Le Bolchévik nº 180

Juin 2007

 

Mexique

Pour des mobilisations ouvrières contre la politique de famine et la répression !

Aucun soutien aux partis bourgeois du PRD, du PRI et du PAN ! Pour la révolution socialiste dans toutes les Amériques !

L’article dont nous reproduisons ci-dessous la traduction, revue pour publication, a été publié dans le numéro 27 (printemps 2007) d’ Espartaco, le journal du Grupo Espartaquista de México, section de la Ligue communiste internationale (quatrième-internationaliste).

* * *

Le Mexique est une société extrêmement explosive. Les divisions au sein de la classe dirigeante éclatent maintenant au grand jour. Le PAN [Parti d’action nationale], le parti de droite de Felipe Calderón, veut poursuivre et intensifier les mesures néolibérales et anti-ouvrières du gouvernement Fox qui l’a précédé, notamment en privatisant l’industrie pétrolière, la principale source de revenus du pays. Les nationalistes populistes du PRD [Parti de la révolution démocratique] s’inquiètent de l’agitation des masses et des exigences excessives des impérialistes.

Ces divisions ont été évidentes depuis que Fox a lancé sa campagne de desafuero [levée de l’immunité] contre [le favori du PRD pour la candidature à la présidentielle] Andrés Manuel López Obrador (AMLO) en 2004, et elles ont continué tout au long de la polarisation postélectorale en 2006, quand des millions de gens ont manifesté contre la fraude électorale. A Lázaro Cárdenas dans le Michoacán, le syndicat des mineurs et sidérurgistes a mené la grève la plus puissante et la plus combative depuis des décennies. Des enseignants en grève et les masses opprimées d’Oaxaca ont occupé la capitale de cet Etat. Redoutant des explosions sociales plus importantes, le gouvernement du PAN s’est engagé dans une militarisation croissante du pays, menaçant même dans certains cas ses opposants bourgeois du PRD.

Anticipant une grève du syndicat des ouvriers électriciens mexicains (SME) annoncée pour le 16 mars, mais annulée une heure seulement avant le moment où elle devait commencer, le gouvernement a envoyé l’armée encercler plusieurs bâtiments de Luz y Fuerza del Centro [la compagnie d’électricité qui alimente Mexico], menaçant ainsi la classe ouvrière tout entière. Le nouveau président a ordonné des opérations militaires massives, en coordination avec la police, dans des Etats comme le Michoacán, le Guerrero et la Baja California, pour terroriser la population, en ciblant particulièrement les zones rurales où les guérillas sont présentes et les concentrations ouvrières proches de la frontière nord. En février, pour s’assurer de la loyauté de la troupe, Calderón lui a octroyé une augmentation de salaire de plus de 45 % – une gifle pour les masses ouvrières qui ont obtenu moins de 4 %.

La base économique du vieux régime du PRI [Parti révolutionnaire institutionnel] a été sapée par la subordination économique croissante envers les Etats-Unis, symbolisée et renforcée par le traité de l’ALENA [Accord de libre-échange nord-américain], dont le but est le viol impérialiste du Mexique. La structure syndicale corporatiste connaît une grave crise, et les avantages sociaux que le corporatisme offrait jadis à certains secteurs syndiqués – comme des logements bon marché, des produits alimentaires subventionnés et la sécurité de l’emploi – appartiennent maintenant au passé. Le PAN, avec le PRI, veut privatiser l’industrie pétrolière et pousse à des « réformes » de l’Institut de la sécurité sociale et des services pour les travailleurs de l’Etat (ISSSTE) qui sont dirigées contre le système des retraites des fonctionnaires, et équivalent à une privatisation. Ces réformes sont similaires à celles qui ont été approuvées en 2004 pour l’Institut mexicain de la sécurité sociale (IMSS).

L’attaque la plus récente du PAN contre les pauvres – et qui a provoqué des manifestations de masse – a été l’augmentation de plus de 40 % du prix des tortillas, l’aliment de base de la majorité des Mexicains. Le terrain avait été préparé par plus d’une décennie d’ALENA, et par la hausse récente du prix du maïs sur le marché international. Cependant, la cause immédiate de la crise actuelle est la spéculation des magnats du maïs, tant nationaux (particulièrement GRUMA/Maseca) qu’américains (comme Cargill et Archer Daniels Midland), de mèche avec le gouvernement fédéral. Avec près de la moitié de la population rurale vivant sous le seuil de pauvreté officiel, et 20 % dans une misère totale, cette hausse des prix, s’ajoutant à des augmentations des prix d’autres produits de première nécessité, comme le lait et les œufs, menace de famine la population. Les luttes convulsives qui ont éclaté de Lázaro Cárdenas à Atenco, en passant par Oaxaca, ont trouvé un élément unificateur dans cette crise : la politique de Bush et de ses laquais unit dans la lutte les ouvriers, les paysans et d’autres secteurs de la population.

Dans un tract daté du 27 janvier (« Mobilisons la classe ouvrière contre la famine et la répression ! »), nous exigions l’expropriation sans compensation des magnats du maïs, appelant ainsi la classe ouvrière à lutter contre la classe capitaliste tout entière. Nous appelions à des « grèves pour exiger des subventions pour les tortillas, afin que tout le monde puisse en avoir » ; associé à notre appel à « la distribution des produits alimentaires pour tous, sous le contrôle des syndicats », ceci permettrait de garantir la distribution des produits alimentaires aux travailleurs et aux pauvres. Nous appelions aussi à l’ouverture des livres de comptes et à l’abolition du secret commercial.

