Le Bolchévik nº 188

Juin 2009

 

Chine

Charte 08 : programme pour la contre-révolution « démocratique »

Défense de l’Etat ouvrier bureaucratiquement déformé chinois ! Pour la révolution politique prolétarienne !

En décembre dernier, un document intitulé Charte 08 a commencé à circuler sur Internet en Chine. Signé au départ par quelque 300 personnes, principalement des intellectuels et des universitaires, ce texte a aujourd’hui recueilli 8 000 signatures supplémentaires. Une traduction anglaise a rapidement été mise en circulation, et a été publiée le 15 janvier par le New York Review of Books. [Plusieurs traductions françaises ont été mises en ligne notamment sur le site Internet de Rue89, de Courrier international et du Figaro.] La Charte 08 a été acclamée par les médias capitalistes aux Etats-Unis et dans le monde entier. Un éditorial du Financial Times de Londres (7 janvier) y a salué « une puissante affirmation des droits de l’homme universels ». Un éditorial du Washington Post (30 janvier) l’a qualifiée de « nouveau mouvement pour la démocratie » en Chine.

Sous l’emballage de la « démocratie », la Charte 08 est un programme explicite pour la contre-révolution capitaliste dans l’Etat ouvrier déformé chinois. Ses initiateurs cherchent à imiter les dissidents d’Europe de l’Est soutenus par les impérialistes, qui se réclamaient des « droits de l’homme » et qui ont été le fer de lance des contre-révolutions dans l’ex-bloc soviétique en 1989-1992. La Charte appelle à des « élections libres », un mécanisme politique devant permettre à des partis favorables à la restauration du capitalisme d’accéder au pouvoir gouvernemental. Elle réclame la privatisation du noyau collectivisé de l’économie chinoise – les entreprises d’Etat – ainsi que de la terre. Bref, c’est un programme de démantèlement des acquis sociaux de la Révolution de 1949 qui, s’il était appliqué, plongerait de nouveau la Chine dans l’assujettissement et l’exploitation impérialistes.

La Charte 08 soutient rétrospectivement le Guomindang (Parti nationaliste) de Chiang Kai-shek, qui était soutenu par les impérialistes, contre le Parti communiste chinois (PCC) dans la guerre civile de la fin des années 1940 : « La victoire sur le Japon, en 1945, donna une nouvelle chance à la Chine pour évoluer vers un gouvernement moderne, mais la victoire communiste sur les Nationalistes lors de la guerre civile plongea la Chine dans le totalitarisme. »

La Révolution chinoise de 1949 a été une révolution sociale progressiste d’importance historique. Des centaines de millions de paysans se sont soulevés et ont pris possession de la terre sur laquelle leurs ancêtres avaient été exploités depuis la nuit des temps. La création d’une économie planifiée centralisée et collectivisée a jeté les bases d’immenses progrès sociaux. La révolution a permis aux femmes de formidables avancées par rapport au statut misérable qui était auparavant le leur et qui était enraciné dans le vieil ordre confucéen, avec des pratiques comme le mariage forcé et le concubinage. Une nation qui avait été ravagée et divisée par les puissances étrangères fut unifiée et libérée du joug impérialiste.

Cette révolution était toutefois déformée dès son origine sous le régime du PCC de Mao Zedong, une caste bureaucratique nationaliste installée au sommet de l’Etat ouvrier. Contrairement à la Révolution d’octobre 1917 en Russie, qui avait été le fait d’un prolétariat doté d’une conscience de classe et guidé par l’internationalisme bolchévique de Lénine et Trotsky, la Révolution chinoise a été le résultat d’une guerre de guérilla paysanne menée par les forces staliniennes-nationalistes de Mao. Prenant modèle sur la bureaucratie stalinienne qui avait usurpé le pouvoir en URSS, Mao et ses successeurs, y compris le régime actuel de Hu Jintao, ont toujours prêché l’idée profondément antimarxiste que le socialisme – une société égalitaire sans classes, basée sur l’abondance matérielle – pourrait être construit dans un seul pays. En pratique, le « socialisme dans un seul pays » a signifié la conciliation de l’impérialisme mondial et l’opposition à la perspective de la révolution ouvrière internationale, qui est indispensable pour avancer vers le socialisme.

