Supplément au Bolchévik nº 185 |
Octobre 2008 |
Crise financière : la banqueroute du capitalisme
Le pouvoir aux travailleurs - Pour un parti ouvrier révolutionnaire ! Pour une économie planifiée socialiste !
L’article suivant a été traduit de Workers Vanguard, journal de la Spartacist League/U.S., n° 921, 26 septembre.
22 septembre La crise économique galopante qui a explosé ce mois-ci à Wall Street, et dont le détonateur a été l'éclatement de la bulle spéculative immobilière l'année dernière, a réduit plusieurs des institutions financières les plus puissantes du pays, et même du monde, à l'état d'épaves disloquées. Le 7 septembre, l'administration Bush a nationalisé les deux géants financiers américains de l’habitat, Fannie Mae et Freddie Mac qui détiennent ou garantissent la moitié de toutes les hypothèques immobilières américaines en s'engageant à les renflouer à la hauteur de 200 milliards de dollars. Une semaine plus tard, Lehman Brothers, une banque d'affaires dont les actifs étaient supérieurs au produit intérieur brut de l'Argentine, s'est brusquement déclarée en faillite. De son côté, Merrill Lynch, un des colosses de Wall Street (avec son slogan « Nous misons sur la hausse de l'Amérique ») a échappé au naufrage en se vendant à un prix sacrifié à la Bank of America. Redoutant une panique financière à l'échelle mondiale, la Réserve fédérale américaine (la banque centrale des Etats-Unis) a organisé un plan de sauvetage de 85 milliards de dollars pour l'American International Group (AIG), une des plus grandes compagnies d'assurances du monde. Ce plan prévoit que le gouvernement se portera acquéreur de plus de 80 % des actions de cette société.
Pendant des années, les ploutocrates de Wall Street ont empoché des salaires et des primes de multimillionnaires en risquant l'argent de leurs banques dans diverses combinaisons spéculatives ces derniers temps, sur le marché immobilier américain. Maintenant que la bulle immobilière a éclaté, ce n'est pas assez que des millions de gens soient menacés de perdre leur logement ; les travailleurs sont maintenant obligés de voir l'argent de leurs impôts utilisé pour renflouer les comptes en banque de ceux qui sont responsables de leur ruine. Les deux candidats à la présidence, le démocrate Barack Obama et le républicain John McCain, n'ont que des objections mineures à ces plans de renflouement. L'administration Bush propose maintenant un plan plus considérable encore le plus gigantesque de l'histoire des Etats-Unis qui verrait le gouvernement racheter aux banques leurs actifs douteux liés aux prêts hypothécaires jusqu'à concurrence de plus de 700 milliards de dollars ! L'éditorialiste économique du New York Times Joe Nocera comparait cette proposition à la « passe je vous salue Marie », une manuvre désespérée du football américain, en notant que « la plupart du temps, ça rate ». Beaucoup de travailleurs sont à juste titre furieux de voir qu'on a trouvé plus de 500 milliards de dollars pour renflouer Wall Street, alors que des millions de gens n'ont ni emploi ni couverture médicale, et sont menacés de perdre leur logement.
Avec une économie déjà en train de glisser vers la récession, la déconfiture du système financier fait planer la menace d'une crise économique encore plus profonde. La semaine dernière, les marchés de crédit internationaux se sont rapidement taris, les banquiers terrifiés hésitant à prêter de l'argent même à d'autres banquiers et les investisseurs plaçant leur argent dans des valeurs refuge, comme les bons du Trésor américain et l'or. Même les fonds du marché monétaire, longtemps considérés comme aussi sûrs que les bons du Trésor, sont en difficulté. Après que le plus ancien d'entre eux, le Reserve Primary Fund, a décidé de rembourser ses investisseurs à hauteur de 97 cents par dollar, le gouvernement s'est empressé d'allouer 50 milliards de dollars pour enrayer une vague de désengagement des fonds du marché monétaire qui prenait des allures de retrait massif de panique bancaire classique.
