l’initiative, et à laquelle le SED-PDS au pouvoir avait dû se rallier. Mais les travailleurs ont été trahis par les bureaucrates staliniens de Moscou et Berlin-Est qui décidèrent alors, pour « éviter le chaos », de brader la RDA aux impérialistes. En mars 1990 eurent lieu des élections législatives en RDA qui de fait constituaient un plébiscite pour ou contre la réunification capitaliste : nous avons été les seuls à nous présenter sur un programme d’opposition inconditionnelle à une réunification capitaliste ; les travailleurs, démoralisés par le coup de poignard des bureaucrates, ont fini par voter en faveur de la réunification ; nous, les trotskystes, avons perdu, mais nous avons lutté, pendant que LO servait de fait des alibis à la contre-révolution (voir notre brochure de juin 2000 sur notre intervention en RDA et en URSS ainsi que nos articles parus dans le Bolchévik n° 153 et n° 182).

En URSS, l’événement pivot de la contre-révolution fut le coup d’Etat de Boris Eltsine en août 1991 pour contrer le coup d’Etat raté des lieutenants de Gorbatchev qui voulaient introduire le capitalisme plus lentement, et d’une manière dont ils seraient les bénéficiaires. En l’absence de résistance massive de la part de la classe ouvrière à la contre-révolution capitaliste qui gagnait du terrain, Eltsine, dont la prise du pouvoir avait été soutenue par l’impérialisme au nom de la « démocratie », consolida sa position et paracheva la destruction de l’Etat ouvrier dégénéré.

Mais pour LO, le contre-coup d’Etat d’Eltsine mérite à peine d’être mentionné. Ils se focalisèrent plutôt sur le coup d’Etat raté des lieutenants de Gorbatchev et posèrent la question : « On peut se demander aussi quelle aurait été l’attitude d’une organisation révolutionnaire face à ce putsch ». Leur réponse : « Mais au-delà des affirmations de principe, on ne peut en dire grand chose de sérieux… (Lutte de classe, décembre 1991). » LO niait par conséquent qu’Eltsine fût le fer de lance de la contre-révolution capitaliste, et du coup se déclarait implicitement prête à des « accords de front unique » contre la restauration capitaliste « avec tel ou tel groupe politique se battant sur l’un ou l’autre de ces terrains, même si ce ou ces groupes représentaient des catégories sociales petites-bourgeoises, bourgeoises ou bureaucratiques » (ibid.) – en d’autres termes y compris avec Eltsine selon la situation !

Nos camarades de la LCI à Moscou ont publié en russe et distribué à des dizaines de milliers d’exemplaires un appel sous le titre « Ouvriers soviétiques : écrasez la contre-révolution d’Eltsine-Bush ! » C’était la première déclaration distribuée largement à travers l’Union soviétique contre les agissements d’Eltsine visant le pouvoir. Nous avancions un programme de révolution politique contre la restauration capitaliste – pour des soviets ouvriers authentiques, organes d’un nouveau pouvoir politique prolétarien. Mais la classe ouvrière soviétique – atomisée et manquant d’une direction anticapitaliste, n’ayant pas une conscience socialiste cohérente et consistante, et sceptique sur la possibilité d’une lutte de classe dans les pays capitalistes – ne s’est pas mobilisée dans une résistance contre la contre-révolution usurpatrice qui a réussi à détruire l’Etat ouvrier soviétique en 1991-1992.

LO soutient les forces de la contre-révolution capitaliste en Chine

Pendant des années LO nous traitait de « staliniens » parce que nous luttions pour la défense de l’URSS. Ils nous disaient qu’il serait bien encore temps de défendre l’URSS quand elle serait attaquée. Mais aujourd’hui où c’est trop tard, ils se déclarent soudainement des fans de l’économie soviétique ! Bien entendu il ne faut pas prendre au sérieux leurs prétentions. Dans ses discours en début d’année, Nathalie Arthaud expliquait :

« Mais, en revanche, nous assumons pleinement le bilan de l’économie soviétique malgré les limites que lui a imposées la bureaucratie.
« L’Union soviétique a été le premier pays où le prolétariat, après avoir pris le pouvoir politique et après avoir aboli complètement la propriété féodale et la propriété bourgeoise, a étatisé les moyens de production. »

Nathalie Arthaud poursuit en louant les prouesses de l’économie soviétique pendant la Deuxième Guerre mondiale, décrivant le déménagement derrière l’Oural des usines situées dans les zones envahies par la Wehrmacht nazie (une prouesse extraordinaire effectivement) comme une opération « sans précédent dans l’histoire industrielle, qui n’aurait pas été possible ni même concevable sans l’étatisme ».