En tant que trotskystes, nous prenons position pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution. Pour répondre aux aspirations des ouvriers et des travailleurs ruraux chinois aux droits démocratiques et à un gouvernement qui représente leurs besoins et leurs intérêts, nous disons qu’il faut une révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne nationaliste et instaurer un gouvernement basé sur des conseils élus d’ouvriers et de paysans, un gouvernement attaché à l’internationalisme prolétarien révolutionnaire. Cette perspective, qui a pour prémisse la défense des acquis de la révolution, est diamétralement opposée aux machinations contre-révolutionnaires de groupements comme la Charte 08.

« Droits de l’homme » et « démocratie » au service de la contre-révolution

Le nom Charte 08 fait référence à la Charte 77, un document rédigé par des dissidents tchécoslovaques en 1977. Ce mouvement, et d’autres groupes similaires, avaient été encouragés et mis en avant par la campagne sur les « droits de l’homme » lancée par le Président américain d’alors, le démocrate Jimmy Carter, dans le but d’effectuer un travail de sape politique contre l’Union soviétique et ses partenaires du bloc d’Europe de l’Est. Ce n’est, comme on dit, pas un hasard si Vaclav Havel, une des figures de proue de la Charte 77, a joué plus tard, en 1989-1990, un rôle central dans la contre-révolution soutenue par les impérialistes en Tchécoslovaquie.

Beaucoup plus ouvertement encore que Havel et Cie en 1977, le groupe réuni autour de la Charte 08 brandit les mots d’ordre de « droits de l’homme » et de « démocratie » pour attaquer la destruction révolutionnaire du pouvoir capitaliste. La Charte déclare : « où va la Chine au XXIe siècle ? Poursuivra-t-elle sa “modernisation” autoritaire, ou épousera-t-elle les valeurs universelles, rejoindra-t-elle le lot commun des nations civilisées et bâtira-t-elle un système démocratique ? » Concrètement, la Charte explique qu’il faut « mettre fin au privilège spécial accordé à un parti qui a le droit de monopoliser le pouvoir, et nous devons garantir le principe d’une concurrence libre et égale entre tous les partis politiques ».

Une « démocratie » sans contenu de classe n’existe pas. Le gouvernement parlementaire à l’occidentale, élu au suffrage universel, est une forme politique déguisée de la dictature de la classe capitaliste. Dans un tel système, la classe ouvrière est politiquement réduite à une somme d’individus isolés. La bourgeoisie peut efficacement manipuler l’électorat à travers le contrôle qu’elle exerce sur les médias, le système éducatif et les autres institutions qui façonnent l’opinion publique. Dans toutes les « démocraties » capitalistes, les responsables gouvernementaux sont à la solde des banques et des grandes entreprises. Comme l’expliquait Lénine en 1918 dans son ouvrage polémique la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky : « Dans l’Etat bourgeois le plus démocratique, les masses opprimées se heurtent constamment à la contradiction criante entre l’égalité nominale proclamée par la “démocratie” des capitalistes, et les milliers de restrictions et de subterfuges réels, qui font des prolétaires des esclaves salariés. »

Le mot d’ordre de la « démocratie » pure pourrait servir jusqu’à un certain point à mobiliser les forces de la contre-révolution en Chine, mais leur victoire ne conduirait pas à un régime bourgeois stable de type parlementaire. La Chine serait au contraire asservie et peut-être démembrée par les impérialismes américain, européens de l’Ouest et japonais, et transformée en un gigantesque bagne.

La République populaire de Chine est une expression bureaucratiquement déformée de la dictature du prolétariat. Le pouvoir de classe des capitalistes a été brisé et l’économie collectivisée, mais le prolétariat est privé du pouvoir politique direct. Ce qu’il faut, c’est lutter pour la démocratie prolétarienne. Les ouvriers et les travailleurs des campagnes ont besoin de leurs propres institutions gouvernementales de classe, les soviets (le terme russe pour conseils), qui seraient ouverts à tous les partis qui défendent l’Etat ouvrier.