Des comités de surveillance des prix, composés de délégués des usines, des syndicats, des coopératives, des organisations paysannes et des pauvres des villes, pourraient être les noyaux d’unités d’autodéfense ouvrière contre la répression qui accompagne la crise. Nous luttons pour une échelle mobile des salaires, qui garantira des augmentations de salaires proportionnelles aux hausses des prix, et pour une échelle mobile des heures de travail, pour partager le travail disponible, accompagnées d’un grand programme de travaux publics pour combattre le chômage massif endémique dans les villes.

Nos mots d’ordre – qui soulignent la contradiction inconciliable entre le mode de production capitaliste et un système qui servirait les intérêts des travailleurs et des opprimés – vise à mobiliser le prolétariat, à la tête de tous les pauvres. Notre programme contre la crise actuelle est centré sur la classe ouvrière qui, de par son rapport aux moyens de production, est la seule classe possédant l’intérêt historique de balayer une bonne fois pour toutes ce système d’exploitation économique et la puissance sociale nécessaire pour le faire. La bourgeoisie possède les moyens de production, et par conséquent exproprie les fruits du travail du prolétariat. La tâche fondamentale des révolutionnaires mexicains aujourd’hui est de lutter pour l’indépendance politique du prolétariat : de lutter contre les illusions dans le PRD dont est imprégnée la classe ouvrière, et de s’opposer à toute ingérence de l’Etat bourgeois dans le mouvement syndical, en combattant pour forger un parti ouvrier révolutionnaire.

La destruction contre-révolutionnaire de l’URSS et le « nouvel ordre mondial »

La crise des prix actuelle est déterminée, au niveau international, par la contre-révolution capitaliste dans les Etats ouvriers déformés d’Europe de l’Est, à partir de 1989, et en Union soviétique en 1991-1992. La destruction de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique a représenté une défaite historique pour le prolétariat international, avec comme conséquence une régression générale du niveau de conscience de la classe ouvrière, et l’ouverture d’une nouvelle période de redivision des marchés mondiaux entre les puissances économiques à l’échelle mondiale. L’impérialisme, le stade suprême du capitalisme, est le système économique dans lequel les marchés nationaux ont été dépassés, et où les puissances impérialistes sont en concurrence pour contrôler les marchés internationaux, conduisant ainsi à des guerres. Sans le contrepoids militaire, idéologique et économique du premier et du plus grand Etat ouvrier du monde, l’impérialisme américain a émergé comme unique superpuissance, ce qui aujourd’hui signifie des guerres d’occupation coloniale, comme en Afghanistan et en Irak, et l’asservissement accru des pays capitalistes sous-développés. Au Mexique, l’effondrement de l’Union soviétique a eu comme résultat l’ouverture indiscriminée de l’économie nationale au capital financier monopoliste international, en particulier par le biais de l’ALENA et des privatisations massives.

Nous, spartacistes, avons été les seuls dans la gauche à lutter pour la défense militaire inconditionnelle de l’Union soviétique, de la RDA (l’Etat ouvrier déformé est-allemand) et des autres Etats ouvriers déformés contre la contre-révolution capitaliste. Nous avons lutté pour des révolutions politiques prolétariennes, pour balayer les bureaucraties staliniennes au pouvoir et instaurer la démocratie ouvrière authentique des soviets et des conseils d’usines. Aujourd’hui, nous faisons de même pour les derniers Etats ouvriers déformés : la Chine, Cuba, la Corée du Nord et le Vietnam.

Il faut rompre avec le PRD, parti du capital !

Le PRD représente l’aile politique de la bourgeoisie qui cherche à utiliser des concessions pour désamorcer le mécontentement des travailleurs et des opprimés, de manière à perpétuer le système d’exploitation capitaliste. Les divergences entre le PRD et le PAN se résument à la manière d’administrer le capitalisme – avec la carotte ou avec le bâton. Cependant, de larges masses d’ouvriers, de paysans et de jeunes voient dans le populisme bourgeois de López Obrador et du PRD une alternative viable à la politique cléricale et néolibérale du PAN. Le PRD, issu du PRI (comme AMLO lui-même), est un parti du capital, intrinsèquement anti-ouvrier. Le populisme nationaliste n’est pas anticapitaliste ; en fait, il renforce le capitalisme en resserrant les liens qui enchaînent la classe ouvrière à « sa » bourgeoisie nationale.

Tout comme ses opposants bourgeois, le PRD n’hésite pas à lâcher les forces de répression d’Etat contre les luttes des travailleurs et des opprimés. On l’a vu avec l’agression meurtrière contre les grévistes de Lázaro Cárdenas en avril 2006, et avec les agressions policières contre les étudiants en grève de l’UNAM [Université nationale autonome de Mexico] en 1999-2000, ainsi qu’avec la récente occupation policière brutale du quartier [pauvre] de Tepito, à Mexico, qui s’est accompagnée de l’expulsion de centaines de familles.

Beaucoup de travailleurs voient dans AMLO une sorte de réincarnation du général Lázaro Cárdenas del Río qui [dans les années 1930] s’était attiré le soutien des ouvriers et des paysans par des réformes et des concessions démocratiques. Son objectif fondamental était de moderniser le pays pour le compte de la bourgeoisie nationale, et jamais de remettre en cause son pouvoir. Il fallait pour cela le soutien de la classe ouvrière contre les factions bourgeoises opposées aux réformes, et contre les exigences impérialistes. Une fois cet objectif atteint, il avait lui-même lancé les forces répressives de l’Etat contre les grévistes, par exemple en 1940 à la raffinerie d’Azcapotzalco. La conséquence de la confiance que la classe ouvrière accordait à Cárdenas fut d’enchaîner les syndicats à l’Etat au moyen de la camisole corporatiste, et sept décennies de règne brutal du PRI. Dans le contexte du Mexique de Cárdenas, Trotsky écrivait en 1940 :

« Dans la mesure où le capital étranger n’importe pas de travailleurs mais prolétarise la population indigène, le prolétariat national joue rapidement le rôle le plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, le gouvernement national, dans la mesure où il essaie de résister au capital étranger, est contraint de s’appuyer plus ou moins sur le prolétariat.

