Le Bolchévik nº 184

Juin 2008

 

A bas les rafles racistes ! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !

29 mai – La manifestation parisienne du Premier Mai était cette année marquée par la présence de milliers de travailleurs sans papiers, principalement originaires de l’Afrique de l’Ouest, qui ont gonflé les rangs autrement clairsemés des cortèges CGT. La mobilisation a commencé le 15 avril lorsque la CGT a coordonné le départ en grève d’un millier de sans-papiers, principalement employés dans la restauration, le nettoyage et le bâtiment (et le gardiennage). Nous disons : Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici ! Nous luttons pour une direction lutte de classe dans les syndicats, qui se battrait pour mobiliser plus largement la classe ouvrière, Français et immigrés, avec des grèves ouvrières pour arracher la régularisation de tous les sans-papiers.

Les entreprises concernées employant souvent une majorité de sans-papiers, la grève a eu pour effet de bloquer toute une série de petites entreprises, même si à aucun moment à notre connaissance la CGT n’a fait appel aux collègues avec des papiers à se joindre à la grève. Mais les flics ont fait traîner en longueur la régularisation des mille premiers dossiers et n’ont délivré que quelques autorisations de séjour au compte-gouttes, attendant que l’opinion des petits patrons se retourne et que le mouvement pourrisse. En résultat, la CGT a lancé le 21 mai une deuxième vague de grèves de plusieurs centaines de sans-papiers supplémentaires. Pendant ce temps on s’approche de la prise par l’impérialisme français de la présidence de l’Union européenne pour le deuxième semestre de l’année, avec comme priorité une nouvelle aggravation de la répression contre les sans-papiers, y compris en interdisant aux Etats membres de procéder à des régularisations « massives » de sans-papiers. A bas l’Union européenne, cette forteresse raciste !

Cette mobilisation montre le rôle que jouent les sans-papiers dans de nombreux secteurs de l’économie, où ils forment une composante importante, particulièrement exploitée, du prolétariat. Elle montre aussi à quel point il est dans l’intérêt de la classe ouvrière de se mobiliser en défense de sa composante la plus opprimée, ses frères de classe immigrés, de syndiquer les non-syndiqués, y compris les sans-papiers, et d’avancer la revendication élémentaire à travail égal salaire égal. Inversement, une défaite de cette lutte encouragerait les capitalistes à multiplier les attaques contre l’ensemble de la classe ouvrière.

La perspective pour les sans-papiers change potentiellement du tout au tout du moment où les syndicats mobilisent la puissance du prolétariat en leur défense. Devant la vague de sympathie que cette lutte a suscitée dans la classe ouvrière et la petite bourgeoisie, et le succès de la mobilisation le Premier Mai, de nombreux travailleurs sont maintenant sortis du bois, pensant que c’est le moment ou jamais de lutter pour leur régularisation. La Coordination 75 des sans-papiers (CSP 75), où des anarchistes sont influents, a voulu déposer en préfecture le 2 mai des centaines de demandes de régularisation supplémentaires. Les flics ont dit aux sans-papiers d’aller voir la CGT, ce qu’ils ont fait à juste titre. Mais les bureaucrates à la tête de la CGT, au lieu de prendre la direction de la lutte pour les droits de ces travailleurs, ont tout bonnement dit aux sans-papiers d’aller se faire voir ! Les bureaucrates refusaient de prendre la défense de ces travailleurs sans papiers parce que, dans les faits, la CGT avait passé un accord avec l’Etat bourgeois, acceptant de limiter la mobilisation aux 1 000 premiers sans-papiers mobilisés le 15 avril !

En conséquence, des sans-papiers de la CSP 75 ont occupé le 2 mai une Bourse du travail près de la place de la République, demandant que la CGT prenne leur défense à eux aussi. Les bureaucrates de la CGT ont dénoncé l’occupation de la Bourse du travail, insinuant qu’elle était téléguidée par les flics ! Un responsable de la CGT déclarait : « En montant cette provocation et en voulant dresser les sans-papiers les uns contre les autres, la préfecture veut casser le mouvement des grévistes qui occupent leur entreprise » (l’Humanité, 5 mai). Ce sont les bureaucrates qui dressent ainsi les sans-papiers de la CGT et ceux de la CSP les uns contre les autres. Francine Blanche, secrétaire de la CGT, déclarait (l’Humanité, 23 mai) :

« La CSP 75 n’est pas sur la question de la régularisation par le travail. Or la force du mouvement, c’est la grève. Un salarié tout seul n’est pas protégé. Notre ligne est claire : on ne veut pas mettre en danger les salariés individuels. Nous ferons des fichiers individuels quand nous aurons la garantie que la régularisation ira jusqu’au bout. »

Comme si le refus de la CGT de défendre ces sans-papiers allait diminuer le danger auquel ils font face, tous les jours ! Baba Traoré, par exemple, est mort dans la Marne le 4 avril (l’Humanité, 7 avril) en essayant d’échapper à une rafle policière. Et Blanche sait que Sarkozy ne va jamais donner par avance une « garantie » de régularisation, sous peine de se retrouver immédiatement avec des centaines de milliers de demandes sur les bras. Et cela, c’est la dernière chose que veut la bureaucratie syndicale elle-même : elle ne veut pas mettre en cause ses bonnes relations avec le gouvernement capitaliste, avec qui elle vient de négocier sur la question de la représentativité syndicale une nouvelle répartition des prébendes où la CGT et la CFDT sont les grandes gagnantes. Comme l’écrivait Trotsky dans son document les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, parlant des monopoles capitalistes liés au pouvoir d’Etat :

« De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes – c’est-à-dire sur des positions basées sur l’adaptation à la propriété privée – la nécessité de s’adapter à l’Etat capitaliste et de tenter de coopérer avec lui.

« Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à “libérer” l’Etat de l’emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l’attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrières qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des surprofits du capitalisme impérialiste. […]

« Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d’une aristocratie ouvrière. »

Occupation de la Bourse du travail : LO et la LCR couvrent la bureaucratie syndicale

La pseudo « extrême gauche » a montré une nouvelle fois dans cette lutte de qui elle prenait la défense : de la bureaucratie syndicale ! Ainsi Rouge déclarait pour la LCR de Besancenot le 8 mai que « la provocation a fonctionné, puisqu’une dommageable occupation de la Bourse du travail de Paris par la coordination 75 s’en est suivie, dès le 2 mai, et que le poison de la division a été distillé ». Lutte Ouvrière n’était pas en reste, donnant elle aussi un alibi aux bureaucrates dans son édition du 9 mai : « Comme si c’était la CGT qui décidait des régularisations ! Ce mensonge [de la préfecture] a conduit des sans-papiers exaspérés à se tromper de cible et à occuper la Bourse du Travail. » La servilité de LO et de la LCR face à la bureaucratie de la CGT montre leur propre réformisme et le fait qu’ils sont eux-mêmes de façon croissante aspirés dans la bureaucratie syndicale. Nous mettons en garde que tôt ou tard les bureaucrates syndicaux risquent de faire appel aux flics pour chasser les sans-papiers de la Bourse du travail, comme ils l’avaient déjà fait à Paris le 6 avril 2007 (voir notre tract du 9 avril reproduit dans le Bolchévik n° 180, juin 2007).

Il y a 12 ans les syndicats avaient été à l’initiative de grandes mobilisations pour les sans-papiers de l’église Saint-Bernard. Mais ces mobilisations salutaires ont été utilisées cyniquement pour redorer le blason des sociaux-démocrates discrédités par des années de gouvernements Mitterrand racistes, et préparer la voie à l’élection du gouvernement capitaliste de front populaire de Jospin et Buffet – qui a refusé de régulariser plus de 50 000 sans-papiers qui en avaient fait la demande. La machine à expulser ne s’est jamais arrêtée.

La terreur raciste des flics est inhérente au système capitaliste. Elle vise les sans-papiers, avec les rafles quotidiennes, y compris sur le lieu de travail, suivies de la déportation ; elle vise les jeunes de banlieue, comme Abdelhakim Ajimi, étranglé à mort par les flics le 9 mai à Grasse ; elle vise les gens du voyage, comme Joseph Guerdner, tué de plusieurs balles par un gendarme le 23 mai à Draguignan (l’Humanité, 26 mai). Et plus largement elle vise la classe ouvrière sur l’exploitation de laquelle repose tout le système capitaliste. Nous luttons pour forger un parti ouvrier d’avant-garde, tribun du peuple, pour que la classe ouvrière se mobilise en défense de toutes les couches opprimées par le capitalisme, des couches de la classe ouvrière mais aussi d’autres couches de la société. Et pour qu’elle se mobilise pour renverser une bonne fois pour toutes par une révolution socialiste ce système capitaliste pourri.

Nous reproduisons ci-dessous la présentation, revue pour publication, de notre camarade Alexis Henri lors d’un meeting de la LTF à Paris le 13 mars dernier, entre les deux tours des élections municipales.

* * *

Evidemment lors de ce meeting nous allons pas mal discuter des élections municipales et des enseignements à en tirer. Comme vous le savez, les listes dites de gauche ont en général eu des scores importants au premier tour des élections. Dites « de gauche » parce que pour nous la gauche n’a aucune signification de classe. Les partis considérés de gauche ne sont pas seulement des partis se réclamant de la classe ouvrière ; il y a aussi des partis bourgeois, c’est-à-dire des partis qui ouvertement sont des partis de la classe capitaliste, comme le MRC de Chevènement, le Parti radical de gauche, les Verts ou le MARS-Gauche républicaine, qui n’ont aucun type de lien avec les syndicats et le mouvement ouvrier organisé.

En France depuis des dizaines d’années le mot même de « gauche » est synonyme de collaboration de classes. En pratique cela veut dire que des partis ouvriers réformistes comme le PS et le PCF font des alliances avec ces partis capitalistes pour gérer l’Etat capitaliste, au niveau des municipalités cette semaine, au niveau national lors des élections présidentielles et législatives, et au niveau quotidien pour essayer de canaliser les mouvements sociaux, par exemple la grève des cheminots en novembre dernier, vers les élections et le maintien du système capitaliste.

Nous sommes des marxistes, c’est-à-dire que nous comprenons que la société humaine, depuis plusieurs milliers d’années, est fondamentalement divisée en classes sociales. Nous vivons aujourd’hui sous le capitalisme, un système de société humaine où une mince couche d’individus possède en privé les usines, les banques, les moyens de transport. Il y a par contre une large couche d’individus qui non seulement ne possèdent pas leurs propres moyens de production, mais qui pour survivre travaillent pour le compte des capitalistes dont ils sont salariés ; les capitalistes tirent leurs profits du fait que les travailleurs produisent avec leur journée de travail davantage de richesses qu’ils n’en consomment avec leur salaire direct et indirect. La différence est empochée par les capitalistes ; les capitalistes justifient leur accaparement individuel des richesses sociales sur la base que ce sont eux qui possèdent des droits de propriété sur les usines, les machines, etc. Entre les deux classes fondamentales de la société, bourgeois et prolétaires, il y a une large couche intermédiaire, la petite bourgeoisie. Mais seuls les ouvriers et les capitalistes sont les classes fondamentales de la société ; c’est sur ces deux classes qu’est basé le système capitaliste.

Il y a un antagonisme fondamental entre bourgeois et prolétaires. Les uns exploitent le travail des autres. De plus le système capitaliste est un système profondément anarchique et irrationnel. La décision de produire ou pas n’est pas basée sur les besoins à satisfaire dans la société, mais sur ce qui peut créer des profits ou pas. Les capitalistes se font concurrence entre eux pour savoir qui va parvenir à vendre ses produits et donc réaliser ses profits, et qui va rester avec ses marchandises sur les bras et faire faillite.

