Le Bolchévik nº 174

Décembre 2005

 

PCF : grands discours « antiracistes », avances au PS pro-répression

Le mouvement ouvrier doit défendre les jeunes des banlieues

Non à un nouveau « front populaire » de collaboration de classes maintenant l’ordre capitaliste !

La plus importante révolte de jeunes à ce jour dans les quartiers ouvriers et immigrés de ce pays s’est finalement épuisée mi-novembre. Les flics ont arrêté des milliers de personnes, et les tribunaux fonctionnaient nuit et jour, condamnant jusqu’à présent environ 700 jeunes à des peines de prison ferme. Libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés ! A bas l’état d’urgence raciste ! En plus de l’état d’urgence, le gouvernement capitaliste a annoncé qu’il va mettre en œuvre une série d’autres mesures qui existent déjà dans la loi « ordinaire », comme la destitution de la nationalité française de citoyens binationaux ; cela vise notamment les Algériens et cela peut paver la voie à des déportations en masse. A bas les déportations ! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici !

La crise éclaire d’une lumière crue l’oppression et la discrimination racistes visant les jeunes des banlieues qui sont pour la plupart les enfants et les petits-enfants d’immigrants qui sont venus dans ce pays dans les années 1960 et 1970 en provenance de l’ancien empire colonial de la France, surtout d’Afrique du Nord et plus tard d’Afrique de l’Ouest. Et depuis cette époque les gouvernements qui se succèdent, de droite comme de gauche, ont ancré la ségrégation raciste dans la société, condamnant cette population dans son ensemble à des ghettos pourris à la lisière des villes manquant de toutes les prestations élémentaires – une éducation, des services de santé, des transports et des logements décents.

Toutes les statistiques officielles montrent une différence qualitative entre les conditions sociales des immigrants venant de l’Union européenne (UE), dont le taux de chômage est même plus faible que celui des jeunes Français blancs, et celles des jeunes nés citoyens d’un pays hors de l’UE. Pour ces derniers jeunes qui vivent dans les ghettos (les « zones urbaines sensibles »), le taux de chômage était de 48,4 % à l’époque du dernier recensement en 1999 (c’est-à-dire pratiquement au point haut de la dernière reprise économique). Le dernier « plan » du gouvernement contre le chômage consiste centralement avec le « contrat nouvelle embauche » à rendre ces travailleurs encore plus vulnérables aux licenciements ainsi qu’à couper les allocations de chômage à ceux qui refusent un travail à des heures de distance du logement.

Un jeune Français sur neuf termine l’école sans aucune qualification ni aucun diplôme, mais cette proportion se monte à un sur six pour ceux nés de parents maghrébins, et 28,3 % pour les jeunes immigrants de première génération venant du Maghreb. Et là la réponse du gouvernement est de carrément jeter ces jeunes hors de l’école, ce qui fait de la France le seul pays en Europe, avec la Serbie, où l’école ne sera plus obligatoire jusqu’à au moins 15 ans. La bourgeoisie ne souhaite pas payer pour leur éducation ; ils ont déjà établi que si ces jeunes s’en sortent, pour la majorité ils seront mis au rebut pour rejoindre les rangs de l’armée de réserve des chômeurs.

En termes de logement le gouvernement reconnaît une crise, citant un déficit officiel de 600 000 HLM. Et de plus en plus les personnes à la peau plus foncée se tournent vers le logement social parce que même quand ils peuvent se payer un loyer sur le marché libre, ils sont souvent rejetés par les propriétaires racistes (une chose qui se produit aussi avec les sociétés de logement social, dont les patrons politiques ne s’intéressent pas aux étrangers qui ne votent pas). A quoi la réponse du gouvernement est d’accélérer encore plus la destruction des logements sociaux et de faire au lieu de cela la promotion de l’accession à la propriété. Un tel projet continuera à renforcer la ségrégation raciale – c’est en général ceux dont la peau est assez blanche ou dont le nom est assez « français » qui obtiendront les prêts bancaires nécessaires.

Une mesure plus contradictoire que met en place le gouvernement en réponse à la révolte des jeunes est de réinstaurer une partie des subventions qu’ils avaient coupées pour le travail social dans les ghettos. Les gaullistes et les sociaux-démocrates ont jeté depuis des années quelques miettes aux associations et même aux imams, qui en échange sont censés repayer leur mécène en agissant comme « pompiers sociaux » – calmer les jeunes et les amener à protester, s’il le faut, de façon pacifique dans les urnes, ou prier pour le réconfort dans un autre monde au lieu de celui-ci. Certaines associations, comme Ni putes ni soumises, malgré leur nom, se plient à ce jeu – se drapant des couleurs tricolores, saluant les valeurs républicaines contre les femmes voilées et demandant plus d’intervention policière dans les ghettos.