La Charte 08 fait la promotion du capitalisme de « libre marché »

L’appel à la restauration capitaliste de la Charte 08 est sans ambiguïté :

« Nous devrions établir et protéger le droit à la propriété privée, et promouvoir un système économique de marché libre et honnête […]. Nous devrions créer un Comité des entreprises d’Etat, responsable devant le Parlement, qui supervisera le transfert de la propriété de l’Etat vers le secteur privé d’une manière honnête, concurrentielle et ordonnée. »

Il est pour le moins ironique de réclamer ainsi le retour du capitalisme de « libre marché » au moment même où l’irrationalité destructrice du système capitaliste – l’anarchie du marché – est plus évidente que jamais depuis plusieurs dizaines d’années. Le capitalisme mondial est en proie à une crise financière/économique de plus en plus grave, centrée sur les pays impérialistes d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest et sur le Japon. Les gouvernements de ces pays tentent désespérément d’enrayer l’hémorragie en nationalisant les banques, en multipliant les subventions aux industries clés et en ayant recours à d’autres formes d’intervention de l’Etat dans l’économie. En même temps, beaucoup de politiciens américains, notamment autour de l’administration démocrate d’Obama, préconisent davantage de protectionnisme à l’encontre de la Chine.

On pourrait avoir l’impression que les auteurs de la Charte 08 ont tiré leur programme néolibéral pour privatiser l’industrie et le commerce des éditoriaux du Wall Street Journal ou de l’hebdomadaire londonien The Economist d’il y a deux ou trois ans. En fait, leur source d’inspiration est probablement plus proche de la Chine. Malgré son hostilité au régime du PCC, la Charte 08 a, d’une certaine façon, poussé la doctrine du « socialisme de marché » des dirigeants du PCC à sa conclusion logique. Depuis des dizaines d’années, les staliniens de Pékin vantent la supériorité des mécanismes de marché et de la concurrence sur la planification et la gestion centralisées. Ils utilisent l’aiguillon du marché pour tenter de résoudre le problème de stagnation de la productivité inhérent au commandisme bureaucratique en vigueur sous Mao. Ils prétendent que la Chine pourrait devenir une grande puissance en s’intégrant au marché capitaliste mondial via les investissements étrangers et les exportations de produits manufacturés bon marché vers les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest. Mais aujourd’hui cette stratégie économique est battue en brèche – de façon spectaculaire – par la crise économique capitaliste mondiale.

Le poids déterminant des entreprises et des banques d’Etat a évité à la Chine d’être entraînée dans une crise économique aussi profonde que celle qui fait rage dans la plupart des pays capitalistes. Néanmoins, des secteurs importants de son économie ont été durement touchés. Dans la province du Guangdong, le centre des industries d’exportation chinoises, les livraisons ont chuté de plus de 50 % au cours des deux premiers mois de cette année. Déjà plus de 20 millions de travailleurs migrants ont été licenciés, principalement par des usines appartenant à des capitalistes étrangers ou chinois de l’étranger et qui produisent des biens de consommation pour l’exportation.

Ceci a déclenché une poussée de luttes ouvrières défensives, à l’occasion desquelles des ouvriers en colère, qui réclament le versement de salaires non payés ou d’indemnités de licenciement, en viennent aux mains avec la police. Le régime du PCC a réagi par un mélange de répression, de versement d’indemnités pécuniaires à certains des nouveaux chômeurs, et en revenant sur certaines de ses mesures de privatisation. « Autant pour le capitalisme », proclamait le titre d’un article de The Economist (5 mars) sur les récentes mesures économiques de Pékin, en notant à regret, que « l’ouverture » de l’économie chinoise était apparemment passée « en marche arrière ».