Ce système régulièrement débouche sur des crises économiques où des usines entières sont fermées alors même qu’il y a un besoin criant pour les marchandises qui y étaient produites. Nous sommes à la veille d’une crise économique qui risque de prendre une ampleur considérable. Face à la réduction de leurs ventes les capitalistes sont obligés de se retourner contre les travailleurs ; dans l’époque impérialiste où nous sommes, le monde a déjà été partagé entre une poignée de pays capitalistes avancés, dont la France ; donc la conquête de nouveaux marchés se heurte à la présence de ces mêmes concurrents déjà installés. En dernier ressort, la crise de 1929 n’avait pu être « réglée » que par une conflagration mondiale, la Deuxième Guerre mondiale entre les puissances impérialistes, où 50 millions de personnes avaient été tuées.

Un repartage significatif du monde, dominé totalement aujourd’hui par l’impérialisme américain, ne pourrait pas se faire sans de nouvelles guerres. Même si l’hégémonie militaire américaine est aujourd’hui écrasante par rapport à ses rivales, à plus long terme la contradiction entre les rythmes divergents de développement mènera inévitablement à de nouveaux conflits sur une échelle mondiale. Que ce soit en Irak, au Tchad, au Liban ou au Kosovo, nous nous opposons aux manœuvres des impérialistes pour piller ces pays et/ou s’imposer face à leurs rivaux. Nous sommes pour le retrait immédiat des troupes françaises de toute l’Afrique, des Balkans, du Liban, de l’Afghanistan.

La classe ouvrière, du fait de sa position dans l’économie, est la seule classe qui a non seulement l’intérêt mais aussi la puissance sociale pour renverser ce système. En prenant le pouvoir et en collectivisant l’économie grâce à l’expropriation de la classe des capitalistes, elle peut réorganiser la production en la planifiant rationnellement, à l’échelle internationale, pour vraiment satisfaire les besoins de la majorité, et non les profits de la minorité. C’est pourquoi nous luttons pour une révolution ouvrière. La Révolution russe de 1917, la seule révolution ouvrière victorieuse de l’histoire, a montré qu’il est possible pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir.

Et c’est pourquoi nous voulons construire un parti ouvrier révolutionnaire, une fusion des ouvriers avancés avec des intellectuels déclassés prenant fait et cause pour la classe ouvrière. Nous voulons construire un parti du même type que celui de Lénine, qui avait rendu possible la victoire de la Révolution russe. La classe ouvrière montre souvent sa combativité et son héroïsme, mais en soi cela n’est pas suffisant pour qu’elle parvienne à jouer le rôle historique qu’elle seule peut jouer, le rôle de fossoyeur du capitalisme. La classe ouvrière est une classe exploitée, opprimée, maintenue dans l’ignorance et l’arriération par les capitalistes, trompée par les bureaucrates syndicaux et les réformistes qui cherchent à la maintenir enchaînée aux capitalistes par de fausses promesses. Pour surmonter tous ces obstacles elle a besoin d’un parti léniniste pour la mener au pouvoir, et l’histoire du XXe siècle l’a prouvé.

A bas le front-populisme !

De cet antagonisme fondamental et inconciliable entre ouvriers et capitalistes découle que l’alliance entre partis représentant les ouvriers et partis représentant les capitalistes ne peut se faire que sur la base des intérêts de la classe dominante. Si l’on veut lutter pour renverser le capitalisme, le point de départ initial doit être de ne pas faire une alliance avec son ennemi de classe. C’est pourquoi nous nous opposons fondamentalement, par principe, aux coalitions diverses qu’on a vu fleurir lors de la constitution des listes municipales, qui non seulement ont regroupé le PS et le PCF avec un parti bourgeois de droite comme le MoDem dans certaines villes, mais aussi avec des partis bourgeois de gauche dans la plupart des autres.

Toutes les formations ouvrières, y compris Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), se sont présentées dans un endroit ou un autre dans de telles alliances de collaboration de classes. Nous appelons ces alliances des fronts populaires parce que dans les années 1930 c’est le nom qu’on leur avait donné, où sociaux-démocrates et staliniens avaient trahi des possibilités de révolution socialiste, notamment en Espagne et en France en 1936, au nom de la nécessité de maintenir des alliances avec des partis bourgeois « radicaux », « républicains », « de gauche », « progressistes », etc., pour réformer le capitalisme. Nous avons appelé à ne voter aux municipales de dimanche dernier pour aucune de ces formations de front populaire, et nous renouvelons cet appel pour le deuxième tour des élections.

Même si le PS n’avait pas été en alliance avec des partis capitalistes, nous aurions appelé à ne pas le soutenir lors des élections. Après la révolte des banlieues une mesure clé de Ségolène Royal pour ces jeunes c’était de les envoyer dans des camps militarisés pour les rééduquer moralement. Et en 2006 nous avions spécialement consacré un article aux valeurs morales réactionnaires de Ségolène Royal qui s’était livrée à une hargneuse chasse aux sorcières, soi-disant pour extirper les pédophiles parmi le personnel de l’éducation nationale. Et son programme économique était fondamentalement comparable à celui de Sarkozy.

Nos opposants nous regardent souvent avec condescendance parce que nous insistons que nous sommes le parti de la Révolution russe, que nous maintenons notre héritage léniniste, alors que pour eux tout cela c’est dépassé et n’a plus rien à voir avec la situation actuelle. Ils disent maintenant ouvertement ce que nous disions d’eux depuis longtemps, à savoir qu’ils n’ont aucune intention de lutter pour une révolution prolétarienne, et même qu’ils s’y opposent car leur idéal de société est « social et démocratique », c’est-à-dire capitaliste. Le plus radical auquel se risque aujourd’hui la LCR, c’est de dire qu’ils veulent :

« Un parti pour préparer un changement radical, révolutionnaire de la société, c’est-à-dire la fin du capitalisme, de la propriété privée des principaux moyens de production, du pillage de la planète et de la destruction de la nature. »

Rouge, 31 janvier

C’est ce qu’ils disent dans l’« adresse pour un nouveau parti anticapitaliste » qu’ils ont adoptée lors de leur dernier congrès. Vous pouvez retourner cette phrase dans tous les sens, vous n’y trouverez pas la révolution ouvrière. N’importe quel réformiste un peu malin vous dira qu’il veut révolutionner la société, mais il ne dira pas que ce qui est nécessaire c’est de renverser le capitalisme et que pour cela il faut un parti ouvrier révolutionnaire, indépendant de toutes les formations bourgeoises, pour que la classe ouvrière détruise l’Etat bourgeois et le remplace par son propre pouvoir, la dictature du prolétariat. En dépit de son rare saupoudrage de blabla « révolutionnaire » pour endormir les travailleurs et les jeunes, la LCR fait le contraire en pratique, cherchant à prendre le contrôle de la machine étatique sous le capitalisme. Même Mitterrand parlait dans les années 1970 de « rupture avec le capitalisme ».