Le tarissement du crédit signifie que les entreprises vont sabrer dans leurs plans d'investissements, tandis que les dépenses de consommation qui représentent les deux tiers de l'activité économique du pays vont faire un nouveau plongeon. En même temps, le niveau de vie des travailleurs diminue du fait d'une forte accélération de l'inflation qui touche notamment les produits alimentaires, l'essence et les services de base comme l'eau ou l'électricité. Le Wall Street Journal du 18 septembre titrait en Une : « La pire crise depuis les années 30, et on n'en voit pas encore la fin. »
Il peut difficilement être plus évident que les travailleurs ont besoin d'un parti qui lutte pour leurs intérêts de classe, un parti ouvrier déterminé à balayer le système capitaliste par une révolution socialiste. Nous sommes pour l'indépendance politique de la classe ouvrière par rapport à l'ennemi de classe capitaliste. Nous sommes contre tout soutien politique à quelque politicien capitaliste que ce soit démocrate, républicain, Vert ou « indépendant ». Un vote pour un politicien capitaliste, quel qu'il soit, c'est un vote de confiance dans la possibilité de réformer le capitalisme, et un vote contre la nécessité d'une révolution socialiste.
La crise financière qui s’amplifie souligne l'irrationalité destructive du système capitaliste. Depuis fin août, quand presque tous les types de marchés de crédit se sont grippés, la banque centrale américaine et ses consurs ont injecté des centaines de milliards de dollars sous forme de prêts à court terme aux grandes banques auxquels s'ajoutent les engagements à accorder des centaines de milliards supplémentaires pour renflouer les établissements en difficulté. Cependant, les sommets de l'Olympe du capital financier continuent à vaciller. Des institutions financières de premier plan comme Washington Mutual, le plus grand établissement d’épargne et de crédit du pays, font des efforts désespérés pour éviter la faillite.
Comme toutes les crises économiques inévitables qui se produisent périodiquement sous le capitalisme, la crise actuelle reflète fondamentalement une contradiction essentielle du capitalisme, identifiée par Karl Marx et Friedrich Engels : sous le capitalisme, la production est socialisée, autrement dit concentrée et organisée dans d'immenses entreprises, mais les moyens de production et la richesse qui est appropriée après avoir été produite socialement demeurent la propriété privée de quelques-uns. Dans son essai de 1916 l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, V.I. Lénine, le dirigeant de la Révolution russe de 1917, a décrit comment l'impérialisme, le système du capitalisme moderne et décadent, « conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production » sous le capitalisme. Lénine insistait sur le fait que la monopolisation de la production et le rôle dominant du capital financier contraignent les puissances impérialistes à diviser le monde dans leur quête de marchés et de sphères d'exploitation dans les pays capitalistes retardataires. Il écrivait :
« [ ] le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production marchande, bien que continuant de “régner” et d'être considérée comme la base de toute l'économie, se trouve en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux “génies” des machinations financières. A la base de ces machinations et de ces tripotages, il y a la socialisation de la production ; mais l'immense progrès de l'humanité, qui s'est haussée jusqu'à cette socialisation, profite aux spéculateurs. »
La production socialisée doit être étendue à la propriété socialisée avec la prise de contrôle de la société par les producteurs. La Révolution bolchévique a montré la voie pour sortir du cycle sans fin des crises économiques capitalistes et des guerres impérialistes, quand les travailleurs russes se sont emparés du pouvoir, ont exproprié la bourgeoisie et ont instauré un Etat ouvrier. Nous luttons pour la révolution socialiste internationale, pour la collectivisation des moyens de production, et pour une planification économique à l'échelle internationale.
Crises financières et anarchie de la production capitaliste
Dans une récente série de trois articles, « Capitalisme USA », nous avions qualifié l'économie américaine de « château de cartes branlant », qui avait connu une explosion de l'endettement des ménages, des entreprises et du gouvernement fédéral (Workers Vanguard n° 910-912, 14 mars, 28 mars et 11 avril). Les revenus réels (en tenant compte de l'inflation) de la plupart des ménages américains sont plus bas aujourd'hui qu'à la fin des années 1990. Pour joindre les deux bouts, les travailleurs ont hypothéqué leur logement, ont utilisé jusqu’à la limite leurs cartes de crédit ou alors ont dû faire appel aux requins usuriers de Wall Street. Beaucoup de travailleurs font des heures supplémentaires, ou même prennent deux emplois ou davantage. Entre 2002 et 2006, l'endettement des ménages a progressé en moyenne de 11 % par an, tandis que les emprunts contractés par les institutions financières ont augmenté de 10 % par an.
