Le Bolchévik nº 178

Décembre 2006

 

Pour une défense lutte de classe des bagagistes de Roissy !

A bas la campagne sécuritaire raciste du gouvernement !

Buffet Royal en 2007 : austérité anti-ouvrière et terreur raciste encore une fois au menu

La chasse aux sorcières raciste de l’Etat contre 72 travailleurs, musulmans pour la plupart, à l’aéroport de Roissy, et les conditions de travail intenables imposées aux dizaines de milliers de travailleurs de l’aéroport, en disent long sur les causes de la révolte de la jeunesse des banlieues il y a un an. Cette explosion de rage de jeunes d’origine ouvrière et largement issus de l’immigration maghrébine et africaine, avait été déclenchée par la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois, morts électrocutés alors qu’ils essayaient d’échapper à une rafle raciste de la police. Ces deux jeunes avaient immédiatement été dénoncés par l’Etat comme de soi-disant délinquants et menteurs. Et ça continue : fin novembre la « justice » a annoncé que les flics responsables ne seraient pas poursuivis, et le rapport de l’IGS sur la chasse à l’homme qui avait eu lieu ce jour-là contre Zyed, Bouna, Muhittin et leurs amis, qualifie le comportement des flics comme simplement « d’une légèreté et d’une distraction surprenantes ». Pendant ce temps c’est Muhittin Altun, âgé de 18 ans, le seul survivant, qui est persécuté par la vendetta de l’Etat ; il est passible d’une peine de prison pour avoir soi-disant jeté des pierres contre une voiture de police et pour « participation avec armes à un attroupement ». Nous disons : Il n’y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes ! Levée des inculpations contre Muhittin Altun ! Amnistie pour tous les jeunes condamnés suite à la révolte des banlieues ! La classe ouvrière multiethnique de ce pays doit défendre les jeunes de banlieue !

Les travailleurs de Roissy sont recrutés en fait dans les mêmes banlieues du Nord de Paris que celle où Zyed et Bouna ont grandi ; le frère de Bouna, Siyak Traoré, travaille à l’aéroport. Un an plus tard les conditions matérielles qui ont contribué à alimenter cette explosion – manque d’emplois, transports et système de santé défectueux, classes surchargées dans les écoles, répression quotidienne par l’Etat – rien n’a changé. En fait, à la veille des élections de 2007, la guerre contre les jeunes des minorités ethniques, désignés comme le bouc émissaire de tous les maux de la société, se déchaîne de plus en plus ; c’est à qui, de la gauche ou de la droite, battra l’autre sur le terrain de l’« ordre républicain ». Lors de l’occupation policière des cités il y a un an, nous avions dénoncé en particulier le rôle de la gauche pour son soutien à la répression, quand le PCF, le PS et LO avaient tous appelé à « rétablir l’ordre » contre les jeunes de banlieue en pleine révolte. (LO est ensuite revenue en arrière, mais ils ont décrit leur appel simplement comme « une ânerie bien sûr, mais mineure » de leur part – voir notre article sur LO page 7.) Cette trahison, et le refus de la bureaucratie syndicale de mobiliser sa base au côté des jeunes de banlieue, a encouragé l’Etat à poursuivre sa répression raciste. Nous écrivions (le Bolchévik n°174, décembre 2005) :

« L’oppression raciste et la stigmatisation des jeunes des banlieues par la bourgeoisie visent à diviser la classe ouvrière et à l’affaiblir dans son ensemble, à un moment où le gouvernement redouble les attaques et les mesures de répression contre le prolétariat en général. Une attaque contre un est une attaque contre tous ! »