Ces réformistes ont renoncé à la Révolution russe comme point de référence, alors que c’est la Révolution russe, et sa destruction finale il y a une quinzaine d’années, qui définissent l’histoire de la lutte des classes depuis 90 ans. Toutes les petites magouilles actuelles dans les élections, pour un nouveau parti « anticapitaliste », etc., sont en réalité déterminées par la contre-révolution en Union soviétique, par la campagne de la bourgeoisie sur la soi-disant « mort du communisme », et par l’acceptation de celle-ci par tous nos opposants.

NPA et destruction de l’Etat-providence

Le « nouveau parti anticapitaliste » (NPA) de la LCR est basé sur le programme de maintenir et si possible restaurer certains éléments détruits de l’Etat-providence, tel qu’on l’a connu dans les années 1970 et 1980, dans la période entre les acquis arrachés par les luttes ouvrières après Mai 68 et la destruction de l’URSS. La bourgeoisie avait peur de la possibilité, après la guerre, d’une révolution ouvrière qui la balaierait en tant que classe dominante. Face à l’Union soviétique la bourgeoisie américaine acceptait d’avoir d’énormes dépenses pour maintenir un gigantesque arsenal militaire, y compris littéralement des milliers de bombes atomiques ; les bourgeoisies impérialistes d’Europe de l’Ouest, elles, acceptaient également un taux de profit plus bas en cédant des avantages sociaux à leur propre classe ouvrière.

Avec la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS tout cela c’est fini, la bourgeoisie veut revenir sur ces acquis, et la LCR en réaction se présente avec un programme de maintien du statu quo. Comme nous le disions l’année dernière (le Bolchévik n° 179) :

« Besancenot dit qu’“il suffit de faire exactement ce qu’a fait le patronat depuis plus de 30 ans… mais à l’envers” (Rouge, 15 février [2007]). Sauf qu’on ne peut revenir comme ça 30 ans en arrière ; à l’époque l’Union soviétique existait, et beaucoup de travailleurs avancés voyaient en elle la preuve qu’il est possible d’instaurer une société où la classe capitaliste est expropriée […].

« Besancenot veut donc revenir en arrière de 30 ans, et comme il dit lui-même à la moindre occasion ce n’est pas la révolution que de demander cela. Il y a 30 ans Chirac se faisait élire maire de Paris, le premier depuis la Commune de 1871, et le Premier ministre Raymond Barre décrétait officiellement l’austérité. Il faut être profondément démoralisé et imbibé de l’esprit de la “mort du communisme” pour vouloir en revenir là. Et Laguiller dit presque mot pour mot la même chose que Besancenot. »

Si la LCR et LO sont incapables de dire la vérité sur ce que signifie la contre-révolution capitaliste en URSS, c’est pour une raison bien simple : ils l’ont soutenue. De reconnaître l’ampleur de la défaite poserait la question de ce qu’ils ont fait pour essayer de l’empêcher. Evidemment non seulement ils n’ont rien fait pour l’empêcher, ils étaient de l’autre côté de la barricade, au nom de la « liberté totale d’expression » et du « pluralisme politique » qui était pour eux « la seule garantie de démocratie » (Inprecor, août 1991).

Notamment la LCR a soutenu les barricades d’Eltsine, le contre-révolutionnaire russe qui a pris le pouvoir en août 1991, détruit l’Etat ouvrier dégénéré et restauré un Etat capitaliste. Pendant ce temps nous avons distribué 100 000 tracts appelant la classe ouvrière soviétique à balayer les barricades contre-révolutionnaires d’Eltsine. Pour la LCR la valeur suprême c’était la démocratie. Au nom de la « démocratie » éternelle, la LCR a soutenu la contre-révolution capitaliste. La LCR déclarait qu’elle était « pleinement solidaire de celles et de ceux qui, sur les barricades, ont fait face à la menace des chars » (tract distribué par la LCR à partir du 3 septembre 1991 ; voir le Bolchévik n° 113). En matière de « démocratie » capitaliste en Russie, Eltsine a dispersé le Parlement à coups de canon en 1993, et aujourd’hui on peut entendre la LCR pleurnicher sur la brutalité de Poutine. Lénine écrivait en 1918 :

« Seule la dictature du prolétariat est capable de libérer l’humanité du joug capitaliste, du mensonge, de la fausseté et de l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise, démocratie pour les riches, et d’instaurer la démocratie pour les pauvres, c’est-à-dire de mettre pratiquement à la portée des ouvriers et des paysans pauvres les bienfaits de la démocratie, alors que maintenant (même dans la république bourgeoise la plus démocratique) ces bienfaits de la démocratie restent pratiquement inaccessibles à l’immense majorité des travailleurs. »

Quant à Lutte ouvrière, fondamentalement c’est une organisation capitaliste d’Etat, c’est-à-dire qu’elle considère les pays où la bourgeoisie a été liquidée en tant que classe dominante comme des Etats bourgeois, éventuellement sans bourgeoisie. C’est sa ligne officielle pour la Chine, Cuba, la Corée du Nord ou le Vietnam, et c’était sa ligne officielle pour l’Europe de l’Est. Derrière cette soi-disant théorie obscure se cache une réalité bien prosaïque : son refus de défendre ces Etats contre l’impérialisme et la contre-révolution capitaliste. En Allemagne de l’Est ils sont allés jusqu’à soutenir une réunification inconditionnelle de l’Allemagne, en précisant explicitement qu’ils étaient d’accord pour une réunification sur une base capitaliste, encore une fois au nom de la démocratie et de la soi-disant volonté du peuple.

