Le Bolchévik nº 180

Juin 2007

 

Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique !

Pour une lutte de classe pour défendre nos acquis !

L’unité de LO et LCR derrière Royal et ses partenaires bourgeois est une trahison des intérêts de la classe ouvrière et des minorités – Collaboration de classes et consensus raciste ont gonflé les voiles de Sarkozy

15 mai – La victoire de Nicolas Sarkozy, le candidat de la droite musclée, aux élections présidentielles du 6 mai annonce de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Sarkozy exprimait le plus clairement la nécessité pour la bourgeoisie française d’attaquer les travailleurs pour augmenter le taux de profit : le capitalisme français est en perte de vitesse économiquement en Europe par rapport à ses concurrents, notamment l’Allemagne, alors que l’Europe elle-même décroche par rapport au Japon et aux USA. Sarkozy va aussi davantage mettre la politique extérieure française en accord avec son rang diminué de puissance impérialiste de troisième ordre dans le monde, un déclin qui ne s’est qu’accentué pendant l’ère Chirac.

La virulence du programme anti-ouvrier, anti-immigrés et anti-jeunes de Sarkozy était telle qu’il a vampirisé une bonne partie de l’électorat du fasciste Le Pen – celui-ci a pu se consoler en constatant que les thèmes qui ont dominé la campagne électorale représentaient une victoire idéologique du Front national. Dès le soir des élections les flics, déployés en masse dans les banlieues et les centres-villes, ont commencé à se déchaîner contre les jeunes. Cinq jours plus tard le ministre des flics annonçait qu’il y avait eu presque 900 arrestations avec de nombreux jeunes déjà condamnés à de la prison ferme allant pour quatre d’entre eux jusqu’à 12 mois pour soi-disant avoir jeté des cocktails Molotov contre des flics. Nous exigeons : Libération immédiate et amnistie des manifestants anti-Sarkozy ! Levée des inculpations !

Mais Ségolène Royal, candidate de « la gauche », n’offrait aucune alternative à Sarkozy ; elle s’affirmait tout autant dévouée à satisfaire les besoins de la bourgeoisie française. Encore lors de son débat télévisé avec lui le 3 mai, Royal a tenté de déborder Sarkozy… sur la droite en lui reprochant d’être incapable de restaurer l’ordre dans les banlieues. Elle disait entre autres qu’avec le programme de Sarkozy de réduire les effectifs parmi les fonctionnaires il ne pourrait pas augmenter le nombre de flics et de juges qu’elle jugeait nécessaire. Elle a réitéré ses propositions d’encadrement militaire des jeunes et que la moindre infraction devait absolument être punie. Sur les sans-papiers elle a convenu que Sarkozy et elle étaient d’accord pour déporter y compris les grands-pères d’enfants scolarisés, la seule différence étant qu’elle le ferait « humainement » et pas sous les yeux de leurs profs. Et ainsi de suite, au point que Sarkozy paraissait tout à fait légitime dans ses diatribes contre les immigrés et les jeunes des banlieues. Comme nous le disions dans notre dernier numéro, sur cette base-là les travailleurs politiquement arriérés allaient plutôt voter Sarkozy qui, lui, a prouvé qu’il est déterminé à réprimer les jeunes, alors qu’avec Royal ce ne sont que des promesses.

Le PS et le PCF sont des partis ouvriers-bourgeois, c’est-à-dire qu’en raison de leurs liens organiques avec les syndicats ils ont une base ouvrière, mais une direction et un programme totalement procapitalistes. En tant que marxistes révolutionnaires notre perspective stratégique est de dresser la base prolétarienne de ces partis contre leur direction en gagnant les travailleurs à un programme d’indépendance de classe, de lutte de classe, une perspective révolutionnaire. Cela fait plus de 100 ans que le PS trahit les travailleurs, y compris en participant à l’administration de l’Etat bourgeois. Royal se présentait aux élections dans le cadre d’un bloc politique avec la bourgeoisie, représentée directement par le Parti radical de gauche de Jean-Michel Baylet et Christiane Taubira et par le Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement. Et après le premier tour des élections Royal a cherché à élargir ses alliances vers la droite en invitant les démocrates-chrétiens de Bayrou. Après le désastre qu’a subi le PCF, avec le score le plus bas de son histoire au premier tour des présidentielles, une partie du PS, qui pense que le PCF ne lui est plus d’aucune utilité ni électoralement ni dans les luttes sociales, se tourne logiquement vers la droite pour ses combinaisons parlementaires.

Nous avons souligné pendant la campagne qu’un tel bloc, que ce soit avec Bayrou ou simplement avec les « républicains » de Chevènement, représente un front populaire, où un ou des partis réformistes de la classe ouvrière (ici le PS, avec le PCF en annexe officieuse) s’allient avec la bourgeoisie sur la base d’un programme de gestion du capitalisme. Dans une telle alliance les réformistes s’engagent par avance à défendre les intérêts de la bourgeoisie contre ceux du prolétariat. La classe ouvrière a des intérêts antithétiques de ceux de la bourgeoisie : cette dernière, la classe dominante, se base sur l’exploitation dans les usines de la force de travail des prolétaires, dont elle extrait ses profits, et elle utilise son Etat – ses flics, ses prisons, ses tribunaux – pour assurer le maintien et le renforcement de cette exploitation. Pour lutter pour ses intérêts, la classe ouvrière doit comprendre l’opposition fondamentale entre ses intérêts et ceux de la bourgeoisie, pas se subordonner à celle-ci dans une alliance politique. La distinction entre « gauche » et « droite » fait elle-même disparaître la distinction entre les partis ouvriers et les partis bourgeois. Quand un parti ouvrier s’allie à un parti bourgeois, même « de gauche », cela va directement à l’encontre de la nécessité pour la classe ouvrière de s’organiser indépendamment de la bourgeoisie.