La détérioration de la situation de la classe ouvrière est directement liée à la désindustrialisation de l'Amérique. Depuis 1979, la proportion de la population active employée dans le secteur de la production de biens manufacturés a connu une chute continue, passant de 28 % à moins de 15 %. En même temps, le déficit commercial américain, qui représente plus de 5 % du produit intérieur brut (PIB), est bien plus élevé, en valeur absolue et en pourcentage du PIB, que dans tous les autres grands pays capitalistes. Le résultat est une anomalie historique, où la puissance capitaliste la plus puissante du monde est aussi le premier débiteur du monde.
En conséquence de quoi les pays asiatiques et les Etats du golfe Persique accumulent un stock toujours croissant de bons du Trésor américains, qui représentent une part importante de leurs réserves de change. Avec la crise financière aux Etats-Unis et la dépréciation ininterrompue du dollar, cet état de choses est une source potentielle d'instabilité majeure pour l'économie mondiale. Si les banques centrales changeaient d'avis, décidaient de ne plus immobiliser leur capital sous forme de reconnaissances de dette du gouvernement américain, et commençaient à diversifier rapidement leur portefeuille en vendant des dollars, cela pourrait provoquer une hausse brutale des taux d'intérêt et précipiter une récession économique mondiale. Parallèlement, la fuite du capital-argent vers les matières premières combinée à l'accroissement de la production de biocarburants a contribué à la hausse des prix mondiaux des produits alimentaires, menaçant ainsi de famine des dizaines de millions de pauvres (voir « L'impérialisme affame les pauvres du monde entier », Workers Vanguard n° 919 et 920, 29 août et 12 septembre).
Les capitalistes américains délaissent les investissements qui permettraient d'étendre et de moderniser l'outil industriel et de réparer l'infrastructure délabrée du pays, comme les ponts, les routes, les réseaux électriques et les digues. Ils ont dépensé le surplus économique qu'ils s'approprient en exploitant les travailleurs dans une succession de frénésies spéculatives. Il y a eu d'abord la flambée boursière liée à la soi-disant « révolution » des technologies de l'information (l'euphorie du boom des technologies de l'information et de l'internet) dans la deuxième moitié des années 1990. Cela a été suivi par la bulle immobilière les prêts hypothécaires « à haut risque » (les « subprimes ») et tout ce qui s'ensuit au début et au milieu des années 2000.
Nous assistons aujourd'hui à une crise financière classique, telle que décrite par Marx dans le Capital (livre III) :
« Cette perturbation et ce blocage paralysent la fonction de moyen de paiement de l’argent qui repose sur ces rapports de prix fixés à l’avance et qui est donnée en même temps que le développement du capital ; ils interrompent à cent endroits la chaîne des obligations de paiement à échéances déterminées ; ils sont encore aggravés par l’effondrement correspondant du système de crédit, qui s’est développé avec le capital, et aboutissent ainsi à des crises aiguës et violentes, à de soudaines et brutales dévaluations et à un blocage et une perturbation réels du procès de reproduction entraînant une diminution effective de la reproduction. »
La crise actuelle a été conditionnée par une transformation de grande ampleur du secteur financier américain depuis la fin des années 1980, symbolisée par l'abrogation, sous l'administration Clinton, de la loi Glass-Steagall, promulguée à l'époque de la grande dépression des années 1930 et qui visait à limiter la spéculation des banques commerciales. Une composante de cette transformation a été le développement explosif des produits dérivés et autres formes d'« ingénierie financière ». Les contrats de type produits dérivés sont particulièrement attractifs pour qui veut spéculer parce que, très souvent, on n'a besoin d'avancer directement que très peu d'argent. Dans ce genre d'investissements à fort « effet de levier », les risques comme les bénéfices potentiels peuvent être astronomiques. L'« ingénierie financière » permet aussi à de grandes banques de se décharger des risques sur d'autres acteurs. Par exemple, quand une banque émet des obligations dont la contrepartie est constituée par des hypothèques, les acheteurs de ces obligations prennent le risque que ces hypothèques ne soient pas remboursées.
L'énorme expansion du volume des valeurs à base hypothécaire constitue ce que Marx appelait du capital fictif. C'est une augmentation de la richesse virtuelle, qui n'est pas basée sur une augmentation de la capacité productive (par exemple les usines, les centrales électriques, les systèmes de transport, les réseaux de communications), ni même, dans ce cas précis, sur une augmentation quantitative et qualitative des biens de consommation. Une maison qui se serait vendue disons 400 000 dollars en 2002 se vendait pour 600 000 dollars en 2006.
