Le bilan de la collaboration de classes stalinienne: des révolutions trahies

Proche-Orient, années 1950: révolution permanente contre nationalisme bourgeois

Pour une fédération socialiste du Proche-Orient!

Spartacist (édition française) no. 35, printemps 2003.

Nous publions ci-dessous la traduction d’un article en deux parties paru dans Workers Vanguard no. 740, 25 août 2000 et no. 741, 8 septembre 2000.

Il règne au Proche-Orient une pauvreté abominable, et un obscurantisme qui asservit les femmes; le peuple palestinien est spolié par Israël et de nombreuses autres minorités nationales sont opprimées par les régimes nationalistes arabes et iranien. La domination que les puissances impérialistes exercent sur la région a encore renforcé l’arriération sociale et l’oppression dans ces pays. Les impérialistes ne cessent d’intriguer et de semer la destruction, comme aujourd’hui avec les bombardements américano-britanniques contre l’Irak, et la préoccupation stratégique qui motive tout cela c’est le contrôle des ressources pétrolières, qui fournissent plus de 40% de l’énergie mondiale. L’Arabie saoudite, le Koweit et les émirats de la péninsule arabique détiennent les trois quarts des réserves mondiales de pétrole identifiées. Depuis les années 1920 le contrôle des gisements de pétrole du golfe Persique confère aux impérialismes américain et britannique un énorme avantage stratégique sur leurs principaux rivaux, l’Allemagne et le Japon.

Le développement de l’industrie pétrolière a aussi produit un prolétariat dans cette région du monde. Et c’est lui qui détient la puissance nécessaire pour prendre la tête de tous les opprimés dans une lutte révolutionnaire contre l’asservissement impérialiste. Mais, trahis maintes fois par des nationalistes petits-bourgeois se disant de gauche ainsi que par les staliniens, et écrasés par des régimes bourgeois tyranniques, beaucoup de jeunes anti-impérialistes et les couches les plus opprimées de la population se sont tournés vers le miroir aux alouettes de l’intégrisme islamiste. Pourtant dans les années 1950, cette région avait connu un bouillonnement de luttes ouvrières révolutionnaires qui offraient une vraie perspective d’en finir avec l’asservissement impérialiste, la réaction sociale et l’exploitation brutale.

Le New York Times du 16 avril 2000 a publié un long article sur le coup d’Etat organisé par la CIA en Iran en 1953, en pleine guerre froide de l’impérialisme contre l’Union soviétique. En nationalisant le monopole Anglo-Iranian Oil, le gouvernement iranien s’attira les foudres des impérialistes, et cela créa une crise révolutionnaire de plus en plus aiguë. Comme le dit le Times: «L’anticommunisme avait atteint son paroxysme à Washington, et les responsables redoutaient que l’Iran tombe sous l’influence de l’Union soviétique» – et avec lui les vastes réserves pétrolières de ce pays. Le Parti communiste pro-Moscou, Toudeh (masses), exerçait une influence hégémonique sur le prolétariat et avait de nombreux partisans dans la petite-bourgeoisie urbaine et parmi les intellectuels. Allen Dulles, le chef de la CIA, soutenait qu’il fallait que les Etats-Unis installent à Téhéran un gouvernement «qui conclurait un accord équitable sur le pétrole [...] et qui réprimerait vigoureusement un Parti communiste dangereusement fort».

Un an plus tôt, en Egypte, un soulèvement populaire avait conduit au renversement du roi Farouk, fantoche des Britanniques, et le Mouvement des Officiers libres de Gamal Abdel-Nasser avait accédé au pouvoir. Là aussi, les secteurs les plus importants et les plus combatifs de la classe ouvrière attendaient des communistes qu’ils les dirigent. Quelques années plus tard, en 1958 en Irak, un coup d’Etat par des officiers de gauche chassa la monarchie hachémite qu’avaient installée les Britanniques. Et le président américain Dwight Eisenhower avait déclaré à ce propos que des révolutions pourraient «avoir pour conséquence l’élimination complète de l’influence occidentale au Moyen-Orient». Dans la période de turbulence révolutionnaire qui s’ensuivit, le Parti communiste irakien, qui avait une base solide parmi les ouvriers du pétrole arabes et kurdes et des appuis substantiels dans l’armée elle-même, aurait effectivement pu s’emparer du pouvoir d’Etat.