Les 72 bagagistes de l’aéroport de Roissy sont visés aujourd’hui comme des « terroristes » potentiels pour les mêmes raisons – pour essayer de diviser selon des lignes raciales et affaiblir la puissance potentielle des 80 000 travailleurs de l’aéroport. Pas un seul des 72 bagagistes qui se sont vu retirer leur badge n’a jamais été accusé ou condamné pour aucun crime. D’après le sous-préfet Jacques Lebrot, on leur a retiré leur badge (qui donne accès à la zone réservée de l’aéroport où travaillent 60 000 personnes) sur la base qu’ils représentaient un risque potentiel pour les passagers. Il a déclaré qu’ils « sont liés à des mouvances fondamentalistes à visée terroriste » qui rejettent « la France et nos valeurs ». « Pour nous, quelqu’un qui va passer des vacances plusieurs fois au Pakistan, cela nous pose des questions », a déclaré Lebrot (le Monde, 21 octobre) ; Lebrot a retiré son badge à un travailleur qui avait participé avec son père à un voyage organisé Fram, « circuit au pays des maharajas », qui l’avait emmené au Pakistan, en Inde et au Bangladesh. Lebrot n’a pas fourni la moindre preuve pour étayer ses déclarations, et en fait il a exigé que ce soit les bagagistes persécutés qui fournissent la preuve qu’ils ne présentent aucun risque pour les passagers !

Cette attaque n’a rien à voir avec la lutte contre le « terrorisme » (les principaux architectes du terrorisme sont à l’Elysée et dans les ministères), ni avec la « protection » de la population ; mais elle a tout à voir avec l’arsenal croissant à la disposition de l’Etat pour écraser toute opposition et détruire les libertés. Nous nous opposons à la campagne d’« unité nationale » contre le terrorisme qui a pour but de renforcer l’Etat capitaliste raciste français.

Sarkozy a salué la chasse aux sorcières en déclarant : « Moi, je ne peux pas accepter que des gens qui ont une pratique radicale travaillent sur une plateforme aéroportuaire » (le Monde, 21 octobre). Il fait ainsi l’amalgame entre « terroristes » et travailleurs ordinaires qui se défendent ainsi que leurs collègues, et qui se battent pour la sécurité contre les patrons assoiffés de profits sur l’aéroport. Ce n’est pas un hasard que parmi les 72 de Roissy il y a des militants syndicaux qui, face à des conditions de travail qui se détériorent, se syndiquent et revendiquent. Didier Frassin, le secrétaire de l’union locale CGT de Roissy, disait, en parlant de l’intérêt croissant pour les syndicats manifesté par de nombreux jeunes recrutés dans les banlieues voisines : « Leur arrivée a contribué à renouveler le syndicat, qui ne cesse de progresser. Les directions ne s’y attendaient probablement pas. » Un autre délégué CGT chez Air France, Moustafa, ajoutait : « Ils nous ont embauchés, on s’est retrouvés délégués. On dénonce les conditions de travail, on milite, alors ils veulent nous briser en retirant les badges » (l’Humanité, 27 octobre).

Exactement. Ce que craint la bourgeoisie, c’est la force croissante de la classe ouvrière organisée multiethnique de l’aéroport ; c’est cela qui est derrière cette chasse aux sorcières. La bourgeoisie et les travailleurs ont des intérêts fondamentalement opposés et antagoniques. Le capitalisme est basé sur l’exploitation des travailleurs par les capitalistes. Il est impossible de le faire fonctionner dans l’intérêt des travailleurs ; il n’est pas réformable. Les groupes, comme LO, la LCR, le PCF, qui offrent des recettes sur comment mieux administrer le capitalisme, le rendre plus démocratique, plus social, etc., répandent le même mensonge que Jean Jaurès il y a 100 ans. Aujourd’hui comme alors, cela ne sert qu’à lier la classe ouvrière au système capitaliste de profit basé sur l’esclavage salarié et l’oppression raciste. Nous luttons pour mobiliser la classe ouvrière, indépendamment de l’ennemi de classe, des organes de celui-ci et de ses partis, pour balayer le système capitaliste par une révolution socialiste. Elle brisera et détruira l’Etat capitaliste et établira à la place un Etat ouvrier basé sur une économie collectivisée et planifiée suivant les besoins. Dans ce but, nous luttons pour construire un parti comme le parti bolchévique, pour pouvoir diriger les travailleurs à la victoire. A bas la chasse aux sorcières raciste ! Il faut mobiliser la classe ouvrière en défense des 72 de Roissy ! Pour leur réintégration immédiate dans leur poste de travail !