Quand le marché immobilier américain s'est effondré et que le nombre des prêts en cessation de remboursement a commencé à monter en flèche, la valeur des créances hypothécaires a plongé en chute libre. Quand la crise financière a éclaté, à l'automne de l'année dernière, le Washington Post (1er août 2007) écrivait :
« Dans le modèle simple de jadis, une banque, essentiellement, empruntait de l'argent à ses déposants et le prêtait à des ménages ou à des entreprises qui avaient besoin d'emprunter. Néanmoins pour chaque dollar prêté, la banque était tenue de garder en réserve une partie de ses propres fonds pour couvrir les pertes qu'elle pourrait avoir à subir si certains des prêts n'étaient pas remboursés.
« Mais tout ça a été abandonné avec la dérégulation et l'essor de l'ingénierie financière [ ].
« L'ingénierie financière a encouragé à empiler les dettes les unes sur les autres, rendant le système davantage susceptible de s'écrouler si le crédit devenait soudain plus cher ou indisponible. Et c'est précisément ce qui est en train de se passer depuis plusieurs semaines. »
Le gouvernement renfloue Wall Street : le « socialisme pour les riches »
Ainsi, les titans de Wall Street sont tombés, les uns après les autres. La première victime a été la grande banque d'affaires Bear Stearns. En mars dernier, la Réserve fédérale a organisé sa vente en catastrophe, et Bear Stearns a été absorbée par une banque plus grande et plus riche, la JPMorgan Chase. Pour ce faire, la Réserve fédérale a dû garantir 30 milliards de dollars de créances hypothécaires particulièrement pourries. Ce genre de sauvetage gouvernemental est une forme de « socialisme pour les riches », où l'argent public est utilisé pour rembourser les financiers qui ont fait de mauvais investissements.
Un exemple caricatural du tripatouillage capitaliste qui consiste à privatiser les profits tout en socialisant les pertes est celui de Fannie Mae et Freddie Mac. Fannie a été créée comme une agence publique à la fin des années 1930, et Freddie en 1970, pour encourager l'accession à la propriété immobilière en accroissant les fonds disponibles pour des prêts hypothécaires. Fannie a été privatisée par le Président démocrate Lyndon Johnson en 1968, pour aider à payer la guerre du Vietnam ; Freddie a été créé sous la forme d'une société privée. Jusqu'à l'éclatement de la bulle immobilière l'année dernière, ces deux géants financiers réalisaient en général de solides profits, qui étaient distribués aux actionnaires via les dividendes et la hausse du prix des actions, et les cadres dirigeants de ces entreprises touchaient une part généreuse sous forme de salaires et d'avantages divers.
Les financiers du monde entier tenaient pour certain que si Fannie ou Freddie connaissaient un jour des problèmes graves, le gouvernement les renflouerait. Cette garantie gouvernementale implicite leur conférait un avantage concurrentiel en leur permettant d'emprunter à des taux d'intérêt plus bas que les banques et les autres institutions financières. Et ils ne se sont pas privés de le faire. A la fin 2007, ces deux organismes disposaient de 65 dollars sous forme de dette pour chaque dollar de leur capital propre !
L'année dernière, quand le marché des prêts hypothécaires « à haut risque » a commencé à tourner au vinaigre, les banques et les autres institutions financières ont fortement réduit les prêts immobiliers aux particuliers. Fannie et Freddie sont donc devenus les prêteurs de dernier recours, et ont financé cette année 80 % de tous les nouveaux prêts immobiliers résidentiels. En même temps, l'effondrement du marché immobilier a provoqué d'énormes pertes dans leur portefeuille d'hypothèques et de créances hypothécaires. Le mois dernier, un analyste indépendant a calculé que les dettes de Freddie dépassaient ses actifs d'au moins 20 milliards de dollars, et de 3 milliards pour Fannie, si l'on estimait leur portefeuille de titres aux prix actuels du marché. A la Bourse, le cours des actions des deux sociétés s'est effondré, et les investisseurs ont cessé d'acheter leurs obligations. Une raison importante pour laquelle la bande de Bush, avec en tête le Secrétaire d'Etat au Trésor Henry Paulson, un ancien cadre dirigeant de Wall Street, a décidé de racheter Fannie et Freddie, est que 35-40 % des obligations émises par ces géants de l'hypothèque sont détenues à l'étranger, principalement par des banques centrales et des fonds d'investissement asiatiques. Si Washington les laissait en cessation de paiement, les gouvernements et les financiers asiatiques pourraient répliquer en se débarrassant de leurs bons du Trésor américains.
