Le Bolchévik nº 178

Décembre 2006

 

Paris et Saint-Denis poursuivis en justice pour avoir déclaré Mumia citoyen d’honneur

Mumia Abu-Jamal est innocent – Libérez-le !

Républicains, Démocrates et flics américains se saisissent de la chasse aux sorcières raciste en France contre les jeunes des banlieues pour menacer ceux qui luttent pour Mumia

Les 29 novembre et 9 décembre derniers avaient lieu à Paris un rassemblement et une manifestation pour défendre Mumia Abu-Jamal. Le Comité de défense sociale (CDDS) y a participé avec une banderole et un cortège appelant à la « Libération immédiate de Mumia Abu-Jamal » et déclarant qu’« Il n’y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes ». Ces deux événements étaient la réponse à la plainte déposée contre les villes de Paris et de Saint-Denis pour avoir honoré Mumia, la première en déclarant Mumia citoyen d’honneur de la ville, la seconde pour avoir de plus renommé une rue Mumia Abu-Jamal. Ils représentaient aussi une protestation contre l’envoi en France d’une délégation de la mairie de Philadelphie pour soutenir cette plainte. Face à cette attaque, la mairie PCF de Saint-Denis, qui était donc visée, a néanmoins essayé de minimiser la menace et de faire croire que celle-ci s’évanouissait d’elle-même. Dans un communiqué du 30 novembre elle expliquait que « le maire de Philadelphie ainsi que la présidente de l’assemblée communale de cette ville ont fait savoir à la ville de Saint-Denis qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de déposer une telle plainte et sont totalement étrangers à cette campagne » (l’Humanité, 5 décembre).

En réalité Peter J. Wirs, président du comité républicain de la 59e circonscription, a admis, d’après le Philadelphia Tribune (17 novembre) : « J’ai communiqué de manière confidentielle à mon avocat que si et quand on organisait une délégation, voici quels en seraient les membres. » De plus, il s’avère que rien moins que la Chambre des représentants (l’équivalent de l’Assemblée nationale ici) vient d’adopter une motion – encore une fois, Républicains et Démocrates unis – à l’adresse du gouvernement français pour qu’il use de tous ses pouvoirs à l’encontre de la ville de Saint-Denis. Et à notre connaissance les plaintes déposées contre les mairies de Paris et Saint-Denis ont davantage de réalité que les explications lénifiantes du PCF.

En conséquence de cette démobilisation, le PCF n’avait aucune présence organisée à la manifestation du 9 décembre, qui marquait le 25e anniversaire de l’incarcération de Mumia. Le PC était trop occupé ce jour-là aux assises nationales à Saint-Ouen, près de Saint-Denis, des « collectifs anti-libéraux », forums de discussion avec des bourgeois « de gauche » pour mettre sur pied une candidature commune pour les présidentielles de 2007, en tant que force d’appoint au front populaire de Royal-Chevènement.

Chercher à masquer le fait que les Démocrates veulent autant que les Républicains la peau de Mumia ; chercher à minimiser la haine que la bourgeoisie américaine, Républicains comme Démocrates, nourrit à l’égard de Mumia ; faire croire qu’il y a une justice dans les tribunaux capitalistes ; tout cela, c’est faire disparaître la menace mortelle qui plus que jamais plane sur Mumia, c’est démobiliser la classe ouvrière et tous ceux qui veulent lutter pour la libération de Mumia. Malheureusement, il n’y avait que 300 personnes au rassemblement, et 150 à la manifestation.

Face à la détermination des responsables de la ville de Philadelphie et de la bourgeoisie américaine à exécuter Mumia, il est vital de développer la mobilisation pour sa libération. Le seul contrepoids à leur haine, c’est de remobiliser le mouvement ouvrier international pour qu’il mette tout son poids dans la balance. C’est ce que la représentante du CDDS a rappelé dans ces manifestations : « Ceux qui appellent à un nouveau procès, un procès équitable ou qui signent ce genre d’appels, placent leur confiance dans ce système bourgeois d’injustice. Les tribunaux ne libèreront pas Mumia sans une mobilisation de masse internationale. »

Nous reproduisons ci-dessous le tract du CDDS du 20 novembre 2006, appelant au rassemblement du 29 à Paris. Ce tract est une version corrigée d’un tract du 16 novembre.