Nous sommes au contraire intervenus de toutes nos forces quand le mur de Berlin est tombé en 1989, alors qu’une révolution politique prolétarienne se dessinait en Allemagne de l’Est contre la bureaucratie stalinienne en pleine décomposition. Nous luttions pour des conseils ouvriers, pour que la classe ouvrière prenne en main le pouvoir politique, chasse la bureaucratie, et se tourne à la fois vers ses frères soviétiques, pour étendre la révolution politique à l’Union soviétique elle-même, et vers l’Ouest pour une révolution socialiste expropriant la bourgeoisie allemande. Il y avait une lutte entre le programme de la révolution politique prolétarienne, porté par nous, et le programme stalinien de capitulation et de contre-révolution. Les forces étaient disproportionnées et en fin de compte nous avons perdu, mais nous avons lutté avec un programme qui était correct. LO était pendant ce temps carrément du côté de la bourgeoisie allemande.

Et en Chine LO est aussi aujourd’hui du côté des forces pro-capitalistes. LO a offert une plate-forme à sa fête au printemps 2007 à un certain Cai Chongguo, un contre-révolutionnaire chinois soutenu par la CIA et qui à peine quelques jours avant avait été reçu par l’Union européenne et par Sarkozy. Nous seuls avons dénoncé cela. Nous défendons la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution, tout en luttant pour une révolution politique prolétarienne contre la bureaucratie stalinienne dont la politique a encouragé le développement de forces pro-capitalistes à l’intérieur même de la Chine continentale.

Il n’y a que l’URSS que LO considérait sur le papier, et de façon absurde considère encore, comme un Etat ouvrier dégénéré. Evidemment cela ne veut pas dire qu’ils étaient ou sont pour la défense de l’URSS. Fin 1979, le gouvernement afghan, qui faisait face à une insurrection réactionnaire de mollahs financés par la CIA, a fait appel à l’Union soviétique et celle-ci est intervenue en Afghanistan. C’était la plus grosse opération clandestine de toute l’histoire de la CIA, des milliards de dollars ont été dépensés pour installer un régime antisoviétique à la frontière de l’URSS. L’URSS était menacée, et c’est pour cela qu’elle est intervenue.

Mais LO est allée jusqu’à comparer cette intervention à la guerre d’Indochine ou la guerre du Vietnam ! Autrement dit ils mettaient sur le même plan les innommables crimes de l’impérialisme capitaliste français ou américain au Vietnam avec l’intervention soviétique qui, vu l’arriération du pays, représentait la seule possibilité de progrès social dans ce pays, notamment pour les femmes. Nous avons salué l’Armée rouge en Afghanistan et réclamé l’extension des acquis de la révolution d’Octobre aux peuples afghans. Evidemment si les bureaucrates soviétiques intervenaient ce n’était pas pour libérer les femmes, mais du fait même de la nature sociale de l’URSS c’était cela qui était posé ; les femmes se dévoilaient, obtenaient des bourses pour étudier la médecine à Moscou, etc. Nous avons dénoncé en 1989 le retrait soviétique comme une trahison notamment pour les femmes afghanes et comme un encouragement à la contre-révolution capitaliste en URSS.

LO au contraire avait tout lieu de se réjouir, et ainsi ils portent une responsabilité pour les souffrances horribles que subissent notamment les femmes dans ce pays depuis près de 20 ans. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons toujours dénoncé l’hypocrisie de LO dont les profs ont souvent été en pointe pour exclure de leur lycée des jeunes femmes voilées. Cela n’a rien à voir avec la lutte contre l’oppression des femmes symbolisée par le voile, et tout à voir avec une capitulation à la campagne raciste contre la population musulmane. Cette campagne cherche à diviser la classe ouvrière en diabolisant la population musulmane comme si c’était elle et non pas le système irrationnel et exploiteur du capitalisme qui menaçait la sécurité du peuple. Pendant des années LO a fraternisé avec Fadela Amara, ils l’invitaient à leur fête tous les ans pour lui offrir une tribune ; c’est grâce à la promotion qu’ils lui ont faite comme combattante contre l’oppression des femmes qu’elle a pu faire une si belle carrière jusqu’au gouvernement, et sans changer un poil de sa politique.

NPA et recomposition postsoviétique de la gauche

La « recomposition de la gauche » en cours, où toutes les permutations d’alliances « à gauche » se sont réalisées au premier tour des municipales, est basée sur le cadre politique commun, du PS et du PCF à la LCR et à Lutte ouvrière, qui tous ont soutenu les forces de la contre-révolution capitaliste. Sur cette base politique commune ils peuvent effectivement considérer la possibilité de redistribuer les cartes entre eux. Aujourd’hui, il y a encore des rigidités dues au poids du passé, mais politiquement plus rien de significatif ne sépare le PCF, Lutte ouvrière ou la LCR. Le PCF, issu historiquement d’une scission prosoviétique de la social-démocratie française en 1920, est aujourd’hui totalement social-démocrate, au même titre que la LCR qui déclare sa perspective « sociale et démocratique ». Le PCF, en tant que parti qui était associé à l’Union soviétique, n’a plus de raison d’être et subit un déclin inéluctable depuis 20 ans. Il essaye de prolonger son agonie en se raccrochant au PS pour sauver ses mairies, et étant donné le discrédit du gouvernement Sarkozy, qui est déjà manifeste moins d’un an après les élections, il a des chances d’en sauver un certain nombre.

C’est là que se présente la LCR avec son « nouveau parti anticapitaliste », en rupture explicite avec le communisme, la révolution, le trotskysme, etc. Ils veulent :

« Un parti qui mêlera l’anticapitalisme, le combat écologique, la lutte pour toutes les émancipations, à commencer par celle des femmes, et qui veut rassembler le meilleur des traditions du mouvement ouvrier sans imposer une histoire, celle du trotskysme, comme marque de fabrique de ce nouveau parti. »

Rouge, 31 janvier

C’est une négation explicite du marxisme, la classe ouvrière étant dissoute dans diverses couches de la population, certaines opprimées comme les femmes, certaines même pas comme les partisans de l’agriculture biologique. Un parti pour l’époque de la « mort du communisme ». Et le fait que la Gauche révolutionnaire, la Gauche communiste Prométhée, la minorité de LO, le CRI, se jettent dans les bras de Besancenot sur cette base politiquement tellement à droite, montre leur propre réformisme.