Vigipirate vise les travailleurs et les minorités

L’attaque contre les 72 bagagistes n’est que la dernière en date d’une longue liste à Roissy. Depuis 2004, d’après la CFDT, 3 585 travailleurs se sont vu retirer leur badge, ce qui veut dire presque automatiquement la perte de leur emploi. Le but de ces attaques, c’est de garder ces travailleurs, qui représentent la plus importante concentration de travailleurs de toute couleur de peau dans ce pays, fermement à la merci des patrons, en leur inculquant la crainte que quiconque résiste sera le prochain licencié. Il y a un an Lebrot avait agité Vigipirate rouge « pour rétablir l’ordre public » et forcer les bagagistes en grève de chez CBS à reprendre le travail sous la menace de six mois de prison (le Nouvel Observateur, 6 octobre 2005). Il avait déclaré à l’époque que leur grève accroissait la probabilité d’une attaque terroriste.

La bourgeoisie française, et ses porte-parole de droite comme de gauche, se félicitent souvent, notamment depuis que George Bush est à la Maison Blanche, que, contrairement à leurs homologues américains, ils règnent de façon juste, sociale, et égalitaire. En fait ils mettent en œuvre leur propre « guerre contre le terrorisme » avec Vigipirate depuis 1991 à l’époque de la première guerre du Golfe. Lorsque Mitterrand avait envoyé des dizaines de milliers de troupes impérialistes françaises pour combattre les Irakiens au côté des USA et de la Grande-Bretagne, les jeunes issus de l’immigration maghrébine en particulier s’étaient largement opposés à cette guerre meurtrière. Le gouvernement avait réagi en lançant Vigipirate ; il s’agissait d’attiser un climat de peur et d’insécurité en visant les jeunes qui menaçaient les sacro-saintes « valeurs républicaines » et qui manifestaient de la sympathie pour les peuples d’Irak. Des bandes de flics et de soldats en armes patrouillaient dans les gares pour empêcher physiquement les jeunes de prendre part aux manifestations dans le centre de Paris.

Dès cette époque la LTF avait protesté contre Vigipirate, et expliqué que ce plan était une arme de l’Etat capitaliste pour viser dans un premier temps des personnes ayant des attaches musulmanes, pour pouvoir ensuite réprimer la classe ouvrière dans son entier. Lutte ouvrière au contraire maintient depuis 15 ans un silence complice sur Vigipirate. Maintenant LO se lamente que le métier de bagagiste soit « sur le point d’être interdit aux musulmans » (Lutte ouvrière, 3 novembre), mais leur refus constant de s’opposer à Vigipirate est le genre de capitulation à la campagne « antiterroriste » qui a pavé la voie à l’attaque actuelle à Roissy.

Dix ans après la première guerre du Golfe, avec le 11 septembre 2001, les dirigeants français ont eu de nouveaux prétextes pour accroître les pouvoirs de la police. Comme le souligne une déclaration intersyndicale à Roissy : « L’Etat et les directions d’entreprises se sont servis du 11 septembre 2001 pour revenir sur les droits et les libertés individuelles des salariés travaillant en zone réservée » (« Nous sommes tous concernés », 27 novembre). Un syndicaliste SUD faisait remarquer : « Depuis [le 11-Septembre], on a créé un Patriot Act sur l’aéroport » (Libération, 10 novembre) ; il faisait référence à la loi « antiterroriste » aux USA introduite à la suite de l’attaque criminelle contre le World Trade Center et de l’attaque contre le Pentagone. Didier Frassin, de la CGT, disait la même chose lors d’une récente interview où il souligne l’impact de la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ), introduite tout juste un mois après le 11-Septembre, et qui « facilite l’attitude du préfet de Seine-Saint-Denis et mène à des aberrations » (l’Humanité Dimanche, 23-29 novembre).

Buffet Royal en 2007 : c’est les ouvriers et les jeunes des banlieues qui vont déguster !

