Le Bolchévik nº 186 |
Décembre 2008 |
Un échange avec J. Marc Rouillan sur le NPA de Besancenot
J. Marc Rouillan, ancien dirigeant du groupe Action directe, est prisonnier politique depuis plus de 20 ans. Après avoir bénéficié d’une mesure de libération partielle, il a été brutalement renvoyé en prison en octobre pour une phrase où il indiquait qu’il n’aurait le droit de parler librement que pour dénoncer l’exécution en 1986 de Georges Besse, PDG de Renault, revendiquée à l’époque par Action directe ; comme pour prouver son propos, la « justice » a ordonné sa réincarcération immédiate. En dépit de notre désaccord avec le terrorisme individuel, nous avons toujours exigé la libération immédiate de J. Marc Rouillan et de ses camarades de l’ex-groupe Action directe, et nous continuons de le faire en lui exprimant notre solidarité contre l’Etat capitaliste. J. Marc Rouillan nous a récemment envoyé un courrier, que nous publions ici avec notre réponse.
Le 9 novembre 2008
Pour Marc Guétier
Salut camarade,
Après un séjour de 10 mois à l’extérieur « à temps partiel » me voici de retour en cellule. Durant ce court laps de temps, j’ai essayé de rencontrer l’un d’entre vous et en particulier le CDDS. En vain. J’étais bloqué à Marseille d’où les difficultés pour les contacts.
Dans un ancien courrier à Myriam Benoît, j’expliquais que j’étais très proche de vos positions anti-impérialistes et internationalistes, que je trouve plus claires et correctes que les autres forces de la gauche communiste. D’ailleurs l’un de vos premiers textes qui a attiré mon attention traitait de l’Afghanistan (un texte de soutien à une brigade de femmes combattant aux côtés des troupes « soviétiques »).
Bien qu’oppositionnel de gauche (au niveau de la théorie politique) je ne suis pas trotskyste. (Si j’ai lu les principaux ouvrages du camarade, je ne connais pas grand-chose du mouvement trotskyste à part vos vieilles querelles soixante-huitardes.) J’ai d’ailleurs refusé d’adhérer à la LCR lors de mon action pour le NPA. Comme vous le savez, j’ai annoncé mon concours à sa construction en utilisant la citation de Rosa Luxemburg : « il vaut mieux un mauvais parti que pas de parti du tout ». Elle résume ma présence au NPA. Mais toutefois, je ne suis pas d’accord avec vous : non, le NPA n’est pas social-démocrate (mais il peut le devenir) non il n’a pas abandonné l’idée communiste (mais il peut le faire) non il n’a pas abandonné l’internationalisme (mais là encore il peut le faire) Oui tout cela peut arriver si la tendance pour une position de classe est marginalisée et défaite.
Vous avez raison de critiquer les âneries du style « Soutien au Tibet », elle a été vivement critiquée au sein même des comités. Et plus.
Nous avons besoin des critiques justes des autres forces révolutionnaires pour renforcer nos positions dans le NPA. Je défends un NPA (200 % à gauche !) ouvert en direction de toutes les forces communistes et donc pour des commissions mixtes dans tous les domaines possibles. Et en particulier pour celles me tenant à cur : la commission internationale et la commission anti-répression.
Ma nouvelle situation et ma fragilisation dans le NPA remettent pas mal de choses en question. Nous verrons bien dans les prochaines semaines ce qu’il adviendra.
Je lis toujours Bolchévik et Spartacist avec beaucoup d’intérêt. Si vous le pouvez : envoyez-moi les n° de 2008.
Un grand salut communiste
J. Marc
Paris, le 1er décembre 2008
Cher J. Marc,
Merci pour ta lettre du 9 novembre. Tu soulèves de nombreuses questions dans cette lettre auxquelles nous ne pouvons répondre entièrement dans cette courte réponse.
Tu déclares que le NPA n’est pas social-démocrate mais qu’est-ce donc que leur perspective « sociale et démocratique » basée sur la dénonciation de la dictature du prolétariat ? Tu dis que le NPA n’a pas « abandonné l’idée communiste » ; sur ce point précis nous te donnons raison : dès avant la mise sur les rails du NPA, la LCR a lourdement insisté qu’il ne serait pas communiste, donc il ne peut abandonner une idée qu’il n’a jamais eue. La formule chimique du NPA, c’est les ex-« communistes révolutionnaires » de la LCR, moins ses prétentions (vides de contenu) au communisme et à la révolution, plus quelques milliers d’anciens militants de gauche démoralisés et de jeunes libéraux. Quelques-uns pourraient se tourner vers le communisme, mais seulement si nous faisons une critique aussi impitoyable que sincère de cette nouvelle formation social-démocrate. La question qui se pose à toi, c’est qu’est-ce que Rouillan vient faire dans cette galère ?
