Le Bolchévik nº 187 |
Mars 2009 |
La grève générale secoue les colonies françaises
Pour le droit à l’indépendance ! A bas l’impérialisme français !
5 mars La LTF est entièrement solidaire des grèves générales en Guadeloupe, Martinique et Réunion contre la discrimination économique et raciale dont souffre la population aux mains de ses maîtres coloniaux impérialistes français. La lutte a commencé le 20 janvier en Guadeloupe, qui a été paralysée pendant 44 jours ; la nuit dernière un accord a finalement été signé entre le collectif dirigeant la grève, le Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) et le préfet, et le LKP appelle à reprendre le travail. La grève a été victorieuse, mais il reste à voir dans quelle mesure les prix des produits de première nécessité vont effectivement baisser, et dans quelle mesure l’une des mesures phare, une augmentation de 200 euros pour les bas salaires et les minimums sociaux, va être mise en uvre : les 200 euros se décomposent en une subvention de 100 à 150 euros par l’Etat pour une durée de trois ans seulement. La principale organisation de patrons locale, le MEDEF, a refusé jusqu’au bout de signer l’accord, se contentant de recommander informellement à ses membres d’octroyer une prime, et non une augmentation de salaires, de 50 à 100 euros selon le rapport de forces par entreprise ; ils vont tout mettre en uvre pour ne pas l’appliquer ou immédiatement revenir dessus.
La lutte s’est heurtée initialement au mépris raciste et au silence du gouvernement Sarkozy, à l’image du mépris de la bourgeoisie en France pour les pauvres, la classe ouvrière et notamment les minorités et les immigrés. Mais, dans le contexte de la crise économique mondiale, la peur a rapidement grandi dans la classe dirigeante que la lutte pourrait s’étendre à la France métropolitaine ; le gouvernement a réagi aux grèves comme toute administration coloniale l’a toujours fait face à des mouvements de résistance importants dans les colonies souvenons-nous des atrocités de 1952 et 1967 (voir « Guadeloupe 1967 Le massacre disparu », le Bolchévik n° 57, septembre 1985) en menant la répression d’une main de fer.
Aux premières heures du 18 février, le syndicaliste Jacques Bino a été tué à Pointe-à-Pitre. On ne sait pas pour le moment qui l’a tué ; la version de l’Etat selon laquelle il a été tué par des « délinquants », selon les mots du Premier ministre français François Fillon, n’est en rien prouvée. Mais ce que nous savons, c’est que la responsabilité pour la mort tragique de Jacques Bino repose sur les épaules de la classe capitaliste française et son appareil d’Etat raciste dont les attaques et les provocations sont à l’origine de cette explosion sociale d’ampleur historique. Nous condamnons également l’attaque brutale et raciste des flics le 16 février contre Alex Lollia, un syndicaliste membre du LKP et dirigeant de la grève, qui lui a causé des lésions cervicales et des complications cardiaques. Pendant la grève quatre escadrons de gendarmes mobiles ont été envoyés en Guadeloupe ainsi que des RG et une unité d’élite du RAID, et deux escadrons supplémentaires de gardes mobiles ont été envoyés en Martinique ; ils y rejoignent les milliers de flics et de soldats qui y sont déjà en mission pour « rétablir l’ordre ». Nous exigeons la libération immédiate et la levée des inculpations contre tous les manifestants arrêtés depuis le début de la grève en Guadeloupe et en Martinique des militants, des syndicalistes et des dizaines de jeunes que Sarkozy a, comme c’était prévisible, traités de « voyous » et de « délinquants » (le Monde, 20 février). Toutes les troupes françaises et flics anti-émeute, hors de Guadeloupe, de Martinique, de la Réunion et de Guyane !
Nous soutenons les luttes contre le pouvoir colonial, y compris quand elles sont dirigées par des forces nationalistes petites-bourgeoises et bourgeoises, tout en nous battant pour une direction prolétarienne. Il faut construire des partis léninistes-trotskystes internationalistes en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion et en Guyane luttant contre l’impérialisme avec un programme prolétarien et luttant politiquement de façon tranchante contre l’impasse du nationalisme petit-bourgeois et bourgeois. Le colonialisme a laissé en héritage un prolétariat très petit à part dans la construction et les services de base comme les transports, les éboueurs, etc., et une mince couche d’ouvriers agricoles dans les plantations. Le prolétariat antillais est surtout basé en France où il constitue un lien vivant pour la révolution socialiste en France et aux Antilles. Il est d’autant plus important de se tourner vers la classe ouvrière française, ce qui pose immédiatement la question d’une lutte politique contre les directions social-démocrates de la classe ouvrière qui font tout pour empêcher l’extension de la lutte à la métropole.