« D’autre part, les gouvernements de ces pays qui considèrent comme inévitable et comme plus profitable pour eux-mêmes de marcher la main dans la main avec le capital étranger, détruisent les organisations ouvrières et instaurent un régime plus ou moins totalitaire. »

– « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste »

Dans des circonstances historiques certes différentes (fondamentalement conditionnées par la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS), Cárdenas et AMLO incarnent un phénomène analogue : des caudillos bourgeois et bonapartistes intéressés à développer le capitalisme national et à entraver le développement d’un mouvement ouvrier indépendant.

Beaucoup de jeunes s’identifient avec le Vénézuélien Hugo Chávez et sa « révolution bolivarienne », ainsi qu’avec le Bolivien Evo Morales. Les nationalisations au Venezuela et en Bolivie – des mesures d’autodéfense nationale que nous, marxistes, défendons – ne libèrent pas les industries de la domination capitaliste et, au bout du compte, ce qui se passe dans ces pays sera décidé à un niveau international. Les capitalistes du Venezuela sortent leur argent du pays, et dans certains cas refusent de vendre leurs produits, provoquant ainsi une inflation élevée et des pénuries de produits alimentaires sur le marché. Les impérialistes sabotent et retirent leurs investissements. Cela montre qu’il est impossible de résoudre les problèmes dans le cadre d’un seul pays. Réformes et nationalisations de certaines branches de l’industrie par un Etat bourgeois – réversibles sous la pression de l’impérialisme – ne conduisent pas au socialisme. Le cycle répétitif de la démagogie nationaliste bourgeoise et des fantoches néolibéraux doit être stoppé. La tâche de la classe ouvrière dans la région est d’arracher l’Amérique latine à son arriération et au joug impérialiste. Il est crucial de forger un parti ouvrier révolutionnaire international qui fera le lien entre les luttes des masses paupérisées et la puissante classe ouvrière, dans toutes les Amériques.

La révolution permanente et la défense du secteur nationalisé de l’énergie

Le Mexique est un pays au développement capitaliste inégal et combiné, où les techniques de production industrielles les plus modernes coexistent côte à côte avec l’arriération ancestrale des campagnes. Les bourgeoisies des pays sous le joug de l’impérialisme sont même incapables de mener à bien les tâches démocratiques bourgeoises, comme la libération nationale, la révolution agraire et la démocratie politique, qui ont été historiquement associées avec des révolutions bourgeoises comme la Révolution française de 1789. Le révolutionnaire Léon Trotsky décrivait ainsi la faiblesse de cette classe :

« Mais la pression de l’impérialisme étranger change et altère tellement la structure économique et politique de ces pays que la bourgeoisie nationale (même dans les pays politiquement indépendants de l’Amérique du Sud) n’arrive que partiellement à la situation de classe dirigeante. La pression de l’impérialisme sur les pays arriérés ne change pas, en vérité, leur caractère social fondamental, car le sujet et l’objet de la pression ne représentent que des niveaux différents du développement d’une seule et même société bourgeoise […]. La bourgeoisie des pays coloniaux et semi-coloniaux représente une classe à demi-dirigeante à demi-opprimée. »

– « Un Etat non-ouvrier et non-bourgeois ? » (1937)

Nous, spartacistes, nous basons sur la perspective de la révolution permanente, développée par Trotsky et confirmée en pratique par la Révolution russe de 1917. Le plein accomplissement des tâches démocratiques bourgeoises, à notre époque, est possible seulement sous le pouvoir du prolétariat. Mais une fois au pouvoir, la classe ouvrière ne pourra pas se contenter d’accomplir ces tâches ; elle devra au contraire passer immédiatement aux tâches socialistes, collectivistes, de la révolution. Ce faisant, la révolution acquiert son caractère permanent. Ainsi, les revendications démocratiques bourgeoises correspondant aux aspirations de la population deviennent une force motrice de la révolution socialiste.

Nous sommes contre l’ALENA, et nous défendons le secteur nationalisé de l’énergie, en particulier mais pas exclusivement l’industrie pétrolière, parce qu’il s’agit là de mesures de base d’autodéfense contre les impérialistes dans un pays semi-colonial. Les nationalisations dans le secteur de l’énergie ont été une conquête cruciale pour ce pays. De nombreuses couches de la population savent bien que la privatisation du pétrole aboutira à un assujettissement encore plus fort envers les impérialistes, en particulier américains.