Le but véritable de LO n’est pas de prôner par là la collectivisation de l’ensemble de l’économie : LO considère que des pays comme la Corée du Nord ou Cuba, des Etats ouvriers déformés où le secteur privé a manifestement un poids négligeable dans l’économie, sont en fait « capitalistes ». LO reconnaît ces dernières années que, contrairement à l’Inde, la Chine a connu un important progrès économique et social du fait de son « capitalisme d’Etat » jusque dans les années 1980 (sans utiliser explicitement l’expression, ils disent par exemple de façon absurde dans leur brochure consacrée à la Chine, l’« Exposé du cercle Léon Trotsky » du 27 janvier 2006, que « Mao fut en quelque sorte un Robespierre chinois, c’est-à-dire qu’il alla jusqu’au bout dans la défense des intérêts historiques de la bourgeoisie »). Ils utilisent pour expliquer ces acquis des arguments tout à fait similaires à ceux qu’ils ressortent aujourd’hui sur l’« étatisme » soviétique.

Ils piétinent ainsi au passage la théorie de la révolution permanente de Trotsky, qui explique que dans les pays capitalistes arriérés la bourgeoisie nationale est faible et dépendante de l’impérialisme et, craignant sa propre classe ouvrière davantage que ses maîtres impérialistes, elle est incapable d’apporter une véritable indépendance nationale ou des acquis généralement associés par exemple à la révolution bourgeoise de 1789 en France. S’il y a des acquis en Chine contrairement à l’Inde, c’est en réalité parce que la première, et non la seconde, est depuis la Révolution de 1949 un Etat ouvrier bureaucratiquement déformé, une société qualitativement comparable à l’URSS de Staline ou Gorbatchev où les capitalistes ne constituaient pas la classe dominante : le noyau de l’économie chinoise demeure collectivisé, et cela explique aussi pourquoi la Chine n’est pas affectée de la même manière par la récession qui dévaste aujourd’hui le monde capitaliste.

En Chine la politique d’ouverture de la bureaucratie, même si elle a d’un côté conduit à une croissance spectaculaire du prolétariat chinois, a aussi renforcé les forces pour la contre-révolution à l’intérieur même du pays (voir notre article page 24). Cela rend d’autant plus urgente la nécessité de lutter pour défendre la propriété collectivisée et son Etat face à l’encerclement militaire impérialiste et au danger d’une contre-révolution capitaliste de l’intérieur, et de lutter pour une révolution politique prolétarienne renversant la vénale bureaucratie stalinienne de Pékin. Lutte ouvrière tout au contraire se joint aux campagnes capitalistes contre-révolutionnaires contre la Chine. Ils se sont implicitement rangés l’année dernière du côté des pogromistes tibétains contre-révolutionnaires qui s’étaient livrés à des émeutes anti-chinoises ; dans Lutte Ouvrière du 28 mars 2008 leur dirigeant Jean-Pierre Vial se réjouissait des provocations des anticommunistes professionnels de « Reporters sans frontières » contre la Chine lors du passage de la flamme olympique (voir nos articles dans le Bolchévik n° 183 et n° 185). En 2007 ils avaient offert une tribune lors de leur fête annuelle à un certain Cai Chongguo, un agent contre-révolutionnaire notoire de l’impérialisme ; des camarades de la LTF étaient intervenus pour dénoncer LO pour cela lors du meeting de CIA-Cai (voir le Bolchévik n° 181).

LO et l’étatisme bourgeois

Le but de LO n’est donc pas du tout de défendre les conquêtes de l’« étatisme » des Etats ouvriers ; il s’agit de faire la louange de l’Etat en général, en fait de l’Etat capitaliste, comme un facteur de progrès social, comme le souligne Nathalie Arthaud (toujours dans les mêmes discours) :

« Même avant la crise, cette économie capitaliste, pourtant porteuse de l’idée du “chacun pour soi”, ne pouvait fonctionner sans une dose importante d’intervention de l’Etat. Pour mieux servir les intérêts généraux de la bourgeoisie, l’Etat est obligé d’échapper dans une certaine mesure à la logique du profit individuel et à ses impératifs. Sans l’Etat, il n’y aurait pas en France d’éducation, de routes, de chemins de fer, de réseau électrique, ni d’aménagement du territoire ou d’urbanisme, et le capitalisme ne pourrait exister. […] En faisant appel à l’Etat, le marché rend en quelque sorte hommage à la centralisation et à la planification. C’est l’hommage du vice à la vertu ! »

Cette ode à l’Etat et sa vertu n’a rien à voir avec le marxisme. Trotsky par exemple expliquait dans son ouvrage la Révolution trahie :

« L’étatisme [bourgeois], dans ses efforts pour diriger l’économie, ne s’inspire pas du besoin de développer les forces productives, mais du souci de maintenir la propriété privée au détriment des forces productives qui s’insurgent contre elle. L’étatisme freine l’essor de la technique en soutenant des entreprises non viables et en maintenant des couches sociales parasitaires ; il est en un mot profondément réactionnaire. »

Trotsky ne faisait que répéter des évidences élémentaires du marxisme. Entre mille autres, voici une citation de Friedrich Engels, le fondateur avec Karl Marx du socialisme scientifique (il s’agit d’une lettre à Paul Lafargue du 6 mars 1894) :