Comme nous l’écrivions dans un article publié dans Spartacist (édition française n° 35, printemps 2003) :

« En fonction de ses besoins économiques, l’impérialisme importe dans le prolétariat, au plus bas de l’échelle, de nouvelles sources de main-d’œuvre bon marché, essentiellement des immigrés venant des régions du monde les plus pauvres et dont on considère qu’on peut plus facilement se débarrasser en période de récession économique. »

Et nous écrivions qu’aujourd’hui :

« Les enfants de ceux qui ont créé la richesse de la France dans l’après-guerre n’ont plus la possibilité de trouver des emplois comme leurs pères, qui étaient pourtant la main-d’œuvre la plus exploitée et la moins payée. Les usines où les pères immigrés travaillaient sont maintenant fermées ou licencient. Les jeunes issus de l’immigration sont traités comme une population superflue dont la bourgeoisie n’a plus besoin. La bourgeoisie n’a plus la possibilité de faire des gros profits avec l’exploitation économique de ces jeunes et n’est donc pas motivée pour investir de l’argent dans les écoles et dans les banlieues populaires. La seule “industrie” en expansion, c’est la police et les prisons. »

Pour des mobilisations ouvrières contre la terreur raciste !

Il est dans l’intérêt de tout le mouvement ouvrier de s’opposer de toutes ses forces à la discrimination et aux attaques contre les jeunes des ghettos, et de lutter pour la libération immédiate de ceux qui sont encore emprisonnés. Ces attaques visent directement toute une partie de la classe ouvrière, pour l’essentiel les travailleurs originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest et leurs enfants, qui malgré la désindustrialisation massive du pays sont toujours présents au cœur de l’industrie française, surtout dans des postes non qualifiés. L’oppression raciste et la stigmatisation des jeunes des banlieues par la bourgeoisie visent à diviser la classe ouvrière et à l’affaiblir dans son ensemble, à un moment où le gouvernement redouble les attaques et les mesures de répression contre le prolétariat en général. Une attaque contre un est une attaque contre tous !

En l’espace d’à peine un mois, entre fin septembre et début novembre, de Villepin a eu recours au GIGN contre les marins de la SNCM, au plan raciste « antiterroriste » de Vigipirate pour casser une grève de bagagistes à Roissy, à une injonction anti-grève du tribunal de Marseille contre la grève des traminots, et à l’état d’urgence. Le gouvernement a ensuite prolongé l’état d’urgence de trois mois même si la révolte des jeunes avait été brisée, en partie parce qu’il voulait disposer de l’éventail de mesures répressives le plus large possible à la veille d’une grève reconductible à la SNCF (finalement il a pu compter sur les bureaucrates de la CGT et de SUD pour désamorcer la grève eux-mêmes).

Alors que les cités étaient sous occupation policière et que des centaines de jeunes étaient jetés en prison, la bureaucratie syndicale de la CGT a à peine fait une déclaration pour la forme, laissant les jeunes isolés face à toute la violence de l’Etat capitaliste – ses flics, ses juges, etc. Mais la classe ouvrière peut être mobilisée en défense des jeunes soumis à la terreur raciste de l’Etat bourgeois. Le 9 novembre à Bobigny dans le 9-3 une manifestation ouvrière départementale multiethnique, qui avait été appelée des semaines auparavant par les syndicats sur des revendications économiques, s’est focalisée contre les mesures policières racistes, montrant que dans le prolétariat de ce pays il y a un sentiment pour lutter contre l’oppression raciste.

Mohamed El Ghali, délégué CGT de la société de transport DHL, a par exemple reçu de vifs applaudissements quand il a de façon répétée dénoncé le couvre-feu et son origine dans la guerre d’Algérie ; tout en condamnant les dégradations faites par les jeunes, il appelait à comprendre les raisons de leur colère (voir l’Humanité, 10 novembre). Des travailleurs de chez Citroën à Aulnay établissaient aussi le lien entre le licenciement fin octobre de plus de 500 intérimaires, et l’explosion de révolte dans les cités de cette ville. Un autre délégué venant de la plate-forme aéroportuaire de Roissy (où travaille un frère de Bouna Traoré, l’un des jeunes tués à Clichy) a dénoncé les mesures « antiterroristes », qui ont depuis les attentats criminels du World Trade Center permis aux flics de retirer leur badge à beaucoup de jeunes travailleurs, notamment d’origine maghrébine, qui ont ainsi perdu leur travail. A bas Vigipirate ! Il faut un parti ouvrier révolutionnaire, un vrai « tribun du peuple », c’est-à-dire se faisant le héraut de la lutte contre toutes les formes de l’oppression et cherchant à transformer ces luttes en une lutte générale derrière la classe ouvrière pour renverser le système capitaliste dans une révolution socialiste.