Nous avons, sans ambiguïté, appelé à ne pas voter pour Royal ni au premier, ni au deuxième tour des présidentielles. Et c’est la même chose pour les élections législatives. Nous disions qu’il n’y avait dans ces élections « aucun choix pour les travailleurs », et nous avons refusé d’appeler à voter pour aucun des candidats, contrairement à Lutte ouvrière (LO) et à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) de Besancenot, qui ont directement ou indirectement appelé à voter Royal au deuxième tour. Plus fondamentalement, les capitulations de ces organisations ces dernières années face à l’offensive idéologique de la réaction ont ouvert la voie à la poussée sarkozyste : vote Chirac en 2002 (PS, PCF, LCR), soutien à Chirac contre Bush en Irak (les mêmes), soutien à la campagne raciste contre le foulard islamique dans les lycées (PS, LO, une partie de la LCR), soutien au rétablissement de l’ordre capitaliste lors de la révolte des banlieues (PS, PCF, LO initialement), soutien à la campagne anti-« casseurs » pendant la lutte contre le CPE (PS, LO, PCF partiellement), et ainsi de suite.

Une période de confrontation brutale s’ouvre devant nous. Mais il n’est pas du tout dit qu’il s’agira simplement d’un massacre unilatéral des acquis ouvriers. Le pays est polarisé. Le prolétariat, y compris certains secteurs ayant une importante composante d’origine maghrébine et africaine, a fait preuve de combativité ces derniers mois, de la grève de PSA à Aulnay à celle des éboueurs parisiens ou des dockers de Marseille, qui ont remporté en mars une épreuve de force contre Gaz de France et le gouvernement. Il y a eu des actions ouvrières combatives, comme celle des marins de la SNCM qui ont bloqué des expulsions de sans-papiers vers l’Algérie. Une lutte de classe déterminée et acharnée peut stopper l’offensive des capitalistes, comme cela a été déjà le cas dans le passé. Dans une telle lutte la classe ouvrière doit se débarrasser de ses directions réformistes traîtres en les remplaçant par une direction lutte de classe, opposée à la collaboration de classes, combattant les divisions racistes dans la classe ouvrière, indépendante de l’Etat bourgeois politiquement et financièrement. Pour cela il faut une perspective non pas de maintenir le système capitaliste, mais de le renverser et d’établir un pouvoir prolétarien, la seule voie pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’exploitation capitaliste et la terreur raciste qui est inhérente à celle-ci. Il faut construire un parti de même type que le parti bolchévique de Lénine qui avait conduit les ouvriers russes à la victoire en octobre 1917. Nous luttons pour construire un parti de ce type.

De la contre-révolution capitaliste en Union soviétique aux attaques de Sarkozy

Sarkozy aime à penser qu’il est l’homme qui mettra au pas la classe ouvrière française. Il a fait une partie de sa campagne sur la base qu’il allait en finir avec l’esprit de Mai 68 ; par là il entendait non pas seulement les libertés individuelles chèrement acquises, mais surtout la puissance de la classe ouvrière qui avait pris davantage confiance en elle avec la grève générale de Mai et considérait que les ouvriers et les opprimés ont des droits. Sarkozy a l’intention de s’en prendre d’abord au droit de grève des cheminots et à leurs retraites, dans l’objectif de poursuivre son attaque plus largement contre l’ensemble de la classe ouvrière et des opprimés. Avec la destruction de l’Union soviétique la bourgeoisie revient partout dans le monde sur les acquis qu’elle avait dû concéder aux ouvriers lorsque l’URSS existait encore, malgré la déformation que lui imprimait la caste stalinienne qui avait usurpé le pouvoir politique.

L’existence de l’URSS pendant plus de 70 ans montrait que les ouvriers pouvaient prendre le pouvoir, exproprier la bourgeoisie et développer la production d’une manière inconcevable sous le capitalisme : l’URSS était passée en quelques décennies d’une puissance marquée par une énorme paysannerie arriérée, soumise aux ravages de la guerre civile et des interventions impérialistes (culminant avec l’opération Barbarossa de Hitler en 1941), à la deuxième puissance industrielle mondiale, la première ayant envoyé un homme dans l’espace. Il y avait d’énormes acquis pour les travailleurs. C’est pourquoi les trotskystes ont inconditionnellement et jusqu’au bout, en 1991-1992, défendu militairement l’Union soviétique. Mais, au nom de la coexistence pacifique avec l’impérialisme, les bureaucrates staliniens du Kremlin, qui avaient usurpé le pouvoir en URSS à partir de 1924, et les PC des pays capitalistes, ont trahi de nombreuses occasions de faire la révolution, notamment en Juin 36 et Mai 68 en France, mais aussi en Espagne en 1936 ou encore en Grèce après la Deuxième Guerre mondiale, et Gorbatchev a finalement pavé la voie à la restauration contre-révolutionnaire du capitalisme par Eltsine en 1991-1992. La destruction de l’URSS était le résultat ultime de la banqueroute du stalinisme.

