Le Bolchévik nº 176

Juin 2006

 

Inauguration d’une rue Mumia Abu-Jamal à Saint-Denis

Il faut construire la campagne pour la libération de Mumia !

Le 29 avril la municipalité de Saint-Denis, en banlieue parisienne, a baptisé une rue en l’honneur de Mumia Abu-Jamal, prisonnier de la guerre de classe aux USA. Environ 150 personnes ont assisté à la cérémonie d’inauguration qui se tenait à proximité du stade Nelson Mandela. Comme le remarquait Didier Paillard, le maire PCF de la ville, Mumia est devenu « un symbole de la lutte pour la justice ». Patrick Braouezec, député PCF et président de l’agglomération de communes dont fait partie Saint-Denis, a déclaré : « On a souhaité, sur Saint-Denis, trouver un élément qui permettrait de saluer le combat qu’a mené Mumia dans sa prison, non pas simplement pour lui mais pour tous ceux qui sont aujourd’hui dans les couloirs de la mort, et qui ont donc été condamnés à la peine de mort. »

La lutte pour la libération de Mumia, le prisonnier le plus connu de la guerre de classe aux USA, est arrivée à un stade critique. Son cas fait maintenant l’objet d’une « procédure accélérée » par la Cour d’appel fédérale (troisième circuit) et, dans les mois qui viennent, pourraient être prises des décisions mettant sa vie en jeu. Mumia Abu-Jamal a été victime d’une machination policière qui l’a envoyé dans le couloir de la mort. Il était faussement accusé d’avoir tué Daniel Faulkner, un agent de police de Philadelphie, en 1981. Les tribunaux ont, l’un après l’autre, mis en lambeaux leur propre jurisprudence, entérinant le fait que les droits de Mumia ont été totalement piétinés lors d’un simulacre de procès en 1982. Les tribunaux ont écarté la preuve de l’innocence de Mumia, y compris les aveux sous serment d’Arnold Beverly où celui-ci disait que c’était lui, pas Mumia, qui avait tiré sur Faulkner et l’avait tué. En fait, dans la série d’audiences en cours, Mumia a été empêché de présenter les preuves qu’il n’avait rien à voir avec le meurtre de Faulkner. Le dossier d’introduction de Mumia, qui doit être rendu le 13 juillet, a été limité par les tribunaux à trois questions : la sélection du jury sur une base raciste par le procureur qui a éliminé les Noirs lors du procès de Mumia en 1982 ; la plaidoirie finale préjudiciable du procureur, où il a déclaré que le jury devait condamner Mumia parce qu’il obtiendrait « appel après appel » ; et les audiences grossièrement tendancieuses postérieures à la condamnation, devant le juge Albert Sabo, le roi de la peine de mort, qui avait présidé le procès initial.

Mumia a donné une interview à l’Humanité (25 avril), où il a déclaré à propos des audiences en cours : « J’ai très peu d’espoir en une décision favorable de la cour fédérale qui a accepté de prendre en compte trois points des requêtes déposées en appel par mes avocats. » Comme le soulignait Wolkenstein dans son discours : « Nous devons placer toute notre confiance dans la puissance des masses. C’est cette puissance, basée sur le pouvoir de la classe ouvrière de stopper le fonctionnement de ce système, qui peut libérer Mumia, maintenant. Les tribunaux ne rendront justice à Mumia que s’ils sont confrontés à la détermination de cette puissance. »

Rachel Wolkenstein, avocate du Partisan Defense Committee et anciennement membre de l’équipe d’avocats de Mumia, avait été invitée à s’adresser au rassemblement de Saint-Denis afin de parler des aveux de Beverly, et d’autres preuves qui documentent l’innocence de Mumia (voir plus bas).

Parmi les autres personnes qui intervenaient à la cérémonie de Saint-Denis se trouvaient Robert Bryan, l’avocat de Mumia ; Pam Africa et Ramona Africa de l’International Concerned Family and Friends of Mumia Abu-Jamal (ICFFMAJ) ; Julia Wright, la fille de l’écrivain Richard Wright et coordinatrice en France du Comité de soutien international à Mumia Abu-Jamal et aux prisonniers politiques (COSIMAPP), et Leslie Jones de Youth for Mumia et du ICCFMAJ. Il y avait aussi nos camarades de la Ligue trotskyste de France, section de la Ligue communiste internationale, qui depuis des années joue un rôle pour présenter le cas de Mumia à des forces plus grandes en France. Mumia a envoyé un message de remerciement et de solidarité au rassemblement.