Les principaux défenseurs politiques de Fannie et Freddie ont été les démocrates du Congrès, alors que le régime Bush les regardait d’un mauvais il. Barney Frank, un démocrate libéral qui préside la Commission des services financiers de la Chambre des représentants, défend avec acharnement le droit des entreprises soutenues par le gouvernement à faire des profits pour leurs actionnaires, en leur demandant de consacrer une partie de ces profits à financer des logements pour les familles à revenus modestes. C'est une version libérale de la théorie économique de l’effet de diffusion.
Une semaine après le renflouement/nationalisation de Fannie/Freddy par le gouvernement, Lehman Brothers se déclarait en faillite. Une des plus vénérables institutions de Wall Street ses origines remontent aux années 1850, époque où elle était une bourse du coton en Alabama Lehman avait survécu à la Grande Dépression et à plusieurs autres crises financières ultérieures. Mais cette fois-ci, elle n'a pas survécu. Quand les créances hypothécaires ont commencé leur descente aux enfers, à l'été 2007, le dirigeant de Lehman, Richard Fuld, avait estimé que c'était une contraction temporaire du marché. Non seulement il avait refusé de vendre une partie du portefeuille de créances de sa banque, mais il en avait acheté encore davantage. Une erreur fatale. Il y a quelques semaines, quand Lehman a annoncé les plus fortes pertes trimestrielles de ses 158 ans d'existence, la dégringolade déjà massive du prix de ses actions s'est transformée en spirale de la mort.
Fuld a désespérément tenté, sans succès, de trouver un acheteur pour sa firme. En dernier recours, il a cherché à obtenir auprès du gouvernement un renflouement façon Bear Stearns, mais cette fois-ci le Trésor et la Réserve fédérale ont dit non. L'explication semi-officielle est que la déconfiture de Lehman avait été anticipée depuis des mois par d'autres acteurs financiers de premier plan, dont on peut supposer qu'ils avaient ajusté leur politique dans cette éventualité. En fait, Paulson et le directeur de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, ont parié que la banqueroute de Lehman ne perturberait pas outre mesure les marchés financiers. Ils ont eu tout faux. Le lendemain, la panique a gagné les Bourses du monde entier, provoquée dans une large mesure par la crainte qu'AIG ne soit la prochaine sur la liste.
AIG est l'acteur central sur le marché mondial des « contrats d’échange de risque de défaut » (credit default swaps CDS), estimés à soixante mille milliards de dollars. Il s'agit d'une forme d'assurance que les investisseurs souscrivent pour couvrir les pertes encourues en cas de non-remboursement des créances qu'ils ont acquises. (Mais les sociétés qui émettent ce genre d'assurances ne sont pas obligées de conserver des réserves pour couvrir d'éventuels dédommagements !) Si AIG faisait faillite ou se retrouvait dans l'impossibilité d'honorer ses engagements, les financiers du monde entier devraient réévaluer à la baisse des centaines de milliards de dollars d'actifs qu'ils détiennent dans leurs portefeuilles de titres. En outre, les banques, soudain privées d'assurance en cas de non-remboursement de leurs prêts, seraient contraintes par les réglementations gouvernementales à immédiatement lever d'énormes quantités de capitaux supplémentaires. Alors que la nationalisation de fait d'AIG n'a guère calmé la panique qui règne à Wall Street et dans les autres centres financiers, de Londres à Tokyo, le mégarenflouement des banques américaines détenant des créances hypothécaires proposé par Bush a pour l'instant stoppé la dégringolade. La veille du renflouement d'AIG par le gouvernement, le directeur d'une société de gestion d'actifs lançait cette mise en garde : « Son effondrement serait l’événement le plus proche d’une extinction que les marchés financiers aient vu depuis la Grande Dépression » (New York Times, 16 septembre).