Tu dis encore que le NPA n’a pas renoncé à l’« internationalisme ». Encore il y a une semaine il y avait un article en première page de Rouge (20 novembre) sur le Tibet, où la LCR attaquait Sarkozy de la droite (!) en lui reprochant de ne pas soutenir plus activement le dalaï-lama (« Le silence de Nicolas Sarkozy est particulièrement frappant. La défense de la cause tibétaine n’était, de sa part, que gesticulation théâtrale. ») Si la LCR/NPA est « internationaliste », on ne peut le comprendre qu’au sens où elle compte ou a compté parmi ses héros des célébrités non françaises comme non seulement le dalaï-lama, mais aussi des individus comme Lech Walesa, le chef de l’organisation contre-révolutionnaire polonaise Solidarnosc à qui les staliniens ont fini par livrer le pouvoir en 1989, suite à quoi il a restauré le capitalisme, interdit l’avortement et jeté les travailleurs polonais dans la misère, ou même Boris Eltsine, qui a mené à bien la contre-révolution capitaliste en URSS en 1991-1992 avec le soutien de la LCR au nom de la lutte pour la démocratie.
Tu dis que notre position sur l’Afghanistan avait attiré ton attention. Tu dois faire référence à la proposition que nous avions faite au gouvernement afghan début 1989 d’organiser une brigade internationale pour combattre les mollahs réactionnaires de la CIA, au moment où la bureaucratie stalinienne retirait ses troupes d’Afghanistan, ce que nous avions dénoncé comme une trahison des femmes et des peuples afghans. Nous avions en 1979 salué l’intervention soviétique et exigé l’extension des acquis de la Révolution russe aux peuples afghans. En ce qui concerne la LCR, c’est la position de Mitterrand sur l’Afghanistan qui avait attiré son attention : début 1981, alors qu’elle faisait campagne pour le front populaire bourgeois de Mitterrand, la LCR avait changé de position (elle était jusque-là contre l’intervention, mais sans exiger le retrait soviétique) et s’était mise à exiger le retrait des troupes soviétiques. Mitterrand avait obtenu une déclaration semblable du PCF avant de lui octroyer quelques strapontins dans son premier gouvernement. Nous t’envoyons à ce propos les numéros 17 et 18-19 de Spartacist édition française qui documentent les positions de la LCR à l’époque.
Ou peut-être fais-tu allusion au soutien politique qu’accorde la LCR à Hugo Chávez, le président populiste du Venezuela ? Nous te renvoyons à notre article sur le Venezuela (le Bolchévik n° 183, mars), où nous expliquons notamment pourquoi nous étions pour voter « non » au référendum de Chávez l’année dernière car il renforçait ses pouvoirs bonapartistes, dont le danger qu’il les utilise contre les travailleurs augmente avec l’effondrement actuel de la rente pétrolière. C’est une chose d’appeler la classe ouvrière à se mobiliser pour défendre militairement Chávez en cas de coup d’Etat monté par la CIA, comme nous l’avons fait en 2002, c’en est une autre absolument de soutenir politiquement un régime bourgeois, même populiste, d’un Etat capitaliste comme le fait la LCR pour le Venezuela en prétendant qu’il s’agirait d’une voie nouvelle vers le socialisme. Elle préconise pour Cuba de suivre le modèle « bolivarien » de Chávez avec ses élections libres et démocratiques, qui pourraient être une voie pour la contre-révolution capitaliste à Cuba. Même Rouge avait été gêné il y a quelques années quand Chávez avait exprimé sa solidarité avec son ami Chirac lors de la répression de la révolte des banlieues (voir notre article dans le Bolchévik, mars 2006, que nous t’envoyons aussi).