Le PS à la traîne de Sarkozy, le PC à la traîne du PS…

Les jeunes, qui n’ont pas de puissance sociale par eux-mêmes, n’ont vu d’autre manière d’exprimer leur colère qu’en brûlant (à part des commissariats) des voitures d’ouvriers, des écoles et des gymnases, faisant du tort essentiellement à eux-mêmes et à leurs familles. Au lieu d’être mobilisés derrière une perspective révolutionnaire, c’est-à-dire de lutter contre l’oppression raciste du capitalisme à travers la seule force qui puisse renverser celui-ci, la classe ouvrière, les jeunes aujourd’hui identifient en grande partie le mouvement ouvrier au chauvinisme français des bureaucrates syndicaux et des partis réformistes, et du coup ils s’en détournent. Le PS et le PCF ont en effet dans les premiers jours de la révolte soutenu le rétablissement de l’ordre, ce qui a encouragé le gouvernement capitaliste à décréter l’état d’urgence. Les dirigeants du PS ont alors proposé au gouvernement de Villepin-Sarkozy un « pacte de non-agression » en échange de leur soutien initial à l’état d’urgence (le Figaro, 9 novembre), un maire PS allant jusqu’à exiger l’intervention de l’armée dans les quartiers. Le chef du PS, François Hollande, soutenait l’état d’urgence, de même que Jospin et que le champion du « non de gauche » à la « Constitution européenne », Laurent Fabius, qui déclarait : « Je ne reprocherai jamais à tel ou tel gouvernement de faire preuve de fermeté » (le Monde, 10 novembre). Fabius sait de quoi il parle : il était Premier ministre quand, le 12 janvier 1985, l’état d’urgence a été décrété en Nouvelle-Calédonie contre les nationalistes kanaks qui luttaient pour leur indépendance ; le même jour Eloi Machoro, dirigeant kanak, était assassiné par le GIGN.

Dans la foulée le PS a déclaré fin novembre son soutien global à la nouvelle loi « antiterroriste » de Sarkozy qui renforce le flicage des cafés internet, la multiplication des caméras de surveillance et systématise la menace de déchéance de la nationalité française (finalement le PS s’est abstenu lors du vote). La plupart du temps les personnes sont condamnées pour terrorisme sur la simple présomption qu’elles auraient des relations plus ou moins vagues avec des personnes plus ou moins soupçonnées d’avoir de plus ou moins « mauvaises pensées ».

Quant au Parti communiste, il s’est opposé à l’état d’urgence. Il publie tous les jours des tirades contre Sarkozy dans l’Humanité, fait campagne contre les déportations, reprend la question du droit de vote pour les immigrés (qui avait été enterrée sous le gouvernement Jospin, dont faisait partie le PC). Mais là où on peut voir que la lutte contre le racisme n’est pas une vraie question pour eux, c’est que, malgré les récentes prises de position dans le style « Parti de l’ordre » du PS, le PC est à nouveau en train de rassembler des soutiens pour le PS aux prochaines élections. Le prétexte pour la fable du PC selon laquelle le PS vient de faire un tournant à gauche, c’est le récent congrès du PS où la majorité, qui avait fait campagne pour un vote « oui » à la très anti-ouvrière « Constitution européenne », a fait la « synthèse » avec Fabius, l’homme de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie ! Le PS a bien besoin d’un lifting en préparation des élections, mais la base politique de leur « synthèse » était en réalité le soutien à la politique de répression raciste du gouvernement. Cela annonce que tout gouvernement à venir de collaboration de classes incluant le PS (avec le PCF à l’intérieur de ce gouvernement ou en appui extérieur), pratiquerait le même genre d’austérité anti-ouvrière et de terreur raciste que le gouvernement actuel et que le gouvernement Jospin-Buffet de 1997-2002.

… et avec LO et LCR juste derrière

Et la LCR et LO servent simplement de couverture de gauche à une telle nouvelle alliance de « front populaire » entre les partis réformistes et des formations capitalistes comme les Verts, les Radicaux de gauche et les chevènementistes. Lors du meeting parisien contre la privatisation d’EDF du 8 novembre, jour du décret d’état d’urgence, Besancenot pour la LCR et Laguiller pour LO partageaient une tribune – sans dire un mot contre lui – avec le chevènementiste Georges Sarre… alors que Chevènement décrétait le couvre-feu à Belfort dont il est maire.