Dans tout le Proche-Orient, les partis communistes attiraient les ouvriers avancés et les intellectuels radicaux. Dans ce patchwork de minorités nationales, ethniques et religieuses, les PC étaient à peu près les seules organisations dont la base transcendait les divisions nationales et religieuses: les Juifs jouaient un rôle important dans le mouvement communiste égyptien, les Kurdes dans celui d’Irak. Les militants communistes se reconnaissaient dans l’internationalisme prolétarien de la Révolution bolchévique (même si c’était d’une façon défigurée et pervertie par le stalinisme). Pour eux, l’Union soviétique montrait la voie de la libération du joug impérialiste, c’était un modèle de développement économique. Grâce à la Révolution bolchévique de 1917, les régions musulmanes de l’ancien empire tsariste – l’Asie centrale et l’Azerbaïdjan, dans le Caucase – qui avaient été encore plus arriérées socialement et économiquement que le Proche-Orient, étaient devenues des sociétés modernes où les femmes n’étaient plus voilées et asservies, et où tout le monde avait accès à l’éducation et aux soins médicaux.

Pourtant, les soulèvements révolutionnaires en Iran et en Irak ne débouchèrent pas sur de nouvelles révolutions d’Octobre. Au contraire, ces occasions furent sacrifiées par la bureaucratie stalinienne soviétique au nom de la poursuite futile et traître d’une «coexistence pacifique» avec l’impérialisme. Les directions des partis communistes de la région étaient extrêmement loyales à Moscou et sous son étroit contrôle, à la fois idéologique et financier. Malgré les aspirations révolutionnaires de leurs militants et de leurs sympathisants, les partis communistes du Proche-Orient aidèrent à installer des régimes nationalistes bourgeois qui écrasèrent ensuite la gauche et le mouvement ouvrier et persécutèrent les minorités nationales et ethniques. Comment et pourquoi en fut-il ainsi?

En dernier ressort, c’est la dégénérescence stalinienne de l’Etat ouvrier soviétique et le remplacement de l’internationalisme bolchévique par le dogme nationaliste du «socialisme dans un seul pays» et son corollaire la collaboration de classes, qui expliquent ce qui s’est passé. L’Opposition de gauche de Léon Trotsky, co-dirigeant de la révolution d’Octobre avec V.I. Lénine, a lutté pied à pied contre la dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique et de l’Internationale communiste. Et finalement le régime bureaucratique stalinien a ouvert toutes grandes les portes à la contre-révolution capitaliste qui a détruit l’Union soviétique en 1991-1992. Dans le cadre de notre combat pour reforger la Quatrième Internationale trotskyste, la Ligue communiste internationale cherche à gagner une nouvelle génération de militants prolétariens révolutionnaires du Proche-Orient à l’étendard du léninisme authentique.

La «révolution par étapes»: la voie de la défaite

L’histoire du Proche-Orient dans la deuxième moitié du XXe siècle démontre que même les régimes nationalistes bourgeois les plus «à gauche» – quels que soient les airs « socialistes» qu’ils se donnent et malgré leurs déclamations «anti-impérialistes» – sont en fait des agents de la domination impérialiste, qui par conséquent perpétuent l’arriération sociale et économique de leur pays. Comme l’écrivait Trotsky en 1927, au lendemain de la défaite de la Deuxième Révolution chinoise, alors que les nationalistes «de gauche» du Guomindang avaient noyé dans le sang la classe ouvrière dirigée par les communistes:

«Tout ce qui relève la foule opprimée des travailleurs pousse fatalement la bourgeoisie nationale à l’alliance militaire déclarée avec l’impérialisme. La lutte de classe entre la bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes, loin d’être affaiblie par l’oppression impérialiste, est au contraire exaspérée, à chaque conflit sérieux, jusqu’à se changer en guerre civile sanglante.»

– «La Révolution chinoise et les thèses du camarade Staline», La question chinoise dans l’Internationale communiste

Tant que l’URSS existait, l’aide soviétique, financière et militaire, donnait aux régimes nationalistes bourgeois arabes une certaine marge de manoeuvre vis-à-vis des Etats impérialistes occidentaux et japonais. Mais c’était dans un cadre dominé par Wall Street, la City de Londres, la Deutsche Bank et les keiritsu japonais.

Malgré les réformes agraires limitées réalisées dans les années 1950 et au début des années 1960 par les régimes nationalistes d’Egypte, de Syrie et d’Irak, le tableau général de la propriété foncière ressemble encore à ce qu’il était il y a un siècle. De riches propriétaires fonciers possèdent une grande partie des meilleures terres, tandis que des millions de paysans désespérés, incapables d’assurer leur subsistance sur leurs minuscules parcelles de terres arides, ont afflué vers les immenses bidonvilles qui entourent Le Caire, Damas et Bagdad.

