Le Bolchévik no. 172

juin 2005

La bureaucratie chinoise encourage un nationalisme réactionnaire

Le nouvel élan de l’impérialisme japonais provoque des manifestations en Chine

A bas l’alliance contre-révolutionnaire USA/Japon !
Pour la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier déformé chinois !

La campagne du référendum a été marquée par une débauche de propagande protectionniste anti-chinoise à propos des importations de textiles. Les industriels français du textile, représentés au MEDEF par Sarkozy frère, qui ont licencié en France des centaines de milliers de travailleurs depuis vingt ans, hurlent maintenant parce qu’ils ont délocalisé leurs usines en Europe de l’Est et au Maghreb au lieu de la Chine, et de ce fait ont pris du retard par rapport à leurs rivaux qui ont su investir en Chine. Cette campagne n’a rien à voir avec la défense des travailleurs en France.

Le gouvernement, en campagne pour le « oui », avait cru bon d’utiliser l’affaire du textile chinois pour présenter l’Union européenne comme un rempart protégeant les travailleurs d’Europe contre la « mondialisation ». Les tenants du « non de gauche », comme d’ailleurs du non d’extrême droite, n’avaient pas grand-chose à y rétorquer puisque tout l’axe de leur campagne contre la « Constitution » était de lutter contre la « concurrence libre et non faussée » inscrite dans le traité constitutionnel.

Une jeune étudiante chinoise, Li li Whuang, est en prison depuis le 29 avril, accusée dans une soi-disant affaire d’espionnage contre l’équipementier automobile Valeo. Le mouvement ouvrier devrait s’opposer à cette chasse aux sorcières : c’est le genre de campagne raciste qui prépare des pogromes ici contre les travailleurs d’origine chinoise, qui par dizaines de milliers sont sans papiers, férocement exploités dans des ateliers de confection. Apparemment le dossier contre Li li Whuang est vide, mais de toutes façons pour nous trotskystes l’espionnage pour le compte d’un Etat ouvrier déformé n’est pas un crime contre la classe ouvrière internationale. Nous exigeons la libération immédiate de Li li Whuang !

* * *

26 avril – Depuis un mois, des dizaines de milliers de manifestants anti-japonais sont descendus dans les rues de plusieurs villes chinoises, aux quatre coins du pays. Ces manifestations ont été provoquées par l’approbation à Tokyo de nouveaux manuels d’histoire destinés aux collèges, qui escamotent les atrocités perpétrées dans le passé par l’impérialisme japonais. Le « viol de Nankin » en 1937, quand 300 000 Chinois ont été massacrés par la soldatesque japonaise, est désormais présenté comme « un incident ». L’asservissement de plus de 200 000 « femmes de réconfort » coréennes et chinoises, contraintes de servir d’esclaves sexuelles dans les bordels de l’armée japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale, a été effacé de l’histoire.

La réécriture de l’histoire dans les manuels japonais est une provocation non seulement contre l’Etat ouvrier déformé chinois, mais aussi contre les travailleurs de l’Asie entière – et de fait, elle a provoqué des manifestations en Corée du Sud. C’est la dernière en date d’une série de provocations de l’impérialisme japonais contre la Chine, après la récente déclaration proclamant l’intention du Japon d’effectuer des forages pétroliers et gaziers autour des îles Diaoyutai revendiquées par la Chine. La plus significative a été la publication en février dernier d’une déclaration politique commune des Etats-Unis et du Japon affirmant que Taïwan est « une préoccupation de sécurité commune ». La plupart des manifestations chinoises, qui pour l’instant se sont pour l’essentiel arrêtées, ont été tacitement organisées ou approuvées par le gouvernement en réponse aux provocations du Japon. La bureaucratie a autorisé la poursuite des manifestations – tout en s’employant anxieusement à en garder le contrôle – pour détourner l’attention de l’agitation sociale grandissante qui ronge le tissu même de la société chinoise. Comme l’expliquait un manifestant de Shanghaï : « Les gens participent à cette manifestation parce qu’on ne les autorise pas à protester contre quoi que ce soit d’autre » (New York Times, 17 avril).