Avant mars 1938, l’industrie pétrolière mexicaine appartenait aux impérialistes britanniques, américains et hollandais. Après l’expropriation décidée par Cárdenas, les magnats du pétrole – et en particulier les Britanniques, qui avaient le soutien de « Sa Majesté » – ont imposé un boycott du brut mexicain et, en fait, provoqué la rébellion réactionnaire du général Cedillo contre Cárdenas. Trotsky appelait, au nom de l’internationalisme prolétarien, à mobiliser les ouvriers britanniques pour la défense de l’expropriation mexicaine, contre leurs propres dirigeants impérialistes. Il écrivait :

« L’expropriation du pétrole, ce n’est ni du socialisme, ni du communisme. Mais c’est une mesure hautement progressiste d’autodéfense nationale.[…]

« Sans abandonner sa propre identité, chaque organisation ouvrière honnête dans le monde entier, et avant tout la Grande-Bretagne, a le devoir de prendre une position intransigeante face aux brigands impérialistes, leur diplomatie, leur presse et leurs mercenaires fascistes. La cause du Mexique, comme la cause de l’Espagne, comme la cause de la Chine, est la cause de la classe ouvrière internationale. La lutte autour du pétrole mexicain n’est qu’une des escarmouches de la ligne avancée des batailles à venir entre les oppresseurs et les opprimés. »

– « Le Mexique et l’impérialisme britannique » (1938)

Aujourd’hui, ce sont les impérialistes américains qui tournent comme des vautours autour de PEMEX [la compagnie pétrolière d’Etat mexicaine]. Une des principales raisons de la récente visite de Bush au Mexique était d’insister sur l’ouverture de la compagnie pétrolière au « capital privé pour développer la production de Pemex » (La Jornada, 11 mars). Les travailleurs américains ont le devoir internationaliste de défendre l’industrie pétrolière nationalisée mexicaine contre les intentions prédatrices de Bush et de sa camarilla impérialiste.

Pour un gouvernement ouvrier et paysan !

La paysannerie est une couche hétérogène de la petite bourgeoisie qui est incapable de jouer un rôle politique indépendant en tant que classe. Son activité productive est individuelle et basée sur la propriété privée d’une portion de terre. Ainsi les paysans sont en concurrence les uns avec les autres. La paysannerie n’a pas l’intérêt objectif de classe, la cohésion ou la puissance sociale que possède la classe ouvrière pour renverser la bourgeoisie et mettre en place son propre gouvernement. En particulier à travers le fonctionnement de l’ALENA, la campagne mexicaine a été en grande partie dévastée, de grandes masses de paysans ayant été jetés hors de leurs terres, confrontés à l’incapacité de concurrencer les grosses entreprises américaines et mexicaines. La paysannerie pauvre et la grande masse des pauvres des villes constituent les principales alliées potentielles du prolétariat pour la révolution socialiste.

La classe ouvrière industrielle doit se placer à la tête de toutes les autres couches opprimées de la société et lutter au côté des comités d’ouvriers agricoles et de paysans pour des subventions sous forme de machines agricoles, de tracteurs, de systèmes d’irrigation, de crédits et aussi de semences de qualité. Des emplois bien payés, une éducation bilingue de qualité à tous les niveaux, un système de travaux publics pour garantir les services de base et l’accès aux soins dans les régions indigènes les plus arriérées du pays, tout ceci doit constituer des revendications élémentaires pour le mouvement ouvrier.

La revendication de ce qu’on appelle « la souveraineté alimentaire », défendue notamment par l’UNT [Union nationale des travailleurs], et par de nombreuses organisations paysannes, résonne dans tout le pays. Cette revendication a un caractère défensif, car elle est avancée dans le contexte de ravages que provoquent dans les campagnes l’ALENA et l’asservissement accru envers les impérialistes. Néanmoins, nous n’avançons pas cette revendication. D’après l’Union nationale des organisations paysannes régionales autonomes (UNORCA), la souveraineté alimentaire signifie « la liberté pour les peuples de définir leur politique agricole et forestière ; lutter pour faire sortir l’agriculture et l’alimentation de l’Organisation mondiale du commerce et de tout accord commercial international qui affaiblit notre souveraineté ». Au centre des revendications de l’UNORCA figure la « promotion d’un développement rural équilibré et durable, avec la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques, des programmes institutionnels, des outils et des réformes qui favorisent et protègent la capacité à produire, à industrialiser, à distribuer et à commercialiser les produits stratégiques pour nourrir les Mexicains – sur la base des petits producteurs paysans – comme condition de la souveraineté alimentaire ». Ainsi, derrière la revendication de la « souveraineté alimentaire » se cache un projet réactionnaire et utopique de retour à la petite agriculture paysanne, dans les limites du capitalisme national.

Contrairement aux populistes nationalistes, nous, marxistes, savons que la faim ne pourra être éliminée que dans le contexte d’une division internationale du travail, au sein d’une économie socialiste planifiée qui nécessite le renversement du capitalisme dans le monde entier. Perpétuer l’existence d’une paysannerie misérable, culturellement et techniquement arriérée, est réactionnaire. Les marxistes luttent pour la modernisation des campagnes. Un gouvernement ouvrier et paysan – la dictature du prolétariat soutenue par les paysans pauvres, qui ensemble décideront des perspectives du pays à travers des soviets (conseils) – luttera pour réaliser ces perspectives en expropriant toutes les exploitations d’agrobusiness du nord et du Bajío [la région des plaines du centre] et en les transformant en fermes d’Etat. En même temps, il cherchera à convaincre, par l’exemple, les paysans pauvres des régions du sud et du centre des avantages de l’exploitation à grande échelle, mécanisée et collective de la terre par rapport aux petits lopins paysans. Le sort de la paysannerie pauvre, c’est-à-dire sa disparition dans l’océan de l’oppression et de la misère capitaliste ou sa transformation en une classe de prolétaires agricoles dans des campagnes modernisées, dépend du succès de la révolution prolétarienne et de son extension internationale.

Pour l’internationalisme prolétarien !