Beaucoup de ces pays sont déchirés par des antagonismes nationaux, religieux et ethniques; il y a y compris d’intenses conflits entre musulmans sunnites et chiites. En Algérie, une bourgeoisie à prédominance arabe domine la minorité nationale berbère; en Egypte, un pays majoritairement musulman, la minorité chrétienne copte est pourchassée et persécutée, en particulier par les intégristes islamistes. La nation kurde est écartelée entre quatre Etats capitalistes qui l’oppriment: la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie. L’oppression des femmes, symbolisée par le voile, reste profondément enracinée en Iran et dans tout le monde arabe. Les lois gouvernant le statut personnel sont largement basées sur la charia (la loi islamique), qui approuve la polygamie, accorde aux maris le droit de divorcer pratiquement comme ils veulent et soumet les femmes à l’ «autorité» de leur père et de leur mari. La condition des femmes, particulièrement dans les zones rurales, est d’une arriération moyenâgeuse. En Egypte, 60% des femmes sont illettrées.

En même temps, téléphones portables et ordinateurs sont des objets courants parmi les professions libérales du Caire; un grand nombre de travailleurs égyptiens sont concentrés dans des usines de montage automobiles modernes à capitaux étrangers, alors que, dans la vallée du Nil, des villageois aux pieds nus labourent leurs champs avec des outils qui n’ont guère évolué depuis l’époque des pharaons. Les ouvriers iraniens et irakiens dans l’industrie pétrolière, hautement qualifiés, qui ont derrière eux des dizaines d’années de traditions syndicales et communistes, coexistent avec les préjugés moyenâgeux et l’arriération sociale.

C’est le même genre de développement inégal et combiné, où une industrie moderne et un puissant prolétariat industriel ont été plaqués sur des sociétés à base largement paysanne, qui prévalait aussi en Russie à la veille de la Révolution bolchévique. Bien qu’elle-même une puissance impérialiste, la Russie, contrairement aux pays capitalistes plus avancés d’Europe de l’Ouest, n’avait pas connu de révolution démocratique bourgeoise et restait engluée dans l’arriération sociale et économique. La bourgeoisie russe, qui était apparue tard dans l’ère capitaliste, était dépendante du capital occidental et d’autant plus vénale qu’elle était faible. L’autocratie tsariste régnait sur une vaste prison des peuples et une masse de paysans qui vivaient dans la misère. En même temps, grâce aux investissements capitalistes, s’était développée une classe ouvrière peu nombreuse mais combative, concentrée dans de grandes industries modernes, qui montra sa puissance dans la révolution de 1905.

Marx et Engels avaient parlé pour la première fois de «révolution en permanence» dans l’«Adresse au comité central de la Ligue des communistes» de 1850, alors que la bourgeoisie venait de passer du côté des vieilles classes réactionnaires contre le jeune prolétariat révolutionnaire dans la révolution démocratique allemande avortée de 1848. C’est ce document qui inspira à Léon Trotsky, à l’époque de la révolution de 1905, la théorie et le programme de la révolution permanente, qui soulignait que la révolution agraire, la démocratie politique et les autres tâches de la révolution démocratique bourgeoise en Russie ne pourraient pas être accomplies par une bourgeoisie faible et dépendante, qui avait bien trop peur du prolétariat pour mobiliser les masses ouvrières et paysannes dans une offensive contre l’autocratie. Au contraire, comme le résumera plus tard Trotsky quand il généralisera la perspective de révolution permanente à tous les pays capitalistes dépendants:

«Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes.

«[...] Sans une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, les tâches de la révolution démocratique ne peuvent pas être résolues; elles ne peuvent même pas être sérieusement posées. Mais l’alliance de ces deux classes ne se réalisera pas autrement que dans une lutte implacable contre l’influence de la bourgeoisie libérale nationale.

«[...] La dictature du prolétariat qui a pris le pouvoir comme force dirigeante de la révolution démocratique est inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire des incursions profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente.

«[...] Dans un pays où le prolétariat arrive au pouvoir à la suite d’une révolution démocratique, le sort ultérieur de la dictature et du socialisme dépendra moins, en fin de compte, des forces productives nationales que du développement de la révolution socialiste internationale.»

la Révolution permanente (1929)

La révolution d’Octobre a confirmé cette théorie de la révolution permanente. Lénine n’a accepté les conclusions programmatiques de l’analyse de Trotsky qu’à la veille de la révolution, mais il avait forgé un instrument pour la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti bolchévique, précisément en luttant sans concessions contre toutes les variantes de nationalisme bourgeois et de libéralisme, et en particulier contre les opportunistes menchéviques qui étaient à la remorque de la bourgeoisie libérale.