La régulation financière : un remède de charlatan libéral
Un article intéressant publié dans The Star, un journal bourgeois sud-africain (10 septembre), imputait la responsabilité de la crise financière actuelle au triomphalisme idéologique de la classe dirigeante américaine après la destruction contre-révolutionnaire de l'Union soviétique en 1991-1992 :
« En l'absence de l'influence restrictive, même limitée, que représentait la présence d'un système alternatif, le capitalisme à l'américaine est passé en mode extrême [ ]. Pour les acteurs du marché, l'essentiel des 18 dernières années à été un peu comme quand on encourage un ivrogne à boire pour faire passer sa gueule de bois. Au lieu d'exercer une influence restrictive, les régulateurs apparaissaient décidés à tolérer chaque nouvelle cuite. »
Cet article contient un élément de vérité important, et une contre-vérité fondamentale. Il est vrai que le triomphalisme bourgeois américain autour de la « mort du communisme » a été un facteur contributif important de la dérégulation des marchés financiers dans la période postsoviétique. Il convient de souligner ici que les étapes principales de ce programme ont été réalisées par l'administration démocrate de Bill Clinton, à l'initiative de son Secrétaire d'Etat au Trésor Robert Rubin, un ponte de Wall Street qui est aujourd'hui un des dirigeants de Citigroup. Mais c'est une illusion libérale de croire qu'une crise financière de l'ampleur de celle que nous vivons aujourd'hui aurait pu être évitée si seulement les anciennes régulations avaient été préservées et renforcées. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est une conséquence des mécanismes fondamentaux du système capitaliste, et pas un accident de parcours provoqué par une dérégulation financière excessive.
Rien que dans les deux dernières décennies, des crises financières majeures ont secoué le monde capitaliste à quelques années d'intervalle. En 1990-1991, l'emballement de la Bourse et le boom immobilier au Japon se sont effondrés, conduisant à plus de dix ans de stagnation économique dans la deuxième économie capitaliste du monde. A la fin des années 1990, des sorties massives de capital-argent spéculatif ont dévasté les économies capitalistes d'Asie de l’Est et du Sud-Est, de la Corée du Sud à l'Indonésie en passant par la Thaïlande. Il y a quelques années de cela, la bulle boursière de l'internet a éclaté aux Etats-Unis, conduisant à une récession.
La nécessité de restaurer et de renforcer la régulation gouvernementale des marchés financiers est aujourd'hui à l'ordre du jour à Washington. En réalité, ce qui est au cur de la crise ce sont les grandes banques (qui, malgré l'abrogation de la loi Glass-Steagall, sont toujours régulées), et non les fonds spéculatifs (« hedge funds ») et autres opérateurs financiers similaires, qui sont de fait non régulés. Toutefois, les autorités publiques ont laissé les banques faire à peu près ce qu'elles voulaient tant qu'elles gagnaient de l'argent. Mais maintenant elles régulent à outrance, cette fois pour minimiser les pertes des banques.
C'est ainsi que la Securities and Exchange Commission (SEC Commission des titres financiers et des Bourses), le « gendarme » de la Bourse américaine, vient d'interdire de vendre en jouant à la baisse près de 800 titres financiers pour tenter d'empêcher les spéculateurs de faire encore chuter leur prix. Quand un opérateur financier vend en jouant à la baisse, il emprunte généralement des actions ou d'autres titres à un courtier, et les revend au prix courant tout en s'engageant à les racheter plus tard (à un prix qu'il espère moins élevé) et à les rendre au courtier. Il empoche la différence sous forme de profit. L'interdiction édictée par la SEC de vendre en jouant à la baisse a pour objectif et pour effet de renforcer la situation financière des banques par rapport, par exemple, aux fonds spéculatifs, dont cette pratique est le gagne-pain. Un gestionnaire de fonds spéculatif en colère s'exclamait que le gouvernement « transforme un match de football américain en séance de badminton » (New York Times, 20 septembre).
Le désarroi complet des as de la finance, des directeurs des banques centrales et des hauts fonctionnaires chargés de superviser l'économie a démontré l'ineptie du monétarisme, la doctrine économique dominante de la droite bourgeoise depuis l'ascension de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher dans les années 1980. Les idéologues du monétarisme soutenaient que les crises économiques pouvaient être minimisées, voire éliminées, en ajustant conjointement la quantité de monnaie dans le système bancaire et les taux d'intérêt. Aujourd'hui, cette idée s'est révélée être un mythe.