* * *

20 novembre – La municipalité de Philadelphie a entamé des poursuites judiciaires contre Paris et Saint-Denis pour « apologie de crime ». L’« apologie de crime » est un concept qui a été introduit dans le droit français avec les infâmes « lois scélérates » de 1893-1894 pour persécuter les anarchistes. L’« apologie de crime » en question ici, aux yeux des conseillers municipaux Démocrates et Républicains de Philadelphie qui ont lancé cette action, c’est que Mumia Abu-Jamal, ce courageux prisonnier politique dans le couloir de la mort aux Etats-Unis, a été nommé citoyen d’honneur de Paris et Saint-Denis, et qu’en avril dernier la première rue Mumia Abu-Jamal a été inaugurée à Saint-Denis.

Mumia Abu-Jamal est un homme innocent. Mumia, ancien porte-parole des Black Panthers, partisan de l’organisation MOVE et journaliste primé, connu comme « la voix des sans-voix », a été victime d’une machination en 1982, basée sur de fausses accusations qu’il aurait tué Daniel Faulkner, un agent de police de Philadelphie. Mumia a été condamné à mort sur la base de son activité politique et de ses convictions, et il a passé 24 ans dans le couloir de la mort pour un crime qu’il n’a pas commis. Liberté immédiate pour Mumia !

La ville de Philadelphie va envoyer à la fin de ce mois une délégation bipartite incluant aussi le responsable de la police de la ville, pour protester contre ce soutien à Mumia. Cela souligne à quel point la bourgeoisie américaine est toujours mobilisée pour le faire exécuter. Cette attaque survient à un moment où la campagne internationale pour la défense de Mumia commence à prendre de l’ampleur à nouveau, et Philadelphie et sa police cherchent à la tuer dans l’œuf. Elle survient aussi à un moment crucial de la procédure judiciaire, Mumia ayant déposé le mois dernier les derniers documents de sa procédure d’appel contre la décision d’un tribunal fédéral qui avait maintenu sa condamnation truquée. Le tribunal pourrait décider dans les mois qui viennent s’il va réinstaurer la peine de mort, condamner Mumia pour le restant de ses jours à la prison, ou lui donner un nouveau procès. Depuis des années tous les tribunaux refusent de prendre en compte la montagne de preuves que Mumia est innocent, y compris les aveux cruciaux d’Arnold Beverly que c’était lui qui avait tiré sur Faulkner, pas Mumia. Les aveux de Beverly corroborent toute une série d’autres preuves, et expliquent que Faulkner avait été tué par des tueurs à gages payés par la pègre parce qu’il gênait les versements de pots-de-vin à la notoirement corrompue police de Philadelphie. Ces aveux montrent surtout la collusion des flics, de l’accusation et des tribunaux dans la machination contre Mumia. C’est une leçon de choses sur la nature de classe de l’Etat capitaliste, un instrument de violence organisée de la classe capitaliste pour défendre son système de profit contre les travailleurs et les minorités.

Cette dernière offensive de la municipalité de Philadelphie contre Mumia souligne que c’est une illusion suicidaire de croire que Mumia peut obtenir un nouveau procès équitable dans ces mêmes tribunaux qui bafouent ses droits depuis 25 ans. Mais c’est la ligne de la dirigeante du PCF Marie-George Buffet, ainsi que d’Olivier Besancenot de la LCR et Arlette Laguiller de LO qui ont signé un appel pour « un nouveau procès équitable » (l’Humanité, 4 février), et qui placent ainsi leur confiance dans ce système bourgeois d’injustice. Les tribunaux ne libèreront pas Mumia sans que fasse sentir son poids une mobilisation de masse internationale, basée centralement sur le mouvement ouvrier. C’était la puissance d’une mobilisation internationale basée sur la centralité de la classe ouvrière, de l’Afrique du Sud à l’Europe et aux USA, qui a aidé à stopper la main du bourreau en 1995, quelques jours à peine avant la date d’exécution prévue. De prêcher la confiance dans les tribunaux capitalistes a déjà démobilisé les travailleurs et les opprimés en les détournant de la nécessité de lutter maintenant pour la libération de Mumia.