Ramona Africa, qui a passé sept ans en prison pour le « crime » d’être la seule adulte ayant survécu au bombardement par le gouvernement de l’organisation MOVE à Philadelphie en 1985, a parlé avec éloquence de la vendetta du gouvernement contre MOVE et Mumia : « Le gouvernement a assassiné ma famille, mais personne n’est allé en prison pour cela à part moi. Personne n’est dans le couloir de la mort pour avoir brûlé vifs des bébés. Mais ils veulent vous convaincre que Mumia est un meurtrier et qu’il faut l’exécuter. Mumia est innocent. »

Il est crucial d’élargir la bataille pour Mumia internationalement. Une semaine avant la cérémonie de Saint-Denis, une délégation française constituée de militants du PCF et de la CGT a participé à une réunion à Philadelphie en défense de Mumia. Au début de l’année le Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal, regroupant le PCF, la CGT et d’autres organisations du mouvement ouvrier, des organisations antiracistes et de gauche, a lancé une souscription de 100 000 euros pour la défense de Mumia. Et à Mexico le Premier Mai un camarade de la section mexicaine de la LCI, le Grupo Espartaquista de México, a pris la parole devant un rassemblement de 15 000 personnes soutenu par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) ; il a appelé les travailleurs et les jeunes Mexicains à se joindre à la campagne pour Mumia.

La clé de la liberté de Mumia se trouve dans la puissance sociale du mouvement ouvrier. Dans sa présentation Wolkenstein a fait allusion au fait que la France a été secouée au printemps par deux mois de protestations massives, mobilisant les étudiants et les travailleurs, et des grèves contre le contrat première embauche détesté. Ce mouvement a contraint le gouvernement à reculer. C’est une puissance sociale de ce genre qu’il faut mobiliser pour la cause de Mumia ! Libération immédiate de Mumia ! Abolition de la peine de mort raciste !

Nous reproduisons ci-après le discours de Rachel Wolkenstein lors de la cérémonie d’inauguration de la rue Mumia Abu-Jamal.

* * *

Un grand merci à Julia Wright pour m’avoir invitée à parler ici pour exposer la vérité sur la situation légale de Mumia et parler des dangers qui menacent Mumia.

Mon travail dans la lutte pour la libération de Mumia n’a pas commencé quand j’ai rejoint son équipe d’avocats, mais des années auparavant, en 1987, dans le cadre de la lutte du Partisan Defense Committee pour la libération des prisonniers de la guerre de classe, y compris les Neuf de MOVE et Ramona Africa. Notre travail se base sur les principes de la défense non sectaire et lutte de classe, en accord avec les conceptions politiques de la Spartacist League, section américaine de la Ligue communiste internationale. Il y a tout juste une semaine j’ai rendu visite à Mumia dans sa prison de Pennsylvanie et il m’a demandé de parler de son cas quand je viendrais ici.

J’ai fait partie de l’équipe d’avocats de Mumia de 1995 à juin 1999. J’ai été emprisonnée par le juge Sabo, le roi de la peine de mort, pour avoir mis en cause la peine de mort raciste dans son tribunal. J’étais responsable des investigations pour le compte de la défense de Mumia, et j’ai obtenu l’aveu d’Arnold Beverly que c’était lui, et non pas Mumia, qui avait tiré sur le policier Daniel Faulkner et l’avait tué le 9 décembre 1981. J’ai démissionné de l’équipe d’avocats, de même qu’un autre avocat du Partisan Defense Committee, quand l’avocat principal de Mumia, Leonard Weinglass, et son partenaire Dan Williams ont empêché Mumia de présenter les preuves de son innocence devant les tribunaux.

Dans l’introduction de son premier livre Mumia parle de moi comme « celle qui rappelle les choses », donc je suis là pour rappeler quelques éléments très importants. Mumia est en danger de mort. Il fait face à la vengeance de l’Etat capitaliste.

En décembre Stanley Tookie Williams a été lynché légalement – malgré des protestations internationales. Cela montrait la détermination du pouvoir américain raciste de renforcer la machine de mort et d’exécuter Mumia ! Les flics, l’accusation et le « système judiciaire » tout entier sont en collusion pour tuer cet homme. Son crime c’est qu’il critique de façon éloquente et efficace l’oppression raciste – c’est qu’il a été un membre des Black Panthers, et qu’il soutient l’organisation MOVE. Le gouvernement américain voit dans Mumia le spectre de la révolution noire. Cela veut dire que Mumia est un mort en sursis.

Le cas de Mumia se rapproche des dernières procédures légales. Nous ne pouvons pas nous laisser endormir par le fait que les tribunaux ont donné leur accord pour considérer des questions légales qui pourraient déboucher sur un nouveau procès ou de nouvelles procédures d’appel. Aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire et urgent qu’il y ait des mobilisations de masse basées sur la puissance du mouvement ouvrier. Le cri de ralliement pour un tel mouvement doit être la libération immédiate de Mumia, et que Mumia est un homme innocent, que le coup monté dont il a été victime était raciste et politique.