Le républicain McCain s'est lancé dans le genre de diatribes pseudo-populistes enflammées qu'on associe habituellement à l'aile gauche du Parti démocrate. Il a fustigé « la cupidité et la corruption dont certains ont fait preuve à Wall Street » (New York Times, 16 septembre). Il va sans dire que le démocrate Obama a imputé la crise actuelle à la « philosophie économique » des républicains pour qui le marché a toujours raison. Tu parles ! Un de ses principaux conseillers économiques est Robert Rubin qui, en sa qualité de Secrétaire au Trésor de Clinton, a été le principal responsable de la suppression de mécanismes de régulation essentiels des pratiques bancaires qui avaient été mis en place dans les années 1930. La réalité, comme l'affirmait sans ambages le Wall Street Journal du 17 septembre, c'est que « Malgré les grands discours, les deux candidats envisagent des solutions en gros similaires ». En l'occurrence, des « solutions » qui protègent les intérêts de la classe capitaliste aux dépens des travailleurs.
Vers un mouvement ouvrier lutte de classe
L'administration Bush, qui est extrêmement impopulaire, a quand même les coudées franches pour signer, avec le soutien des démocrates, des chèques de plusieurs milliards de dollars aux comparses de Washington à Wall Street. Ceci témoigne du bas niveau de la lutte de classe dans ce pays. La disparition à un rythme accéléré des bons emplois et leur remplacement par des petits boulots, les coupes sombres dans les retraites et la couverture santé, l'énorme affaiblissement des syndicats tout ceci, et davantage encore, a lieu avec l'acquiescement de la bureaucratie syndicale procapitaliste. Au lieu de chercher à mobiliser dans la lutte, celle-ci enchaîne les travailleurs et les opprimés au système capitaliste, en particulier en soutenant le Parti démocrate, l’autre parti du capitalisme, du racisme et de la guerre américains. Chaque année électorale, des millions et des millions de dollars de cotisations des syndiqués sont gaspillés pour soutenir tel ou tel politicien capitaliste présenté comme un « ami » des syndicats, comme cela se produit cette année avec le soutien des syndicats à Obama.
Cette bureaucratie, qui est un parasite juché au sommet des syndicats, est, d'un côté, sensible aux exigences de sa base ouvrière. Il arrive que les pressions conjuguées de la base des syndicats et des provocations des patrons l'amènent à des grèves et à d'autres actions ouvrières. De l’autre, elle jette souvent l'éponge ou signe des accords qui constituent des reculs scandaleux. Mais les syndicats n'iront nulle part s'ils respectent les règles édictées par les patrons.
Il est nécessaire de forger une nouvelle direction des syndicats, basée sur la conviction qu'il existe dans la société capitaliste deux classes décisives, le prolétariat et la bourgeoisie, dont les intérêts sont irrémédiablement opposés. Une direction lutte de classe dans les syndicats luttera pour une série de revendications transitoires, qui partent de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et de leur lutte quotidienne contre les capitalistes, et conduisent au programme de la révolution prolétarienne. La lutte pour mobiliser le mouvement ouvrier organisé dans la lutte pour ses intérêts de classe doit inclure le combat contre toutes les formes de discrimination et pour les pleins droits de citoyenneté pour les immigrés ; pour une réduction de la semaine de travail sans perte de salaire, afin de combattre le chômage ; contre les accords d'entreprise « à deux vitesses » qui servent aux patrons à casser les syndicats ; pour des groupes de défense syndicaux contre les briseurs de grève ; pour des piquets de grève de masse et des occupations d'usines pour gagner les grèves, au lieu de s'incliner devant les règles édictées par les patrons.
Pour forger une telle direction, il faut une lutte politique à l'intérieur du mouvement syndical pour balayer toutes les tendances de la bureaucratie syndicale procapitaliste. Cela fait partie intégrante de la lutte pour un parti ouvrier tel le Parti bochévique de Lénine et Trotsky qui puisse servir de direction révolutionnaire aux luttes des ouvriers, dans le cadre du combat pour la révolution socialiste, et pour construire un Etat ouvrier où ceux qui travaillent seront au pouvoir.
Exproprions les exploiteurs ! Pour un gouvernement ouvrier !