Mais ces manifestations, qui ont duré plus longtemps que toutes les autres grandes manifestations publiques en Chine depuis la révolte de Tiananmen en 1989, encouragent une réponse nationaliste aux provocations du Japon – c’est-à-dire dirigée non pas contre la classe dirigeante capitaliste du Japon, mais contre la population japonaise tout entière, les travailleurs comme leurs oppresseurs capitalistes. « Cochons japonais, dehors ! », criaient les manifestants chinois qui saccageaient des magasins japonais. Une expression de ce nationalisme a été l’appel à boycotter les entreprises et les produits japonais.

Le poison nationaliste encouragé par la bureaucratie stalinienne chinoise représente un grave danger pour les acquis de la Révolution chinoise de 1949 elle-même. Opposée qu’elle est à l’unité de classe entre les prolétariats chinois et japonais, la bureaucratie veut réaliser l’unité de tout le peuple chinois, y compris les capitalistes chinois de Taïwan et de Hongkong, contre tout le peuple japonais. Ceci a été clairement exprimé dans une récente manifestation à Hongkong, où les manifestants anti-japonais portaient le drapeau taïwanais du Guomindang, qui représente les capitalistes et les propriétaires fonciers ayant fuit la révolution. Pour la première fois depuis la guerre civile, le gouvernement chinois a récemment reçu une délégation du Guomindang venue de Taïwan ; en affichant ainsi leur attachement à l’« unité » chinoise contre le Parti progressiste démocratique taïwanais favorable à l’indépendance de l’île, les staliniens chinois montrent à quel point le nationalisme et la collaboration de classes sont profondément ancrés chez eux.

Les acquis de la Révolution chinoise – avant tout l’économie nationalisée et collectivisée – représentent une avancée historique non seulement pour les ouvriers et les paysans chinois, mais aussi pour le prolétariat du monde entier. L’expropriation des capitalistes et la mise en place d’une économie socialisée ont représenté une immense avancée par rapport à l’asservissement impérialiste et à l’effroyable oppression que subissaient jadis les masses chinoises, et ont jeté la base d’un bond formidable dans le développement économique. Et avec l’extension internationaliste de la révolution, elles pourraient jeter la base de la construction, dans l’avenir, d’une société socialiste.

Mais la Chine, depuis le début, est un Etat ouvrier déformé, dans lequel une caste conservatrice de bureaucrates, qui gouverne dans son propre intérêt étroit, bloque le développement vers une société socialiste sans classes. Depuis Mao Zedong (et y compris sous son règne), ces dirigeants bureaucrates ont colporté le dogme stalinien nationaliste de la construction du « socialisme dans un seul pays ». Répudiant en tous points le marxisme, les staliniens ont prêché tout au long de leur histoire la conception inepte que le socialisme pouvait être construit dans un seul pays – fût-il aussi arriéré matériellement que la Chine – si seulement une intervention militaire impérialiste pouvait être évitée.

Un des aspects des manifestations récentes en Chine a été l’opposition aux tentatives du Japon d’obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour le gouvernement chinois, cette question fait partie de ses manœuvres, dans le cadre de la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme mondial, entre les puissances impérialistes prétendument « progressistes » ou « réactionnaires ». Par exemple, la Chine soutient les efforts de l’Allemagne pour obtenir un siège de membre permanent. La vérité est que l’ONU n’est pas autre chose qu’un nid de brigands impérialistes et de leurs victimes. Depuis la guerre de Corée jusqu’aux sanctions contre l’Irak qui ont tué plus d’un million et demi de personnes, l’ONU a montré qu’elle était une ennemie des travailleurs et des opprimés du monde entier.

L’internationalisme prolétarien révolutionnaire, et non la collaboration de classes nationaliste, est essentiel pour faire avancer les intérêts des travailleurs chinois en défendant les acquis de la Révolution chinoise, et ceux des travailleurs japonais dans leur lutte contre un impérialisme japonais revanchard. Le 13 mars dernier, dans un communiqué commun des sections japonaise et américaine de la Ligue communiste internationale contre l’accord contre-révolutionnaire entre les Etats-Unis et le Japon sur Taïwan (Workers Vanguard n° 844, 18 mars), nous écrivions :

« La Spartacist League/U.S. et le Groupe spartaciste Japon […] se prononcent pour la défense militaire inconditionnelle de la Chine et de la Corée du Nord – comme nous le faisons pour les derniers autres Etats ouvriers déformés, le Vietnam et Cuba – contre les agressions impérialistes et la contre-révolution capitaliste intérieure […].