Le nombre de travailleurs de l’aéroport concernés parle pour lui-même : ce ne sont pas là des « aberrations ». Pour les patrons et leur Etat, la règle c’est l’intimidation et la répression. Peut-être que Frassin est un peu mal à l’aise parce que cette LSQ avait été introduite par le gouvernement Jospin-Buffet-Royal de « gauche plurielle » qui, comme tous les gouvernements capitalistes dans le monde, avait cherché à tirer parti de l’hystérie antiterroriste après le 11-Septembre pour serrer la vis à l’ensemble de la population. Mais les bureaucrates syndicaux, au nom de l’« unité nationale » et de la loyauté envers leur gouvernement de front populaire, avaient laissé voter cette loi sans protester.

Le passage de la LSQ sous Jospin n’est qu’un exemple de comment un gouvernement de front populaire paralyse les luttes ouvrières. Nous nous opposons inconditionnellement et par avance à tout vote et tout soutien, au premier ou au deuxième tour, à une telle alliance qui va du PS et du PC à des bourgeois soi-disant de gauche comme les Verts, les chevènementistes, etc. Ce n’est pas le cas des organisations réformistes, qui se préparent à dire à la classe ouvrière de voter au deuxième tour pour la candidate du front populaire, Ségolène Royal, comme un « moindre mal » (pour LO, voir notre article page 7). La LCR monte en épingle son refus de participer à un gouvernement avec Royal, en opposition au PCF. Mais c’est pour dissimuler qu’ils s’apprêtent tout comme le PCF à voter Royal : cette organisation qui, ces 32 dernières années, a toujours voté pour le candidat du front populaire au deuxième tour des présidentielles (sauf en 2002 où ils ont voté Chirac), a cyniquement déclaré (voir Rouge, 16 novembre) :

« Puisqu’il faut être le plus clair possible, nous rappelons qu’il n’y a, chez nous, aucune tentation de renvoyer gauche et droite dos à dos. Virer la droite en 2007 est pour nous une mesure de salubrité publique. »

La stratégie des réformistes se limite à essayer de faire pression sur la bourgeoisie pour qu’elle fasse quelques concessions, qui peuvent être octroyées aujourd’hui mais reprises demain. Si le front populaire revient au pouvoir, il continuera, tout comme le gouvernement Jospin-Buffet avant lui, d’administrer l’Etat capitaliste raciste français et à protéger les intérêts des entreprises françaises contre leurs rivales étrangères, tout cela sur le dos des travailleurs.

A bas la « guerre contre le terrorisme » de la bourgeoisie !

Avant de donner le badge nécessaire pour travailler dans la zone réservée de Roissy, les flics épluchent maintenant cinq différentes bases de données. Si l’on y figure pour un excès de vitesse, une soirée bruyante ayant abouti à un dépôt de plainte d’un voisin, le fait de ne pas avoir payé à temps sa redevance télé ou ses impôts, même sans avoir été condamné, on ne se fait pas embaucher, ou on perd son badge lors d’un contrôle périodique. Les patrons utilisent aussi ces données pour s’immiscer dans la vie privée des travailleurs et pour imposer leur ordre moral bourgeois, comme le condamne à juste titre la déclaration intersyndicale du 27 novembre. Il y a le cas particulièrement scandaleux d’un steward homosexuel qui avait été appréhendé au Bois de Boulogne avec un prostitué, et qui a dû signifier au préfet et aux autorités aéroportuaires qu’il acceptait de voir un psychiatre et de faire un « travail sur lui-même » pour garder son emploi. Tous les travailleurs visés par les lois sécuritaires répressives de Jospin et Sarkozy doivent être réintégrés immédiatement ! A bas la croisade d’ordre moral de l’Etat !

Ce sont ceux qui administrent le système capitaliste qui perpètrent la terreur de masse et des massacres barbares, aveugles et prémédités à une échelle gigantesque. Les crimes contre l’humanité qui sont synonymes de l’impérialisme français – des massacres pendant la guerre d’Indochine à la torture en Algérie et au génocide du Rwanda – sont la marque de fabrique du capitalisme dans son agonie. Et de même les attaques des CRS contre les travailleurs en grève et les jeunes qui protestent, ainsi que les attaques contre les salaires et les conditions de travail des ouvriers, la terreur des flics et la pauvreté dans les banlieues.