Le plan de la LCR se base sur la forte pression qui s’exerce sur le PS pour qu’il renonce officiellement à toute référence à la classe ouvrière et qu’il devienne un parti bourgeois du même type que le Parti démocrate aux USA, et également sur le fait que le PCF lui-même est à l’agonie. Pour la LCR c’était donc le moment de lancer son nouveau parti anticapitaliste. Elle veut utiliser l’image de Besancenot comme un honnête travailleur comme vous ou moi, et son blabla « 100 % à gauche » pour tromper la classe ouvrière et la maintenir dans la voie du parlementarisme. En un mot, une nouvelle social-démocratie à un moment où les travailleurs cherchent l’unité et une voie pour se défendre contre les attaques des capitalistes qui redoublent.

LO a décidé de présenter des listes communes avec le PS, le PCF et divers partis bourgeois « de gauche » pour essayer de bloquer la LCR. Ils voulaient jouer sur l’effet vote utile et leur présence sur les listes du front populaire pour isoler la LCR et rendre la formation du nouveau parti « anticapitaliste » plus difficile. L’opportunisme de LO est vraiment grotesque. Mais la LCR est peut-être encore plus cynique et hypocrite. LO a fusionné ses listes avec le PS et le PCF dès le premier tour. La LCR, elle, a proposé de fusionner ses listes au deuxième tour seulement. C’est ce qu’on appelle une légère nuance dans l’opportunisme.

La LCR a aussi fait grand bruit des alliances entre le PS et le MoDem, comme si son propre vote pour des listes comprenant d’autres partis capitalistes, dits de gauche, voire sa participation à de telles listes, représentait une différence. La LCR jurait qu’elle ne voterait pas pour le MoDem. Mais, sitôt le premier tour passé, à Marseille, ils appellent à infliger « une défaite à la droite », alors que le PS vient de fusionner ses listes avec le MoDem ; leur liste locale « Marseille contre-attaque à gauche » a publié un communiqué le 11 mars qui, je le cite, « réaffirme l’intérêt qu’aurait au plan national la défaite dimanche prochain de Jean-Claude Gaudin, n° 2 de l’UMP ». Autrement dit, la LCR appelle à Marseille à voter pour des listes qui non seulement comprenaient au premier tour d’ex-UMP, mais qui maintenant au deuxième tour comprennent aussi le MoDem (du coup, LO vient de se retirer de ces listes).

Comme nous le disions dans notre supplément, à partir du moment où la LCR avait voté Chirac, il n’y avait absolument plus aucune limite à son opportunisme. Après tout son blabla sur le fait que le PS est totalement « social-libéral », elle pleurniche maintenant dans le Monde (12 mars) que « le PS nous barre la route des conseils municipaux pour préférer des discussions avec le MoDem. C’est scandaleux. » C’est Pierre-François Grond, membre éminent du bureau politique de la LCR, qui déclare cela. Au fond tout son « nouveau parti anticapitaliste » a pour seul but de faire pression sur le PS ultra-procapitaliste.

Un autre argument de la LCR pour justifier ses propositions de fusion de liste avec le front populaire, c’est qu’il s’agirait seulement de « fusion technique » où la LCR ne deviendrait pas partie prenante à part entière de la majorité municipale, mais seulement qu’ils « voteront les mesures qui leur paraîtront aller dans le bon sens » (c’est cité dans une déclaration de l’AFP du 10 mars disponible sur le site internet de la LCR). C’est là une caricature grotesque de la ligne de Staline, Kamenev et les bolchéviks de droite en mars 1917, avant que Lénine ne soit parvenu en Russie. Staline et Kamenev écrivaient en effet dans la Pravda qu’il fallait soutenir le gouvernement provisoire « dans la mesure où celui-ci combat la réaction et la contre-révolution ». Lénine mena une lutte intransigeante contre ce genre de conciliationnisme vis-à-vis du gouvernement provisoire bourgeois. Et c’est sur cette base qu’il a pu préparer le Parti bolchévique à la révolution d’Octobre.

La LCR fait tout un cinéma qu’il s’agirait soi-disant d’un tournant dramatique pour LO de s’être mise sur les listes du front populaire. Comme je le disais, non seulement eux ont proposé de faire la même chose pour le deuxième tour, mais à partir du moment où LO a commencé à voter dans les années 1970 pour des candidats de front populaire, c’est-à-dire d’une alliance bourgeoise, ce n’était plus qu’une question de temps pour y prendre part directement eux-mêmes. Tous ceux qui sont choqués par l’opportunisme apparemment sans limites de LO ou de la LCR doivent réfléchir au fait que nous l’avions en quelque sorte annoncé quand nous luttions contre le soutien de ces organisations au front populaire de Mitterrand et à ses campagnes de guerre froide contre l’Union soviétique.

A bas la campagne sécuritaire raciste !

Ce qu’il y a eu d’assez remarquable aussi dans cette campagne, c’est à quel point la question de la terreur raciste du gouvernement a été soit mise sous la table soit, dans le cas d’un certain nombre de listes PCF/LO, les candidats de gauche ont attaqué Sarkozy sur le fait qu’il n’a pas rempli ses promesses en matière sécuritaire ou qu’il se contente de faire du spectacle médiatique comme lors de la rafle raciste de Villiers-le-Bel. D’un côté c’était le prix à payer pour que LO puisse se faire accepter sur des listes incluant le PCF, le PS ou les chevènementistes. Mais il y a des raisons plus profondes que simplement des considérations d’opportunisme électoral. C’est que sur le fond LO ou la LCR sont des organisations réformistes, autrement dit elles sont dédiées à la défense de l’ordre bourgeois. Au fond elles considèrent la police comme un service public comme un autre. Nous marxistes disons au contraire que les flics sont les chiens de garde de l’ordre bourgeois ; ce ne sont pas des travailleurs, et ils ne devraient rien avoir à faire dans les syndicats, tout comme les gardiens de prison ou les vigiles. Depuis que la société humaine est divisée en classes sociales, il faut des bandes spéciales d’hommes armés pour maintenir cette division, pour empêcher les opprimés de se révolter et de lutter pour renverser l’ordre existant. C’est cela le rôle de l’armée et de la police, pas de protéger la veuve et l’orphelin.