Les trahisons staliniennes ont contribué à la perte de l’immense prestige qu’avait l’Union soviétique parmi les travailleurs à la suite de la Révolution d’octobre 1917, quand elle inspirait les travailleurs dans le monde. Mais aujourd’hui la bourgeoisie propage le mensonge que le destin de l’URSS elle-même serait la preuve que le socialisme ne peut pas marcher et qu’il faut accepter le règne du capital pour l’éternité. Aujourd’hui les travailleurs de l’ex-URSS et d’Europe de l’Est au chômage, qui cherchent un travail à l’Ouest (où on leur refuse généralement les mêmes droits qu’aux autres travailleurs), peuvent avoir un sentiment amer sur le mensonge de la « démocratie » bourgeoise et ses soi-disant libertés diffusé par la bourgeoisie.

La contre-révolution a provoqué une régression du niveau de conscience dans la classe ouvrière, notamment en France où les ouvriers avancés avaient été massivement prosoviétiques et aspiraient à construire une société socialiste. Les masses travailleuses ne partagent plus cette compréhension et cet objectif pour le moment ; l’absence d’une perspective d’une société socialiste laisse les travailleurs sur la défensive et désarmés. Pour préparer les nouvelles batailles il est indispensable de tirer les leçons de la contre-révolution.

Mais on ne peut attendre cela de la gauche, de Royal à Laguiller, qui a soutenu la contre-révolution capitaliste en Europe de l’Est et en URSS ! Lutte ouvrière par exemple s’était mise du côté des contre-révolutionnaires polonais de Solidarność chéris du pape, de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Si LO critiquait Solidarność, c’était… en quelque sorte de la droite, pour soi-disant ne pas avoir cherché de façon suffisamment décisive à détruire l’Etat ouvrier déformé polonais en décembre 1981 :

« Il reste que Solidarité a choisi de ne pas toucher à l’armée alors qu’elle aurait pu le faire, qu’elle aurait pu le tenter et alors que l’armée intacte, c’était une épée suspendue au-dessus de la tête de la classe ouvrière. »

Lutte de classe, 19 janvier 1982

De même, LO avait inconditionnellement soutenu une réunification capitaliste de l’Allemagne lors de la chute du mur de Berlin, déclarant : « même si cette réunification se fait entièrement sous l’égide du capitalisme, les révolutionnaires communistes n’ont aucune raison d’y être opposés » (Lutte de classe, décembre 1989). Nous avons au contraire à ce moment-là jeté toutes nos forces pour défendre l’Etat ouvrier déformé est-allemand, pour une révolution politique prolétarienne pour virer la bureaucratie stalinienne qui abdiquait, pour établir une véritable démocratie ouvrière basée sur le pouvoir de conseils ouvriers. Nous luttions pour réorganiser l’économie est-allemande sur la base d’une coopération accrue avec l’Union soviétique, dans la perspective de révolution politique prolétarienne là-bas aussi contre la bureaucratie dirigée par Gorbatchev. Là où LO soutenait la réunification capitaliste de l’Allemagne, nous luttions pour une réunification révolutionnaire de l’Allemagne.

Et aujourd’hui, alors que la gauche partage l’idée que la Chine serait déjà capitaliste et diffuse le chauvinisme des bureaucrates syndicaux contre les délocalisations en Chine (voir notre article sur Airbus dans le Bolchévik n° 179), nous sommes pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine contre l’impérialisme et la contre-révolution. C’est sur cette base que nous sommes pour une révolution politique ouvrière pour remplacer le pouvoir arbitraire de la bureaucratie stalinienne nationaliste chinoise par un régime de démocratie des conseils ouvriers et un programme d’internationalisme prolétarien. Et de même nous défendons la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba, les autres Etats ouvriers déformés restants.

Ségolène Royal, elle, s’est attachée à montrer lors du débat télévisé du 2 mai entre elle et Sarkozy qu’elle était peut-être encore plus anticommuniste que lui, dans la tradition de Mitterrand qui dirigeait en Europe de l’Ouest la croisade impérialiste contre l’URSS au début des années 1980. Royal a même menacé la Chine d’un boycott des Jeux olympiques l’année prochaine, soi-disant pour protester contre les massacres au Darfour commis par le régime soudanais soutenu par la Chine (la Chine a des intérêts pétroliers en Afrique et elle marche sur les plates-bandes de l’impérialisme français). Et sur l’Iran, Royal s’est déclarée plus néocolonialiste que Bush (et Sarkozy) en rappelant qu’elle s’opposait même à ce que l’Iran puisse avoir des centrales électriques nucléaires. Troupes françaises, hors d’Afrique, du Liban et d’Afghanistan ! Impérialistes, bas les pattes devant l’Iran ! L’Iran a besoin d’armes nucléaires et de missiles pour se défendre contre la menace impérialiste !

Les leçons de la révolte des banlieues et du CPE

Sarkozy, qui avait momentanément quitté le gouvernement Chirac après la privatisation d’EDF, critiquant le gouvernement pour ne pas en avoir tiré profit pour y aller une bonne fois pour toutes contre les travailleurs, considère qu’il a la légitimité après les élections pour tailler dans le vif, « au Kärcher », et tout de suite. Et cela comprendra d’attiser l’hystérie contre les jeunes des banlieues pour diviser la classe ouvrière. Le gouvernement Sarkozy-Chirac avait porté à un tel point les provocations policières et la terreur raciste dans ce pays que cela a débouché sur la révolte des banlieues, où la gauche (PS, PCF, LO), au lieu de mobiliser les travailleurs pour défendre les jeunes des banlieues assiégés par les flics, avait ignominieusement appelé au rétablissement de l’ordre capitaliste raciste ; cette capitulation avait jeté les bases pour la loi pour l’inégalité des chances, dont faisait partie le CPE.