Ce n’est certainement pas la première fois, ni la dernière, qu’un secteur de la classe ouvrière se fait traiter de « terroriste ». Pendant la guerre d’Algérie, sous des gouvernements de gauche comme de droite, de semblables croisades étaient monnaie courante contre la classe ouvrière multiethnique, notamment dans les grandes usines automobiles. Les travailleurs de Roissy sont visés parce que l’aéroport est stratégique pour le capitalisme français, au niveau économique et au niveau militaire, et que les patrons et leurs gouvernements comprennent très bien que ces milliers de travailleurs, avec leurs syndicats, peuvent déployer une énorme puissance sociale pour défendre leurs droits et lutter contre l’oppression.

Les capitalistes savent aussi que si les travailleurs font preuve de résistance et de solidarité de classe, cela peut devenir l’étincelle pour une lutte plus large dans le pays, notamment là où il y a encore de grandes concentrations multiethniques de travailleurs, comme dans les usines automobiles et les fabricants de pièces détachées, mais aussi dans le secteur public où des centaines de milliers d’emplois sont menacés de privatisation. A la SNCF et la Poste les patrons démantèlent les services publics en créant des unités séparées plus petites, comme Chronopost qui a une base à Roissy, afin de paver la voie à la privatisation et d’obliger les ouvriers à travailler encore plus pour un salaire plus faible. Le prochain gouvernement essaiera à nouveau d’utiliser Vigipirate, cette fois-ci contre les cheminots luttant pour défendre leurs acquis.

Le niveau de pauvreté et d’oppression raciste a considérablement augmenté, ici et dans le monde, suite à la contre-révolution capitaliste qui a eu lieu dans l’ex-Union soviétique il y a 15 ans. Cette défaite historique pour le prolétariat mondial a encouragé les impérialistes à multiplier les maraudages néocoloniaux à l’étranger et accroître l’exploitation ici. Les capitalistes d’Europe de l’Ouest, agitant le mensonge de la « mort du communisme », pensent qu’ils ont maintenant les coudées franches pour détruire les acquis de la classe ouvrière, notamment les réformes de l’« Etat-providence ». Celles-ci avaient été introduites pour essayer d’endiguer le spectre du communisme après la Deuxième Guerre mondiale, face à une classe ouvrière combative qui voulait sa vengeance du bain de sang qu’elle avait subi, et à une époque où l’autorité de l’Union soviétique avait grandi du fait qu’elle avait vaincu les nazis de Hitler. La LTF, section de la Ligue communiste internationale, a mobilisé toutes ses forces pour combattre la restauration capitaliste dans l’ex-Union soviétique, et nous continuons aujourd’hui à lutter contre les tentatives des impérialistes de restaurer le capitalisme dans les Etats ouvriers déformés restants, Cuba, le Vietnam, la Corée du Nord (voir notre article page 9) et surtout la Chine.

L’effondrement de l’Union soviétique a mené à une forte augmentation de la concurrence internationale entre les puissances impérialistes. Celles-ci, pour maintenir et accroître leur taux de profit, ce qui est indispensable dans la lutte contre leurs rivales, ont toutes sortes de méthodes, notamment d’avoir une « main-d’œuvre plus flexible » avec des plans comme le contrat nouvelle embauche ou le défunt CPE. En France notamment, le démantèlement de l’Etat-providence est considéré comme une nécessité d’airain pour l’impérialisme français, qui est bien plus faible que ses rivaux américain et même allemand.

Pour une lutte de classe contre les nouvelles attaques !

Dix sociétés seulement emploient 60 % de tous les travailleurs de l’aéroport de Roissy. Le reste travaille dans 700 entreprises sous-traitantes, où les conditions de travail sont souvent encore plus atroces. « Les jeunes des cités alentour ont été embauchés, mais il faut voir dans quelles conditions ! […] On les appelle les “dos cassés” », rapporte Didier Frassin de la CGT. Un travailleur déclare : « C’est Spartacus. Je travaille de nuit, je vois à peine ma famille. Et on nous dit que les jeunes ne veulent pas bosser ! » (l’Humanité, 27 octobre) Beaucoup de jeunes travailleurs, même quand ils sont finalement embauchés en CDI, ont souvent seulement un temps partiel ; les patrons ne veulent pas payer trop de charges sociales, et ils essaient ainsi de réduire la cohésion et la force des travailleurs. Ces derniers sont obligés de prendre un deuxième emploi pour survivre, ou de faire d’interminables heures supplémentaires. La sous-traitance a pour but de diviser la classe ouvrière, d’affaiblir les syndicats et d’empêcher des grèves unies sur l’ensemble de la plateforme. Mais les travailleurs ont leurs propres armes pour riposter : leurs intérêts de classe communs et leur solidarité dans la lutte. Ensemble, ils représentent une puissance formidable.