Le Mexique, même après une révolution prolétarienne, ne pourra pas, livré à lui-même, atteindre le niveau de vie d’un pays du « premier monde ». La modernisation des campagnes, par exemple, nécessitera un niveau scientifique et culturel beaucoup plus élevé que celui du Mexique actuel. La survie immédiate d’un Mexique ouvrier dépendra elle-même de l’aide de nos frères et sœurs de classe aux Etats-Unis. En même temps, une révolution socialiste au Mexique aura des répercussions dans toutes les Amériques, et galvanisera le puissant prolétariat multiracial des Etats-Unis. Trotsky l’a expliqué dans les « thèses » de son ouvrage la Révolution permanente :

« 10. La révolution socialiste ne peut être achevée dans les limites nationales. Une des causes essentielles de la crise de la société bourgeoise vient de ce que les forces productives qu’elle a créées tendent à sortir du cadre de l’Etat national. D’où les guerres impérialistes d’une part, et l’utopie des Etats-Unis bourgeois d’Europe d’autre part. La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l’arène internationale et s’achève sur l’arène mondiale. Ainsi la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme : elle ne s’achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète. »

Beaucoup de gens au Mexique voient à tort les Etats-Unis comme une masse réactionnaire et impérialiste homogène – une vision basée sur le nationalisme bourgeois colporté notamment par le PRD. Mais les Etats-Unis sont une société divisée en classes. La classe ouvrière et les autres classes opprimées du Mexique et des Etats-Unis ont un intérêt commun à une révolution socialiste dans « El Norte » [les USA]. Nos camarades aux Etats-Unis se battent pour mobiliser la puissante classe ouvrière multiraciale américaine contre les desseins de l’impérialisme yankee, et s’opposent frontalement à l’occupation semi-coloniale de l’Irak, à la présence des troupes impérialistes au Proche-Orient, et à la menace impérialiste américaine contre les Etats ouvriers déformés chinois et nord-coréen. Nos camarades aux Etats-Unis se battent pour les pleins droits de citoyenneté pour les immigrants, moyen concret de forger des liens de solidarité entre les deux prolétariats. Tout ceci s’inscrit dans une perspective de lutte de classe indépendante des partis républicain et démocrate.

En 1991, la Spartacist League/U.S., la Trotskyist League of Canada/Ligue trotskyste du Canada et le Grupo Espartaquista de México, sections de la LCI, ont publié une déclaration intitulée « Halte au viol de “libre-échange” du Mexique par les Etats-Unis ». Nous expliquions que « la lutte pour la révolution ouvrière au Mexique est directement liée à celle des Etats-Unis, notamment à travers le pont humain des millions d’ouvriers mexicains et d’Amérique centrale qui sont “allés au nord”. » Cette déclaration appelait les ouvriers mexicains, américains et canadiens à se rallier à l’opposition à ce pacte anti-ouvrier. A bas l’ALENA ! Pour des luttes de classe conjointes des deux côtés de la frontière ! Pour la révolution socialiste dans toutes les Amériques !

Pour une direction lutte de classe ! Forgeons un parti ouvrier révolutionnaire !

Il est clair que les travailleurs mexicains veulent lutter. Mais leurs directions actuelles les subordonnent à la bourgeoisie, que ce soit à travers l’idéologie nationaliste ou par la répression ouverte. Comme prétexte pour ne pas mobiliser ses adhérents pour la manifestation du 31 janvier contre la famine, un porte-parole des syndicats corporatistes regroupés dans la CTM [Confédération des travailleurs mexicains] et historiquement affiliés au PRI a argumenté qu’il fallait « donner du temps » à Calderón pour voir si ses mesures économiques « marchent ». La CTM et le CT [Congrès des travailleurs] ont refusé de participer dès qu’AMLO a confirmé qu’il participerait à la manifestation, et ont ensuite proposé un système de « crédit basé sur le salaire » [pour atténuer l’impact de la crise]. Cette mesure ne ferait qu’endetter les travailleurs auprès de leurs patrons. Ce qu’il faut, c’est augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs, pas les enchaîner à vie à leurs exploiteurs par des prêts vampires.

Pour leur part, les syndicats « indépendants » UNT et SME, politiquement alignés avec le PRD bourgeois, ont manifesté le 31 janvier derrière un ensemble de neuf revendications, codifiées dans la « Déclaration du Zócalo », et qui reflètent clairement le programme populiste bourgeois du PRD. Outre des aides pour les campagnes, des hausses de salaires d’urgence et la création d’emplois salariés – des revendications que nous soutenons et qui correspondent à des besoins élémentaires – cette déclaration appelle à « renégocier » et non à abroger l’ALENA. Elle appelle à un « grand accord national » sur la base de « l’unité sociale », comme s’il n’y avait pas de divisions de classes au Mexique. Les bureaucraties syndicales veulent unir les masses paupérisées avec les gens qui essaient de les faire mourir de faim. C’est du nationalisme bourgeois : des illusions dans la fausse unité entre exploiteurs et exploités, sur la base d’un prétendu intérêt commun à défendre « la patrie ».

Nous, spartacistes, combattons pour remplacer les bureaucraties procapitalistes par une direction lutte de classe, et pour transformer les syndicats en organes de lutte révolutionnaire du prolétariat. Comme Léon Trotsky l’expliquait en 1940, « Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’Etat capitaliste. »

Cette lutte, et celle pour la démocratie dans les syndicats, ne peut pas être séparée de la lutte pour une direction révolutionnaire – un parti ouvrier révolutionnaire léniniste-trotskyste, partie intégrante d’une Quatrième Internationale reforgée, parti mondial de la révolution socialiste. Un parti bolchévique est l’instrument fondamental pour introduire la conscience politique au sein du prolétariat, la force principale et dirigeante grâce à laquelle la classe ouvrière peut accomplir et consolider la révolution socialiste. Comme l’expliquait Trotsky, « La révolution prolétarienne ne peut triompher sans le Parti, à l’encontre du Parti ou par un succédané de Parti » (les Leçons d’Octobre, 1924).