La riposte ouvrière avait fini par faire reculer le gouvernement qui avait dû capituler sur le CPE. Mais les attaques qui s’annoncent maintenant sont d’une tout autre ampleur, ce gouvernement prétendant disposer d’une légitimité politique que n’avait pas le gouvernement Chirac déjà usé jusqu’à la corde – et que la bureaucratie syndicale est prête à lui reconnaître ! La CGT a par exemple insisté après la victoire de Sarkozy qu’elle « respecte le résultat du suffrage universel » (le Figaro, 8 mai). Elle envisageait la défaite avant le combat, et avant même les élections, un représentant de la CGT déclarant (le Figaro, 24 avril) : « Si Nicolas Sarkozy est bien élu, il bénéficiera d’un état de grâce qui lui permettra de faire passer ses mesures dès le début de son mandat. »

La bureaucratie syndicale se base politiquement sur une couche supérieure d’ouvriers relativement bien payés, rendus plus conservateurs par l’âge, les acquis obtenus à l’ancienneté et à la qualification. Sarkozy compte sur la servilité de la bureaucratie syndicale, qui est dédiée à servir sa propre bourgeoisie. Elle accepte déjà de discuter le service minimum, qui viderait de son contenu le droit de grève dans les transports (d’après le Figaro, Jean-Claude Mailly, le chef de FO, a simplement demandé de prendre « le temps de la négociation »). Sarkozy a lui-même bouclé la privatisation d’EDF en 2004 (il était alors ministre de l’Economie) en maniant la carotte (quelques « garanties » promptement reniées sur le maintien de l’Etat dans le capital et sur les régimes de retraites du personnel en place – au détriment des nouveaux embauchés) et le bâton : des poursuites judiciaires ont été engagées et sont encore en cours (soi-disant pour corruption) contre les bureaucrates syndicaux en liaison avec leur utilisation des largesses d’EDF vis-à-vis du comité d’entreprise. Levée des poursuites ! Les patrons ont moins à se soucier de la servilité de la bureaucratie syndicale que de sa capacité à contrôler et enrégimenter sa base, neuf travailleurs sur dix n’étant pas syndiqués, pour empêcher une explosion dans le pays.

Et le dernier gouvernement Chirac-Sarkozy a avancé dans les négociations avec l’ensemble des appareils syndicaux pour augmenter le montant des subventions versées par la bourgeoisie aux syndicats, au prorata des résultats aux élections professionnelles organisées parmi les travailleurs. Financièrement, les syndicats ne devraient dépendre que des cotisations de leurs membres, et pas des largesses de l’Etat et des patrons pour les ficeler.

Sur la base de ces quelques miettes tombées de la table des patrons, les bureaucrates syndicaux s’identifient à leurs propres capitalistes, contre les rivaux étrangers de ceux-ci, et se comportent, selon l’expression qu’affectionnait Lénine, comme les « lieutenants ouvriers du capital ». On en a une caricature avec les bureaucrates de FO chez Airbus qui se sont démenés pour casser une grève sauvage massive qui avait éclaté entre les deux tours des élections. Mais les appareils de la CGT et du syndicat SUD ne sont pas fondamentalement différents, ils ont simplement en général une base plus combative (voir notre article sur la grève chez PSA Aulnay, page 6).

Toutefois les syndicats sont aussi sous la menace avec certaines mesures annoncées par Sarkozy, comme la limitation du droit de grève et la « liberté de candidature » au premier tour des élections syndicales, dont le but est de renforcer considérablement les « syndicats maisons » à la solde directe des patrons, et qui ne sont pas des syndicats ouvriers. Les syndicats, malgré leur direction traître, demeurent des organisations de défense économique de la classe ouvrière, même s’ils sont de plus en plus dépendants de l’appareil d’Etat bourgeois qui les finance. Sous la pression de leur base, les syndicats pourraient se retrouver à diriger d’importantes luttes défensives dans la période qui vient, et notamment parmi les cheminots.

La clé pour repousser les attaques qui vont pleuvoir, c’est une question de direction des syndicats. Ce qu’il faut, c’est une bataille politique contre le programme de collaboration et de capitulation des directions syndicales actuelles. Une direction révolutionnaire défendrait l’indépendance des syndicats par rapport à l’Etat bourgeois. Comme l’écrivait Trotsky en 1940 :

« Le capitalisme monopolisateur est de moins en moins prêt à admettre à nouveau l’indépendance des syndicats. Il exige de la bureaucratie réformiste et de l’aristocratie ouvrière, qui ramassent les miettes de sa table, qu’elles soient toutes les deux transformées en sa police politique aux yeux de la classe ouvrière. […] A l’époque de l’impérialisme décadent, les syndicats ne peuvent être réellement indépendants que dans la mesure où ils sont consciemment dans l’action des organes de la révolution prolétarienne. »

Une direction révolutionnaire lutterait pour des syndicats industriels, regroupant dans un même syndicat tous les travailleurs d’une industrie. Il faut syndiquer les non-syndiqués, notamment les jeunes des banlieues en contrat précaire et intérim, et les femmes travailleuses qui sont davantage soumises au temps partiel et à la précarité.

La LCR, ou la réforme par la loi

Le principal argument que nous avons rencontré pour le vote Royal, ce n’était pas des justifications pour son programme raciste et anti-ouvrier, mais simplement que son élection représenterait un moindre mal par rapport à Sarkozy. C’est aussi l’argument mis en avant par LO et la LCR pour capituler devant le front populaire. Il est vrai que Sarkozy veut casser les reins du mouvement ouvrier et mener des attaques de grande ampleur contre différentes couches de la population – mais Royal n’est pas moins déterminée à renforcer l’impérialisme français. Elle désire simplement une mise en œuvre plus « pacifique » en se basant sur la collaboration avec les « partenaires sociaux » plutôt que la « rupture » de Sarkozy.

A « gauche de la gauche », la grande gagnante des élections a été la LCR. Non seulement elle a bénéficié de l’intérêt des médias capitalistes pour sa vedette télégénique, « le petit facteur » Olivier Besancenot, elle s’est présentée comme une petite organisation social-démocrate de gauche crédible, refusant d’aller manger à la soupe du PS contrairement à José Bové et au PCF. Besancenot n’accepte pas de postes ministériels de Royal – mais n’a jamais vraiment caché qu’au deuxième tour il faudrait « battre la droite », c’est-à-dire voter Royal. L’appel de Besancenot était particulièrement utile à Royal pour rallier les hésitants parmi les travailleurs et les minorités, puisqu’il insistait qu’il n’aimait pas son programme, qu’il le critiquait, mais que malgré tout il fallait se mobiliser « dans les urnes » contre Sarkozy. Besancenot était à peine né que déjà la LCR soutenait le front populaire au deuxième tour des élections (elle avait voté pour l’Union de la gauche de Mitterrand contre Giscard en 1974), et elle n’en a jamais démordu depuis 33 ans, sauf à considérer les présidentielles de 2002, où la LCR avait par défaut appelé à voter carrément pour Chirac contre Le Pen. Sitôt la victoire de Sarkozy connue, la LCR s’est fendue d’appels à la « résistance » qui, une nouvelle fois, culmineront dans le vote « contre Sarkozy » au deuxième tour des élections législatives, c’est-à-dire pour le front populaire de Royal.

La « profession de foi » diffusée par Besancenot aux électeurs montrait parfaitement le réformisme de la LCR. Loin de parler de la révolution socialiste, même pour dans un lointain avenir, Besancenot se contentait de proposer quelques mesures à faire adopter par le Parlement : « bloquer par la loi » les prix des loyers et de l’immobilier, « par la loi, interdire les licenciements, réduire le temps de travail », « je soutiens la proposition de loi-cadre contre les violences faites aux femmes », « la loi Fillon sur les retraites doit être abrogée », etc. Cela a plus à voir avec un calendrier parlementaire à proposer au Parti socialiste qu’avec un programme révolutionnaire, même si Besancenot décore ses propositions de quelques références aux grèves ouvrières de Mai 68 et Juin 36 (voir à ce propos notre article page 11).

Bien sûr qu’il faut lutter contre les licenciements, et face aux fermetures d’usines lutter pour obtenir des indemnités substantielles et des programmes de formation garantissant le retour à l’emploi. Toutes les concessions que la classe ouvrière a pu arracher aux capitalistes ont toujours été le résultat d’une dure lutte de classe. Mais le chômage est inhérent au capitalisme ; la LCR le sait parfaitement, et elle ment aux travailleurs quand elle propage l’illusion que l’on pourrait interdire les licenciements « par la loi ».

Lutte ouvrière : le crime du vote Royal ne paie pas

Ces élections se sont soldées par un score lamentable pour LO, son plus bas score en six candidatures à l’élection présidentielle (1,33 %) ; il y a cinq ans Laguiller avait fait plus de 5,7 % en se présentant clairement en opposition à tout vote pour Jospin. Cette année, le soir même du premier tour, Arlette Laguiller s’est distinguée en lançant immédiatement un appel solennel à voter pour Royal, alors même que celle-ci se préparait à élargir le front populaire à droite avec les démocrates-chrétiens de François Bayrou. Lutte Ouvrière du 27 avril précisait sur son titre en grand que son appel était « sans réserve mais sans illusion, à voter pour Ségolène Royal ». Même Besancenot, l’électeur invétéré et inconditionnel du front populaire, avait des formulations un peu plus alambiquées pour couvrir sa propre trahison.

LO a expliqué en long et en large à ses militants que ce vote est simplement une question de tactique. En effet, LO décide ses consignes simplement selon sa perception des illusions des ouvriers moyens ; elle ne leur dira jamais que ce qu’elle pense qu’ils sont prêts à entendre, de peur de se couper d’eux. C’est tout le contraire d’un parti trotskyste d’avant-garde qui doit toujours dire la vérité, quelque amère qu’elle soit, sans avoir peur de nager contre le courant si nécessaire. Mais l’été dernier, au sortir de la lutte contre le CPE, LO avait remarqué qu’il y avait un fort sentiment parmi l’électorat populaire qu’il fallait « battre la droite » au bout de cinq ans d’attaques effrénées, et donc ils se sont adaptés à ce qu’ils ressentaient être le niveau de conscience de ces travailleurs (la minorité de LO avait une perception un peu différente, et c’est pourquoi sa tactique à elle était de ne pas appeler ouvertement au vote Royal – sans aller toutefois jusqu’à appeler à ne pas voter Royal).