La confiance des bureaucrates syndicaux dans la « justice » bourgeoise ne sert qu’à démobiliser la lutte : lors d’une réunion intersyndicale appelée pour discuter des actions à prendre en défense des bagagistes, un dirigeant de la CFDT a argumenté contre une grève, et même contre une protestation immédiate, disant qu’il fallait plutôt « attend[re] de voir ce que dit la justice », plusieurs plaintes ayant été déposées contre le retrait des badges. Nous n’excluons pas de faire usage de toutes les possibilités judiciaires pour défendre ces travailleurs, mais nous n’avons pas la moindre confiance dans le système d’injustice capitaliste. Nous nous tournons au contraire vers la puissance des milliers de travailleurs unis dans la lutte. Une grève solide à Roissy en défense des bagagistes ferait rapidement réfléchir les patrons, leur préfet et leurs juges pour trouver une « solution ». On a pu avoir un avant-goût de cette puissance sociale récemment avec le CPE, où c’est la mobilisation des syndicats avec les étudiants qui a battu le gouvernement.

L’Etat n’est pas au service de la société dans son ensemble. Les exploités et les opprimés ne peuvent pas l’utiliser pour qu’il serve leurs propres intérêts. C’est une machine d’oppression de la classe ouvrière par la classe capitaliste, une machine répressive faite de soldats, de flics, de tribunaux et de prisons qui ont tous pour raison d’être de défendre la domination de classe et les profits des capitalistes contre les travailleurs. Nous disons : Flics, gardiens de prison, vigiles et agents de sécurité, hors des syndicats ! La raison d’être de l’Etat c’est d’empêcher ceux qui produisent les richesses de cette société, la classe ouvrière, d’en prendre le contrôle, et de maintenir au contraire les exploiteurs bourgeois au pouvoir. Il ne peut pas y avoir de véritable justice pour les travailleurs dans les tribunaux capitalistes. C’est ce système qui, il y a un an, a enfermé des centaines de jeunes des banlieues et qui leur a fait un casier judiciaire qui peut les consigner à un avenir de chômage. Les travailleurs doivent renverser l’Etat bourgeois et exercer leur propre domination de classe contre la résistance des capitalistes, en établissant, comme les ouvriers russes en 1917, un Etat ouvrier, la dictature du prolétariat.

Il faut rompre avec les dirigeants syndicaux traîtres !

Un exemple approprié de lutte de classe, c’est la grève d’Air France en octobre 1993 : les travailleurs ont occupé les pistes et fait grève contre le plan Attali de licenciement de 4 000 travailleurs. Le gouvernement Mitterrand-Balladur a rapidement cédé aux revendications des travailleurs de jeter ce plan à la poubelle. Il n’a pas seulement reculé parce qu’Air France perdait l’équivalent de 10 millions d’euros par jour et parce que les transporteurs étrangers menaçaient de poursuivre en justice Aéroports de Paris ; il a cédé surtout parce qu’il craignait que la grève ne s’étende à d’autres travailleurs du secteur public qui étaient aussi l’objet de suppressions d’emplois. C’est Jospin et son ministre PCF des Transports Gayssot, avec l’aide des bureaucrates syndicaux, qui a partiellement privatisé Air France cinq ans plus tard, en 1999, ouvrant la voie à la privatisation complète en 2004.