Le socialiste utopique français Fourier faisait remarquer que le niveau d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation universelle. Les révolutions bourgeoises, comme la Révolution française de 1789, ont balayé les institutions féodales qui bloquaient le développement du capitalisme. Elles ont remplacé des rapports sociaux basés sur les obligations et les privilèges par d’autres basés sur l’égalité contractuelle, et ceci a eu un effet profond sur la famille. La condition des femmes dans les pays capitalistes les plus avancés montre les limites de la liberté et du progrès social sous le capitalisme. D’un autre côté, le caractère arriéré du développement capitaliste au Mexique, son passé colonial et son assujettissement à l’impérialisme se reflètent dans des manifestations d’arriération sociale profondément enracinées. Les membres du PRD et des représentants d’autres partis à l’Assemblée législative de la ville de Mexico ont présenté une proposition de dépénalisation de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse quand la femme invoque sa pauvreté ou argumente qu’elle veut contrôler le nombre d’enfants qu’elle mettra au monde. En réaction, l’archi-réactionnaire Eglise catholique appelle à des manifestations pour empêcher l’adoption de cette mesure. Nous, spartacistes, soutenons cette réforme partielle et luttons pour le droit à l’avortement libre et gratuit, pour la libération des femmes par la révolution socialiste et pour les pleins droits démocratiques pour les homosexuels.

L’oppression raciste séculaire anti-indigènes est dérivée de la brutalité coloniale, quand la couronne espagnole décadente profitait des immenses cargaisons d’argent et d’or produites par la surexploitation de la population indigène. Le machisme, l’homophobie, le racisme anti-indigènes et l’antisémitisme sont des idéologies bourgeoises qui servent à justifier des oppressions concrètes et à diviser les opprimés. Un parti révolutionnaire sera, pour reprendre l’expression de Lénine, le « tribun du peuple ». En luttant contre toutes les manifestations d’oppression et d’arriération sociale, le parti prolétarien incarne l’idéal révolutionnaire marxiste : l’émancipation de toute l’humanité qui passe par l’émancipation du prolétariat.

Le populisme petit-bourgeois radical de l’EZLN et de l’APPO

Dans le contexte de l’affreuse misère et de l’oppression brutale auxquelles la population indigène du pays est confrontée, l’EZLN [Armée zapatiste de libération nationale] a été un pôle de forte attraction pour certains de ceux qui s’opposent aux ravages du capitalisme. En outre, ses critiques du PRD pendant le cirque électoral ont attiré de nombreux jeunes. La « Sixième déclaration » zapatiste proclame ainsi que « le problème du pays n’est pas un parti, mais au contraire le système capitaliste » que « nous devons transformer » (La Jornada, 15 janvier 2006). Mais rien dans la « Sixième déclaration » n’est dirigé vers le renversement du capitalisme ; on y trouve des revendications de réformes démocratiques comme, centralement, une nouvelle constitution « qui reconnaîtra les droits et les libertés du peuple, et défendra le faible face au puissant ». Il est utopique de penser qu’avec de nouvelles lois, l’Etat capitaliste pourrait être réformé et mis au service des exploités et des opprimés. Ce qu’il faut, c’est une révolution ouvrière qui abolira la propriété privée.

D’un autre côté, la combativité de l’APPO [Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca], qui a émergé comme alliée des enseignants de la section locale 22 du SNTE [syndicat des enseignants], en grève pendant plus de six mois, a aussi galvanisé ceux qui veulent lutter contre ce régime vil et corrompu. Ses barricades – qui lui donnaient le contrôle d’une partie importante de la ville d’Oaxaca – , et ses affrontements qui continuent aujourd’hui encore avec la police ont été une source d’inspiration pour de nombreux jeunes qui veulent davantage que des élections truquées et des guignoleries parlementaires. Mais ses luttes ne vont pas au-delà d’appels au renvoi du gouverneur-bourreau Ulises Ruiz. Ainsi, bien qu’au début de leurs luttes ils aient appelé à boycotter les élections, les dirigeants de l’APPO et du comité local 22 du SNTE ont fini par appeler à voter pour AMLO.

Le populisme nie la division fondamentale de la société de classes entre prolétariat et bourgeoisie, et y substitue une division simpliste entre riches et pauvres, niant ainsi le rôle central de la classe ouvrière comme agent fondamental du changement social. En fait, les zapatistes sont apparus en 1994 en rejetant explicitement la lutte pour la révolution prolétarienne. Les populistes limitent leur programme à des réformes démocratiques, dans un cadre étroitement capitaliste et nationaliste. Nonobstant leur combativité et leurs intentions, les populistes « radicaux » comme l’EZLN et l’APPO finissent dans l’orbite du PRD, et essaient de faire pression sur lui.

La chaîne syphilitique du populisme petit-bourgeois

Notre perspective marxiste révolutionnaire s’oppose non seulement à toutes les variétés de populisme, mais aussi aux organisations qui se proclament marxistes et qui sont à la remorque de forces de classe étrangères au prolétariat, en limitant leur programme au terrain national mexicain. L’exemple le plus grotesque est peut-être la Tendance militante [Militante], qui en réalité fait partie intégrante du PRD bourgeois. Militante déclare avec une naïveté touchante qu’« AMLO doit lutter contre le capitalisme » (Militante n° 154, deuxième quinzaine de septembre 2006). C’est comme appeler le pape à lutter pour les droits des homosexuels. Militante ne fait que renforcer les illusions suicidaires dans le parti bourgeois qu’est le PRD, et sa politique pave la voie à de sanglantes défaites pour la classe ouvrière.