« Depuis la Révolution chinoise de 1949, d’où l’Etat ouvrier déformé chinois a émergé, Taïwan est pour l’impérialisme US un avant-poste de ses menées contre-révolutionnaires, de ses menaces militaires et de ses ingérences dans les affaires intérieures chinoises par l’entremise de la bourgeoisie chinoise fantoche. Depuis des temps immémoriaux, Taïwan fait partie de la Chine, et nous, trotskystes, serons aux côtés de la Chine dans l’éventualité d’un conflit militaire avec l’impérialisme sur la question de Taïwan […].

« Nous sommes opposés au plan des staliniens de réunification avec Taïwan, selon la formule “un pays, deux systèmes”. Nous avançons au contraire un programme pour la réunification révolutionnaire de la Chine, qui requiert une révolution politique ouvrière contre la bureaucratie stalinienne sur le continent, une révolution socialiste prolétarienne à Taïwan pour renverser et exproprier la bourgeoisie, et l’expropriation des capitalistes de Hongkong. »

Pour l’internationalisme révolutionnaire !

Le dogme du « socialisme dans un seul pays » signifie l’opposition à la perspective de la révolution ouvrière au niveau international, et la conciliation de l’impérialisme mondial. Les manifestations récentes, par exemple, étaient exclusivement dirigées contre le Japon, exonérant ainsi les crimes de l’impérialisme US. (Apparemment, Pékin considère que dans l’alliance militaire entre les Etats-Unis et le Japon, Tokyo est la cible la plus facile.) Ceci reflète et alimente l’illusion répandue en Chine que les Etats-Unis sont une puissance impérialiste plus inoffensive. Ce sont pourtant les Etats-Unis qui en 1945 sont devenus le seul pays à jamais avoir utilisé des armes nucléaires, provoquant ainsi la mort de plusieurs centaines de milliers de civils japonais à Hiroshima et Nagasaki. Ces bombardements étaient un avertissement à l’Etat ouvrier dégénéré soviétique. Pendant la guerre de Corée, au début des années 1950, l’impérialisme US a été responsable de la mort d’environ trois millions de Coréens. Les sacrifices héroïques consentis par la Chine ont défendu l’Etat ouvrier déformé nord-coréen et ont empêché les forces américaines – qui combattaient sous le drapeau des Nations Unies – de mettre la main sur la totalité de la péninsule coréenne et d’en faire une néocolonie des Etats-Unis. Pendant la guerre du Vietnam, qui s’est achevée en 1975, plus de trois millions de Vietnamiens ont été assassinés par les efforts désespérés de l’impérialisme US pour écraser la révolution sociale dans ce pays.

Beaucoup de gens en Chine ont des illusions sur la nature de l’impérialisme US parce qu’il a combattu le Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les staliniens, qui présentent la Deuxième Guerre mondiale comme une « guerre contre le fascisme », s’étaient alliés avec les puissances impérialistes bourgeoises démocratiques – principalement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne – contre l’Allemagne, l’Italie et le Japon.

Au contraire, les trotskystes savaient que le carnage inter-impérialiste de la Deuxième Guerre mondiale était un conflit pour la redivision des ressources mondiales de main-d’œuvre bon marché et de matières premières, dans l’intérêt des profits capitalistes. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Quatrième Internationale, fondée par le dirigeant bolchévique Léon Trotsky et qui se basait sur l’internationalisme prolétarien, luttait pour la défaite révolutionnaire de tous les pays impérialistes. Simultanément, elle s’était prononcée pour la défense militaire inconditionnelle de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique contre l’impérialisme, et soutenait l’autodétermination des colonies contre leur asservissement par les impérialistes, ceux de l’Axe comme ceux des Alliés.