Mais les partis qui se trouvaient à la tête des ouvriers du pétrole iraniens et irakiens dans les années 1950 ne se basaient pas, programmatiquement, sur l’internationalisme prolétarien et l’opposition révolutionnaire au nationalisme bourgeois. La bureaucratie stalinienne, qui en 1924 avait usurpé le pouvoir en Union soviétique dans une contre-révolution politique, avait répudié le programme bolchévique de révolution socialiste internationale, en faveur du dogme nationaliste du «socialisme dans un seul pays». C’était une dénégation absolue de la conception marxiste, à savoir, qu’on ne peut construire une société socialiste que sur une base internationale, en détruisant l’impérialisme capitaliste en tant que système mondial et en établissant une division du travail socialiste mondiale. L’Internationale communiste, qui était un instrument pour la révolution prolétarienne mondiale, devint l’instrument des manoeuvres diplomatiques soviétiques avec les pays capitalistes, conduisant à l’adoption d’un programme et d’une stratégie de collaboration de classes.

Au Proche-Orient et dans d’autres pays arriérés, ceci prit la forme du vieux schéma menchévique de «révolution par étapes», qui renvoyait la révolution socialiste aux calendes grecques, tandis que dans l’«étape démocratique» elle subordonnait le prolétariat à une bourgeoisie nationale prétendument «progressiste» ou «anti-impérialiste». Mais celle-ci se retourne inévitablement contre ses anciens alliés communistes et leur base ouvrière. L’histoire a montré que la «deuxième étape» consiste à tuer les rouges et à massacrer les ouvriers! Que ce soit dans la Révolution chinoise de 1925-1927, en Espagne en 1936-1937, en Iran et en Irak dans les années 1950, ou en Indonésie en 1965-1966, la «révolution par étapes» a inéluctablement conduit à la défaite sanglante du prolétariat.

Aujourd’hui, les partis communistes du Proche-Orient, durement affectés par les conséquences de leurs trahisons et par la disparition de l’Union soviétique, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Quant aux idéologues impérialistes, ils célèbrent la prétendue «mort du communisme» maintenant que le capitalisme a été restauré en Europe de l’Est et dans l’ex-Union soviétique. Mais dans les années 1990, le prolétariat indonésien s’est réveillé à la lutte sociale après trois décennies de dictature militaire anticommuniste sanglante, et les travailleurs du Proche-Orient engageront eux aussi à nouveau des luttes révolutionnaires contre les impérialistes qui les asservissent et contre leurs exploiteurs capitalistes locaux. La tâche essentielle, c’est de construire des partis léninistes-trotskystes déterminés à défendre les principes de l’internationalisme prolétarien et le programme de la révolution permanente. Pour réaliser cette tâche, il faut que la jeune génération d’ouvriers combatifs et d’intellectuels de gauche du Proche-Orient assimile les leçons des luttes révolutionnaires passées, trahies par le stalinisme et écrasées par le nationalisme bourgeois arabe.

La dégénérescence stalinienne de l’Internationale communiste

La révolution d’Octobre 1917 en Russie a eu un énorme impact sur le Proche-Orient. Après l’écroulement de l’Empire ottoman et sa défaite au cours de la Première Guerre mondiale, cette région fut dépecée par les impérialistes britanniques et français. La Révolution bolchévique, pendant les trois ans de guerre civile sanglante contre les armées blanches contre-révolutionnaires soutenues par les impérialistes, s’étendit, elle, à l’Asie centrale musulmane. Elle inspira une série de révoltes nationales et de soulèvements populaires dans le vaste territoire occupé par les forces militaires britanniques, de l’Egypte à l’Iran en passant par le Croissant fertile. Un observateur égyptien de l’époque rapportait que «les nouvelles des succès ou des victoires des bolchéviks» dans la guerre civile russe «semblent produire une bouffée de joie et de satisfaction parmi toutes les classes égyptiennes» (cité dans The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq [Les vieilles classes sociales et les mouvements révolutionnaires d’Irak], Hanna Batatu, 1978).

Dans ce climat d’agitation sociale, des partis communistes se créèrent en Turquie, en Egypte, au Liban, en Palestine et en Perse (Iran). Cependant, comme dans tout le monde colonial, la classe ouvrière du Proche-Orient était encore numériquement faible et sous-développée, et les partis communistes manquaient de cohésion et d’expérience politique. Du fait de leurs faiblesses internes et de la répression, la plupart de ces partis avaient de facto disparu à la fin des années 1920.

A partir du milieu des années 1930, lorsque des partis communistes commencèrent à réapparaître dans ces pays, l’Internationale communiste avait depuis longtemps cessé d’être un instrument de la révolution socialiste mondiale. A la Treizième Conférence du parti de janvier 1924, un congrès truqué qui coïncida avec la mort de Lénine, l’Opposition de gauche trotskyste avait été écrasée. C’était le commencement du Thermidor soviétique lors duquel une caste bureaucratique conservatrice, dont le principal porte-parole était Staline, a usurpé le pouvoir politique de l’avant-garde prolétarienne. En 1935 le Comintern stalinisé était déjà passé carrément dans le camp du réformisme déclaré, et avait adopté un programme de collaboration de classes à l’enseigne du «front populaire contre le fascisme». Dans le monde colonial, cela signifiait que les staliniens s’alliaient ouvertement aux impérialistes «démocratiques» qui asservissaient les masses ouvrières et paysannes.