La Liga de Trabajadores por el Socialismo (LTS) lance toutes sortes de mots d’ordre contre le coût de la vie, comme des « emplois pour tous », une « augmentation générale d’urgence des salaires » (Estrategia Obrera n° 58, 24 janvier), etc. Mais sans même mentionner le combat pour la révolution socialiste dans son article, le programme de la LTS est réformiste, totalement dans le cadre du capitalisme. La LTS écrit : « Malheureusement, le PRD, qui se présente comme un parti “démocratique” et contre la répression, a soutenu cette action », c’est-à-dire la gigantesque récente opération policière dans le Michoacán. La LTS ne mentionne même pas la participation directe du PRD à l’agression sanglante contre les travailleurs de Lázaro Cárdenas en avril de l’année dernière ! Au lieu de ça, elle appelle « toutes les organisations qui se prétendent démocratiques (comme celles qui constituent la CND [Convention nationale démocratique]) » à la rejoindre pour former un « Comité national de coordination contre la répression ». Autrement dit, la LTS appelle à un bloc politique avec le parti bourgeois qu’est le PRD.

L’Internationalist Group (IG) a été constitué il y a onze ans par d’ex-membres démoralisés de notre organisation. Incapables d’affronter les conséquences de la destruction contre-révolutionnaire de l’URSS en 1991-1992, et la régression du niveau de conscience ouvrière qui a suivi cette défaite historique pour le prolétariat, ils ont déserté le trotskysme pour se mettre à la remorque de forces de classe hostiles, en enjolivant la conscience existante et en s’y adaptant.

L’IG est incapable d’affronter les illusions massives dans le populisme, et s’emploie à inventer sa propre réalité. Elle se livre à toutes sortes de contorsions pour présenter AMLO comme simplement un « néolibéral à visage humain », minimisant ainsi les effets dévastateurs de l’ALENA et de toutes les politiques néolibérales des dernières quatre présidences. Elle tourne le dos à la lutte pour la défense des droits démocratiques élémentaires et des besoins les plus pressants des pauvres.

Dans un article récent (« Contre le tortillazo, imposons le contrôle ouvrier ! La crise des tortillas au Mexique, produit du capitalisme », El Internacionalista, janvier), l’IG tire pour l’essentiel un trait d’égalité entre l’ancien régime semi-bonapartiste du PRI et la politique de famine actuelle, ouvertement pro-impérialiste, du PAN. Ainsi, tout en mentionnant incidemment le « désastre » provoqué par l’ALENA, l’IG argumente que « ni la pauvreté des petits paysans ni les migrations forcées n’ont commencé il y a 15 ans », minimisant de ce fait l’affreuse misère et l’assujettissement croissant du Mexique à l’impérialisme qu’a produits ce traité prédateur. Finalement, l’IG écrit :

« En outre, en maintenant le coût des tortillas à un niveau bas et le prix du maïs à un niveau élevé, il [le gouvernement] subventionnait les industriels mexicains en abaissant le coût de reproduction de “sa” force de travail. Autrement dit, il utilisait la “souveraineté alimentaire” pour laisser les travailleurs se noyer dans la pauvreté à cause des bas salaires. »

L’IG argumente qu’il ne faut pas lutter pour que les produits alimentaires restent bon marché, parce que ça signifie que les salaires resteront bas ! Cette position est purement et simplement réactionnaire.

L’IG refuse de défendre les acquis partiels. Avec cette logique, il doit s’opposer à la défense de l’industrie pétrolière nationalisée, et en fait à toutes les revendications qui visent à améliorer le sort de la classe ouvrière et des opprimés avant la révolution socialiste. Tant que le capitalisme existe, chaque réforme, chaque acquis de la classe ouvrière et des opprimés sera nécessairement partiel et réversible à tout moment. Mais ce n’est pas une raison pour que les révolutionnaires laissent tomber la lutte pour les conquêtes partielles ; au contraire, notre objectif est de mobiliser la classe ouvrière, à la tête de tous les pauvres et de tous les opprimés, dans la lutte pour leurs besoins les plus pressants, pour préparer le renversement général de toute la classe capitaliste. Comme l’expliquait Lénine :

« Les marxistes, à la différence des anarchistes, reconnaissent la lutte pour les réformes, c’est-à-dire pour telles améliorations dans la situation des travailleurs qui laissent comme par le passé le pouvoir entre les mains de la classe dominante. Mais, en même temps, les marxistes mènent la lutte la plus énergique contre les réformistes, qui limitent directement ou indirectement aux réformes les aspirations et l’activité de la classe ouvrière. Le réformisme est une duperie bourgeoise à l’intention des ouvriers, qui resteront toujours des esclaves salariés, malgré des améliorations isolées, aussi longtemps que durera la domination du capital. »

– « Marxisme et réformisme » (1913)

Les leçons de la Commune de Paris de 1871

La lutte combative des masses d’Oaxaca a tapé dans l’œil de la gauche prétendument « trotskyste » qui a démontré dans les faits son rejet éhonté de la révolution permanente de Trotsky. La LTS salue dans cette lutte la « Commune d’Oaxaca » qu’elle compare à la Commune de Paris de 1871. Rien n’est plus faux. La Commune de Paris était une révolution sociale, le premier exemple dans l’histoire de la dictature du prolétariat. Mais, pour commencer, la classe ouvrière industrielle existe à peine à Oaxaca ! En réalité, la lutte d’Oaxaca était basée complètement sur les enseignants syndiqués et les masses petites-bourgeoises paupérisées. Pour des trotskystes authentiques, le problème n’est pas d’enjoliver la réalité, mais de lutter pour mobiliser le prolétariat industriel urbain à la tête de tous les opprimés, dans la lutte pour la révolution socialiste.