Pendant l’occupation de la Chine par le Japon, qui a commencé au début des années 1930, les trotskystes donnaient un soutien militaire aux forces de la résistance chinoise, tout en s’opposant politiquement aux forces bourgeoises du Guomindang de Chiang Kai-shek. Avec l’entrée des Etats-Unis dans la guerre du Pacifique, l’effort de guerre du Guomindang se retrouvait subordonné de façon décisive aux intérêts de l’impérialisme US, au point que les responsables américains avaient le dernier mot sur le déploiement des forces du Guomindang. Dans ces conditions, il devenait nécessaire de préconiser une position de défaitisme révolutionnaire – pour la défaite des deux camps par la lutte de classe révolutionnaire – tant envers les USA et le Guomindang qu’envers le Japon, tout en donnant un soutien militaire aux forces du Parti communiste de Mao, qui n’étaient pas subordonnées militairement à l’impérialisme US (voir « Révolution permanente contre “front unique anti-impérialiste” – Les origines du trotskysme chinois », Spartacist édition française n° 31, automne 1997).

Un des articles de foi de la vision nationaliste des bureaucrates staliniens est que les travailleurs des pays capitalistes avancés ont été tellement corrompus par leurs exploiteurs que la lutte de classe révolutionnaire y est un rêve utopique (ou trotskyste). Pourtant, on voit au Japon des signes d’opposition à la résurgence du militarisme, y compris au sein de la classe ouvrière organisée. En 2001, environ 200 dockers du port de Sasebo, à Nagasaki, ont refusé de charger des armes et des fournitures militaires sur des navires de guerre de la marine japonaise destinées à aider les Etats-Unis dans leur guerre terroriste menée contre l’Afghanistan. Plus récemment, des centaines d’enseignants ont été licenciés ou sanctionnés pour avoir refusé de se lever pour l’Hinomaru (le drapeau national) et de chanter le Kimigayo (l’hymne national), des symboles du militarisme japonais. Ces actions ont été menées contre l’avis des dirigeants pro-impérialistes des trois principales fédérations syndicales – dont celles affiliées au Parti communiste japonais et au Parti social-démocrate – et représentent un défi frontal aux appels à l’« unité nationale » de la bourgeoisie japonaise.

Avec la multiplication des manifestations anti-japonaises en Chine, l’administration du Premier ministre japonais Junichiro Koizumi a enchaîné les provocations anti-chinoises. Avec arrogance, Koizumi a admonesté le peuple chinois en lui enjoignant d’être « plus adulte », de garder « la tête froide », et a suivi l’exemple du président Bush en réussissant à faire pression sur l’Union européenne pour qu’elle maintienne son embargo sur les ventes d’armes à la Chine.

Les provocations de l’impérialisme japonais sont encouragées par l’impérialisme US. L’été dernier, le secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell, affirmait le soutien américain à la campagne du Japon pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, tout en notant que l’Article 9 de la constitution imposée par les Etats-Unis, qui interdit au Japon d’engager des opérations militaires à l’extérieur, « devrait être examiné sous cet éclairage » (AFP édition anglaise, 13 août 2004). Plus récemment, il a été proposé de transférer le quartier général du 1er corps de l’armée américaine actuellement situé aux Etats-Unis, à Yokohama, au sud de Tokyo, où selon le Guardian de Londres (19 avril), « l’objectif principal de son déploiement avancé sera probablement la défense de Taïwan, les défis régionaux représentés par l’expansion militaire chinoise, et le face-à-face nucléaire avec la Corée du Nord. »

Les provocations du Japon et les manifestations en Chine ont été utilisées par l’extrême droite chauvine comme un feu vert pour terroriser les Chinois résidant au Japon. Les missions diplomatiques chinoises et d’autres institutions liées à la Chine ont été attaquées ou saccagées. Il y a eu des alertes à la bombe au consulat général de Chine à Fukuoka, une alerte à l’anthrax à l’ambassade chinoise de Tokyo, et une douille de balle de revolver a été envoyée au consulat chinois d’Osaka avec une lettre menaçant les citoyens chinois d’actes de violence. Le 10 avril, des coups de feu ont été tirés contre les bureaux de la Banque de Chine à Yokohama.