La municipalité de Philadelphie est représentée à Paris par un certain avocat Gilbert Collard, qui s’est livré à une comparaison grotesque de Mumia avec le criminel nazi Klaus Barbie ! En matière d’« apologie de crime », Collard s’y connaît. Il a assuré la défense du général Aussaresses en 2001, quand celui-ci a été poursuivi pour « apologie de crime de guerre » pour s’être vanté de son rôle comme chef tortionnaire pendant la guerre d’Algérie ! Lors de ce procès Collard a essayé de discréditer Henri Alleg, un dirigeant communiste qui donnait des preuves qu’il s’était lui-même fait torturer par les paras français pendant cette guerre.

Henri Alleg a signé la déclaration du Comité de défense sociale (CDDS) et du Partisan Defense Committee (PDC) exigeant la libération de Mumia, de même que Gilles Perrault, auteur du Pull-over rouge sur l’affaire Ranucci. Ranucci était l’un des derniers hommes guillotinés en France, en 1976, pour un crime qu’il a toujours juré qu’il n’avait pas commis. Collard était déjà à l’époque avocat… de la partie civile contre Ranucci. L’appel du PDC pour la libération de Mumia a déjà été signé par des centaines de militants syndicaux, d’associations et de personnalités à travers le monde, y compris la poétesse Sonia Sanchez, les lauréats du prix Nobel Dario Fo et Nadine Gordimer, Antonio Negri, le dirigeant zapatiste sous-commandant Marcos, feu Markus Wolf, le dirigeant du syndicat britannique Rail, Maritime and Transport Union Bob Crow, ainsi que de nombreuses sections syndicales comme le Cobas PT CUB (syndicat de postiers) à Milan, le SNTE-CNTE Sección 10 (syndicat d’enseignants) à Mexico, l’International Longshoremen’s Association Local 1422-A (syndicat de dockers) à Charleston aux USA, etc.

Autant pour les déclarations de la municipalité de Philadelphie et de Collard qu’ils ne seraient pas pour la peine de mort et qu’ils veulent « juste » garder Mumia en prison pour le restant de ses jours. La Pennsylvanie est un Etat où la peine de mort est en vigueur, le quatrième Etat des Etats-Unis pour le nombre de prisonniers dans le couloir de la mort, et la délégation de Philadelphie à Paris survient dans le contexte des efforts de l’accusation pour rétablir la condamnation à mort de Mumia. Mumia est un homme innocent ; il n’aurait pas dû passer un seul jour en prison !

Pourquoi la municipalité de Philadelphie s’en est-elle prise à Paris et Saint-Denis, alors que Venise et une vingtaine d’autres villes dans le monde ont également fait de Mumia leur citoyen d’honneur ? C’est qu’elle a vu l’occasion de profiter de la campagne raciste en cours ici contre les jeunes des banlieues de la part des partis de gauche et de droite, dans le cadre de la campagne électorale pour les présidentielles. Pour marquer le premier anniversaire de la révolte des banlieues l’année dernière suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, tués alors qu’ils essayaient d’échapper à une rafle policière, le gouvernement s’est lancé dans une offensive majeure pour présenter la police et non pas les jeunes des banlieues comme les vraies victimes. Le quotidien du PCF, l’Humanité, a ainsi consacré une page entière à « Des policiers piégés dans une cité d’Épinay-sur-Seine », et dix jours plus tard ils avaient un autre article intitulé « Les policiers dans un cercle infernal », et mettant en avant leur ligne pour revenir à la police de proximité de Jospin-Buffet.