Un autre exemple de puissante mobilisation de la classe ouvrière multiethnique en lutte pour défendre ses emplois, c’était sur l’aéroport de Heathrow à Londres en 2005. Le personnel de British Airways (BA) a fait grève en défense de 6 700 travailleurs, essentiellement des femmes originaires du sous-continent indien, licenciés par Gate Gourmet, une société de catering (préparation des repas). La grève a paralysé BA et a pratiquement stoppé toute l’activité de l’un des plus grands aéroports du monde. Elle a coûté plus de 70 millions d’euros à BA, stoppé pratiquement toute sa flotte dans le monde, et semé la pagaille dans les activités de BA pendant près d’une semaine. Comme l’écrivaient nos camarades britanniques : « Ce qu’il y a d’autant plus impressionnant avec cette grève, c’est qu’elle a été entreprise en dépit des lois antisyndicales qui interdisent les grèves de solidarité avec des travailleurs d’autres entreprises, et qu’elle a été lancée en pleine hystérie “antiterroriste” du gouvernement, attisée suite aux bombardements terroristes criminels du 7 juillet » à Londres (Workers Vanguard, 2 septembre 2005). Les travailleurs de l’aéroport ont fait cette action sachant que leurs propres emplois pouvaient être les suivants, mais ils reconnaissaient que leurs intérêts et ceux de ces travailleurs du catering, surtout des femmes asiatiques, étaient les mêmes.

L’aéroport étant pratiquement arrêté et BA perdant des millions de livres, la direction syndicale a répudié les grèves en les déclarant « illégales », et les travailleurs ont repris le travail. Une fois que BA et l’aéroport avaient repris, la direction syndicale a accepté de négocier dans une position de faiblesse. Finalement certains travailleurs licenciés ont été repris, et quelques autres ont reçu des indemnités de licenciement plus élevées, mais beaucoup de travailleurs combatifs sont restés sur le carreau du fait du rôle de la bureaucratie syndicale. La grève de Heathrow, tout comme la grève d’Air France de 1993, montre que pour vaincre les attaques des capitalistes, il faut aussi une bataille contre la politique procapitaliste de la bureaucratie syndicale. Ces dirigeants traîtres cherchent en permanence à enrayer les luttes ouvrières et cherchent des « accords de partenariat », parce qu’au fond ils partagent les mêmes intérêts et les mêmes préoccupations que leur propre bourgeoisie : ils veulent que leurs « propres » capitalistes soient plus « compétitifs » que leurs rivaux étrangers.

De même que nous nous opposons à la collaboration de classes au gouvernement, nous luttons aussi contre les plans de « partenariat social » et de « dialogue social » prônés par les bureaucrates syndicaux, qui répandent le mensonge que les travailleurs et les capitalistes ont des intérêts en commun et qu’ils doivent essayer ensemble de relever les profits des patrons. Nous sommes pour une direction révolutionnaire des syndicats qui n’accepte pas les règles du jeu des patrons, ni n’avale leur hystérie raciste « antiterroriste », une direction se battant pour syndiquer les non-syndiqués, pour l’embauche en CDI de tous les précaires et pour le partage du travail entre toutes les mains sans perte de salaire. Une direction qui défende les travailleurs à la peau foncée contre la discrimination et qui exige les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés, y compris en luttant contre les déportations de sans-papiers qui se chiffrent à 26 000 cette année, notamment via l’aéroport de Roissy. Dans le cadre de cette lutte nous disons : une industrie, un syndicat. La division des syndicats selon l’affiliation politique ou suivant la profession est un cadeau aux patrons qui affaiblit la force de la classe ouvrière.

A Roissy, les bureaucrates utilisent le fait qu’il y a des syndicats séparés comme couverture pour le fait qu’ils n’ont pas appelé à la grève en défense des 72 de Roissy. Ils se rejettent mutuellement la faute pour l’absence de toute décision d’action lutte de classe. Il y a eu en fait une grève le 23 octobre, appelée par la CFTC, sur la question de l’intimidation et des retraits abusifs de badges (bien que les dirigeants chauvins de la CFTC aient refusé de protester directement contre la persécution raciste des bagagistes musulmans sanctionnés). Une centaine de travailleurs d’Air France ont fait grève ce jour-là, et beaucoup ont essayé de manifester sur le tarmac, dont ils ont été refoulés par les CRS, sous la menace de se faire retirer leur propre badge s’ils essayaient de bloquer le trafic. Leur protestation aurait pu être le point de départ pour la mobilisation si nécessaire en défense de tous les travailleurs de l’aéroport persécutés, mais elle est restée isolée par les autres syndicats, notamment la CGT.

