Le Bolchévik nº 181 |
Septembre 2007 |
Gérard Le Méteil
1959-2007
C’est avec un profond regret que nous informons nos lecteurs du décès de notre cher camarade Gérard Le Méteil, mort à Dieppe le 3 septembre dans des circonstances inconnues alors qu’il avait été arrêté parce qu’il aurait été, selon la police, en état d’ébriété sur la voie publique. Nous transmettons nos sincères condoléances en particulier à Nicolas, son fils de 8 ans, ainsi qu’à Valérie, la mère de Nicolas, à toute la famille Le Méteil et à ses nombreux amis. Comme l’écrivait un de ses proches camarades en lui rendant hommage : « La perte de Gérard est immensément douloureuse pour nous tous, pour notre parti et pour chacun d’entre nous. C’est une perte politique et c’est aussi une perte personnelle. Chacun appréciait Gérard à ces deux niveaux, comme camarade et comme ami. Le parti était sa raison d’être, et il faisait toujours passer les besoins du parti avant ses propres convenances. Il lui a consacré les 25 meilleures années de sa vie. »
Gérard a été recruté à la LTF en avril 1982 et a été élu au comité central de la LTF lors de sa Onzième Conférence nationale en décembre 1989. Il a été gagné à la Ligue trotskyste, section française de la Tendance spartaciste internationale (aujourd’hui la Ligue communiste internationale [quatrième-internationaliste]) en partie en travaillant avec nous pour construire une manifestation ouvrière de front unique contre les fascistes, à l’initiative de la LTF, en décembre 1981 à Rouen. Parmi les quelque 400 ou 500 manifestants, dont 200 militants syndicaux, il y avait aussi un cortège de l’Ecole normale d’instituteurs que Gérard avait organisé avec un camarade de la LTF. Cette mobilisation a renforcé les racines de la LTF à Rouen où Gérard a milité une grande partie de sa vie.
L’importance d’un parti léniniste d’avant-garde et la position trotskyste de défense de l’Union soviétique ont été les questions clés dans le recrutement de Gérard qui venait d’une organisation sportive du PCF. Peu de temps avant d’adhérer à la LTF, Gérard avait pris part à un meeting de la LTF à la faculté de Tolbiac à Paris le 2 mars 1982. Quelques mois plus tôt, dans l’Etat ouvrier déformé polonais, le régime stalinien avait fait échec au « syndicat » réactionnaire Solidarność. La France, sous le gouvernement de front populaire de Mitterrand, était aux avant-postes, en Europe, de la campagne antisoviétique à laquelle participaient activement les pseudo-trotskystes.
Comme partout la situation à la faculté de Tolbiac était très tendue. Les camarades de la LTF à Rouen se faisaient littéralement cracher dessus par des militants de gauche qui, quelques temps plus tôt, avaient manifesté avec nous contre les fascistes. Nos camarades à Tolbiac avaient reçu des menaces par téléphone et Gérard était venu de Rouen pour nous aider à défendre notre meeting contre une meute de plus d’une trentaine de pseudo-trotskystes et autres. A la fin du meeting, une bande de vigiles et d’« autonomes » se liguèrent pour nous attaquer à la sortie. Un camarade se souvient que dans les confrontations physiques qui ont suivi « Gérard avait fait preuve de beaucoup de cran et de courage physique et avait pu placer quelques bons coups de poing. » Quelques temps après cette expérience, Gérard a demandé à adhérer à la LTF.
Dans les sept années qui ont suivi, il était connu sur la fac de Rouen comme un activiste extrêmement énergique et plein de talent. Il pouvait monter sur une table du restau-U et faire des discours passionnés afin de mobiliser des étudiants pour manifester contre une atrocité perpétrée par le gouvernement ou l’administration de la fac. Ce travail impliquait aussi un combat politique quotidien contre nos opposants de gauche. C’est en cherchant constamment à gagner les gens, et à comprendre d’où ils venaient pour trouver les arguments convaincants, que Gérard a acquis la sagesse et la profondeur politique qu’on lui connaissait. Gérard a plus tard cherché à communiquer cette expérience en formant nos jeunes camarades, dont plusieurs sont devenus des cadres de la LTF ou d’autres sections de la LCI.