Lorsque l’Allemagne nazie a envahi l’Union soviétique en juin 1941, celle-ci s’est jointe aux Alliés, et les partis communistes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France sont devenus les défenseurs sociaux-patriotes les plus empressés de leur propre bourgeoisie capitaliste. Les staliniens britanniques et français se sont opposés à la lutte pour l’indépendance dans l’Inde sous domination britannique, dans l’Indochine française et les autres colonies; quant à la direction du PC syrien, elle s’est portée volontaire pour combattre pour la France «démocratique». Après la défaite de l’Allemagne nazie – au prix de 27 millions de morts soviétiques –, Staline honora ses engagements envers ses alliés impérialistes en les aidant à faire dérailler des possibilités révolutionnaires en Grèce, en France, en Italie, contribuant ainsi puissamment à la restabilisation de l’ordre bourgeois ébranlé en Europe de l’Ouest. En Yougoslavie, puis en Chine en 1949, la victoire de forces autochtones de guérilla à base paysanne dirigées par des staliniens conduisit à la création d’Etats ouvriers bureaucratiquement déformés, comme ceux établis sous l’occupation soviétique en Europe de l’Est (voir «Yugoslavia, East Europe and the Fourth International: The Evolution of Pabloist Liquidationism» [La Yougoslavie, l’Europe de l’Est et la Quatrième Internationale: l’évolution du liquidationnisme pabliste], Prometheus Research Series no 4, mars 1993).

La Quatrième Internationale trotskyste fut la seule à maintenir la ligne d’internationalisme prolétarien qu’avaient les bolchéviks de Lénine pendant la Première Guerre mondiale: défaitisme révolutionnaire contre tous les belligérants impérialistes. La Deuxième Guerre mondiale était tant pour la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis que pour l’Allemagne, l’Italie et le Japon, un conflit pour un nouveau partage des marchés, des sources de matières premières et de main-d’oeuvre bon marché du monde, tout comme l’avait été la Première Guerre mondiale. Et les trotskystes continuèrent à lutter pour libérer les colonies de l’impérialisme. Ils savaient que l’Union soviétique, bien que bureaucratiquement dégénérée, restait un Etat ouvrier basé sur la propriété collectivisée, et appelaient donc à la défense militaire inconditionnelle de l’URSS contre l’agression impérialiste et la contre-révolution interne. En même temps, nous n’avons pas cessé de lutter pour chasser la bureaucratie stalinienne traître par une révolution politique prolétarienne.

La guerre de 1948

La Deuxième Guerre mondiale changea radicalement la face du Proche-Orient. Les Etats-Unis, devenus la puissance impérialiste hégémonique, prirent progressivement la place des Britanniques et des Français comme maîtres de la région. L’affaiblissement des puissances impérialistes d’Europe de l’Ouest, alors que les masses coloniales se radicalisaient, conduisit à la création de toute une série d’Etats nominalement indépendants. La classe ouvrière, qui avait été considérablement renforcée du fait qu’une industrie s’était développée dans la région pour soutenir la machine de guerre britannique, se trouvait maintenant confrontée à des Etats bourgeois autochtones. La victoire soviétique sur l’Allemagne nazie, et le fait que le Kremlin, en réaction au déclenchement de la guerre froide impérialiste, se donnait des airs combatifs, renforcèrent considérablement l’autorité des partis communistes en Iran et dans les pays arabes.

Après la guerre, la création de l’Etat sioniste d’Israël, consécutive au retrait britannique de Palestine, fut un événement particulièrement important pour le Proche-Orient. La bureaucratie soviétique, après avoir cultivé et favorisé le nationalisme arabe pendant près de vingt ans, effectua un virage à 180 degrés et soutint la partition impérialiste de la Palestine et l’émergence de l’Etat sioniste. L’éphémère soutien du Kremlin à Israël, conçu comme une manoeuvre contre l’impérialisme britannique, provoqua une immense désorientation dans les partis communistes de la région. La seule organisation à défendre une position internationaliste prolétarienne dans la guerre de 1948 entre Israël et les Etats arabes fut la Revolutionary Communist League (RCL), le petit groupe trotskyste palestinien. Tout en reconnaissant le droit à l’autodétermination tant au peuple de langue hébraïque qu’au peuple arabe palestinien, la RCL s’opposa résolument à la partition impérialiste et prit une position de défaitisme révolutionnaire dans la guerre:

«Cette guerre ne peut dans aucun des camps être qualifiée de progressiste [...]. Elle affaiblit le prolétariat et renforce l’impérialisme dans les deux camps [...]. La seule voie vers la paix entre les deux peuples de ce pays, c’est de retourner les fusils contre les instigateurs de meurtre des deux camps!» [souligné dans l’original]