En fait cela a pris trois mois, après l’envoi des premières notifications aux bagagistes annonçant le retrait imminent de leur badge, pour que la première réunion intersyndicale se tienne sur l’aéroport le 7 novembre. Cette réunion a rassemblé les six principaux syndicats opérant à Roissy (CFDT, CFTC, CGT, FO, SUD et UNSA), et elle a décidé d’avoir une autre réunion et de produire un tract, et d’envoyer une délégation syndicale rendre visite au ministre bourgeois Azouz Begag et au préfet de Seine-Saint-Denis. Après la réunion, Sylvain Chazal, dirigeant de l’UNSA, a déclaré : « L’idée n’est pas de lancer une grève qui ne sera pas suivie. Le sujet est très délicat et nous savons qu’il y a à Roissy des vrais problèmes de sécurité. » Et la CGT a couvert son propre refus d’appeler à l’action promise, en se plaignant : « Si la CGT, plus gros syndicat de la plate-forme, est partante “pour une puissante journée d’action”, la CFDT prône “des formes d’actions différentes” » (déclaration de l’union locale CGT de Roissy-Charles-de-Gaulle, 8 novembre). Certains bureaucrates ont même argumenté à la réunion qu’il serait discriminatoire de protester contre l’injustice faite aux 72 de Roissy étant donné que chaque année des centaines de travailleurs se voient retirer leur badge ! La déclaration syndicale commune du 27 novembre, intitulée « Nous sommes tous concernés », capitule face à ce chauvinisme en ne mentionnant jamais le cas des bagagistes. Bien sûr, tous les travailleurs de Roissy sont visés dans cette affaire, mais de faire disparaître cette offensive particulière, avec son caractère raciste patent, ne peut en réalité servir qu’à diviser davantage les travailleurs.

Finalement les syndicats ont appelé à une manifestation le 14 décembre à la station RER de Roissy 1 contre la discrimination et les abus sécuritaires. Mais aucun appel à la grève ne couvrait les travailleurs qui voulaient prendre part à l’action, et seulement 250 personnes y ont pris part. Pourtant, les travailleurs peuvent être mobilisés contre la discrimination raciste : il y a eu cet automne une grève combative dans la blanchisserie industrielle Modeluxe en région parisienne, pour obtenir la régularisation des collègues sans-papiers.

L’obstacle n’est pas le manque de combativité : c’est une question politique, à laquelle les bureaucrates syndicaux ne peuvent pas toucher sérieusement. La lutte pour les sans-papiers est acceptable pour les républicains bourgeois « de gauche » que courtisent les réformistes, car elle est compatible avec les déclarations sur la France « pays des droits de l’homme » et « terre d’asile ». Mais lutter contre l’oppression des travailleurs et des jeunes de banlieue, dont la plupart ont des papiers français, exige de confronter l’oppression raciale, enracinée dans le capitalisme français, contre toute une couche du prolétariat dont les parents ou les grands-parents sont venus du Maghreb et d’Afrique noire.

Les jeunes des banlieues croient à juste titre qu’ils doivent avoir les mêmes droits que les autres Français, et ils résistent aux tentatives de les faire travailler pour les salaires et conditions de travail qui sont le lot des travailleurs sans-papiers. Ces jeunes subissent de façon disproportionnée le chômage, la précarité et la discrimination à tous les niveaux. En d’autres termes, ce n’est pas seulement une question de droits démocratiques. Cela pose la nécessité d’un programme de transition : syndiquer les non-syndiqués, lutter pour des emplois décents pour tous en répartissant les emplois entre toutes les mains sans perte de salaire. Cela pose la nécessité de lutter pour renverser par la révolution socialiste le système capitaliste pourrissant. Les travailleurs ont besoin pour cela d’un parti ouvrier multiethnique d’avant-garde, un parti comme le parti bolchévique de Lénine. C’est pour cela que nous luttons.