Dans son document de conférence de décembre dernier, LO avait souligné qu’il ne fallait rien faire dont on puisse lui reprocher ensuite que cela aurait fait perdre la ou le candidat de « la gauche ». Et ils ont tenu parole. Cette abjecte capitulation de LO n’était pas pour nous une surprise : nous l’avions annoncée dès notre numéro de décembre dernier, où nous traitions LO de récidivistes du front populaire. Selon l’opportunité, LO vote pour le front populaire, puis quand il est devenu impopulaire elle s’y refuse (par exemple en 1988, 1995 ou 2002). En 1981 LO avait appelé à voter pour François Mitterrand en des termes presque identiques à aujourd’hui, et en 1997 elle avait de même appelé à voter pour le PS ou le PCF dans les dizaines de circonscriptions où le Front national se maintenait au deuxième tour.

Royal avait commencé sa carrière comme haut fonctionnaire de Mitterrand, puis elle avait été sous-ministre de Jospin pendant cinq ans, cinq ans de féroces attaques contre la classe ouvrière, de privatisations effrénées, etc., que LO avait à l’époque dénoncées. Et là Royal faisait campagne explicitement pour « réconcilier les Français avec l’entreprise », c’est-à-dire avec le capitalisme. Comment est-ce que LO pouvait demander aux travailleurs de refaire encore une fois l’expérience ? Qu’est-ce que Royal promettait de différent cette fois-ci ? L’« ordre juste » ? Royal avait personnellement, depuis le Ministère de l’Education sous Jospin, lancé de féroces chasses aux sorcières anti-« pédophiles » qui ont directement conduit, entre autres, au scandale du procès d’Outreau (voir notre article sur la responsabilité de Royal là-dessus dans le Bolchévik n° 178). Lors de son débat télévisé avec Sarkozy, Royal a exigé que les « pédophiles » restent en prison indéfiniment après avoir purgé leur peine, à moins qu’un « expert » n’estime qu’ils ne sont plus « dangereux ». On a vu lors des procès d’Outreau ce que vaut la parole des « experts » de la justice capitaliste.

Tout le programme de Royal était à l’avenant, et cela aurait déjà dû être une raison suffisante pour ne pas voter pour elle. Et en annonçant son alliance avec des partis bourgeois (PRG , MRC chevènementiste, puis les bayrouistes), le PS s’engageait par avance à trahir la classe ouvrière et défendre les intérêts de la bourgeoisie. C’est pourquoi des marxistes ne pouvaient en aucun cas donner de soutien critique à Royal, même au deuxième tour, car la tactique du soutien critique n’a de sens que pour jouer sur la contradiction entre les promesses d’un parti ouvrier-bourgeois et ce qu’il va effectivement faire contre les travailleurs une fois au pouvoir.

Trotsky disait en novembre 1935, peu après la constitution du front populaire en France : « Le mot d’ordre de l’“unité” devient, dans ces conditions, non seulement une bêtise, mais un crime. Aucune unité avec les agents de l’impérialisme français ». Quand LO vote pour le PS en alliance avec les radicaux de gauche et les chevènementistes, elle donne simplement une couverture à ceux qui font l’unité avec ces forces bourgeoises. Un parti révolutionnaire doit être là pour éduquer et élever la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière, et c’est dans ce but qu’il se sert des élections. Mais LO, déclarant s’adapter à la conscience des ouvriers moyens, rabaisse en fait le niveau idéologique au niveau de ces derniers.

LO et la question de l’Etat

Cette trahison de Lutte ouvrière n’est pas une aberration commise une fois tous les dix ans. Elle découle du fait que, tout comme la LCR, c’est une organisation réformiste. LO, si elle n’écrit jamais sur la nécessité d’une révolution prolétarienne, n’en parle pas moins à ses militants comme d’une perspective lointaine. C’est ce qu’on appelle le « socialisme du dimanche ». En attendant la révolution, LO se contente de demander quelques réformes dans le cadre du capitalisme. Le réformisme, c’est un programme basé sur l’illusion que l’on peut obtenir des capitalistes et de leur Etat des réformes durables pour les travailleurs, ce qui rend inutile la lutte pour la révolution socialiste. Le « programme de défense des travailleurs » présenté par Arlette Laguiller pour les élections est explicitement un programme de réformes dans le cadre du capitalisme :

« j’expose ce programme qui n’a rien de révolutionnaire en ce sens qu’il ne prévoit ni l’expropriation du capital, ni la transformation de la propriété privée de l’ensemble des grandes entreprises en propriété collective, en propriété d’Etat. »

Lutte Ouvrière, 6 avril

Ce qui est remarquable dans cet aveu, c’est non seulement que Laguiller avoue franchement qu’elle ne présente pas un programme révolutionnaire, mais de plus elle donne à entendre qu’il suffirait de revendiquer que l’Etat, c’est-à-dire l’Etat capitaliste, collectivise les grandes entreprises pour que ce programme devienne révolutionnaire. Rien n’est plus faux. Le parti travailliste britannique, qui ne s’est jamais même revendiqué du marxisme, a exigé pendant des dizaines d’années la nationalisation des principaux leviers de commande de l’économie (Blair a finalement éliminé cette « clause IV » du programme travailliste). La bourgeoisie peut être amenée à nationaliser un certain nombre de canards boiteux, comme cela s’était passé au début des années Mitterrand en France ou après la Deuxième Guerre mondiale en Grande-Bretagne.