– «Against the Stream» [Contre le courant], Fourth International, mai 1948

C’est la position internationaliste que défend aujourd’hui la Ligue communiste internationale. Nous défendons les droits nationaux du peuple palestinien spolié, nous nous opposons à la répression sioniste, et nous exigeons le retrait immédiat et inconditionnel de tous les soldats israéliens et de leurs auxiliaires, les «colons» fascisants des territoires occupés. Mais nous ne dénions pas pour autant les droits nationaux au peuple de langue hébraïque. Sous le capitalisme, quand des populations nationales sont géographiquement interpénétrées, seul le groupe national le plus fort peut exercer son droit à l’autodétermination, en chassant ou en détruisant le plus faible. Dans de telles situations, la seule possibilité de solution démocratique, c’est de renverser le pouvoir capitaliste et d’instaurer la dictature du prolétariat, la seule classe qui n’a aucun intérêt à perpétuer les antagonismes nationaux. Ce qu’il faut c’est que les ouvriers de langue hébraïque rompent avec le chauvinisme sioniste, et que les ouvriers arabes se libèrent de l’emprise du nationalisme petit-bourgeois et de l’intégrisme islamiste, et qu’ils s’unissent dans une lutte commune pour la révolution socialiste à la fois contre la bourgeoisie israélienne meurtrière et contre tous les régimes arabes. Si l’Etat sioniste d’Israël a des rapports particulièrement étroits avec l’impérialisme US, les Etats bourgeois arabes n’en sont pas moins des ennemis de la libération palestinienne.

L’impact de la guerre de 1948 a été profond et durable. Près d’un million d’Arabes ont été expulsés de Palestine – la plupart vers des camps de réfugiés sordides où eux et leurs enfants vivent encore aujourd’hui. En même temps, des populations juives séfarades, dites «orientales», fuyaient les pays arabes pour aller en Israël. Cette migration était encouragée par les régimes arabes aussi bien que par les sionistes. La défaite arabe a totalement discrédité les régimes arabes traditionalistes, dont l’incompétence et la corruption sont apparues au grand jour, ce qui a provoqué la chute de gouvernements et de monarchies dans toute la région, contribuant ainsi à paver la voie au pouvoir pour une série de régimes nationalistes arabes. En même temps, Israël servait d’ennemi «extérieur» aux nationalistes arabes, leur permettant de détourner de leurs oppresseurs capitalistes la colère et la frustration des masses.

Les communistes égyptiens et la montée de Nasser

L’impact de ces événements fut particulièrement évident dans l’Egypte de l’après-guerre. Historiquement le centre politique et culturel du monde arabe, ce pays est de loin le plus peuplé de tous les pays arabes. L’Egypte était aussi militairement l’Etat le plus puissant en confrontation directe avec l’Etat sioniste d’Israël. C’est pour cela que le colonel Nasser, l’homme fort égyptien, fut la figure dominante du nationalisme arabe dans les années 1950 et 1960, influençant par son intervention le cours des événements en Syrie, en Irak, au Yémen et ailleurs au Proche-Orient.

Il y a deux générations de cela, Nasser était considéré par beaucoup comme l’incarnation d’une mythique «révolution arabe» et d’une alternative «socialiste» non communiste pour les «pays non alignés» du Proche-Orient, d’Asie et d’Afrique. Il avait rehaussé son prestige «anti-impérialiste» avec la guerre de Suez en 1956, dans laquelle il avait tenu tête à Israël, à la Grande-Bretagne et à la France. Cependant, si Nasser inspirait tant d’enthousiasme, c’était pour une bonne part dû aux staliniens eux-mêmes qui entretenaient les illusions dans son«socialisme arabe». En réalité, c’est en grande partie dans le but d’écraser la classe ouvrière combative d’Egypte, qui était principalement sous la direction des communistes, que Nasser était venu au pouvoir.

La montée de la lutte des classes en Egypte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, même si elle n’atteignit pas le même niveau qu’en Iran ou en Irak, permit néanmoins aux jeunes groupements communistes, dont le plus éminent était le Mouvement égyptien de libération nationale (MELN), fondé par l’intellectuel juif Henri Curiel, d’acquérir jusqu’à un certain point une influence de masse. L’organisation nationaliste égyptienne traditionnelle, le Wafd, avait été grandement discréditée par sa pratique gouvernementale corrompue et oppressive pendant les années de guerre, où elle avait joué ouvertement le rôle de larbin des Britanniques. Lorsqu’un soulèvement de masse contre l’occupation britannique embrasa le pays, et au fur et à mesure que les ouvriers imposaient leur pouvoir par des grèves, les communistes réussirent à remplacer le Wafd à la tête du mouvement ouvrier, notamment dans le textile, la principale industrie du pays.