En réalité la LCR n’a rien d’internationaliste. Le fond de son opposition aux troupes françaises en Afghanistan aujourd’hui est basé sur l’exigence d’une politique pour l’impérialisme français qui soit indépendante des Etats-Unis. La LCR a ainsi soutenu cette année la déclaration « OTAN-Afghanistan Ni guerre ni alliance militaire Paix-Liberté-Démocratie » qui disait notamment :
« Au-delà des victimes dont on peut craindre qu’elles seront plus nombreuses, la décision d’envoyer des renforts est le signe d’un alignement inacceptable sur la politique des Etats-Unis. La volonté de réintégrer le commandement militaire de l’Otan va dans le même sens. La France ne doit pas endosser la vision manichéenne de “la guerre des civilisations” qui domine à l’Otan et ainsi renoncer à faire prévaloir une politique indépendante, pour la primauté du droit international et contre la guerre. Elle risque d’entraîner toute l’Union européenne à ne devenir qu’un simple “pilier européen” de l’Otan, source de nouvelles dépenses militaires au détriment des immenses besoins sociaux. Nous ne voulons pas d’une France et d’une Union Européenne gendarmes du monde. Nous voulons une France et une Europe libres et indépendantes, développant avec tous les pays des coopérations en faveur de la paix, du développement durable et des droits de l’Homme. Nous exigeons que le Président de la République renonce à l’envoi de renforts en Afghanistan et à la réintégration de la France dans le haut commandement militaire de l’Otan. »
C’est du social-chauvinisme pur et simple. L’impérialisme français couvert de sang a eu une politique absolument « indépendante » en menant la guerre d’Algérie ou plus récemment (mais toujours sous Mitterrand) en parrainant le génocide au Rwanda. Pour paraphraser August Bebel qui disait que l’antisémitisme était le socialisme des sots, on pourrait dire que l’anti-américanisme en France, comme le déploie la LCR, c’est l’anti-impérialisme des imbéciles. François Sabado l’a si bien dit il y a quelques années dans la presse capitaliste (le Nouvel observateur, 5-11 décembre 2002, cité dans le livre de Jean-Paul Salles, la Ligue communiste révolutionnaire, 1968-1981) :
« Avant Olivier [Besancenot], on était Russes, toujours définis par la révolution d’octobre, par l’URSS, notre opposition au stalinisme. Avec lui, on devient Français. On peut s’inscrire durablement dans le paysage. »
Finalement, en ce qui concerne la « commission anti-répression » dans la LCR dont tu parles, permets-nous de nous poser la question si elle s’est sentie concernée lorsque la LCR a déclaré le 1er octobre à ton propos : « il avait sa place dans ce nouveau parti [le NPA] à partir du moment où il renonçait à ses actions du passé » ? L’usage de l’imparfait indique qu’on avait décidé en haut lieu que tu n’y as plus ta place, en bref qu’il faut d’abord regretter l’exécution de Georges Besse. Apparemment les conditions pour entrer dans le NPA sont les mêmes que pour être éligible à la libération conditionnelle ! A vrai dire nous n’étions pas surpris de lire cela, ayant dénoncé dans le Bolchévik de septembre la lettre de lecteur publiée dans Rouge le 17 juillet prenant le côté des matons contre toi.
Pour nous en tenir aux cas d’actualité, nous devons aussi mentionner l’affaire des 9 de Tarnac, persécutés soi-disant pour la dégradation de caténaires de la SNCF. Alors qu’une chasse aux sorcières se déchaînait contre ces jeunes autonomes, nous avons fait une déclaration sur cette affaire que tu trouveras ci-jointe [voir page 2]. Nous exigeons la libération immédiate et la levée des inculpations contre les jeunes poursuivis dans cette affaire. Mais pour la LCR, la victime dans l’affaire c’est la SNCF ! Leur déclaration du 11 novembre affirmait que la SNCF est « la victime de sabotages matériels dangereux et inquiétants ». Voilà qui devait être de la musique aux oreilles des bureaucrates syndicaux de SUD-Rail. Une semaine plus tard, alors que même dans la presse capitaliste aux ordres on commençait à déceler un certain agacement envers la minceur du dossier monté par les flics contre les jeunes accusés, la LCR a publié un court article (Rouge, 20 novembre) montrant qu’elle était toujours incapable de se prononcer pour leur libération immédiate et la levée des inculpations !