Mais pour collectiviser l’économie il faut se baser sur d’autres forces que l’Etat capitaliste. L’Etat bourgeois se compose au fond de détachements spéciaux d’hommes armés (la police, l’armée, les gardiens de prison) dédiés à maintenir par la violence l’ordre capitaliste. Nous luttons pour une révolution ouvrière au cours de laquelle l’Etat bourgeois sera détruit, ses bandes d’hommes armées étant remplacées par les bandes d’hommes armées du prolétariat révolutionnaire. Notre perspective, c’est de lutter pour des conseils ouvriers, basés sur l’armement des ouvriers. Les délégués de ces conseils assureraient un pouvoir à la fois exécutif et législatif. De tels conseils, les « soviets », étaient apparus en février 1917 en Russie. Les bolchéviks gagnèrent la majorité dans les soviets, et en octobre arrachèrent le pouvoir à la bourgeoisie, établissant un Etat ouvrier, la dictature du prolétariat, et mettant ensuite en place une économie collectivisée, planifiée et centralisée à travers le pouvoir des soviets.

LO est à l’opposé d’une telle perspective. Pour LO l’Etat de la bourgeoisie n’est pas un organe de répression, mais un organisme au-dessus de la société, et qui pourrait aussi agir pour le compte des travailleurs, « répondre aux problèmes des gens, aider les victimes, accueillir correctement celles qui veulent déposer plainte, régler les conflits de voisinage avant qu’ils ne dégénèrent… » (Lutte Ouvrière, 13 avril). Ils écrivent dans le même article, paru juste après le raid policier de la gare du Nord :

« Une police de proximité, que réclame entre autres le Parti Socialiste, résoudrait-elle ce problème ? Il faudrait déjà que ce ne soit pas qu’un saupoudrage de quelques policiers lâchés souvent sans formation dans des quartiers difficiles. Il faudrait aussi que les policiers aient une attitude tout autre que celle qu’ils ont lors de leurs actions “coup de poing”, où tout habitant est a priori un suspect. Une police qui serait en contact permanent avec la population, au courant des problèmes de sécurité qu’elle rencontre et soucieuse de les régler, pourrait au moins permettre aux habitants de vivre mieux en contenant la délinquance, à défaut de l’éradiquer. »

S’il faut que « ce ne soit pas qu’un saupoudrage », combien de flics LO demande-t-elle ? Les jeunes des banlieues ne sont-ils pas déjà soumis à un « contact permanent » avec les flics ? Est-ce que LO ignore que la « formation » de la police consiste à apprendre à manier la matraque, le flash-ball et le flingue contre les piquets de grève et les jeunes de banlieues ? Les flics, les vigiles et les gardiens de prison ne sont pas des travailleurs, et nous sommes contre leur présence dans les syndicats.

Comme nous l’avons expliqué dans le dernier numéro du Bolchévik, nous refusons, sur la base de cette compréhension marxiste de la nature de l’Etat capitaliste, de nous présenter à des élections pour des postes exécutifs de l’Etat, qui au fond sont des postes de chef de flics, que ce soit le poste de président de la République ou celui de maire. Se présenter à de tels postes renforce l’illusion dans la classe ouvrière que dans certaines circonstances, comme en Juin 36 lors de grandes mobilisations de masse (précisément les circonstances où il ne serait pas absurde d’envisager l’éventualité qu’un militant d’« extrême gauche » soit élu), on pourrait diriger l’Etat bourgeois pour le faire tourner pour le bénéfice des ouvriers. LO envisage pourtant explicitement cette éventualité, pourvu qu’elle soit soutenue par « l’action de la classe ouvrière ». Par exemple, dans le discours d’Arlette Laguiller à Rouen le 16 mars, elle disait :

« Une candidate qui combat leur système n’a qu’une seule chance d’être élue : être portée par une très puissante lutte sociale, des grèves, des manifestations, par l’action collective de millions d’exploités. Mais, même élue dans ce genre de circonstances exceptionnelles, je ne pourrais rien faire sans que l’action de la classe ouvrière se prolonge bien au-delà des élections. »

« Programme de défense des travailleurs » contre programme de transition vers la prise du pouvoir

Le programme électoral de LO (distribué avec le numéro du 6 avril de Lutte Ouvrière) renferme toute une série de revendications du style « l’Etat leur fournira éventuellement une aide », « l’Etat le paiera au prix du marché d’il y a cinq ans », « l’Etat préemptera le pourcentage de terrain correspondant », etc. C’est l’Etat-providence au sens propre du mot. LO est même soucieuse de l’équilibre du budget, puisqu’en face de toutes ces dépenses supplémentaires de l’Etat (131,5 milliards d’euros) elle propose des recettes supplémentaires de 157 milliards ! LO fait mieux que Bayrou pour diminuer le déficit et la dette !

Donc LO propose de prendre 157 milliards d’euros aux patrons. Elle semble juste avoir oublié un détail : est-ce que les patrons vont accepter cela ? Poser la question c’est y répondre. Les capitalistes organiseraient plutôt un coup d’Etat. C’est ce qui est arrivé aux militants de gauche chiliens en 1973 qui, enchaînés à la bourgeoisie par le front populaire d’Allende, s’étaient engagés à ne pas toucher aux corps répressifs de l’Etat bourgeois et qui ont été assassinés et emprisonnés par dizaines de milliers. LO prétend que pour imposer son plan d’urgence il faudrait simplement « un puissant mouvement social susceptible de faire peur au patronat et de le faire reculer ». En fait un mouvement social d’une telle puissance amènerait à une confrontation frontale avec la bourgeoisie, une confrontation où ce serait une trahison si la direction de la classe ouvrière à ce moment-là ne cherchait pas à s’en saisir pour lutter pour renverser pour de bon tout le système capitaliste.