Les sociaux-démocrates anticommunistes applaudissent la Charte 08

Il est normal que les principaux organes d’opinion publique bourgeoise approuvent la Charte 08. Mais c’est aussi le cas d’un certain nombre de groupes qui se proclament socialistes, et même trotskystes. En réalité, ces groupes rejettent le trotskysme au profit d’un programme de contre-révolution capitaliste « démocratique ».

Un article récent du groupe hongkongais October Review, lié aux pseudo-trotskystes du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (SU, auquel est associé en France Olivier Besancenot), soutient sans la moindre critique la Charte 08 (« L’état des droits de l’homme en Chine », 31 décembre 2008). Saluant « les efforts du peuple pour la démocratie et les droits de l’homme », cet article ne mentionne pas une seule fois ni le capitalisme, ni le socialisme, ni la classe ouvrière !

De son côté, le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) dirigé par Peter Taaffe (représenté en France par la Gauche révolutionnaire, courant du NPA), écrit :

« Ce manifeste, qui a maintenant recueilli plus de 7 000 signatures, demande la fin du régime du parti unique et les droits civiques de base – toutes choses pour lesquelles les socialistes se battent aussi (cependant, beaucoup de signataires de la “Charte 08” sont des libéraux, favorables à une accélération du rythme des “réformes économiques” capitalistes). »

chinaworker.info, 16 janvier

Le CIO critique les propositions économiques de la Charte 08, mais s’identifie positivement à son appel à la « démocratie ». Il n’y a là rien de nouveau pour les taaffistes, qui ont soutenu toutes sortes de forces anticommunistes dans les Etats ouvriers dégénéré et déformés. Dans les dernières années tumultueuses de l’URSS, ils ont soutenu le camp « démocratique » des partisans de la restauration capitaliste derrière Boris Eltsine. En août 1991, Eltsine, ouvertement soutenu par le Président américain d’alors, George Bush père, avait dirigé avec succès un contre-coup d’Etat contre les débris d’une oligarchie du Kremlin en pleine désintégration. Les taaffistes avaient alors rejoint la racaille réactionnaire d’Eltsine sur les barricades de Moscou. A l’opposé, nos camarades à Moscou avaient diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires un tract qui proclamait : « Ouvriers soviétiques : Repoussez la contre-révolution de Bush-Eltsine ! » La contre-révolution capitaliste a apporté aux peuples de l’ex-Union soviétique et d’Europe de l’Est chômage de masse, diminution de l’espérance de vie et dégradation sociale ; elle a aussi encouragé les exploiteurs impérialistes à s’attaquer aux travailleurs et aux minorités raciales et ethniques.

Aujourd’hui, le CIO diffuse les textes du China Labor Bulletin (CLB) basé à Hongkong. Le CLB se présente comme une organisation ouvrière qui milite pour des « syndicats ouvriers indépendants », mais c’est en réalité un groupe contre-révolutionnaire qui a des liens directs avec l’impérialisme américain. Han Dongfang, son dirigeant, a depuis pas mal de temps une émission sur Radio Free Asia, une radio de la CIA ; il est également vice-président du Mouvement mondial pour la démocratie, une officine fondée et dirigée par le National Endowment for Democracy (NED-Fondation nationale pour la démocratie), un groupe-paravent bien connu de la CIA. Han a été surnommé le « Lech Walesa chinois », du nom du dirigeant de l’organisation polonaise Solidarnosc. Dans les années 1980, Solidarnosc, le seul « syndicat » soutenu par Reagan, Thatcher et le Vatican, avait pris la tête de la campagne pour réinstaurer l’exploitation capitaliste dans le bloc soviétique, sous couvert de « démocratie », avec le soutien sans réserve des taaffistes et du SU.

Comme la revendication d’« élections libres » de la Charte 08, l’appel à des « syndicats libres » sur le modèle de Solidarnosc est pour la classe ouvrière un piège réactionnaire. La lutte pour des syndicats libérés du contrôle bureaucratique, une question importante pour les travailleurs chinois attaqués de toutes parts, doit être basée sur la défense de l’Etat ouvrier issu de la Révolution de 1949. Cette lutte, ainsi que le combat pour le droit de réunion et la liberté de la presse, sera menée dans le cadre du combat pour la démocratie des soviets, pour la formation de conseils ouvriers qui s’opposeront aux parasites bureaucratiques et réprimeront les éléments contre-révolutionnaires.