Il ne s’agit pas là d’incompétence flagrante. Pour la LCR, ce qui compte par-dessus tout, c’est de prouver aux capitalistes, et aux anticommunistes qu’elle veut recruter, qu’elle n’a rien à voir avec la moindre entorse à la légalité bourgeoise, et elle a profité de cet incident stupide (ou de cette provocation) pour le réaffirmer, là où les marxistes en profitent au contraire pour éduquer les travailleurs sur la nature répressive de l’Etat capitaliste, son armée, ses flics, ses juges et ses matons, et comment la plus belle des démocraties n’est que le plus beau masque de la sanglante dictature de la bourgeoisie. La LCR, et son prochain avatar social-démocrate du NPA, est dédiée à la défense de l’ordre bourgeois ; ses promesses de lutter pour quelques réformes ne sont que de la poudre aux yeux des travailleurs pour les détourner de la compréhension qu’une révolution prolétarienne devra détruire l’Etat capitaliste et que les ouvriers devront établir leur propre dictature contre les capitalistes pour avancer vers une société sans classe internationale, une société communiste d’abondance pour tous. La LCR appelle tous les sept ans ou cinq ans, depuis 1974, à voter pour le candidat du front populaire aux élections présidentielles (sauf en 2002 où ils ont voté Chirac), et elle a ainsi sa part de responsabilité pour ce que ces dirigeants qu’elle a élus à la tête de l’Etat capitaliste ont commis.
Ta citation de Rosa Luxemburg, extraite d’une lettre à Henriette Roland-Holst de 1911, à une époque où Luxemburg était encore dans le SPD, soulève la question de la Révolution allemande de 1918-1923 et des causes de son échec. Nous t’envoyons à ce propos notre article paru dans Spartacist n° 34 sur l’échec de la Révolution allemande de 1923. Comme nous le disons dans cet article, Rosa Luxemburg et les spartakistes n’avaient scissionné qu’en 1918 de l’USPD de Karl Kautsky (une scission datant de 1916 du SPD), qui avait été social-pacifiste et non internationaliste pendant la guerre. Le Parti communiste allemand (KPD) ne fut fondé que le 31 décembre 1918, et Rosa fut assassinée deux semaines plus tard sur ordre de la social-démocratie. La scission avec la social-démocratie avait été tardive, et, comme nous le disons dans cet article, « l’histoire allait montrer par la suite combien la scission d’avec Kautsky était incomplète au niveau du programme et de la théorie ». Cela aboutit à l’échec de la Révolution allemande en 1923.
A l’opposé, les bolchéviks de Lénine, qui avaient scissionné dès 1903 des menchéviks, et rompu définitivement avec eux en 1912, dirigèrent la Révolution russe. Si un « mauvais parti » est un obstacle à la révolution, ce serait encore insulter la mémoire du renégat Kautsky, qui était avant sa trahison pendant la guerre l’exécuteur testamentaire d’Engels et l’auteur de plusieurs ouvrages marxistes d’une certaine valeur (par exemple la Question agraire), que de le comparer au nain social-démocrate Olivier Besancenot.
Sans même citer Lénine à la clarté impitoyable, nous voudrions citer un article de Rosa de 1916 (« La politique de la minorité social-démocrate », traduit par nos soins), après la scission avec le SPD. Malgré ses faiblesses, on y sent la révolution qui souffle, balayant d’un coup les bredouillements « anticapitalistes » d’un Besancenot :
« Oui, l’unité rend fort, mais l’unité d’une ferme conviction interne, non pas l’accouplement externe, mécanique, d’éléments qui en soi tirent dans des sens opposés. Ce n’est pas dans le nombre que se trouve la force, mais dans l’esprit, dans la clarté, dans la force d’agir qui nous anime. Comme nous semblions être forts, comme nous nous targuions de nos quatre millions de partisans avant la guerre, et comme pourtant notre force s’est brisée, effondrée à la première épreuve, comme un château de cartes ! Ici aussi il s’agit de tirer les leçons des déceptions que nous avons vécues, et de ne pas retomber dans les vieilles erreurs ! Si nous voulons faire front avec énergie contre le cours dominant des instances officielles du parti [le SPD], contre la majorité de la fraction, alors il faut avoir une politique claire, conséquente, énergique, alors il ne faut pas regarder à droite ou à gauche, mais nous devons nous grouper derrière un drapeau bien visible, comme le font justement les principes directeurs [rédigés par Rosa Luxemburg et publiés en annexe de sa “brochure de Junius”] honnis par Ledebour et ses camarades [de l’USPD dont faisait pourtant alors partie Rosa Luxemburg]. A bas les demi-mesures et les flottements ! Bien garder le but devant les yeux, et prendre la lutte de classe sur toute la ligne, sans ménagement, dans l’esprit de l’Internationale ! Voici notre tâche, voici le terrain sur lequel nous nous rassemblons. Celui qui veut sérieusement et honnêtement la renaissance du socialisme viendra bien à nous ; si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain. »
Salutations communistes,
Marc Guétier