Une des principales leçons de la Commune de Paris – qui à la fin a été écrasée par la réaction bourgeoise, au prix de 30 000 morts dans les rangs ouvriers – a été que le prolétariat ne peut pas s’emparer de l’appareil d’Etat existant et l’utiliser pour ses propres intérêts. Comme nous l’ont appris Marx et Engels, l’Etat bourgeois est fait de détachements d’hommes armés, dont la tâche est de défendre le mode de production capitaliste, qui est basé sur la propriété privée et l’exploitation du travail. Le cœur de l’Etat, c’est l’armée, la police, les tribunaux et les prisons. La classe ouvrière doit détruire l’Etat bourgeois par une révolution socialiste, et ériger à la place un Etat ouvrier pour défendre la position du prolétariat comme nouvelle classe dirigeante contre la bourgeoisie récalcitrante. Les leçons de la Commune de Paris, en ce qui concerne la conception marxiste de l’Etat – telles qu’elles ont été codifiées notamment dans l’Etat et la révolution de Lénine, un texte fondamental du marxisme révolutionnaire – ont joué un rôle crucial dans la Révolution russe de 1917, la seule révolution ouvrière victorieuse de l’histoire.

Toute la perspective de l’APPO était basée sur des illusions dans la réforme démocratique de l’Etat capitaliste, avec comme instrument pour la mener à bien le PRD. La LTS partage ces illusions ; une de ses revendications les plus fréquentes, adressée à l’Etat bourgeois lui-même, est « Pour la dissolution des forces répressives de l’Etat ». Croire que la bourgeoisie accepterait jamais de « dissoudre » son Etat n’est pas seulement utopique, mais vraiment suicidaire – c’est une position réformiste, en contradiction avec l’essence du marxisme.

Le rejet par l’IG , dans les faits, de la révolution permanente, pousse ce groupe, comme nous l’avons déjà vu, d’un côté à s’abstenir de lutter pour les droits élémentaires et pour des mesures visant à satisfaire les besoins de base de la population ; d’un autre côté, ce rejet le conduit directement à faire l’éloge du populisme de gauche. Oaxaca est un bon exemple. L’année dernière, l’IG affirmait que les enseignants d’Oaxaca « savent que le PRI, le PAN et le PRD, c’est la même chose » (El Internacionalista/Edición México n° 2, août 2006), une position qu’il a dû abandonner quelques jours plus tard seulement, quand les enseignants et l’APPO ont appelé à un « vote sanction » contre le PRI et le PAN – c’est-à-dire pour le PRD. Plus récemment, l’IG écrivait que les masses de l’APPO « n’avaient pas une perspective politique révolutionnaire explicite » (El Internacionalista, janvier), laissant ainsi entendre qu’ils avaient une perspective implicite – et seul l’IG sait ce que ça signifie ! Aujourd’hui, dans une tentative désespérée pour peindre l’APPO en rouge, l’IG dit que « le soutien de l’APPO au candidat à la présidentielle du PRD, Andrés Manuel López Obrador, pour l’élection du 2 juillet, était vu par beaucoup de grévistes d’Oaxaca comme une manœuvre “tactique” contre Ulises Ruiz Ortiz [URO] : un vote pour AMLO contre URO. Mais pour les dirigeants de l’APPO, c’était stratégique. » L’IG abandonne le point de départ de toute politique révolutionnaire : le soutien politique à la bourgeoisie n’est pas une « tactique » astucieuse, mais une illusion mortelle qui ne peut conduire qu’à la défaite.

De façon pas très différente de la LTS, l’IG abandonne aussi la conception marxiste de l’Etat. Ainsi, dans un article récent, il cite sans la moindre critique – et en faisant vibrer la corde pathétique – les paroles d’un étudiant d’Oaxaca adressées aux policiers : « “la situation du pays vous a fait choisir entre quitter votre patrie ou vous engager dans cette force [la Police préventive fédérale] parce que vous n’aviez pas d’autre choix”, mais “vous devriez être de notre côté, parce que vous êtes comme nous. Regardez votre peau, vos mains, vous êtes de la même couleur que nous. Vous êtes aussi des Huicholes, des Mixes, des Tarahumaras [des peuples indigènes]” » (El Internacionalista, novembre 2006). L’IG , en fait, approuve ce genre de déclaration, et ajoute : « S’adresser aux envahisseurs policiers pour qu’ils ne répriment pas peut être une tactique correcte dans certaines circonstances, et suicidaire dans d’autres. Penser que la police “fait aussi partie du peuple” est une dangereuse illusion. » Présenter ce genre d’appels libéraux à la police comme, encore une fois, un autre type de « tactique » astucieuse ne peut que semer des illusions mortelles dans l’Etat bourgeois.

Pour de nouvelles révolutions d’Octobre !

Crise économique récurrente et répression sont endémiques au système capitaliste. La seule solution pour mettre fin à l’une et à l’autre est de renverser le capitalisme par une révolution ouvrière internationale. La victoire du prolétariat à l’échelle mondiale mettra une abondance matérielle inimaginable au service des besoins humains, jettera les bases de l’élimination des classes et de l’éradication de l’inégalité sociale basée sur le sexe, et l’abolition même de la signification sociale des races, des nations et des ethnies. Pour la première fois, l’humanité prendra les rênes de l’histoire et contrôlera sa propre création, la société, avec comme résultat une émancipation des potentialités humaines dont on peut à peine rêver, et une avancée gigantesque de la civilisation. C’est alors seulement qu’il sera possible de réaliser le libre développement de chaque individu, condition nécessaire du libre développement de tous. Reforgeons la Quatrième Internationale de Trotsky, parti mondial de la révolution socialiste !