Des instruments consentants de l’impérialisme US

Les dirigeants de la Charte 08 ne sont pas des naïfs ; beaucoup d’entre eux sont aussi ouvertement associés avec l’impérialisme US. Liu Xiaobo, un des principaux organisateurs, est président du « Centre chinois indépendant de PEN », qui est installé aux Etats-Unis et reçoit des financements réguliers du NED. Deux autres porte-parole en vue de la Charte, Li Baiguang et Teng Biao, ont reçu le « prix de la démocratie » du NED lors d’une cérémonie organisée l’année dernière à Washington. A ce jour, il semble que le régime du PCC ait réprimé ces dissidents pro-impérialistes avec une inhabituelle modération. Bien qu’il ait entrepris de bloquer la diffusion de la Charte sur Internet, il n’a arrêté qu’un seul de ses porte-parole, Liu Xiaobo, plusieurs autres ayant été brièvement détenus ou placés sous surveillance. Ceci contraste avec la répression sévère qui vise les dirigeants de grèves ou d’actions de protestation ouvrières.

Malgré notre opposition politique totale à la Charte 08, nous ne soutenons pas, pour l’instant, la répression qui vise ses initiateurs et ses signataires. Ces idéologues de droite ne sont manifestement pas à la tête d’un mouvement qui menacerait l’existence de l’Etat ouvrier chinois, comme c’était le cas avec Solidarnosc à l’automne 1981 en Pologne. A cette époque, nous écrivions : « […] la menace existe aujourd’hui en Pologne d’une offensive contre-révolutionnaire pour le pouvoir. Cette menace doit être écrasée à tout prix et par tous les moyens nécessaires » (« Halte à la contre-révolution de Solidarité », le Bolchévik n° 28, octobre 1981). Quand les staliniens décidèrent de réprimer Solidarnosc, en décembre 1981, nous avons soutenu cette action. En même temps, nous avons dénoncé le nationalisme et l’incurie économique de la bureaucratie, ainsi que sa capitulation pendant des décennies devant l’Eglise catholique et d’autres forces procapitalistes, toutes choses qui avaient poussé le prolétariat polonais, historiquement influencé par les idées socialistes, dans les bras de la réaction.

En chantant les louanges du « libre marché » qui fait des ravages dans le monde entier, les intellectuels de droite de la Charte 08 ont très peu de chances de trouver le moindre écho parmi les travailleurs chinois, pour qui la « magie du marché » signifie exploitation sauvage et montée du chômage. Il y a 30 ans, alors même qu’elle vantait les mérites de la « démocratie » bourgeoise, la Charte 77 n’appelait pas à la restauration d’une économie capitaliste, parce qu’à l’époque une telle revendication aurait été un repoussoir pour la plupart des intellectuels tchécoslovaques, sans parler des ouvriers.

Le programme de contre-révolution « démocratique » défendu par des mouvements comme la Charte 08 doit être combattu et vaincu politiquement – et c’est quelque chose que la bureaucratie nationaliste du PCC est manifestement incapable de faire. La répression menée par le pouvoir stalinien ne fait aucune différence entre les contre-révolutionnaires et ceux qui s’opposent politiquement au régime bureaucratique du point de vue des intérêts historiques du prolétariat. Après la destruction du pouvoir de classe capitaliste en 1949, des centaines de trotskystes chinois qui s’étaient battus pour défendre la révolution ont été arrêtés, jetés en prison ou fusillés. Après la révolte ouvrière et étudiante de 1989, dont l’épicentre était la place Tiananmen à Pékin, le régime a exécuté des ouvriers. Nous sommes par principe contre la peine de mort, pas moins en Chine – où des milliers de personnes sont exécutées chaque année – que dans les pays capitalistes.

Dans une déclaration diffusée sur Internet le 10 février dernier, et intitulée « La vérité derrière le manifeste de la Charte 08 chinoise – le langage libéral dissimule des objectifs contre-révolutionnaires », le groupe américain Parti du socialisme et de la libération (PSL) fait des critiques justes de la Charte 08. Mais pour le PSL, l’obstacle décisif à la contre-révolution serait la bureaucratie stalinienne : « Le gouvernement du PCC, malgré toutes ses contradictions, demeure le principal obstacle au retour de la Chine à son état antérieur d’esclavage semi-colonial. » Tout en critiquant les « réformes de marché » des dirigeants du PCC, le PSL espère que Hu Jintao et Cie reconnaîtront leur erreur et reviendront à la « voie socialiste » :

« Confrontée à une intensification de l’offensive impérialiste, la direction du PCC pourrait changer de cours, chercher le soutien de la classe ouvrière et réinstaurer des mesures socialistes.
« Bien qu’improbable, la voie vers un renouveau ou un renforcement des méthodes socialistes est possible aussi longtemps que le PCC conserve son emprise sur le pouvoir d’Etat. »

Le PSL oppose les « réformes de marché » du PCC à « la voie suivie par le Parti communiste à l’époque de Mao ». Mais « l’autosuffisance » nationale façon Mao (l’autarcie économique) et les politiques orientées vers le marché des dirigeants du PCC qui lui ont succédé étaient pour la bureaucratie stalinienne chinoise deux manières différentes de rechercher une « coexistence pacifique » avec l’impérialisme mondial, dans des périodes et des contextes internationaux différents. Sous Mao, cela s’est exprimé par l’alliance grotesque avec l’impérialisme américain contre l’Union soviétique.

En réalité, la perpétuation du pouvoir du PCC sape la défense du pouvoir d’Etat prolétarien en Chine. Grâce à la politique du régime, une classe conséquente d’entrepreneurs capitalistes, qui ont des liens avec la bourgeoisie expatriée à Hongkong et Taïwan, a émergé en Chine continentale, même s’il lui est encore interdit de s’organiser politiquement et d’être en rivalité pour le pouvoir. Beaucoup de responsables du PCC ont des liens financiers et familiaux avec ce genre d’entrepreneurs. Contrairement à ce que prétend le PSL, la bureaucratie continue à préserver la propriété d’Etat non pas parce qu’elle s’identifie subjectivement au socialisme, mais, comme l’écrivait Trotsky dans la Révolution trahie (1936), « par crainte du prolétariat » – c’est-à-dire pour protéger sa position privilégiée de caste parasitaire installée au sommet de l’Etat ouvrier. Tôt ou tard, par une voie politique ou une autre, le régime stalinien amènera la Chine au bord de la contre-révolution capitaliste, et le sort du pays le plus peuplé du monde sera posé à brûle-pourpoint.

Il est instructif de réexaminer la dynamique sociale et politique de la contre-révolution dans le noyau russe de l’ex-URSS. Celle-ci n’a pas été dirigée par des intellectuels anticommunistes dissidents analogues à ceux de la Charte 08, mais par des éléments puissants issus de la décomposition de la nomenklatura, l’élite de la bureaucratie soviétique. Quelques années avant que Boris Eltsine prenne le pouvoir et annonce la dissolution de l’URSS, il était un dirigeant de premier plan au Kremlin. Il y a aujourd’hui plus d’un Eltsine potentiel dans les organes dirigeants du PCC. En même temps, les staliniens chinois ont tiré des leçons de la contre-révolution dans l’ex-URSS. Dans le but de prévenir un scénario similaire en Chine, les dirigeants du PCC ont poursuivi une politique de perestroïka (les « réformes » orientées vers le marché) sans une once de glasnost (démocratisation politique).

Pour la révolution politique prolétarienne !