A la tribune il y avait aussi Frédéric Imbrecht, le chef bureaucrate de la CGT de l’Energie qui en 2004 a personnellement poignardé dans le dos la grève des électriciens contre la privatisation d’EDF. Mais Laguiller, loin de rappeler cette trahison, concluait simplement en souhaitant se retrouver avec ce genre de gens « côte à côte dans la mobilisation », rehaussant ainsi la réputation ternie parmi les ouvriers de bureaucrates comme Imbrecht (voir le discours de Laguiller ce soir-là reproduit dans Lutte Ouvrière, 11 novembre ; dans l’enregistrement sonore disponible sur le site internet de la LCR elle ajoute « tous ensemble »).

Laguiller s’est livrée à un discours sous-réformiste du type « ce serait à l’Etat d’assumer sa responsabilité » ; l’Etat bourgeois assume très bien sa responsabilité, qui est centralement de maintenir l’ordre bourgeois raciste. Laguiller a bien mis en avant une série de revendications comme des classes de 12 élèves, etc., ce qui est bel et bon, mais LO refuse de reconnaître l’oppression spécifique de ces jeunes en tant que descendants « non blancs » de peuples ex-coloniaux, traités comme des être humains inférieurs. LO fait le jeu de ces préjugés quand elle dit que ces jeunes n’ont pas appris « un minimum de langage permettant de comprendre un raisonnement », ni à lire assez correctement pour « pouv[oir] assimiler des textes un peu complexes » (Lutte Ouvrière, 11 novembre). Ce n’est pas très différent au niveau du paternalisme chauvin que les saillies de Chevènement contre les « sauvageons ».

Certains jeunes de la LCR se bercent d’illusions que la LCR, ou au moins Besancenot, refuserait par principe d’entrer dans un gouvernement capitaliste avec les « sociaux-libéraux » du PS. Ils font la sourde oreille aux déclarations de Besancenot à l’université d’été de la LCR qu’il est prêt à participer à un « nouveau pouvoir politique unitaire » qui gouvernerait (voir Rouge, le journal de la LCR, 1er septembre). Ils ne doivent pas lire non plus l’Humanité qui encore le 25 novembre rapportait les propos d’Agnès Jamain de la LCR que celle-ci était « prête à participer à un gouvernement ». Cela fait trois ans qu’un dirigeant de leur organisation brésilienne est ministre dans le gouvernement de Lula et continue à être le « camarade » de Besancenot. Ce n’est pas parce que le Brésil est un pays opprimé par l’impérialisme qu’il n’est pas capitaliste, avec un gouvernement capitaliste si « néolibéral » qu’il est applaudi comme élève modèle par le FMI pour son austérité anti-ouvrière.

Lula est tellement discrédité que la LCR a maintenant une nouvelle marotte, le régime populiste bourgeois de Hugo Chávez au Venezuela en butte à l’hostilité impérialiste des USA. Rouge (17 novembre) publie fièrement une photo de Besancenot en compagnie de Chávez, et François Sabado, le mentor de Besancenot, insiste que « Chávez est aujourd’hui un allié ». Un allié de la LCR peut-être, mais pas des jeunes des banlieues de France : dans le même numéro de Rouge quatre pages plus loin ils citent Chávez déclarant le 10 novembre « Nous condamnons cela » (la révolte des jeunes) et « nous exprimons notre solidarité au peuple français et au gouvernement français, qui est un gouvernement frère, un ami ». La LCR alliée de Chávez ami de Chirac… lui-même élu entre autres avec les voix de la LCR aux élections de mai 2002. Cela fait longtemps que la LCR franchit la ligne de classe et soutient directement la bourgeoisie quand une bonne occasion se présente.

La lutte contre le chômage

Fondamentalement la réponse des réformistes à l’explosion des jeunes contre la terreur raciste, c’est de « défendre les services publics ». Nous sommes effectivement contre les attaques visant les services publics et contre les privatisations, car elles représentent des attaques contre les travailleurs et les syndicats impliqués, et nous nous opposons aussi au démantèlement continu de l’« Etat-providence » depuis notamment la contre-révolution en Union soviétique (voir notre article page 5). Ce sont des attaques contre le niveau de vie de l’ensemble de la classe ouvrière. Mais les emplois des services publics sont réservés aux citoyens de l’Union européenne – A bas l’article 1 du statut de la Fonction publique qui officialise la discrimination raciste à l’embauche ! Mais même si on a des papiers français, avec un « mauvais » code postal ou un « mauvais » nom on se fait rejeter d’office.

Il faudrait une riposte ouvrière contre la discrimination raciste à l’embauche, dans le secteur public comme dans le secteur privé, ainsi que contre les coupes sombres dans la santé, l’éducation et les retraites. Il faudrait des embauches massives dans la construction et dans les transports pour rendre vivables les cités-ghettos (il n’y a même pas de gare à Clichy-sous-Bois !) Face au chômage massif qui frappe pratiquement la moitié de ces jeunes, nous luttons pour un programme incluant le partage du travail entre toutes les mains, avec réduction correspondante du temps de travail sans baisse de salaire. Mais ceux qui dirigent le mouvement ouvrier aujourd’hui, que ce soit la direction de partis comme le PC ou le PS ou la direction des syndicats, ne se battront jamais pour une telle perspective parce que leur programme est de collaborer avec la bourgeoisie, pour un gouvernement de front populaire afin d’administrer son système capitaliste.

Le capitalisme est incapable de fournir du travail à tout le monde ni de résoudre les besoins vitaux de la population. Il crée le chômage comme le soleil crée l’ombre, pour faire pression à la baisse sur les salaires et disposer d’un volant de réserve de main-d’œuvre qu’il peut aussi brandir pour menacer de remplacer les travailleurs qui feraient grève ou protesteraient. Les réformistes à la Lutte ouvrière revendiquent au contraire « l’interdiction des licenciements » ; ils enjolivent le capitalisme en laissant entendre qu’on pourrait liquider le chômage sans liquider tout le système capitaliste par une révolution ouvrière.

Etat d’urgence et démocratie bourgeoise

L’état d’urgence signifie la possibilité pour les flics de décréter toute une série de mesures d’arbitraire policier : couvre-feu, perquisitions de jour comme de nuit sans mandat judiciaire, fermeture de lieux de réunion, de salles de spectacles et même de bars, interdiction des meetings et rassemblements, censure de la presse et des cinémas, expulsions et assignations à résidence, etc. Cette loi a été votée en avril 1955 contre la lutte de libération nationale algérienne qui avait commencé quelques mois plus tôt. C’est tout un symbole que cette loi soit aujourd’hui mise en œuvre contre les enfants et les petits-enfants des travailleurs algériens qui le 17 octobre 1961 à Paris manifestaient pacifiquement contre le couvre-feu, et qui par centaines ont été tués par les flics. Le tract du 8 novembre de la LCR a pour titre « L’état d’urgence, un crime contre la démocratie ! » C’est le genre de boniment typique de réformistes qui enjolivent la démocratie bourgeoisie et se prosternent devant elle au lieu de profiter de l’occasion pour montrer que la démocratie bourgeoise c’est en réalité la démocratie seulement pour les bourgeois, et la dictature de la bourgeoisie contre les ouvriers. Le camarade Lénine écrivait en 1918 (la Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky) :

« Prenez les lois fondamentales des Etats contemporains, prenez leur administration, prenez la liberté de réunion ou de presse, prenez “l’égalité des citoyens devant la loi”, et vous verrez à chaque pas l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise bien connue de tout ouvrier honnête et conscient. Il n’est point d’Etat, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa Constitution des biais ou restrictions permettant à la bourgeoisie de lancer la troupe contre les ouvriers, de proclamer la loi martiale, etc., “en cas de violation de l’ordre”, mais, en fait, au cas où la classe exploitée “violait” son état d’asservissement et si elle avait la velléité de ne pas se conduire en esclave. […]

« Plus la démocratie est développée et plus elle est près, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, du massacre ou de la guerre civile. Cette “loi” de la démocratie bourgeoise, le savant M. Kautsky aurait pu l’observer à l’occasion de l’affaire Dreyfus dans la France républicaine […]. »

La terreur raciste des flics, le recours aux lois d’exception dès qu’il y a des troubles, tout cela est inhérent au système capitaliste. Les formes les plus démocratiques de gouvernement dans la société capitaliste sont simplement celles où la brutalité de la domination capitaliste est le mieux masquée, le mieux couverte d’un voile d’hypocrisie parlementaire. Le rôle des révolutionnaires est de déchirer ce voile pour chercher à faire pénétrer dans la conscience des masses travailleuses et opprimées que la seule issue est une lutte pour le renversement de tout ce système capitaliste pourri par une révolution ouvrière. Nous luttons pour construire un parti bolchévique, c’est-à-dire un parti ouvrier multiethnique d’avant-garde du même type que celui de Lénine, pour diriger une telle révolution à la victoire, comme en octobre 1917 en Russie.

Nous reproduisons ci-dessous notre tract publié le 5 novembre.

* * *

Libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés !

Les flics racistes provoquent une révolte massive des jeunes d’origine immigrée

Le 27 octobre à Clichy-sous-Bois, près de Paris, deux jeunes d’origine africaine, Ziad Benna et Bouna Traoré, ont été tués dans un transformateur électrique où ils cherchaient refuge contre une rafle policière. Depuis plus d’une semaine les cités et les quartiers immigrés sont en feu. Des milliers de voitures, des entrepôts et des magasins ont brûlé. Cette agitation sans précédent continue de s’étendre dans toute la France. Le gouvernement, quant à lui, continue à attiser la colère en envoyant des milliers de CRS investir les quartiers pauvres. Des centaines de jeunes ont été arrêtés, plusieurs ont déjà été condamnés à des mois de prison ferme. Nous exigeons la libération immédiate de tous les jeunes emprisonnés et la levée de toutes les inculpations. A bas la terreur policière raciste contre les cités immigrées ! Nous nous opposons aussi à Vigipirate, un plan consistant à envoyer des patrouilles communes de la police et de l’armée dans les gares, les stations de métro et les aéroports, et qui est au « niveau rouge » depuis cinq mois maintenant.

L’explosion a commencé à Clichy-sous-Bois, une cité délabrée avec un taux de chômage officiel de 25 %, ce qui veut probablement dire plus de 50 % pour les jeunes. Pas étonnant que Clichy ait explosé. La bourgeoisie n’a pas grand-chose à offrir à ces jeunes à part des patrouilles de police, la prison et la mort – dans certaines prisons environ 80 % des prisonniers sont de culture musulmane, contre moins de 10 % dans la population. Une récente étude sociologique documente ce qu’on y appelle « l’apartheid scolaire », avec une ségrégation raciste qui est maintenant encore plus intense que dans le logement. Ce qui en résulte c’est que ces jeunes ont peu ou pas de perspective de finir l’école ou trouver un travail. Et cela va de mal en pis depuis 20 ans, sous des gouvernements de droite comme de « gauche ». Le racisme est inhérent au capitalisme, et en France il est également enraciné dans son passé colonial : la bourgeoisie française continue d’être rongée par le ressentiment contre sa défaite dans la lutte de libération algérienne il y a plus de 40 ans. Pour lutter efficacement contre le racisme il faut lutter pour renverser l’ensemble du système capitaliste.

Des émeutes comme celles-ci sont l’expression du désespoir de jeunes au chômage, si marginalisés qu’ils n’ont aucun pouvoir pour changer quoi que ce soit dans la société. Ces émeutes ont donné lieu à des attaques indiscriminées contre des individus qui ne faisaient que se trouver là au mauvais moment, et pour l’essentiel elles dévastent encore plus les quartiers où doivent vivre ces jeunes. Pourtant, malgré toute l’énergie dépensée et la dévastation infligée, ce genre d’explosion n’apporte en général aucun changement. C’est pourquoi il est tellement important que les travailleurs se battent pour améliorer les conditions de vie dans ces quartiers. La classe ouvrière est la force sociale qui a objectivement l’intérêt et le pouvoir de renverser tout ce système capitaliste d’exploitation, de racisme et de misère. Aulnay-sous-Bois est une autre ville du 9-3 qui était en pointe dans les émeutes récentes. A Aulnay il y a aussi une grosse usine Citroën où en mars des jeunes travailleurs, principalement d’origine immigrée d’Afrique du Nord et de l’Ouest, ont démarré une grève qui a gagné. Des dizaines de milliers de jeunes de la région ont des boulots sur l’aéroport voisin de Roissy, l’un des plus grands d’Europe. Il est possible de déchaîner la puissance de la classe ouvrière multiethnique de la zone, française et immigrée, pour lutter contre les terribles conditions de vie dans les cités et en défense des jeunes qui s’y révoltent. Mais pour cela ce qu’il faut c’est une lutte sans relâche contre la bureaucratie syndicale chauvine, qui met un frein aux luttes de la classe ouvrière et les trahit, car au fond elle partage les préoccupations de la bourgeoisie voulant que le capitalisme français soit plus « compétitif » contre ses rivaux internationaux.

L’attaque brutale du gouvernement contre toute une génération de jeunes a pour but d’attiser la division dans la classe ouvrière multiethnique du pays, dans un contexte d’attaques féroces contre l’ensemble du prolétariat et d’une résistance ouvrière croissante. Après que les marins de la SNCM ont perdu leur grève, poignardés dans le dos par la direction de la CGT (voir notre tract « Victoire à la grève de la SNCM et des dockers ! » [page 9]), le gouvernement essaie de briser une grève des transports publics qui dure depuis un mois, avec un arrêt anti-grève du tribunal. Il y a un appel à la grève de tous les principaux syndicats de la SNCF qui commence le 21 novembre. C’est pourquoi il est d’autant plus urgent pour le mouvement ouvrier organisé de s’opposer à l’attaque raciste du gouvernement. C’est une question de vie ou de mort pour que la classe ouvrière soit unie et repousse les attaques contre son niveau de vie et les services publics. Comme nous le disions dans le dernier numéro du Bolchévik (septembre) :

« Une attaque contre un est une attaque contre tous. Le mouvement ouvrier tout entier […] doit se mobiliser en défense de ses frères de classe plus vulnérables, les travailleurs originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest notamment, qui forment une composante stratégique du prolétariat de ce pays, que ce soit dans le bâtiment, dans l’industrie automobile ou parmi les éboueurs de la ville de Paris. Il faudrait une campagne de syndicalisation des intérimaires, CDD et “contrat nouvelle embauche”. A bas Vigipirate ! A bas les expulsions racistes et les charters ! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui sont ici ! Troupes françaises, hors d’Afrique ! »

Police de proximité ou CRS : chiens de garde de l’ordre bourgeois

Mais les bureaucrates syndicaux et les partis réformistes ont honteusement refusé de protester contre l’attaque raciste du gouvernement à Clichy-sous-Bois et dans d’autres quartiers. Ils se plaignent surtout de Sarkozy, le ministre de la police, comme d’un cinglé qui poursuit seulement sa carrière présidentielle. Ils donnent ainsi un soutien par la bande à son rival, le Premier ministre de Villepin qui est fortement pro-Chirac, et qui a même augmenté le niveau de répression policière depuis qu’il a repris le dossier après les premiers jours d’émeute. Les réformistes critiquent fortement Sarkozy pour avoir envoyé les CRS dans des opérations coup-de-poing contre les ghettos où vivent les minorités. Au lieu des raids de Sarkozy ils préconisent la soi-disant bonne vieille « police de proximité », mise en place par l’ex-gouvernement de front populaire de Jospin et Buffet, actuellement dirigeante du Parti communiste (PCF) ; le PCF et Lutte ouvrière ont même attaqué Sarkozy pour avoir réduit les effectifs policiers travaillant au quotidien dans les cités. Ainsi LO écrit (Lutte Ouvrière, 8 juillet) :

« En contradiction complète avec ses promesses, le ministre Sarkozy a mené dans son domaine la même politique que ses collègues : tours de passe-passe sur les effectifs pour cacher leur baisse, fermetures de postes de police, budgets non pourvus. »

La « police de proximité » était un concept favori de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la police dans le gouvernement Jospin, et qui est encore partout détesté par les sans-papiers et par les jeunes des banlieues qu’il aimait appeler « sauvageons ». C’est lui qui a mis en place de nouvelles lois pour poursuivre en justice quiconque aiderait des travailleurs sans-papiers. Le fait que le PS et le PCF veuillent en revenir à la « police de proximité » de Jospin et Chevènement est un présage funeste pour les immigrés et les jeunes. C’était les flics de Jospin qui ont tué Habib Ould Mohamed à Toulouse en 1998, provoquant une émeute pendant trois jours entiers dans le quartier du Mirail ; cette émeute a été étouffée par une mobilisation massive des CRS exactement comme le font maintenant Sarkozy et de Villepin. A nouveau en avril 2000, une patrouille de proximité a tué Ryad Hamlaoui près de Lille, provoquant une nouvelle vague de protestations.

Le PCF a fait une déclaration spéciale sur Clichy, dans laquelle il demande de : « Mettre la police au service de toute la nation, ce qui implique : démocratisation, formation, proximité, moyens adaptés » (l’Humanité, 4 novembre). L’éditorial de LO sur Clichy mentionne l’immigration ou le racisme une seule fois, et ceci pour mettre en garde que la démagogie de Sarkozy « encourage les attitudes les plus répressives de la police et le racisme de nombre de ses éléments » (Lutte Ouvrière, 4 novembre). Comme si avec un autre ministre des flics, ou si on se débarrassait de quelques mauvais éléments dans la police, on pouvait avoir une « bonne » police républicaine. Tous ces réformistes essaient de réhabiliter la police aux yeux des jeunes opprimés, alimentant ainsi des illusions mortelles dans la République bourgeoise. On ne peut pas réformer la police pour qu’elle serve la population. Ce qui distingue les réformistes des révolutionnaires c’est que les réformistes répandent le mensonge qu’on peut la réformer. Comme les autres bandes d’hommes armés qui constituent le noyau de l’Etat (les gardiens de prison, l’armée), les flics ont pour fonction de protéger la propriété privée des moyens de production dans les mains des capitalistes. Ils ont un monopole légal sur les armes afin de maintenir le système capitaliste : ils sont les chiens de garde de la bourgeoisie, et non des « travailleurs en uniforme » : Police, gardiens de prison, hors des syndicats !

PCF, LCR, etc. magouillent pour un nouveau « front populaire »

Dans sa déclaration le PC accuse Sarkozy : « Le gouvernement se montre incapable de garantir l’ordre public » (l’Humanité, ibid.) Le PS et le PC utilisent les émeutes actuelles pour redorer leur blason bien terni, et pour se présenter comme ceux qui sont capables de maintenir l’ordre dans les quartiers immigrés, et que la bourgeoisie peut donc leur faire confiance pour faire tourner l’Etat bourgeois avec moins d’à-coups.

Au fond la question pour le PC c’est de mettre en avant une nouvelle coalition, comprenant des partis bourgeois comme les Verts, les chevènementistes et les Radicaux de gauche, pour gagner les élections de 2007. Et la LCR ainsi que LO (bien que de façon moins directe) les aident. La « gauche », comprenant le PC et les pseudo-trotskystes de la LCR et de LO, partagent une tribune le 8 novembre à Paris avec deux petits partis bourgeois pro-chevènementistes, le MARS et le MRC, soi-disant contre la privatisation d’EDF. Ainsi la LCR et LO nourrissent les illusions que l’on pourrait combattre l’assaut capitaliste en faisant l’unité avec des partis capitalistes !

A bas Vigipirate et la campagne raciste « contre le terrorisme » !

Début octobre à l’aéroport de Roissy, les bagagistes sont partis en grève pour l’embauche des CDD et pour les salaires (suite à la privatisation d’Air France sous le gouvernement précédent de Jospin/Buffet). La grève a été brisée par le gouvernement qui a utilisé Vigipirate et une soi-disant menace terroriste si les bagages n’étaient pas triés. Cela montre de façon très concrète ce que nous disons depuis des années : Vigipirate vise tous les immigrés, tous les jeunes d’origine immigrée et la classe ouvrière dans son ensemble. Il pourrait de nouveau être utilisé dans les semaines qui viennent si une grande grève démarre à la SNCF.

LO a refusé depuis le premier jour de s’opposer à Vigipirate, et cela va de pair avec leur rôle dirigeant dans la campagne pour exclure des écoles les jeunes femmes portant le foulard islamique. En France l’islam est une religion des opprimés et des cités ghettos. Le foulard représente un programme social réactionnaire qui confine les femmes à la maison dans un état de servitude. Mais renvoyer du lycée des filles musulmanes ne peut que renforcer leur isolement et leur oppression ; et cela alimente le racisme contre tous les immigrés. Nous nous opposons à ces campagnes racistes et nous défendons les jeunes femmes qui portent le foulard contre l’Etat bourgeois. LO au contraire a salué la loi Chirac qui interdisait le foulard, une loi raciste qui fait partie intégrante du harcèlement quotidien contre les musulmans, et Arlette Laguiller a même manifesté le 6 mars 2004 bras dessus, bras dessous avec Nicole Guedj (UMP), alors secrétaire d’Etat à la construction des prisons.

Il est vrai que LO se mobilise pour les sans-papiers, tout comme de nombreux libéraux bourgeois qui croient que la République française doit être capable d’intégrer ces immigrés qui souvent sont en France depuis des années et ont fondé une famille ici. Cependant le racisme contre les jeunes des cités va très profond, jusqu’au cœur de ce qu’est le capitalisme français, et divise profondément la classe ouvrière dans ce pays. LO évacue consciemment la question, parlant seulement des « quartiers populaires » et évitant la question de l’oppression raciale. Ce qu’il faut c’est forger l’unité révolutionnaire de la classe ouvrière, en commençant par des mobilisations ouvrières contre la terreur policière raciste. Nous luttons pour construire un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique, déterminé à diriger le prolétariat de ce pays vers une révolution socialiste.