Il suffit de voir le rôle, au point le plus fort de la grève en Guadeloupe, du PS, aux basques duquel est raccroché le reste de la gauche. Lors d’une interview récente au Parisien (13 février), Martine Aubry, la première secrétaire du PS, a déclaré : « Je crains effectivement que le sentiment de ras le bol des Guadeloupéens et des Martiniquais se diffuse ici [ ] il faut tout faire pour que cela n’arrive pas ». La lutte contre ces traîtres et leurs suivistes soulève la nécessité d’un parti révolutionnaire basé sur l’internationalisme prolétarien. C’est ce pour quoi se bat la LTF.
Origines de la grève
L’explosion sociale en Guadeloupe a été déclenchée à la suite de mobilisations à la Réunion et en Guyane en novembre-décembre où des barrages routiers et autres protestations ont réussi à faire baisser le prix de l’essence et du diesel. Moins d’une semaine après que les réductions de prix avaient été actées en Guyane, il y a eu des barrages en Guadeloupe et trois jours plus tard le gouvernement a donné son accord à une réduction de prix similaire. Etant donné la pauvreté croissante et le désespoir qui s’aggravent avec la crise économique, ce succès modeste a mis en branle des protestations de plus grande ampleur contre la vie chère, suivies peu après par l’appel à la grève générale pour le 20 janvier. Cet appel était dirigé par un large collectif, LKP, composé de syndicats, de groupes de gauche et de partis et associations nationalistes petits-bourgeois.
L’explosion couvait depuis un moment. Le quart de la population active de la Guadeloupe est inscrit au chômage d’après les chiffres officiels (donc sous-estimés) ; il y a 22 % de chômeurs en Martinique contre 8 % en France métropolitaine. Le chômage des jeunes (15-24 ans) y est respectivement de 56 % et 48 % (le Figaro, 18 février). Le revenu moyen en Guadeloupe est d’environ la moitié du revenu moyen en France, alors que les prix sont en moyenne 50 % supérieurs à ceux de la métropole. L’inflation est due en partie au fait que la plupart des biens de consommation même les fruits et les légumes sont importés de France pour empêcher toute tentative d’acquérir l’autosuffisance alimentaire et pour permettre aux capitalistes békés, les descendants des propriétaires d’esclaves, de maintenir leurs énormes profits en préservant un quasi-monopole sur les importations et la distribution. De plus des milliers d’emplois directs et indirects ont été perdus ces dernières années dans l’agriculture, notamment dans la production bananière, à la suite d’un dur conflit commercial entre l’Union européenne (UE) et les USA qui a supprimé les protections douanières pour les bananes antillaises dans l’UE. La situation matérielle pour les habitants va de mal en pis, et cela ne fait qu’accroître leur dépendance vis-à-vis de l’impérialisme français.
La Martinique et la Guadeloupe, ainsi que la Réunion et la Guyane, sont devenues des départements d’outre-mer (DOM) sous le gouvernement de front populaire tripartite (gaulliste-communiste-socialiste) en 1946. Ce statut permettait à leurs habitants de travailler en France métropolitaine, où ils ont d’abord servi, notamment entre les années 1950 et les années 1970, de source de main-d’uvre bon marché dans la construction ; puis ils ont comblé les pénuries de main-d’uvre dans le secteur public notamment la Poste, les transports publics et la santé. La départementalisation donnait aussi à la population l’accès au système national de santé français, aux retraites et autres prestations sociales, et cette population peut voter aux élections nationales françaises (et européennes). La « générosité » tant vantée de l’Etat français vis-à-vis de ses « citoyens » des Antilles et autres colonies, qui subissent la discrimination raciste quand ils arrivent en France, est soi-disant la preuve que sous la République tous les hommes sont « égaux » quelle que soit la couleur de leur peau.
L’existence des DOM, ainsi que le recrutement de nombreux Martiniquais et Guadeloupéens noirs dans la police métropolitaine dans cette période, ont également été utilisés pour masquer la réalité brutale de l’oppression raciste en France contre les minorités et les immigrés. Non seulement les gouvernements bourgeois qui se sont succédé en France ont cherché à dresser les travailleurs français blancs contre les immigrés et les minorités dans le but de diviser pour mieux régner mais ils ont aussi cherché à dresser les Noirs qui immigraient en France en provenance des Antilles présentés comme des Français « assimilés » contre les minorités originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest qui jusqu’à aujourd’hui se font dénoncer par l’Etat pour leur soi-disant refus de « s’assimiler ».