Finalement, le 22 avril, au sommet Asie-Afrique qui se tenait en Indonésie, Koizumi a cherché à désamorcer les tensions avec la Chine en offrant de vagues excuses pour les « dommages et souffrances terribles » provoqués par le pouvoir colonial japonais. (Le même jour, un membre du gouvernement Koizumi, avec 80 autres politiciens, effectuait un pèlerinage au sanctuaire de Yasukuni, un symbole du militarisme japonais qui honore la mémoire, entre autres, de criminels de guerre de la Deuxième Guerre mondiale.) La semaine dernière, des personnalités japonaises de poids se sont inquiétées que le maintien de la tension nuise au commerce japonais, tandis que le ministre du Commerce chinois déclarait que le boycott des produits japonais serait dommageable aux intérêts économiques des deux pays. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Japon, et environ 18 000 sociétés japonaises ont créé des filiales en Chine. Comme l’explique le New York Times (23 avril), l’« interdépendance économique croissante » entre la Chine et le Japon « a ces derniers jours assoupli leurs positions ».

L’impérialisme japonais est déterminé à se débarrasser des contraintes du syndrome de la « nation vaincue », avec lequel il est sorti de la Deuxième Guerre mondiale. Pour ce faire, la classe dirigeante cherche à imposer une politique d’austérité économique à l’intérieur, à attiser le poison nationaliste et à renforcer l’appareil répressif nécessaire pour maintenir la loi et l’ordre capitalistes. Les nouvelles directives de défense ne se contentent pas de cibler les Etats ouvriers déformés chinois et nord-coréen ; elles renforcent aussi l’arsenal de répression d’Etat contre le mouvement ouvrier. Il y a parmi les travailleurs du Japon un mécontentement considérable et un vrai désir de lutter contre l’austérité économique, la discrimination, l’aggravation de la répression d’Etat et la guerre. Cette colère et cette combativité doivent être dirigées vers la construction d’un parti révolutionnaire trotskyste, qui fera le lien entre le combat pour la révolution socialiste au Japon et la défense militaire inconditionnelle des Etats ouvriers déformés chinois et nord-coréen.

Chine : pour la révolution politique ouvrière !

Parlant pour beaucoup de ses congénères dans la bureaucratie stalinienne chinoise, Li Rui, ancien secrétaire de Mao Zedong, a fait cet aveu d’une franchise abrupte : « Personne ne comprend le marxisme. C’est ridicule. Les idéaux du passé n’existent plus. Il est donc juste de se tourner vers le nationalisme. C’est le moyen par lequel le parti peut maintenir son système et son idéologie » (l’Observer de Londres, 17 avril). En même temps qu’une défense cynique du nationalisme comme moyen efficace de manipuler les masses, cette déclaration reflète une assimilation abusive et très courante entre marxisme et maoïsme. En réalité, le contraste violent qu’on établit souvent entre la politique de Mao et celle de son successeur Deng Xiaoping est fondamentalement faux.

Dans le cadre nationaliste du « socialisme dans un seul pays », les régimes de Mao et de Deng ont suivi des politiques différentes dans des contextes internationaux différents. Cependant, à un égard très important, leurs politiques étaient essentiellement identiques : l’alliance avec l’impérialisme US contre l’Union soviétique. Cette alliance avait été scellée en 1972, quand le président américain Richard Nixon a donné l’accolade au président Mao au moment même où les avions américains faisaient pleuvoir leurs bombes sur le Vietnam. Le rapprochement de l’impérialisme US avec la bureaucratie maoïste sur la base d’une hostilité partagée envers l’Union soviétique a conduit à la reconnaissance de la République populaire de Chine et à l’attribution d’un siège pour la Chine aux Nations Unies aux dépens de Taïwan.

L’alliance avec les Etats-Unis a été poursuivie et approfondie sous Deng. En 1979, il a ordonné à l’Armée populaire de libération (APL) d’envahir le Vietnam, le principal allié soviétique en Extrême-Orient, avec l’approbation et l’encouragement de Washington. Les Vietnamiens ont résisté efficacement et infligé de lourdes pertes – 20 000 hommes – à l’APL, qui a battu en retraite en repassant la frontière. (Puisqu’on parle de tripatouillage des manuels d’histoire, ce chapitre peu reluisant a été pratiquement escamoté par les staliniens chinois.) Pendant les dernières années de la guerre froide, dans les années 1980, la Chine a encouragé l’impérialisme américain à affaiblir et à miner l’Union soviétique – par exemple en aidant les coupe-jarrets moudjahidin qui combattaient les troupes soviétiques en Afghanistan – favorisant ainsi la campagne contre-révolutionnaire qui a anéanti ce qui restait des acquis de la Révolution russe de 1917.