Au lieu des comptes d’apothicaire de LO sur les chiffres de la Fondation de l’abbé-Pierre quant au nombre de mal-logés, il faut un plan de reconstruction massive des banlieues, sous le contrôle des syndicats. Au lieu de la revendication utopique de LO de l’interdiction des licenciements dans le cadre du capitalisme, il faut avancer un programme de répartition du travail entre toutes les mains, sans perte de salaire. A travail égal, salaire égal ! Comme le disait Trotsky dans le Programme de transition :

« Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La “possibilité” ou l’“impossibilité” de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. »

Surtout, pour lutter pour l’unité révolutionnaire du prolétariat, il est indispensable de lutter frontalement contre le racisme qui divise la classe ouvrière. Il faut avancer fermement la revendication des pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés. Pour les jeunes des banlieues, qui ont pour la plupart des papiers français et qui, même s’ils sont frappés de façon disproportionnée par le chômage, sont intégrés au prolétariat de ce pays, il faut lutter contre toutes les formes de discrimination raciste à l’embauche, dans l’éducation, dans l’octroi des HLM, dans l’accès aux boîtes de nuit. A bas la loi raciste de Chirac-Ferry excluant les jeunes femmes voilées des écoles ! A bas Vigipirate !

LO est incapable de faire cela. Leur « programme de défense des travailleurs » ne mentionne même pas la question du racisme ! Non seulement ils ont été à l’avant-garde de la lutte contre les femmes voilées qui a ouvert la voie à la loi Chirac-Ferry, ils avaient initialement signé un appel à rétablir l’ordre pendant la révolte des banlieues, et ils se sont joints pendant la lutte contre le CPE à la campagne contre les « casseurs », un mot de code raciste de la bourgeoisie et ses médias pour désigner les jeunes des banlieues (voir notre supplément au Bolchévik de mars 2006). Au lieu d’organiser la défense des cortèges ouvriers et étudiants contre les charges de flics, les bureaucrates syndicaux, soutenus et représentés par LO, avaient collaboré avec les flics contre les jeunes. En ne combattant pas le racisme à l’intérieur de la classe ouvrière, LO et les autres organisations réformistes facilitent le travail de la bourgeoisie qui inévitablement va utiliser le poison du racisme pour chercher à étouffer une lutte de classe contre les attaques qui s’annoncent.

Si nous, trotskystes, sommes contre les expulsions de femmes voilées, c’est parce que ce sont des exclusions racistes, une facette de la campagne raciste multiforme contre les jeunes des banlieues décrits comme un terreau pour le terrorisme islamique. Il n’empêche que nous sommes et avons toujours été contre le voile, symbole de l’oppression des femmes. En Afghanistan nous avions salué l’Armée rouge en 1979 qui se battait contre les Ben Laden et autres mollahs financés par la CIA et le régime obscurantiste saoudien – et soignés par le « French doctor » anticommuniste Bernard Kouchner, ponte du PS et aujourd’hui ministre de la diplomatie secrète de Sarkozy. Nous étions pour l’extension des acquis d’Octobre 1917 aux peuples afghans, et nous avons dix ans plus tard dénoncé la trahison de Gorbatchev vis-à-vis des femmes afghanes quand il a retiré les troupes soviétiques, pavant la voie à la contre-révolution en Europe de l’Est et en URSS même. L’Union soviétique de Lénine et Trotsky avait montré la voie de la libération des femmes par la révolution socialiste. Un parti bolchévique doit chercher appui parmi les femmes travailleuses. Pour le droit à l’avortement libre et gratuit, y compris pour les mineures et immigrées, y compris après la douzième semaine ! Pour que les femmes aient vraiment le droit au travail, à plein temps, il faut des crèches gratuites et de qualité, ouvertes 24 heures sur 24 !

Le « programme de défense des travailleurs » d’Arlette Laguiller est à la fois un minable programme de réformes totalement insuffisant pour répondre aux besoins vitaux des travailleurs et demeurant dans le cadre du capitalisme, il est en même temps irréalisable sous le capitalisme. Trotsky écrivait dans le Programme de transition :

« La IVe Internationale met en avant un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. Le vieux “programme minimum” est constamment dépassé par le PROGRAMME DE TRANSITION dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne. »

Le Programme de transition a été écrit en 1938, dans une période de défaites de la classe ouvrière alors que le monde s’approchait de la boucherie de la Deuxième Guerre mondiale. Pourtant Trotsky traçait la seule perspective correcte, celle qui pointait en direction de la révolution prolétarienne. Aujourd’hui nous vivons dans un monde façonné par la destruction de l’URSS, une catastrophe terrible pour le prolétariat du monde. La révolution semble plus lointaine que jamais, et les ouvriers font preuve d’une régression de leur niveau de conscience suite à ces défaites. Mais la lutte de classe continue du fait de la division fondamentale de la société en classes sociales. Comme nous l’écrivions dans notre « Déclaration de principes et quelques éléments de programme » (Spartacist n° 32, printemps 1998) :

« Le seul moyen de surmonter cette régression et de permettre à la classe ouvrière de devenir une classe pour soi, c’est-à-dire qui combat pour la révolution socialiste, c’est de reforger un parti léniniste-trotskyste international comme direction de la classe ouvrière. Le marxisme doit regagner l’adhésion du prolétariat. »

C’est notre tâche. Rejoignez-nous !