Dans la Révolution trahie, son analyse classique de la bureaucratie stalinienne soviétique, Trotsky soulignait que « Dans l’économie nationalisée, la qualité suppose la démocratie des producteurs et des consommateurs, la liberté de critique et d’initiative, toutes choses incompatibles avec le régime totalitaire de la peur, du mensonge et de la louange. » La politique et les pratiques du régime du PCC créent un climat dans lequel certains des avocats de la contre-révolution « démocratique » pourraient trouver un écho, au moins parmi une couche d’intellectuels, de paysans et même auprès de certains ouvriers. En même temps, l’antagonisme de plus en plus aigu entre la bureaucratie et les masses laborieuses chinoises prépare aussi le terrain pour une révolution politique prolétarienne qui chassera les parasites staliniens du pouvoir.

Le potentiel pour un soulèvement ouvrier prosocialiste s’est révélé pendant la révolte de Tiananmen, en mai-juin 1989. Dans son article sur la Charte 08, le PSL soutient la ligne des staliniens chinois sur ces événements, qu’il qualifie de « tentative contre-révolutionnaire présentée à l’Ouest comme un “combat pour la démocratie” ». En réalité, les manifestations qui avaient initialement mobilisé des étudiants dénonçant la corruption et favorables à une libéralisation politique ont vu affluer en masse des ouvriers chinois, poussés à l’action par leurs propres griefs contre l’impact des mesures pro-marché du régime, et en particulier l’inflation.

Des assemblées ouvrières et des détachements ouvriers mobiles motorisés furent mis en place, montrant le potentiel pour l’émergence d’authentiques conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans. Les dirigeants du PCC, terrifiés par l’entrée en lutte de la classe ouvrière, finirent par déclencher une répression féroce. Mais la bureaucratie, y compris le corps des officiers, commença à se fissurer sous l’impact du soulèvement ouvrier. Les premières unités de l’armée qui furent mobilisées refusèrent d’agir, devant l’immense popularité des manifestations parmi les travailleurs de Pékin. Il fallut faire venir d’autres unités de l’armée, plus loyales envers le régime, pour perpétrer le massacre de juin 1989, dont les cibles furent dans leur écrasante majorité les ouvriers et non les étudiants. C’était là une révolution politique prolétarienne embryonnaire, noyée dans le sang par la bureaucratie stalinienne (voir « Le spectre de Tiananmen et les luttes ouvrières dans la Chine d’aujourd’hui », Workers Vanguard n° 836 et 837, 12 et 26 novembre 2004).

L’élément crucial qui faisait défaut, au moment des événements de Tiananmen comme aujourd’hui, c’est un authentique parti bolchévique – c’est-à-dire léniniste-trotskyste – pour rallier les masses ouvrières derrière l’étendard de la démocratie ouvrière et de l’internationalisme communiste. Un tel parti sera forgé dans une lutte politique non seulement contre les courants qui émergent de la bureaucratie stalinienne en décomposition, mais aussi contre les colporteurs anticommunistes de la « démocratie » à l’occidentale, dont certains auront sans aucun doute une posture beaucoup plus à gauche que le groupe de la Charte 08.

La survie et le développement des acquis révolutionnaires de la Chine dépendent du combat pour la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale ainsi qu’au Japon. C’est la seule voie qui permettra une modernisation générale de la Chine, dans le cadre d’une économie planifiée internationale. Une révolution politique prolétarienne d’où émergera une Chine des conseils ouvriers et paysans sera un flambeau pour les masses ouvrières opprimées d’Asie et du monde entier ; elle donnera le coup de grâce à la propagande de la « mort du communisme » de la bourgeoisie, fera relever la tête aux masses opprimées de l’ex-Union soviétique et d’Europe de l’Est, et sera une source d’inspiration pour les ouvriers des métropoles impérialistes. Au bout du compte, c’est là la seule perspective qui pourra contrer le chant des sirènes de la « démocratie » qu’entonnent les officines soutenues par les impérialistes ainsi que les pseudo-« socialistes », les ennemis des acquis de la Révolution chinoise.

Traduit de Workers Vanguard n° 933, 27 mars