Les réformistes de l'International Socialist Organization (ISO) présentent un point de vue classiquement social-démocrate sur la crise financière (Socialist Worker, 19 septembre) :
« Maintenant qu'ils ont renfloué Fannie Mae et Freddie Mac, géants du prêt hypothécaire, les contribuables américains ne devraient-ils pas avoir leur mot à dire sur les activités de ces sociétés ? Pourquoi l'Etat propriétaire de ces sociétés ne devrait-il pas imposer un moratoire sur les saisies pour non-remboursement de prêts détenus ou garantis par Fannie et Freddie [ ].
« Maintenant que le gouvernement fédéral est entré dans le secteur des assurances en prenant le contrôle de la plus grande compagnie d'assurances du monde, y a-t-il une raison quelconque qui justifie que quiconque, aux Etats-Unis, puisse se retrouver sans assurance maladie, et encore moins que 45 millions de gens soient dans cette situation ?
« Et quand on objecte que le gouvernement américain va devoir réduire les dépenses pour financer les sauvetages de Wall Street, il ne faudrait pas hésiter une seconde pour savoir d'où doit venir l'argent. Le gouvernement fédéral pourrait récupérer le montant total dépensé pour prendre le contrôle d'AIG sur le budget du Pentagone, et ça laisserait encore à l'armée américaine davantage d'argent et de très loin qu'aucun autre pays au monde. »
Ce genre de déclaration y compris le soutien implicite de l'ISO à une force militaire impérialiste (réduite) aurait pu être écrite par des partis « socialistes » européens comme le PS français ou le Parti de la gauche en Allemagne. L'ISO se défend en disant que ses revendications ne sont avancées par « aucun des deux grands partis » parce que cela « remettrait en cause, à la limite, le système de profit ». Mais sa déclaration vise à renforcer le mythe réformiste qu'on pourrait négocier en douceur le passage à davantage de beurre et moins de canons en prenant en mains la gestion de l'Etat bourgeois.
Comme Karl Marx et Friedrich Engels nous l'ont appris il y a bien longtemps, les tribunaux, les flics, les prisons et les forces armées sont les composantes essentielles de l'Etat capitaliste un appareil de violence organisée pour protéger le pouvoir et les profits de la classe exploiteuse. Un socialiste d'autrefois avait fait remarquer, en parlant au nom de la classe ouvrière, que nous allions voler tout ce que la bourgeoisie n'avait pas fixé avec des clous, et nationaliser le reste. Un autre, Sidney Hook, avant de devenir un fieffé réactionnaire, s'inquiétait de savoir si l'expropriation devait se faire avec ou sans compensations. Eh bien, la « Proclamation d'émancipation » de Lincoln a été une gigantesque expropriation sans compensations : en libérant les Noirs de l'esclavage, la plus grande partie du capital des dirigeants de la Confédération a été soustraite à ses possesseurs.
C'est au fond une question politique. On peut résoudre beaucoup de problèmes avec des « transferts internes d’argent » rendre la vie vivable pour les ouvriers, les Noirs, les Latino-Américains, les chômeurs, les sans-abris, les mères qui vivent d'allocations sociales, les usagers de drogues, etc. Et nous autres, communistes, nous sommes déterminés à le faire. Mais il faut d'abord briser le pouvoir de la bourgeoisie. Pour cela, il faut construire un parti ouvrier qui ne « respecte » pas les valeurs du droit de propriété de la bourgeoisie, un parti qui dira aux exploités et aux opprimés : nous voulons davantage, nous voulons tout, ça devrait être à nous, donc prenons-le. Et quand nous aurons la richesse de ce pays, nous commencerons à construire une économie socialiste planifiée à l'échelle internationale. Alors nous pourrons réparer quelques injustices et quelques crimes historiques, et rembourser certaines dettes laissées par ceux qui nous gouvernent, comme des dizaines de milliards de dollars aux Vietnamiens et aux autres peuples dont les pays ont été estropiés par les chenilles des chars américains. Et pour ce qui est des « compensations » à ceux qui ont conduit les Etats-Unis à la ruine, nous pouvons offrir à ceux qui ne se mettront pas en travers de notre chemin de vivre assez vieux pour voir leurs petits-enfants prospérer dans une société véritablement humaine.
Il nous faut un parti ouvrier, pour nous emparer de la richesse de l'Amérique avant que la bourgeoisie ne la dilapide entièrement. Il faut se battre, et non pas mourir de faim pour une lutte de classe contre la classe dominante capitaliste américaine !