Le procureur vient de déposer des documents juridiques à la Cour d’appel fédérale. Les tribunaux ont empêché jusqu’à présent Mumia de présenter les preuves de son innocence. Mais l’accusation a commencé son document en faisant une déclaration venimeuse et mensongère pour dépeindre Mumia comme un tueur de flic avec préméditation qu’il faut exécuter.

Les documents légaux de l’accusation montrent encore une fois que le cas de Mumia est un cas d’école de coup monté par la police. C’est une leçon sur la nature de classe de l’Etat capitaliste, qui n’est pas neutre. L’Etat (les flics, les tribunaux et l’armée) est un instrument pour la violence organisée de la classe capitaliste. Il défend le système de profit contre ceux qui créent les richesses, c’est-à-dire les travailleurs, et leurs alliés, les minorités, les immigrés, et les opposants politiques. Le summum de la terreur étatique, c’est la peine de mort. Nous devons lutter pour abolir la peine de mort, pas juste pour Mumia mais en principe.

En France ce sont les enfants et les petits-enfants des immigrés d’Afrique noire et du Maghreb – c’est l’oppression post-coloniale des immigrés – qui sont victimes d’une terreur raciste similaire ici, avec le harcèlement incessant de la police et Vigipirate. Ils se trouvent stigmatisés comme potentiellement des terroristes islamistes, des casseurs, et des antisémites. Quand les jeunes se sont révoltés dans les banlieues à l’automne dernier, le mouvement ouvrier aurait dû prendre en main leur cause. Il faut les libérer, il faut lever toutes les inculpations contre eux et les amnistier !

La classe capitaliste est déterminée à faire exécuter Mumia, et elle l’a montré depuis 20 ans dans tous les appels interjetés dans les tribunaux. Le cas de Mumia est passé trois fois par les tribunaux de Pennsylvanie et jusqu’à la Cour suprême, y compris avec trois audiences postérieures à la condamnation, portant sur les preuves. Moi-même j’ai été témoin que les tribunaux ont violé leurs propres précédents, qu’ils ont essayé d’intimider des témoins de la défense et de faire disparaître des preuves d’innocence.

Cela fait cinq ans que tous les tribunaux fédéraux, comme celui de Pennsylvanie, refusent de prendre en compte les aveux d’Arnold Beverly. Le témoignage de Beverly, c’est toute la preuve de l’innocence de Mumia et du coup monté de l’Etat. C’est davantage que la confession de Beverly ou que le test au détecteur de mensonge qu’il a passé avec succès. Beverly déclare que lui et un autre homme ont été embauchés par la police, en coopération avec la pègre, pour tuer l’agent de police Faulkner.

Il y a d’autres preuves des aveux de Beverly, qui sont corroborés par le reste des preuves, et c’est dans ma déposition et dans d’autres documents qui sont publiés ici. Le cas de Mumia expose la vérité élémentaire qu’il n’y a pas de justice dans les tribunaux capitalistes pour les Noirs, les minorités, et ceux qui sont vus comme des opposants politiques de la domination capitaliste raciste. Les tribunaux ne libèreront pas Mumia, que ce soit sur la base d’une sélection du jury biaisée sur une base raciale, ou sur la base que Mumia n’a pas pu se défendre lui-même, ou que l’accusation ait fait des fautes, sans qu’il y ait le poids d’une mobilisation internationale des masses, essentiellement du mouvement ouvrier.

C’est la puissance de la classe ouvrière qui peut arrêter la production, les transports et les communications. La grève des transports de New York a paralysé pendant trois jours la capitale financière de l’Amérique. Deux mois de protestations massives et de grèves en France ont contraint le gouvernement à abandonner le contrat première embauche détesté.

Pour finir je veux argumenter qu’il faut construire une campagne centrée sur le mouvement ouvrier pour Mumia en se basant sur le principe de l’indépendance politique de la classe ouvrière face à l’ennemi de classe capitaliste et son Etat. Aux Etats-Unis la soi-disant guerre contre le terrorisme est soutenue par les deux partis capitalistes principaux, les Démocrates et les Républicains. Ils ont Mumia dans le collimateur. En France cela veut dire n’avoir aucune illusion dans un nouveau front populaire incluant les chevènementistes, comme la « gauche plurielle » de Jospin et Buffet.

Nous devons placer toute notre confiance dans la puissance des masses. C’est cette puissance, centrée sur la capacité de la classe ouvrière à stopper le fonctionnement de ce système qui peut libérer Mumia, maintenant. Les tribunaux ne rendront justice à Mumia que s’ils sont confrontés à une telle détermination.

Le fait que Mumia est innocent est la vérité. Le fait que l’Etat capitaliste a passé des dizaines d’années à mettre toutes ses forces mensongères et corrompues, ayant un parti pris de classe et de race, pour voir Mumia mort, c’est aussi la vérité. Mais nous devons utiliser cette vérité pour mobiliser davantage de puissance, de puissance sociale, pour lutter pour la libération de Mumia. Libération immédiate de Mumia !