Le niveau de vie aux Antilles sous domination française est incontestablement supérieur à celui de la plupart des îles caraïbes. La vie est en général misérable dans la région. Toutefois, Cuba a aujourd’hui le taux d’alphabétisation le plus élevé d’Amérique latine, le taux de mortalité infantile le plus bas, et une espérance de vie égale à celle que connaît la population des Etats-Unis (et plus élevée que pour les Noirs des USA). Les acquis énormes des masses travailleuses cubaines, notamment pour les femmes et les Noirs, sont dus au fait qu’il s’agit d’un Etat ouvrier, même s’il est bureaucratiquement déformé, issu de l’expropriation en 1960 des propriétés des impérialistes US et de leurs laquais locaux par le gouvernement castriste petit-bourgeois.
Grâce à une aide militaire et économique cruciale de l’Union soviétique, les ressources de la société cubaine ont été investies dans une économie centralisée et planifiée qui a garanti à chacun un emploi, un logement décent, l’alimentation et l’éducation. Nous défendons inconditionnellement l’Etat ouvrier déformé cubain contre les tentatives de détruire ces acquis par la restauration du capitalisme sous la direction de l’impérialisme US et de forces contre-révolutionnaires internes, tout en luttant pour une révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne castriste (voir notre article « Défense de la Révolution cubaine ! », le Bolchévik n° 185, septembre 2008).
Mais si l’on compare la Guadeloupe avec Haïti par exemple, qui est l’un des pays les plus pauvres du monde avec une espérance de vie de 60 ans alors qu’elle est de 78 ans en Guadeloupe, il est clair que la misère est relative. Le chômage endémique en Guadeloupe et en Martinique et le fait que le revenu individuel est officiellement la moitié de ce qu’il est en France métropolitaine malgré des prix exorbitants ne fait que souligner qu’il ne peut pas y avoir d’« égalité » entre les Antilles et la métropole sous l’impérialisme. 25 ans après le vote de la loi de 1946 sur la départementalisation, Aimé Césaire, le poète et dirigeant martiniquais historique qui est mort l’année dernière et qui, en tant que membre du PCF réformiste, avait été dans les années 1940 un adepte fervent de la législation coloniale, déclarait amèrement :
« En 1946, nous avons rêvé d’une France généreuse ( ). La départementalisation, pour nous, devait être l’égalité des droits. Elle ne le fut pas. Le nouveau système est devenu encore plus colonialiste que l’ancien. Peu à peu, il a sécrété ses privilégiés : ceux qui vivent de lui, les fonctionnaires, les grosses sociétés, le “lobby” antillais qui pèse sur le pouvoir. »
cité dans le Monde, 20 février
Pour le droit à l’indépendance !
C’est un devoir élémentaire pour des internationalistes révolutionnaires de défendre le droit d’autodétermination pour les colonies françaises, et, comme opposante intransigeante du colonialisme français, la LTF serait en faveur de l’indépendance. Mais nous sommes contre forcer l’annexion, la fédération ou même l’indépendance de quiconque, et nous ne revendiquons pas actuellement l’indépendance pour la Guadeloupe et la Martinique, notamment parce que la grande majorité de la population y est actuellement opposée. D’après un sondage récent (le Figaro Magazine, 28 février), 80% des Guadeloupéens sont opposés à l’indépendance. L’autodétermination est un droit démocratique ; imposer « inconditionnellement » à un peuple un Etat séparé, ce n’est pas de l’autodétermination. Pour les marxistes, les sympathies de la population constituent un facteur important pour déterminer comment enlever la question nationale de l’ordre du jour et dégager la voie pour la lutte de classe internationaliste révolutionnaire.
Peut-être que les Guadeloupéens désirent maintenant une autonomie plus grande par rapport à l’Etat français, après avoir dans leur grande majorité dit non à une telle évolution lors d’un référendum en 2003 ; mais la majorité de la population, de même que les habitants des trois autres « départements d’outre-mer », ne soutiennent actuellement pas l’indépendance vis-à-vis de la France. Cela les priverait du droit de vivre, étudier et travailler en France sans que les flics de l’immigration de Sarkozy ne pénètrent chez eux ou à leur travail pour les arrêter et les déporter. L’indépendance les priverait aussi de certaines prestations sociales auxquelles ils ont encore droit en tant que département d’outre-mer, des acquis qui ont été gagnés largement par la puissante classe ouvrière française dans de dures luttes de classe avec la bourgeoisie. L’« indépendance » pour la Guadeloupe dans le cadre du capitalisme offrirait la perspective de la même pauvreté mortelle que dans la plupart des Etats caribéens, qui restent sous la botte des impérialistes américains ou britanniques.
République française = oppression coloniale raciste
En Guadeloupe et en Martinique l’exploitation que subit la population d’origine africaine et indienne est l’héritage de l’esclavage et l’oppression coloniale. Les békés, qui d’après la plupart des estimations constituent entre 1 et 2,5 % de la population, maintiennent leur emprise sur l’économie, notamment en Martinique. L’hostilité raciste de la vaste majorité des békés vis-à-vis de la majorité non blanche de la population a été récemment montrée dans un documentaire sur Canal +, les Derniers maîtres de la Martinique. Ce documentaire montrait un certain Alain Huyghes-Despointes, fait chevalier de la Légion d’honneur par Chirac en 2005, qui se plaignait que « Les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l’esclavage et c’est regrettable » tout en exprimant son dégoût pour les couples mixtes : « nous [les békés], on a voulu préserver la race » (l’Humanité, 13 février).
Mais c’est la bourgeoisie française, qui aime à se présenter comme le défenseur planétaire des « droits de l’homme », qui est le maître colonial et qui maintient le système par lequel les békés préservent leurs privilèges et dans lequel la discrimination raciste imprègne chaque détail de la vie d’une manière qui rappelle les Etats-Unis ou l’Afrique du Sud. On peut voir cela notamment dans le fait que pour les postes intermédiaires et de direction ce sont systématiquement des békés qui sont embauchés ou des Blancs de la métropole, qui sont en poste pour trois ans et s’installent dans des enclaves balnéaires réservées officieusement aux Blancs. Mais on peut le voir aussi dans toutes sortes d’indices sociaux conditions de travail, santé, logement, transports, etc.
Les liens entre les békés et la bourgeoisie et les politiciens de la France continentale sont historiques et multiples. Il était révélateur que le préfet de Martinique, Ange Mancini, habitait dans une maison louée à Huyghes-Despointes, jusqu’à ce que le scandale provoqué par le documentaire mentionné plus haut, en pleine grève générale, ne le force à déménager. Les békés ont aussi en franchise de nombreuses marques des monopoles français, ou ils en sont les distributeurs exclusifs, comme Carrefour et Renault. Ils partagent avec eux les surprofits coloniaux. Cela lie inextricablement la lutte contre l’oppression raciale et coloniale avec la lutte pour renverser le système capitaliste.
Depuis que la grève générale a commencé en Guadeloupe, de nombreux manifestants dénoncent le régime colonial et son dédain raciste pour la vie des habitants non blancs. On en a une illustration tragique avec le scandale du chlordécone. Le chlordécone est un pesticide interdit aux Etats-Unis depuis 1976 et en France depuis 1990, mais dans les Antilles françaises il n’a été interdit qu’en 1993. Après 1993 il a continué à être utilisé clandestinement en Martinique et en Guadeloupe jusqu’en 2002 ; il était importé essentiellement par des hommes d’affaires békés qui le faisaient fabriquer au Brésil sous un autre nom, le curlone. Des scientifiques éminents des Antilles et de France ont décrit l’utilisation de ce produit comme « un véritable empoisonnement » de la population et comme « une crise sanitaire majeure » (voir l’interview du professeur Belpomme, un cancérologue parisien, dans le Parisien du 17 septembre 2007). Il reste dans la terre et l’eau 100 ans après l’épandage. Aujourd’hui la Guadeloupe a le deuxième rang dans le monde quant au taux de cancer de la prostate, et certains scientifiques pensent que c’est lié à l’usage prolongé du chlordécone. Sa présence est également associée à d’autres cancers, à une fertilité réduite et à des malformations à la naissance.
Des rapports d’écologistes et de scientifiques avaient mis en garde pendant des années sur la nature dangereuse de ce pesticide et sur les quantités excessives utilisées en Guadeloupe et en Martinique. L’administration française les a ignorés et a ensuite prétendu qu’elle manquait d’informations. Aujourd’hui l’Etat français prétend à nouveau qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour établir un lien entre le taux élevé de cancers et le chlordécone, et il refuse même de procéder à une commission d’enquête. Parmi les revendications du LKP dans cette grève il y a la nécessité de définir des « mesures sanitaires pour protéger les populations des zones contaminées » et l’« Indemnisation des victimes professionnelles et civiles ».
Les travailleurs français potentiellement de puissants alliés des travailleurs guadeloupéens
Dans la lutte contre l’oppression coloniale raciste et l’exploitation capitaliste en France et dans les colonies, nous luttons pour l’unité révolutionnaire des masses travailleuses à travers l’Atlantique. Nous appelons tous les travailleurs, particulièrement dans le ventre de la bête impérialiste française, à soutenir les grèves dans les Antilles françaises et à la Réunion et à s’opposer à la répression visant les grévistes et les jeunes. Dans la métropole impérialiste cela veut dire aussi se battre pour que la classe ouvrière rompe avec le chauvinisme pro-impérialiste diffusé par les bureaucrates syndicaux et les partis sociaux-démocrates : en pleine crise économique, ils répandent de plus en plus le poison protectionniste diviseur au nom de l’« unité nationale » derrière les patrons français contre leurs rivaux étrangers. Et dans les secteurs où il y a de nombreux Antillais comme à la Poste ou dans la santé, les bureaucrates découragent souvent activement la solidarité entre travailleurs, par exemple en appelant les travailleurs originaires des DOM-TOM (à l’exclusion des autres travailleurs) à des grèves et actions pour les congés bonifiés. Les syndicats ont appelé finalement à se mobiliser pour les manifestations du 21 février en France en solidarité avec les grèves en Guadeloupe et en Martinique, mais il était notable que la vaste majorité de ceux qui défilaient dans le cortège de la CGT à Paris étaient d’origine antillaise et que les ouvriers français blancs mobilisés par la CGT et les autres syndicats étaient très peu nombreux.
Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot et Lutte ouvrière (LO), qui ont tous deux des organisations surs aux Antilles, voient dans ces grèves combatives et courageuses « un exemple à suivre en métropole ». Ils passent sous silence, entre autres différences fondamentales, le fait que comme résultat de la domination coloniale l’économie est si dépendante qu’il n’y a presque pas de prolétariat en Guadeloupe et en Martinique. Besancenot dit dans le Parisien du 19 février que les grèves peuvent faire pression sur le gouvernement « pour imposer une autre répartition des richesses, une augmentation de revenus de 300 euros » en métropole. C’est le propre du réformisme d’avoir pour seule perspective de simplement redistribuer les richesses un peu autrement. Une poignée de capitalistes possèdent les moyens de production et exploitent la majorité de la population travailleuse. Une « autre répartition des richesses » voudrait dire qu’ils jetteraient quelques miettes de plus qu’ils chercheront ensuite à récupérer par d’autres moyens.
Jour après jour les réformes gagnées dans de dures luttes de classe, qu’il faut défendre avec acharnement, sont ensuite reprises par la bourgeoisie en l’absence d’une féroce résistance ouvrière. Ces attaques sont souvent menées avec la coopération des bureaucrates syndicaux, dont les privilèges matériels définissent leur rôle de « partenaires sociaux » de la bourgeoisie pour défendre les intérêts capitalistes français contre les puissances capitalistes étrangères rivales. Cela a été le cas avec les grèves générales de Juin 36 et de Mai 68 qui ont débouché sur des situations pré-révolutionnaires ; mais les réformistes de la SFIO (parti socialiste) et surtout du PCF et les bureaucrates syndicaux ont trahi la classe ouvrière et tous ceux qui vivaient sous la férule de l’impérialisme français pour leur faire accepter quelques miettes et retourner au travail. Après 1936 et 1968 les capitalistes ont cherché à reprendre, notamment par l’inflation, les concessions qu’ils avaient été forcés de faire.
Dans la foulée de la contre-révolution capitaliste en Union soviétique en 1991-1992, la bourgeoisie a renouvelé dans le monde entier son offensive contre les travailleurs et les pauvres et les rivalités interimpérialistes se sont intensifiées. Prétendant que « le communisme est mort », ils s’en prennent à des acquis comme les retraites, la santé, etc., que l’on connaît en Europe de l’Ouest sous le nom d’« Etat-providence » et qui dans une certaine mesure ont été étendus aux colonies de la France. Cette défaite historique pour le prolétariat mondial a été totalement soutenue par les ancêtres du NPA, la LCR. Dans son autobiographie Ca te passera avec l’âge, Alain Krivine, dirigeant historique de la LCR, déclare : « Sa fin [de l’URSS] ne pouvait que nous réjouir. Et, sans la moindre hésitation, nous nous sommes effectivement réjouis. »
Pour une mobilisation ouvrière indépendante A bas la collaboration de classes !
Pour des marxistes, une grève générale paralysante en France poserait la question du pouvoir par les travailleurs dans une situation révolutionnaire. Pour le NPA au contraire (ou pour LO, avec sa « grève générale illimitée »), cela ne vaut pas plus que 300 euros pour les bas salaires. En réalité, derrière leur blabla « combatif » le NPA ou LO s’activent pour mettre en selle un nouveau gouvernement « de gauche ». Dans la lutte contre l’exploitation et pour la révolution socialiste, il faut briser les illusions des travailleurs qu’un gouvernement capitaliste « de gauche » pourrait faire quoi que ce soit d’autre que protéger les intérêts de la bourgeoisie française. En France un gouvernement « de gauche » depuis 1936 prend la forme d’un front populaire c’est-à-dire un bloc gouvernemental entre les partis capitalistes comme les Radicaux de gauche, les chevènementistes, etc., et les partis ouvriers réformistes comme le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC). Des Antilles à l’Algérie et au Rwanda, ces gouvernements « de gauche », au nom de l’impérialisme français, ont laissé un héritage sanglant.
Et d’ailleurs en Guadeloupe c’est le PS local qui fait tourner l’administration locale de l’Etat colonial (dans la mesure où des pouvoirs sont décentralisés). Victorin Lurel, le président PS du Conseil régional de Guadeloupe, a déclaré le 14 février, en son nom et en celui de Jacques Gillot, président du Conseil général, lié également au PS de Guadeloupe : « Nous demandons un assouplissement de la grève générale pour que le pays vive plus normalement » pour que les enfants « puissent aller à l’école, que les Guadeloupéens puissent se déplacer et permettre la libre activité des entreprises qui le souhaitent » (L’Express, 14 février). Comme Sarkozy, il semble qu’ils veuillent une grève générale dont personne ne s’aperçoit !
Aubry, Buffet du PCF et Mélenchon du Parti de gauche, qui cherchent à diriger un nouveau front populaire en 2012, ont déjà prouvé leur vigueur à administrer l’oppression pendant des années comme ministres sous Jospin. Ce gouvernement, qui a démoralisé et démobilisé la classe ouvrière, a privatisé plus que tout autre gouvernement de droite avant lui, et à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux USA il a mené une « guerre contre le terrorisme » raciste. Des mesures comme Vigipirate, des pouvoirs de surveillance accrus, et d’autres lois répressives ont été introduites, visant d’abord les minorités raciales, mais nous avons mis en garde à l’époque que leur cible ultime était l’ensemble de la classe ouvrière, comme on commence à le voir aujourd’hui.
Depuis l’écrasante défaite de la « Gauche plurielle » en 2002, le PS, pour chercher à se faire réélire, a flirté avec le centre-droit de l’UDF/MoDem, en tenant à distance l’« extrême gauche » réformiste. Cependant, face à la crise économique, les opportunistes du PS optent pour le moment pour dépoussiérer leurs drapeaux roses et faire sortir leurs militants, ce qu’ils ont fait lors des manifestations du 29 janvier où ils étaient censés redécouvrir, selon l’expression d’Aubry, « les Français [qui] souffrent ». Mais il n’existe pas encore de nouveau front populaire et la tâche de la « gauche » aujourd’hui est de reconstruire sa crédibilité pour devenir une candidate à gouverner viable aux yeux de la bourgeoisie. Pour cela elle doit convaincre les masses travailleuses qu’elle représenterait vraiment un moindre mal par rapport à Sarkozy et Cie, de façon qu’une fois au pouvoir elle puisse partir de là où en était le dernier gouvernement et poursuivre le sale travail d’administrer le capitalisme.
Dans ce but, Lutte ouvrière et le NPA/ex-LCR ont signé le 4 février une déclaration commune d’« unité dans la lutte » avec le PS, le PC, les chevènementistes et diverses associations petites-bourgeoises écologistes et féministes. Ils ont ainsi contribué à légitimer les prétentions du PS à apporter son « appui du mouvement social », y compris, selon les termes de la déclaration, son « soutien à l’imposant mouvement social qui mobilise depuis plusieurs semaines la Guadeloupe ». Le NPA et LO ont ainsi joué un rôle crucial pour restaurer la crédibilité du PS aux yeux de la classe ouvrière. Malgré les déclarations cyniques et répétées du NPA d’« indépendance » vis-à-vis du PS, leur signature sur de telles déclarations front-populistes au nom de l’« unité » sert précisément à paver la voie à un nouveau gouvernement capitaliste « de gauche ». Ils donnent aussi au PS une plate-forme et une plus grande autorité dans la lutte de classe pour mieux pouvoir la trahir.
Le NPA reconnaît implicitement le rôle de briseur de grève du PS aux Antilles dans son tract du 16 février « Guadeloupe, Martinique : Faisons comme eux ! » où il décrit comment les représentants du PS en Guadeloupe voulaient « que la grève soit “assouplie” en échange de miettes ». Mais le lendemain même le NPA a signé une deuxième déclaration commune d’« unité dans la lutte » avec le PS et des groupes petits-bourgeois déclarant que « développer la mobilisation est plus nécessaire que jamais » en Guadeloupe et appelant à « développer l’action et au plein succès de l’action du 19 mars ». Un tel cynisme est caractéristique de la social-démocratie.
Le nationalisme petit-bourgeois n’a que la misère à offrir
En France le devoir d’un parti révolutionnaire est de rallier la classe ouvrière aux côtés des Antillais en lutte, mais en Guadeloupe et en Martinique la tâche cruciale est de briser l’emprise de la fausse conscience nationaliste. Sous l’impérialisme les nations ne sont pas égales et une Guadeloupe indépendante capitaliste, dont nous défendons le droit à l’existence, ne peut que rabaisser encore plus le niveau de vie des pauvres. C’est pourquoi la lutte doit faire partie d’une lutte plus large pour la révolution socialiste en France, en Amérique latine et en Amérique du Nord où il existe une classe ouvrière puissante. Alors les masses guadeloupéennes et martiniquaises auront un choix véritable sur comment exercer leur droit à l’autodétermination nationale.
En Guadeloupe, l’organisation sur de Lutte ouvrière, Combat ouvrier, appartient au collectif du LKP avec une cinquantaine d’autres organisations, y compris des syndicats (dont l’UGTG pro-indépendantiste qui joue un rôle central), le Parti communiste guadeloupéen et de nombreuses organisations nationalistes et culturelles petites-bourgeoises. C’est en fait une organisation combative front-populiste incluant le mouvement ouvrier mais au fond représentant le programme du nationalisme bourgeois. On peut soutenir de nombreuses revendications du LKP dans la liste de 149, y compris les fameux 200 euros pour tous les bas salaires et minimums sociaux, la demande d’un vaste programme de construction de logements sociaux et d’un véritable système de transport des usagers. Pourtant, de nombreuses autres revendications du LKP mettent en lumière la nature bourgeoise nationaliste de ce bloc, qui s’adresse au « Peuple de Guadeloupe, ouvriers, paysans, artisans, retraités, chômeurs, entrepreneurs, jeunes » (souligné par nous).
Ils revendiquent ainsi la priorité pour les capitalistes locaux sur les autres : « Priorité et facilité d’accès au marché et aux aides publiques pour les entreprises Guadeloupéennes ». Fondamentalement il s’agit d’une revendication nationaliste pour que des Guadeloupéens noirs exploitent d’autres Guadeloupéens. Des dirigeants nationalistes en Guadeloupe et en Martinique ont souvent exprimé leur désir de voir transférer une bonne partie de l’administration de l’Etat à un organisme dirigé localement qui pourrait s’en prendre aux acquis sociaux. D’après les nationalistes, ces prestations sociales rendent l’agriculture et le tourisme non compétitifs face à la concurrence des autres îles caraïbes. Mais pour le moment les nationalistes ne mettent pas en avant la lutte pour l’indépendance leur programme est plutôt de mettre la main pour eux-mêmes sur la manne coloniale qui depuis des siècles était empochée par les békés.
Parmi les revendications il y a aussi : « Priorité d’embauche pour les Guadeloupéens » et « Embauche obligatoire de Guadeloupéens dans toutes les entreprises qui bénéficient d’aide publique ». Vu la prédominance écrasante des Français métropolitains et des békés dans les postes de direction des services publics et de l’industrie privée, les revendications sur l’embauche sont en partie dirigées contre le colonialisme. Il faut exiger les mêmes salaires et conditions de travail pour tous. Pour remédier à la discrimination raciale nous défendrions des mesures favorisant l’embauche des Guadeloupéens noirs.
Mais les revendications comme celle pour que les entreprises bénéficiant d’aides publiques ne puissent embaucher que des Guadeloupéens sont aussi dirigées contre les autres nationalités opprimées de la région, notamment contre les Haïtiens dont on dit qu’ils représenteraient jusqu’à 10 % de la population. Les marxistes s’opposent à des revendications ayant pour effet de diviser entre eux les Noirs opprimés guadeloupéens et haïtiens. Depuis que Sarkozy a pris en main le Ministère de l’Intérieur en 2002 et qu’il est ensuite devenu président, les déportations et le traitement brutal des Haïtiens se sont encore aggravés. Une unité spéciale de la police avec des quotas d’expulsions a été mise en place en Guadeloupe en 2006 dans le but spécial de faire la chasse aux immigrés haïtiens. Les rafles dans les maisons des immigrés, dans les plantations où ils travaillent, à la préfecture où ils cherchent à régulariser leur situation, forment un tableau bien connu de milliers de sans-papiers en France. Il y a officiellement 1 500 à 2 000 déportations de Guadeloupe par an, principalement des Haïtiens ; le nombre équivalent en France vu le rapport des populations serait de 200 000 à 300 000, soit dix fois le nombre d’expulsions annuelles pratiquées en France métropolitaine !
Face à cette machine à déporter, la revendication vide de contenu du LKP « Arrêt des abominations à l’encontre des travailleurs étrangers » sonne comme un refus de s’opposer frontalement aux expulsions. Nous exigeons au contraire : Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés, en France et dans ses colonies ! A bas les expulsions ! Abolition de l’article 5 du statut de la fonction publique qui réserve les emplois de fonctionnaires aux citoyens français et européens ! Dans une situation de pauvreté comme en Guadeloupe, les tentatives xénophobes de l’Etat de faire des Haïtiens des boucs émissaires peuvent tomber sur un terreau fertile. On dit que des planteurs békés en Guadeloupe ont fait appel à des travailleurs agricoles haïtiens pour briser la grève des Guadeloupéens, ce qui souligne d’autant plus à quel point il est important que les Guadeloupéens prennent la défense des immigrés haïtiens et se battent pour des salaires et des conditions de travail égaux pour contrer les tentatives des patrons de diviser pour mieux exploiter.
La participation directe de Combat ouvrier dans le LKP, ainsi que les louanges du NPA pour le LKP, représentent une capitulation au nationalisme petit-bourgeois et montrent que leur politique n’est que du réformisme libéral petit-bourgeois. Le NPA insiste pour que les travailleurs en France construisent un front large comme en Guadeloupe là-bas cela veut dire se subordonner politiquement au nationalisme petit-bourgeois, mais en France cela veut dire se subordonner aux chauvins français impérialistes de Chevènement et aux sociaux-démocrates du PS au lourd passé colonial. Elie Domota et ses camarades sont des militants courageux qui risquent leur vie, comme on l’a vu avec l’attaque contre Alex Lollia, mais il est dans la logique de leur programme nationaliste bourgeois que le dirigeant de la grève, Domota, soit le directeur adjoint de l’ANPE en Guadeloupe. En France le directeur général adjoint de l’ANPE est l’ancien directeur des ressources humaines des centres d’ingénierie de Renault !
Combat ouvrier faisant partie du LKP, Lutte ouvrière cette fois-ci n’a pas la moindre critique du nationalisme petit-bourgeois dans cette grève. C’est pourquoi LO ne se lance pas dans des attaques contre les barrages dressés par des jeunes des quartiers misérables de Pointe-à-Pitre, contrairement à son méprisable soutien au rétablissement de l’ordre il y a trois ans pendant la révolte des banlieues en France, où LO capitulait face aux sociaux-démocrates français du PS et du PC. Néanmoins, ces économistes insistent que la revendication la plus importante de la grève générale guadeloupéenne, c’est l’appel à une augmentation des salaires et à stopper l’augmentation des prix, parce que ce sont des revendications qui « concernent tous les travailleurs » (éditorial d’Arlette Laguiller, Lutte Ouvrière, 20 février).
En insistant sur les 200 euros, seule revendication susceptible à ses yeux d’unifier la classe ouvrière, LO trahit son orientation en France vers les couches privilégiées du prolétariat blanc alors que par exemple les jeunes de banlieue ici voient dans la situation aux Antilles un reflet de la discrimination raciale et ethnique qu’ils subissent eux-mêmes à l’usine ou à l’école.
LO minimise ainsi l’héritage de l’esclavage et l’oppression raciale et coloniale, au contraire des marxistes qui, comme Lénine l’a enseigné, se saisissent de chaque exemple d’oppression pour dresser un tableau général et plus complet de l’oppression sous le capitalisme et mobiliser les larges couches d’opprimés derrière la classe ouvrière et son parti révolutionnaire.
La base de notre programme pour la Martinique et la Guadeloupe, pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’oppression coloniale et l’exploitation, c’est l’internationalisme prolétarien, y compris de façon cruciale la lutte pour la révolution socialiste aux USA, en France et dans d’autres pays capitalistes avancés. Seule la révolution socialiste, jetant les bases pour une planification socialiste internationale dans tout l’hémisphère, et en alliance avec le prolétariat français (y compris mais pas seulement le prolétariat originaire des Antilles), peut ouvrir la voie à un développement économique authentique et mettre fin à la lutte pour la survie dans ces pays qui sont aujourd’hui sous la botte impérialiste. Victoire maintenant pour la grève générale en Martinique et à la Réunion ! En avant pour reforger la Quatrième Internationale, parti mondial de la révolution socialiste !