Après avoir détruit l’Union soviétique, la patrie de la seule révolution ouvrière victorieuse, les impérialistes sont aujourd’hui déterminés à restaurer le capitalisme en Chine. A cette fin, ils poursuivent une double stratégie : pénétration économique pour renforcer les forces intérieures de la contre-révolution capitaliste, combinée avec une pression militaire et la menace d’une intervention armée. Les bureaucrates staliniens encouragent en fait les impérialistes par leur politique de trahison : autorisation d’investissements capitalistes massifs combinée avec une quête futile d’une « coexistence pacifique » avec les impérialistes.

Mais malgré les « réformes de marché » de la bureaucratie, le noyau de l’économie chinoise reste collectivisé. En outre, la politique économique du régime du Parti communiste est encore contrainte par la peur d’une agitation sociale – et en particulier ouvrière – qui pourrait le renverser. Cela a été à deux doigts de se produire en 1989, quand des manifestations pour la libéralisation politique et contre la corruption centrées sur les étudiants ont été le déclencheur d’une révolte ouvrière spontanée, qui devait être ensuite réprimée par le régime dans un terrible bain de sang.

La Chine est aujourd’hui une poudrière de tensions sociales prête à exploser. D’après les statistiques gouvernementales, le nombre de manifestations a augmenté de 15 % l’année dernière, et s’est élevé à 58 000. Des millions de fermiers pauvres et d’ouvriers urbains ont bloqué des routes, organisé des grèves ou manifesté contre la corruption des responsables, les confiscations de terres, la destruction de l’environnement, les licenciements et le chômage, des conditions de travail misérables et l’écart croissant entre la richesse urbaine et la pauvreté rurale. A la mi-avril, les habitants de Dongyang, dans le sud-est de la Chine, furieux du refus du gouvernement de prendre des mesures contre la pollution des usines voisines, ont chassé 1 000 policiers anti-émeute et pris le contrôle de la ville. Au même moment, près de 2 000 anciens soldats de l’APL ont organisé à Pékin une série de manifestations pour protester contre le niveau insuffisant de leurs retraites. Plus récemment, environ 10 000 ouvriers de l’usine d’appareils électroniques Uniden de Shenzen, près de Hongkong, construite avec des capitaux japonais, ont fait grève pour exiger le droit de se syndiquer. La grève a pris fin le 23 avril. Révélant comment la bureaucratie chinoise joue le rôle de fournisseur de main-d’œuvre pour les bourgeoisies impérialistes qui investissent en Chine, un gréviste déclarait au Washington Post (26 avril) : « Certains responsables syndicaux nous ont dit que nous devions coopérer, car sinon les investisseurs pourraient se retirer et aller investir ailleurs, et nous perdrions tous notre travail. »

Par sa politique de « réformes de marché », la bureaucratie chinoise renforce les forces de la contre-révolution en permettant aux impérialistes de pénétrer économiquement l’Etat ouvrier. En même temps, cette politique augmente la puissance sociale du prolétariat industriel. Les alternatives auxquelles la Chine est confrontée sont la contre-révolution capitaliste ou la révolution politique prolétarienne pour chasser la bureaucratie stalinienne et la remplacer par des soviets d’ouvriers et de paysans démocratiquement élus, organes du pouvoir prolétarien. Un parti léniniste-trotskyste est nécessaire pour apporter aux travailleurs chinois une stratégie internationaliste prolétarienne révolutionnaire. Il n’y a pas de voie nationalement limitée vers le socialisme en Chine. La modernisation de la Chine – fournir la base pour une vie décente à tous ses habitants sur la base de l’accès à la technologie avancée et aux ressources productives actuellement concentrées en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et au Japon – requiert l’extension internationale de la révolution socialiste, essentiellement à ces puissances impérialistes, jetant ainsi la base d’une économie socialiste planifiée internationale. Ceci requiert de reforger la Quatrième Internationale de Trotsky, pour la révolution socialiste mondiale.

Traduit de Workers Vanguard n° 847, 29 avril