Mais tout ce que demande la LCR c’est que la police ne commette pas trop de « violence injustifiée », comme le dit la brochure électorale de la LCR pour les municipales. La LCR veut « une police d’élucidation des faits (par exemple retrouver les auteurs de la délinquance en col blanc ou du proxénétisme) ». Elle veut une police qui régule les excès du capitalisme, qui ne soit pas raciste, qui ne harcèle pas les quartiers.

En réalité la terreur raciste est inhérente au capitalisme. Le capitalisme importe continuellement des couches nouvelles de prolétaires, au plus bas de l’échelle, qui soient meilleur marché, qui aient moins de droits, qui soient plus faciles à licencier en période de récession économique. Inévitablement le capitalisme, avec la complicité des directions ouvrières opportunistes, essaie d’empoisonner la conscience et la solidarité de classe des travailleurs en fomentant des divisions religieuses, nationales et ethniques. L’avant-garde prolétarienne se trouve ainsi confrontée à la tâche nécessaire de lutter pour l’unité et l’intégrité de la classe ouvrière contre le chauvinisme et le racisme. Nous luttons pour les pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici.

On l’a vu pendant la grève de l’automobile à Citroën Aulnay il y a un an. Nous avons publié un tract et ensuite un article de bilan de la grève dans le Bolchévik de juin 2007. Parmi les grévistes plus âgés, il y avait beaucoup d’ouvriers d’origine marocaine, avec 30 ans de maison, et qui nous disaient que le racisme est encore pire aujourd’hui que quand ils avaient commencé, à l’époque où il y avait la terreur raciste ouverte des contremaîtres dont certains avaient activement soutenu l’Algérie française. Les travailleurs nous expliquaient comment les divisions sont savamment fomentées entre les ouvriers blancs, qui sont rapidement promus, et les immigrés qui restent à la chaîne même après des dizaines d’années de travail. Et entre les immigrés il y a les divisions entre Maghrébins et Africains. Et de plus il y a les intérimaires et jeunes embauchés, qui sont leurs enfants et qui ont des papiers français, mais qui ont la peau plus foncée que les « Français français » et que les patrons veulent obliger à accepter le même genre d’exploitation que leurs pères, ou pire. La campagne raciste contre les jeunes des banlieues sert à cela. C’est pourquoi, pour se défendre elle-même, la classe ouvrière doit défendre les jeunes des banlieues.

Vu la discrimination raciste à l’embauche, la revendication du partage du travail entre toutes les mains, sans perte de salaire, doit s’accompagner d’une lutte intransigeante contre toutes les formes de discrimination, non seulement à l’embauche, mais aussi dans l’attribution des logements, à l’entrée des discothèques, etc.

La grève à Aulnay était une occasion pour mettre en avant une telle perspective. C’était un moyen de surmonter la division raciste qui mine la classe ouvrière. Mais LO n’a rien fait de cela. Ils nous ont répondu lors de leur fête l’année dernière que dans la grève ces divisions étaient dépassées, qu’il y a 41 nationalités dans l’usine et que les grévistes ne faisaient pas attention à la couleur de la peau. Pour eux la question de l’oppression raciale est dans le meilleur des cas une question encombrante qui gêne leur orientation en direction du petit peuple qui voit dans les jeunes de banlieue de la graine de délinquant, de violeur ou de terroriste islamique. Nous mettons au contraire en avant cette question pour élever le niveau de conscience des travailleurs en leur faisant mieux comprendre comment la bourgeoisie les divise pour maintenir sa domination, et afin de mobiliser l’ensemble des couches opprimées de la population derrière la puissance de la classe ouvrière pour renverser l’ensemble du système capitaliste par une révolution socialiste.

En fait LO est devenue tellement parlementariste et tellement partie prenante du front populaire que déjà il y a un an ils avaient fait de la grève d’Aulnay une plate-forme pour Ségolène Royal. Ils s’étaient réjouis qu’elle soit venue quand, en réalité, elle est intervenue auprès des grévistes pour qu’ils se montrent raisonnables et parviennent rapidement à un accord avec Peugeot sur la question de la grève.

Et pendant la grève LO a également fait appel aux municipalités. LO a diffusé une vidéo à leur fête de 2007 où on voyait Philippe Julien, le dirigeant de la CGT qui aujourd’hui est en tant que militant LO sur les listes de Didier Paillard, maire PCF sortant de Saint-Denis. Philippe Julien expliquait aux travailleurs que le boulot des maires c’est d’aider les travailleurs :

« les maires, il faut leur dire : “Chacun son travail : moi, mon travail, c’est de fabriquer des voitures. Vous, c’est de résoudre les problèmes sociaux […]. Alors la moindre des choses, c’est de m’aider financièrement.” »

A bas les postes exécutifs !

En réalité le rôle du maire, c’est qu’il est, au plus bas de l’échelle, le représentant de l’Etat capitaliste. Il a le pouvoir de police sur son territoire, sous l’autorité du préfet ; c’est lui le patron des employés municipaux, dont il supervise l’embauche, la promotion et le licenciement. C’est pourquoi les trotskystes refusent non seulement d’assumer un tel poste, ils refusent même de se présenter à l’élection d’un tel poste. Nous refusons de même de nous présenter à l’élection du Président de la République, qui est le chef des armées impérialistes françaises. Cela n’a rien à voir avec l’élection à un Parlement ou un conseil municipal, qui peuvent servir de tribune à une propagande révolutionnaire contre l’exécutif capitaliste.