« Mais prenons simplement la proposition de charger l’Etat de l’importation des blés. J[aurès] veut empêcher la spéculation. Mais que fait-il ? il charge le gouvernement de l’achat des blés étrangers. Le gouvernement est le comité exécutif de la majorité de la Chambre, et la majorité de la Chambre, c’est la représentation la plus exacte possible de ces mêmes spéculateurs en blés, en actions, en fonds publics, etc. […] Il ne vous suffit pas qu’ils volent la France au moyen du budget annuel et de la Bourse, où ils emploient du moins leurs propres capitaux et leurs propres crédits – vous voulez les doter de plusieurs milliards et du crédit national, pour qu’ils vident les poches encore plus à fond a[u] moyen du socialisme d’Etat ! […] Puis ce M. Jaurès, ce professeur doctrinaire, mais ignorant, surtout en économie politique, talent essentiellement superficiel, abuse de sa faconde pour se forcer dans la première place et poser comme le porte-voix du socialisme qu’il ne comprend même pas. Autrement, il n’aurait pas osé mettre en avant un socialisme d’Etat qui représente une des maladies d’enfance du socialisme prolétarien ».

La prosternation religieuse de Lutte ouvrière devant l’Etat s’inscrit en droite ligne de tous les sociaux-démocrates qui ont travesti les enseignements de Marx sur l’Etat. Lénine a écrit l’Etat et la révolution à la veille de la révolution d’Octobre précisément pour rétablir ces enseignements et armer ses camarades contre les obstacles réformistes à la révolution. Avec force citations de Marx et d’Engels il expliquait que l’Etat, ce sont en dernier ressort des détachements spéciaux d’hommes armés (la police, l’armée, les gardiens de prison) pour défendre l’ordre capitaliste. L’Etat ne représente pas ce qu’il y aurait de « vertueux » dans le capitalisme, il est au contraire la dernière ligne de défense de la classe capitaliste. C’est pourquoi les marxistes expliquent la nécessité non pas de l’investir de tâches « socialistes », mais de le détruire par une révolution ouvrière où les travailleurs en armes le remplaceront par leur propre Etat pour réprimer la résistance des capitalistes, la dictature du prolétariat.

LO, elle, se définit toutes les semaines dans son journal en page 2 (en petits caractères) comme voulant « remplacer [non pas détruire] l’Etat de la bourgeoisie pour créer un régime où les masses populaires exerceront elles-mêmes le pouvoir en assurant un contrôle démocratique sur tous les rouages du pouvoir économique et politique ». Nathalie Arthaud a déclaré dans ses récents discours qu’il fallait « la destruction de ces institutions » (de la bourgeoisie). Mais lesquelles exactement, elle ne le précise pas. En tout cas Arthaud ne parlait pas des bandes armées de la bourgeoisie.

Les cadres de LO sans aucun doute n’ignorent pas la théorie marxiste de l’Etat ; leur opportunisme n’en est que plus criminel : voilà LO qui s’enthousiasme pour la « grève » des matons (Lutte Ouvrière, 8 mai) ! LO a toujours refusé de s’opposer à Vigipirate, un plan de quadrillage militaire raciste des gares et des aéroports qu’avait mis en place Mitterrand contre les jeunes de banlieue lors de la première guerre du Golfe. Elle avait soutenu le rétablissement de l’ordre capitaliste pendant la révolte des banlieues de 2005, son dirigeant historique Robert Barcia qualifiant cette prise de position scandaleuse d’« ânerie, bien sûr, mais mineure ». LO a fait campagne aux municipales l’année dernière sur des listes exigeant le rétablissement ou l’installation de commissariats de police, comme par exemple à Romainville dans le 9-3.

C’est l’envers de la même médaille réformiste de LO : ils défendent l’étatisme capitaliste et sa police, et de l’autre côté ils refusent de défendre la propriété collectivisée dans les Etats ouvriers déformés restants. Au fond la politique de LO a davantage en commun avec celle de Jean Jaurès, dont on a vu plus haut ce qu’en pensait Engels, qu’avec celle de Lénine et Trotsky. Il existe pourtant une continuité du parti bolchévique de Lénine, contrairement à ce qu’a prétendu Arlette Laguiller lors des mêmes meetings (« la continuité du mouvement communiste révolutionnaire, la continuité physique en tout cas, fut rompue »). Cette continuité passe par l’Opposition de gauche de Trotsky puis la Quatrième Internationale (dont se sépara Barta, le fondateur historique de la tendance de LO, du vivant de Trotsky) ; le parti le plus expérimenté et le plus solide dans la Quatrième Internationale était le Socialist Workers Party (SWP) américain de James P. Cannon, qui travailla directement avec Trotsky. Il s’opposa à la destruction par Michel Pablo et ses acolytes, ancêtres d’Olivier Besancenot, de la Quatrième Internationale, au début des années 1950. Lorsque le SWP rompit lui-même avec le trotskysme au début des années 1960, il y eut une opposition qui maintint le programme révolutionnaire trotskyste, la Tendance révolutionnaire. Exclue bureaucratiquement, elle est à l’origine de la tendance spartaciste internationale et aujourd’hui de la Ligue communiste internationale. Nous sommes le parti de la Révolution russe. Pour une Quatrième Internationale reforgée !