Gérard était enseignant et membre de longue date du SNUipp. Sa mort n’est pas passée inaperçue dans la gauche et parmi les syndicalistes de la région et ailleurs. Des postiers ont observé une minute de silence à sa mémoire dans une assemblée générale pendant le quart de nuit au centre de tri de Créteil le 5 septembre.
Comme il avait été solidement gagné à la position que nous sommes avant tout le parti de la Révolution russe, c’est tout naturellement que Gérard a pris congé de son travail pour se jeter dans notre intervention dans la révolution politique qui s’amorçait en Allemagne de l’Est en 1989-1990. Connu comme quelqu’un qui regardait plus loin que l’hexagone, il suivait le travail de toute l’internationale avec la plus grande attention. Excellent chef militaire, il était chargé de notre service d’ordre lors de la manifestation de juillet 2001 à Gênes contre les impérialistes du G8, où les violences policières ont fait au moins un mort parmi les jeunes manifestants.
Gérard était un camarade particulièrement cultivé en matière de politique française et d’histoire du mouvement ouvrier, et ses connaissances s’étendaient aux colonies et ex-colonies françaises. Il a fait des recherches et tenu un meeting sur la grève générale de juin 1936, lors de laquelle les staliniens avaient saboté la possibilité d’une révolution ouvrière. Un article basé sur sa présentation a été publié dans le Bolchévik n° 179 et 180 au printemps de cette année. Il était toujours curieux de nouveaux livres, notamment sur l’histoire des crimes de l’impérialisme français, en particulier sur la guerre d’Algérie, et il savait combien la bourgeoisie française est toujours animée de la même haine lorsqu’elle s’acharne contre les immigrés maghrébins, leurs enfants et petits-enfants. C’était souvent Gérard qui proposait au parti de prendre fait et cause pour une famille immigrée ou pour un campement de Roms, victimes des attaques racistes du gouvernement ou autre.
L’une de ses forces était de comprendre les contradictions dans la société et dans la gauche. Il était souvent en mesure de mener à bien une intervention du fait de sa compréhension politique et de sa confiance dans la puissance de notre programme. Comme l’écrivait un camarade : « C’était quelqu’un à 100 %, dans ses amours et dans ses haines, un communiste à 100 %, quelqu’un qui vous inspirait. C’était un activiste, un dirigeant, un excellent orateur à la voix grave, quelqu’un issu d’un roman de Zola, passionné, et il avait toujours une lueur triste et tragique dans le regard. »
Vers le milieu des années 1990, après la contre-révolution en Union soviétique et en Europe de l’Est, Gérard a eu une crise personnelle et a quitté le parti pour un an ou deux. C’est après la vague de grèves de décembre 1995 qu’il est revenu à la politique. Il avait beaucoup réfléchi aux problèmes de la section française, et les camarades se souviennent qu’il apportait une bouffée d’air frais, regonflé par les luttes de classe qui venaient de se produire, et comme toujours il faisait plein d’observations intéressantes et stimulantes sur ce qui se passait dans le pays et dans le monde. En septembre 1996, il a été réélu au comité central, dont il est resté membre jusqu’à sa mort.
Ses camarades et amis ont du mal à accepter sa mort. Il n’avait que 48 ans et, depuis sa jeunesse, c’était un athlète doué qui avait couru plusieurs marathons. Nous espérons clarifier les circonstances de sa mort. Le 9 septembre, à Paris, des camarades, amis et membres de sa famille se sont réunis pour honorer sa mémoire devant le mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise. Une lettre du secrétariat international de la LCI saluait ainsi notre camarade et ami :
« Gérard s’est battu pour l’émancipation des ouvriers et de tous les opprimés dans le monde et pour la transformation de la société, du capitalisme au socialisme, par la révolution socialiste. Pour réussir, cette révolution libératrice exige la direction d’un parti révolutionnaire de l’avant-garde ouvrière la Quatrième Internationale, que nous, la Ligue communiste internationale, nous efforçons de reforger. Ce souvenir de Gérard, notre camarade, est pour nous la meilleure assurance que l’esprit de l’humanité, qui aspire à la solidarité, est indomptable. »