Cela nous distingue fondamentalement de nos opposants. L’une des grandes décisions qu’ont prises les ancêtres de Besancenot, c’était en 1969 de présenter Alain Krivine aux présidentielles. Krivine raconte dans son autobiographie comment il était à l’époque en train de faire son service militaire quand il s’est présenté pour devenir chef des armées. La bourgeoisie a fait une entorse à sa propre Constitution en laissant Krivine se présenter, alors qu’il faut normalement avoir accompli ses obligations militaires pour pouvoir être candidat à la présidentielle ; le Premier ministre a dû passer un décret spécial donnant une permission exceptionnelle à Krivine pour se présenter.

A l’époque l’argument des Jeunesses communistes révolutionnaires (c’était le nom de l’organisation à l’époque) c’était que cela ferait un beau coup de pub pour les idées de Mai 68. En réalité cela a fait un beau coup de pub pour l’élection présidentielle, qui devenait quelque chose de légitime aux yeux des ouvriers les plus avancés puisque les plus radicaux pouvaient s’y présenter. Peut-être que Krivine y a gagné en notoriété, mais cela a fait reculer le niveau de conscience des travailleurs en alimentant l’illusion que si c’était des militants de gauche radicaux qui faisaient fonctionner l’exécutif capitaliste, celui-ci pourrait s’en prendre aux méfaits du système. Ensuite c’est Laguiller qui pendant 30 ans a donné de la légitimité à la participation de candidats des travailleurs à l’élection du chef de l’Etat capitaliste.

Pendant longtemps, nos opposants ont déclaré qu’ils pouvaient se présenter, mais que de toutes façons la question d’assumer un tel poste ne se posait pas. En fait, lors des dernières présidentielles, Laguiller a ouvertement déclaré que cela pourrait se poser en cas de mobilisation exceptionnelle dans la rue sur laquelle elle pourrait s’appuyer. LO se déclarait ainsi prête à administrer l’Etat capitaliste, et six mois plus tard, à la veille des municipales, le dirigeant de LO Georges Kaldy déclarait « gérer une municipalité ne nous gêne pas ».

Kaldy se plaçait là dans une longue tradition réformiste française, ouverte à la fin du XIXe siècle non seulement par l’antimarxiste Jean Jaurès mais aussi par Jules Guesde. Guesde et ses camarades ont commencé par gérer l’Etat capitaliste au niveau des municipalités, et ils ont fini au gouvernement de leur propre impérialisme pendant la Première Guerre mondiale. C’est de cette tradition que se revendique LO. Laguiller parlait par exemple lors de son meeting du 29 février à Paris de sa « filiation d’idées » avec le Parti socialiste à ses origines. Elle ajoutait :

« Personne ne peut ignorer le rôle qu’a joué l’activité politique locale dans l’implantation des idées marxistes parmi les travailleurs et dans l’émergence du Parti socialiste, à l’époque où il était révolutionnaire. »

Aux Etats-Unis on appelle le municipalisme le « socialisme des égouts » (sewer socialism) parce que les réformistes qui se mettent à cela concentrent leurs forces sur la gestion des eaux usées ou problèmes de ce type. En France, prenons Frank Prouhet, une figure de proue du municipalisme de la LCR. Il est conseiller municipal depuis sept ans à Canteleu, une banlieue ouvrière PS de Rouen, et il vient d’être réélu. On devrait l’appeler le « socialiste de la Lyonnaise des eaux ». Prouhet a axé sa campagne sur son action victorieuse contre cette entreprise. Comme le dit le journal du coin, Paris-Normandie (7 mars), Prouhet et sa camarade Libertad Héliot sont « incollables sur les surfacturations de la Lyonnaise des eaux, qui a été obligée d’annoncer une baisse du prix de l’eau de 37 % ». L’article précise qu’en réalité la baisse cette année a été seulement de 1,9 % !

Lutte ouvrière a des arguments tout à fait similaires selon lesquels on peut utiliser l’Etat capitaliste au niveau local dans l’intérêt des travailleurs. Laguiller expliquait dans son grand discours du 29 février : « Mais, à l’intérieur de ces étroites limites, la municipalité peut faire des choix : s’occuper davantage des logements sociaux, favoriser l’équipement des quartiers populaires plutôt que du centre-ville. Des cantines scolaires aux aides sociales en passant par les subventions aux associations, il existe nombre de domaines où la municipalité est amenée à faire des choix. » Demain, Lutte ouvrière pourra reprendre le même argument pour figurer dans un gouvernement « de gauche », où « à l’intérieur de ces étroites limites », ils prétendront qu’un tel gouvernement capitaliste pourrait aussi faire des choix dans l’intérêt des travailleurs.

A peine quelques mois après l’élection de Sarkozy, il y a déjà eu des luttes importantes, et pas seulement chez les cheminots qui ont déjoué les pronostics sur combien de temps ils pourraient poursuivre leur grève en opposition à Bernard Thibault. La classe ouvrière de ce pays n’a pas subi une défaite décisive. Il va y avoir des luttes dans les mois qui viennent. Ce sont les bureaucrates syndicaux qui typiquement dénoncent le manque de combativité des travailleurs pour couvrir leur propre trahison.

La question est plutôt éminemment politique. La classe ouvrière doit tirer les leçons de la contre-révolution capitaliste en Union soviétique pour pouvoir aller de l’avant. La bureaucratie stalinienne avait un programme de construction du socialisme de façon isolée à l’intérieur de l’URSS, et de trahison de la révolution partout ailleurs pour maintenir la coexistence pacifique avec l’impérialisme. Ainsi, le PCF a sacrifié la possibilité d’une révolution ouvrière en Mai 68 en France. C’est ce genre de trahisons qui ont pavé la voie à la contre-révolution capitaliste en URSS. Ce qui est posé c’est de lutter pour forger un parti qui tire les leçons de la lutte de classe passée. Un parti forgé dans une lutte intransigeante contre la collaboration de classes des partis et organisations réformistes de la classe ouvrière, du PS au PCF et à LO et la L-ex-CR. C’est ce parti que nous cherchons à construire.