Tout ceci, ainsi que le fait que le PS et le PC avaient tous deux appelé à restaurer l’ordre républicain en pleine révolte des jeunes il y a un an, a servi à enhardir tous ceux qui sont pour la terreur raciste et qui veulent voir Mumia mort. Effectivement la lettre envoyée par la municipalité de Philadelphie déclare que la décision d’honorer Mumia est dérangeante « à l’heure où des policiers français eux-mêmes sont quotidiennement exposés à un nombre croissant d’agressions et d’actes de violence urbains » (il est ironique que cette lettre ait été envoyée le 17 octobre, qui marquait le 45e anniversaire de l’assassinat par les flics parisiens de deux cents Algériens). Et, le 22 octobre, le « syndicat » de police d’extrême droite Action police faisait une déclaration pour demander à Sarkozy d’accroître la répression contre les jeunes en s’attaquant

« aux vraies causes de ces actes : l’islamisme radicale [sic], le chômage et l’apologie du meurtre de flics qui est faite par quelques élus comme c’est le cas au travers d’une sorte de "canonisation" de M. Mumia Abu-Jamal qui a assassiné un policier à Philadelphie dans la nuit du 09 décembre 1981. »

Ce même « syndicat », conseillé par nul autre que Gilbert Collard, a entrepris une action en justice contre la libération de 70 jeunes raflés par les flics le 27 octobre en Seine-et-Marne. Les flics ne sont pas des travailleurs, mais les chiens de garde du système capitaliste raciste. Flics, matons, vigiles, hors des syndicats !

Les flics, encouragés par la campagne contre les jeunes de banlieue, intensifient leurs protestations et se mobilisent pour s’octroyer une liberté encore plus grande pour terroriser qui bon leur semble. On ne peut pas aujourd’hui lutter sérieusement pour Mumia si on ne défend pas les jeunes des banlieues contre la terreur policière et si on ne se bat pas pour leurs droits contre le système capitaliste qui n’a rien d’autre à leur offrir que le chômage, la discrimination raciste et la prison. Sarkozy menace maintenant de la cour d’assises quiconque s’oppose « en bande organisée » aux forces de l’ordre capitaliste. Une telle disposition menace directement toute la classe ouvrière : tout piquet de grève, toute manifestation syndicale attaqués par la police pourraient conduire à ce genre d’inculpation. Pendant ce temps sur l’aéroport de Roissy la chasse aux sorcières raciste pour retirer leur badge, et par là leur emploi, à des dizaines de travailleurs et de syndicalistes, vise en premier lieu les milliers de jeunes de banlieue parisienne qui y travaillent, mais plus généralement elle vise là-bas l’ensemble de la classe ouvrière intégrée ethniquement, dont les patrons savent très bien qu’elle a une énorme puissance sociale quand elle défend ses droits en faisant grève. A bas Vigipirate ! La classe ouvrière a un intérêt vital à se mobiliser pour la libération de Mumia et en défense des jeunes des banlieues. Et la sinistre campagne actuelle de Collard, de Philadelphie et d’Action police montre à quel point les deux questions sont liées. Le CDDS continue d’exiger l’amnistie pour tous les jeunes emprisonnés et inculpés suite à la révolte des banlieues de l’année dernière et à la mobilisation contre le CPE. Le racisme est inhérent au capitalisme. Pour l’éradiquer une bonne fois pour toutes il faudra renverser tout ce système par une révolution ouvrière.

De même qu’il faut mettre en échec la campagne raciste et pro-flics contre les jeunes des banlieues, il faut mettre en échec la campagne de la mairie de Philadelphie contre Mumia. Une mobilisation victorieuse pour Mumia doit ouvrir une brèche dans le consensus raciste contre les jeunes issus de l’immigration maghrébine et africaine. Nous appelons les travailleurs et les opprimés à se mobiliser en masse pour protester contre la délégation de Philadelphie. Rejoignez le cortège du Comité de défense sociale au rassemblement du 29 novembre appelé par le Collectif national unitaire de soutien à Mumia Abu-Jamal devant l’Hôtel de ville de Paris. Il n’y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes – Libération immédiate de Mumia Abu-Jamal ! Abolition de la peine de mort raciste ! Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues !