Le Bolchévik no. 173

septembre 2005

Soldats et colons israéliens, hors de tous les territoires occupés !

Les sionistes quittent le ghetto de Gaza

Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !

Traduit de Workers Vanguard, notre journal américain.

28 août – Le 4 août, juste avant l’évacuation des colons de Gaza orchestrée par Ariel Sharon, un partisan ultra-chauvin des colons ouvrait le feu dans un bus rempli d’Arabes dans le nord d’Israël, faisant quatre morts et plusieurs blessés. Deux semaines plus tard, un colon de Cisjordanie perpétrait un carnage, en y assassinant quatre Palestiniens. La semaine dernière, les forces israéliennes ont perpétré un autre massacre dans le camp de réfugiés de Tulkarem, en Cisjordanie, assassinant cinq personnes accusées d’être des militants palestiniens. Gaza est toujours entourée par une clôture électrifiée, la Cisjordanie est découpée par un mur de ghetto et quadrillée de points de contrôle de l’armée et de routes militarisées réservées aux Juifs. La population palestinienne des territoires occupés est hantée par la faim, la misère et le désespoir. C’est le vrai visage du « désengagement » tant vanté de l’Etat sioniste d’Israël.

La situation actuelle est l’aboutissement de décennies de vols de terres par les sionistes, facilités par la perfidie des dirigeants nationalistes du peuple palestinien. En 1971, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’était déclarée opposée à l’acceptation d’un Etat palestinien sur autre chose que la totalité du territoire correspondant à Israël et aux territoires occupés. Trois ans plus tard, l’OLP se prononçait pour un « mini-Etat » en Cisjordanie, présenté comme une étape transitoire vers une « Palestine démocratique et laïque ». En 1988, l’OLP acceptait explicitement l’existence de l’Etat sioniste, intrinsèquement exclusiviste, et en 1993 l’OLP et Israël signaient un accord négocié sous l’égide des Etats-Unis, les accords d’Oslo, dans lesquels l’OLP acceptait de faire régner l’ordre dans les territoires occupés pour le compte du pouvoir sioniste en échange de l’« autonomie » palestinienne.

Aujourd’hui le gouvernement d’Ariel Sharon, le boucher des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982 au Liban, estime que la meilleure manière de défendre les intérêts nationaux israéliens est de retirer environ 8 000 colons de la Bande de Gaza – une zone dont la superficie équivaut à peu près au quartier du Queens à New York – et quatre colonies de Cisjordanie. Pendant ce temps, beaucoup plus de colonies nouvelles sont construites en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dévorant toujours plus de terres palestiniennes. Démontrant une fois de plus la banqueroute du nationalisme petit-bourgeois, l’Autorité palestinienne parle aujourd’hui de « construire notre pays » à Gaza : une minuscule parcelle de terre poussiéreuse où vont continuer à être confinés 1,3 million de Palestiniens réduits à la misère, encerclés et sous la botte de l’armée israélienne. Le vice-premier ministre de Sharon, Ehud Olmert, soulignait que l’armée israélienne serait maintenant mieux placée pour contrôler ce ghetto désolé. Après avoir cité une déclaration d’Olmert comme quoi le retrait « ne réduira pas la capacité de réaction des forces de sécurité israéliennes », le New York Times (11 août) ajoutait ce commentaire : « Sans les colons israéliens à Gaza, suggère [Olmert], l’armée pourra frapper encore plus durement. »

L’évacuation des colons de Gaza par Sharon, en application d’une politique proposée avant lui par le Parti travailliste, a été présentée comme un pas en avant pour les Palestiniens opprimés, et ce non seulement par les porte-parole impérialistes mais aussi par les apologistes de gauche de la soi-disant « résistance » palestinienne. Le Workers World Party (WWP), l’organisation pseudo-socialiste qui était l’initiatrice de la coalition antiguerre ANSWER, salue la « victoire de l’opiniâtre résistance palestinienne » pour « le fait qu’Israël est forcé de se retirer » (Workers World, 18 août). Le WWP s’enthousiasme : « Le climat de poursuite de la résistance à Gaza est visible sur les panneaux qui proclament : “Aujourd’hui Gaza, demain Jérusalem et la Cisjordanie” et “La résistance a gagné – continuons !” » Après avoir auparavant soutenu des variantes plus à gauche et laïques du nationalisme arabe, le WWP acclame maintenant une « résistance » dominée par les réactionnaires islamiques anti-femmes et antisémites du Hamas.

Journaux et télévisions ont montré des familles de colons en pleurs et des soldats israéliens rongés par le doute, juxtaposés à des scènes de Palestiniens exultant et brandissant des drapeaux. Les Palestiniens se réjouissent à n’en pas douter du départ de Gaza, après 38 ans, des colons détestés. Cependant, ils ne sont pas aussi euphoriques que ce que les médias capitalistes occidentaux (et les publications comme Workers World) laissent accroire. Un adolescent de 12 ans expliquait que son espoir pour l’avenir est de pouvoir « monter à l’étage » : l’armée israélienne occupe depuis cinq ans les deux derniers étages de sa maison. Une femme âgée déclarait, dans ce que le reporter décrivait comme « le langage des espoirs réduits » : « Si Dieu le veut, nous espérons que tout ira pour le mieux, pour nous et pour eux. Nous demandons seulement aux Nations Unies et à l’UNRWA [Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens] de nous construire une canalisation d’égout » (Middle East Report en ligne, 19 mai).

Il est nécessaire d’exiger le retrait complet et inconditionnel de tous les soldats et colons israéliens de tous les Territoires occupés, y compris Jérusalem-Est et le plateau du Golan, ainsi que le démantèlement immédiat de toutes les fortifications anti-arabes – y compris les points de contrôle de l’armée, les murs, les barrières et le réseau d’autoroutes basé sur l’apartheid. N’en déplaise au WWP et aux nationalistes palestiniens, il est totalement ridicule de croire que le « désengagement » actuel de Gaza conduira à un Etat palestinien incluant la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Sharon l’a clairement signifié en engageant un programme massif de construction de nouvelles colonies en Cisjordanie au moment même où l’évacuation de Gaza était en cours.

Même si les Palestiniens réussissaient à créer sur ces territoires un mini-Etat – économiquement non viable et sous suzeraineté israélienne – cela serait loin d’être la concrétisation de l’autodétermination palestinienne. Une véritable autodétermination pour le peuple palestinien est impossible sans le démantèlement à la fois de l’Etat sioniste d’Israël, dont l’existence même présuppose l’oppression du peuple palestinien, et du royaume hachémite de Jordanie, dont la population est à environ 60 % palestinienne.

Contrairement à tous les chantres « de gauche » du nationalisme arabe, nous avons toujours insisté que l’émancipation nationale des Palestiniens ne devait pas se réaliser aux dépens du droit à l’existence nationale du peuple de langue hébraïque. Etant donné l’interpénétration des populations de langue hébraïque et arabe palestinienne – deux peuples revendiquant le même territoire – la seule voie pour aboutir à une solution juste de la question nationale passe par le renversement révolutionnaire de tous les régimes bourgeois de la région. C’est seulement avec la création d’une économie planifiée dans le cadre d’une fédération socialiste du Proche-Orient que les revendications conflictuelles sur la terre et les ressources en eau pourront être équitablement satisfaites et toutes les langues, religions et cultures placées sur un pied d’égalité.

Le retrait israélien de Gaza et d’une poignée de colonies de Cisjordanie est une caricature de l’accord « Gaza-Jéricho d’abord » qui avait été la première étape des accords « de paix » d’Oslo de 1993, lesquels avaient créé l’Autorité palestinienne. Dans un article intitulé « Accord Israël-OLP pour un ghetto palestinien », nous écrivions que cet accord « n’offre même pas l’expression la plus déformée de l’autodétermination » et « apposerait le sceau de l’OLP sur l’oppression nationale des masses arabes palestiniennes, opprimées depuis si longtemps » (le Bolchévik n° 125, novembre-décembre 1993). Nous ajoutions :

« Ce marché grotesque sur le dos du peuple palestinien assujetti marque une étape décisive au Proche-Orient. Par son acte, l’OLP permet aux réactionnaires intégristes comme Hamas de se poser comme les seuls à combattre l’occupation sioniste. Le nationalisme arabe petit-bourgeois est apparu comme l’impasse banqueroutière et impuissante qu’il a toujours été. »

Appliqué par le gouvernement travailliste d’Itzhak Rabin, cet accord a conduit directement, dans les années qui ont suivi, au doublement de la population de colons dans les territoires occupés. Les Palestiniens qui précédemment arrivaient à survivre comme manœuvres sous-payés dans le bâtiment et l’agriculture en Israël étaient maintenant largement cantonnés dans leurs villages soumis à la ségrégation et dans des camps de réfugiés sordides, privés de leur gagne-pain et remplacés par des travailleurs immigrés originaires d’Europe de l’Est et d’Asie du Sud-Est. Une population qui jadis était parmi les plus instruites et cosmopolites du Proche-Orient est aujourd’hui de plus en plus sous l’emprise de la réaction islamique. Alors que la première intifada, à la fin des années 1980, avait vu naître une pléthore d’organisations de femmes qui remettaient en cause les valeurs traditionnelles, les Palestiniennes, particulièrement à Gaza, sont maintenant de plus en plus souvent contraintes de porter le voile, et beaucoup ont été assassinées dans des « crimes d’honneur ».

Le Hamas manœuvre aujourd’hui pour engranger le maximum de capital politique aux dépens du Fatah, le mouvement de Mahmoud Abbas, successeur de Yasser Arafat, qui est de plus en plus discrédité et méprisé. L’an dernier, les candidats du Hamas ont remporté environ 60 % de tous les sièges dans les élections municipales à Gaza et en Cisjordanie, et dans la ville de Qalqilya, en Cisjordanie, sa liste a remporté la totalité des 15 sièges en jeu, ce qui a été perçu comme « une protestation non seulement contre la légendaire mauvaise gestion des affaires publiques par le Fatah, mais aussi contre son impuissance à empêcher l’encerclement de la ville, de tous les côtés, par le mur d’Israël » (Middle East Report en ligne, 21 août). Le Hamas a également l’intention de se présenter aux élections législatives prévues pour janvier prochain.

Les attentats suicide perpétrés par des groupes comme le Hamas contre des civils israéliens innocents – par opposition aux attaques visant l’armée israélienne et les colons, ses auxiliaires armés – sont des actes de terrorisme criminel qui ne font que colmater les fissures dans la société israélienne. Le point de départ pour ceux qui luttent pour la justice sociale et l’émancipation nationale des Palestiniens opprimés doit être qu’Israël, comme les pays arabes voisins, est une société capitaliste avec une division de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. Ce prolétariat inclut non seulement des Juifs ashkénazes d’origine européenne, mais aussi des Juifs séfarades orientaux plus opprimés, et une minorité arabe palestinienne profondément opprimée.

L’Etat sioniste, intrinsèquement oppressif, doit et peut être détruit de l’intérieur, par une révolution prolétarienne qui unira les travailleurs palestiniens et ceux de langue hébraïque contre l’ennemi de classe commun. Pour en arriver là, il faudra probablement la victoire préalable de la révolution socialiste ailleurs dans le monde, sous l’étendard de l’internationalisme prolétarien. Mais pour que la classe ouvrière hébraïque puisse lutter pour sa propre libération de l’exploitation capitaliste, elle doit prendre fait et cause pour les droits nationaux du peuple palestinien. De leur côté, les masses laborieuses arabes ne seront pas gagnées à une perspective de révolution prolétarienne si on ne les arrache pas à l’emprise du nationalisme arabe et de l’antisémitisme. Il est absolument indispensable de forger des partis marxistes révolutionnaires dans tout le Proche-Orient, des partis trempés dans la lutte la plus intransigeante non seulement contre la réaction intégriste de toutes couleurs religieuses, mais même aussi contre les variantes les plus laïques ou « progressistes » du nationalisme. Il n’y a pas d’autre voie. Défense du peuple palestinien ! Pour une fédération socialiste du Proche-Orient !