En février 1946, la répression par la police d’une manifestation étudiante au Caire se solda par la mort d’un certain nombre d’étudiants. Le 21 février, le «Comité national des ouvriers et des étudiants» dirigé par les communistes appela à une grève qui paralysa totalement le pays; au cours de celle-ci d’autres manifestants furent tués. Alors que grèves et manifestations éclataient dans tout le pays, une grève paralysa à nouveau le pays le 4 mars. A Alexandrie, des forces britanniques agissant aux côtés de flics égyptiens tirèrent sur les manifestants, tuant 28 personnes. Cherchant désespérément à mettre fin au soulèvement, les Britanniques annoncèrent qu’ils retireraient leurs troupes dans la zone du Canal de Suez. Une vague de répression gouvernementale s’ensuivit, ciblant en particulier les dirigeants communistes.

Après la guerre de 1948, le régime discrédité proclama l’état de siège, tandis que des émeutiers excités par le groupe fascisant des Frères musulmans pillaient les boutiques juives, incendiaient les synagogues et massacraient plusieurs dizaines de Juifs. Au moins à une occasion, les communistes organisèrent la défense d’un magasin juif contre les pogromistes. Quand les expulsions massives et l’émigration de Juifs commencèrent, Henri Curiel et d’autres fondateurs et dirigeants du communisme égyptien furent parmi les premiers visés.

L’agitation populaire contre l’occupation militaire britannique explosa à nouveau en octobre 1951, quand les Britanniques refusèrent de se plier à un décret du gouvernement Wafd qui leur enjoignait d’évacuer la zone du Canal. Le gouvernement égyptien s’étant révélé impuissant, les communistes se mirent à la tête de la vague anti-britannique qui déferlait sur le pays. La répression gouvernementale s’étant avérée incapable d’enrayer la vague de grèves, les communistes continuèrent à étendre leur influence dans le syndicat du textile du Caire et de sa région, les syndicats des transports du Caire, et à d’autres endroits. Fin 1951 le Mouvement démocratique de libération nationale (MDLN), l’organisation qui avait succédé au MELN, était devenu la force politique dominante dans le mouvement syndical égyptien.

En janvier 1952, un incident armé entre forces britanniques et égyptiennes dans la zone du Canal déclencha des émeutes au Caire, au cours desquelles une grande partie du quartier commercial du centre-ville fut incendiée. Avec un gouvernement totalement discrédité et pratiquement paralysé, le pays était de plus en plus polarisé entre d’une part les Frères musulmans, qui se développaient rapidement, et de l’autre les communistes. Les militants étudiants des Frères musulmans recevaient un entraînement militaire dans les universités, circulaient sur les campus à bord de jeeps militaires, en tirant en l’air à la mitraillette pour intimider leurs adversaires.

Le MDLN avait aussi une organisation militaire, mais son rôle était de soutenir le «Mouvement des Officiers libres» de Nasser, une coalition hétérogène dans l’armée qui comprenait des Frères musulmans, des wafdistes et le MDLN. Nasser utilisait le MDLN pour imprimer les tracts des Officiers libres et assurer un certain nombre d’autres tâches. Pendant ce temps-là, les Officiers libres allaient donner un coup de main aux Frères musulmans et à leurs «bataillons de la libération» dans la zone du Canal. L’un de ceux qui jouaient un rôle central dans cette opération c’est Anouar Al-Sadate, frère d’armes de Nasser (et futur président d’Egypte), qui avait déclaré dans une interview en 1952 qu’Hitler était un grand patriote qui travaillait pour le bien de son peuple.

En juillet 1952, les Officiers libres s’emparèrent du pouvoir, balayant la monarchie déconsidérée. Le MDLN soutint le coup d’Etat militaire qu’il estimait être l’expression du «mouvement démocratique national». Le mois suivant, les ouvriers du textile de Kafr El-Dawar, près d’Alexandrie, se mirent en grève, confiants que le régime était de leur côté puisque leurs dirigeants leur en avaient donné l’assurance. Mais Nasser décida de passer à l’offensive contre le mouvement ouvrier organisé. Il fit arrêter deux dirigeants de la grève, qui furent condamnés à mort pour «crime grave contre l’Etat» et pendus dans l’enceinte de l’usine. Les communistes furent mis hors la loi et les grèves furent interdites, et un régime corporatiste de contrôle syndical fut mis en place dans lequel les syndicats se retrouvaient de facto sous le contrôle du régime militaire.

La nationalisation du Canal de Suez par Nasser en 1956, suivie de l’invasion de l’Egypte par la Grande-Bretagne, la France et Israël marqua un tournant dans l’histoire du Proche-Orient de l’après-guerre. Washington, en forçant la Grande-Bretagne et la France à retirer leurs troupes, confirma que l’impérialisme US était devenu le caïd impérialiste dans la région. Ce que les Etats-Unis voulaient faire alors, c’était renforcer le Pacte de Bagdad (CENTO), une alliance militaire régionale antisoviétique similaire à l’OTAN en Europe de l’Ouest. Mais Nasser, prenant la tête d’une campagne contre l’adhésion des gouvernements arabes au Pacte de Bagdad, se tourna vers l’Union soviétique, tout en continuant la répression contre les communistes. Moins d’un mois avant la nationalisation du Canal de Suez, un tribunal militaire condamnait 40 communistes à des peines de prison et de travaux forcés.

L’établissement de relations plus étroites entre l’Union soviétique et l’Egypte conduisit les Soviétiques à faire une réévaluation de Nasser. Désormais on présenta son coup d’Etat de 1952 comme une «révolution anti-impérialiste». Les différents groupes communistes en Egypte, unis par leur soutien enthousiaste à Nasser, décidèrent de fusionner leurs forces. Pour aller dans le sens de la vague montante du nationalisme pan-arabe de Nasser, le Parti communiste unifié d’Egypte décréta qu’il était interdit aux Juifs de jouer un rôle dirigeant dans le parti.

Comme Nasser avait réussi à mater les communistes égyptiens, les nationalistes au pouvoir en Syrie cherchèrent à s’unir à l’Egypte afin de contrecarrer l’influence croissante du Parti communiste syrien. Comme en Egypte, les communistes syriens s’étaient liés politiquement à des nationalistes bourgeois qui se révélèrent les pires ennemis des travailleurs. Le parti Baas au pouvoir en Syrie, quoique violemment anticommuniste, se donnait des airs «de gauche»: comme il résistait aux pressions occidentales l’incitant à adhérer au Pacte de Bagdad, il avait fait des ouvertures à l’Union soviétique et fait entrer les communistes dans la coalition gouvernementale.

Le Parti communiste syrien continuait à se développer de façon spectaculaire, et en 1957 il était à la tête des trois fédérations syndicales. Il continuait à saluer en Nasser le «dirigeant du front national de libération arabe» tout en objectant à l’union prévue avec l’Egypte. Mais la création en 1958, sous la direction de Nasser, de la «République arabe unie» conduisit à la répression du puissant PC syrien, alors le plus grand du Proche-Orient, et à l’arrestation de ses dirigeants et de centaines de ses militants.

L’année suivante, Nasser se retourna brutalement contre les communistes égyptiens qui le soutenaient et ordonna l’arrestation de pratiquement tous les militants de gauche du pays. Les communistes emprisonnés furent humiliés, torturés et contraints de répudier leurs idées politiques. Et pourtant, alors même que leurs camarades étaient battus à mort ou qu’on les laissait mourir par manque de soins médicaux, les communistes continuèrent à soutenir politiquement Nasser.

Pendant toute la durée de leur alliance diplomatique avec le régime bonapartiste militaire de Nasser, les staliniens du Kremlin ont livré à l’Egypte capitaliste davantage de missiles anti-aériens et de matériel militaire en tout genre qu’ils n’en ont fournis au Nord-Vietnam, alors même que les ouvriers et les paysans vietnamiens menaient un combat héroïque – et finalement victorieux – contre l’impérialisme US. Comme on pouvait s’y attendre, le nationaliste bourgeois Nasser finit par se retourner contre ses parrains soviétiques. Dans les années 1970, Anouar Al-Sadate, le successeur qu’il s’était lui-même désigné, mit l’Egypte totalement dans l’orbite de l’impérialisme américain.

L’Iran après la Deuxième Guerre mondiale

C’est en Iran que s’est produit le plus formidable soulèvement ouvrier de l’après-Deuxième Guerre mondiale au Proche-Orient. Le Toudeh, parti communiste pro-Moscou, était, après plus de vingt ans de travail (clandestin en grande partie), très enraciné dans le prolétariat, et il s’était spectaculairement développé vers la fin de la guerre. En 1944 le Toudeh avait déjà 25000 membres. Il avait constitué un Conseil central des syndicats unis (CCSU) d’Iran, qui en 1946 revendiquait 400000 adhérents. Les forces du Toudeh étaient alors concentrées dans le nord de l’Iran, car le parti se conformait à Staline qui ne voulait pas de luttes sociales dans les pays impérialistes «démocratiques» ni dans leurs colonies: il décourageait donc ouvertement tout travail dans le sud occupé par les Britanniques, et en particulier dans la région pétrolière du Khouzistan, où l’explosion couvait.

Cependant, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une situation pré-révolutionnaire s’était de toute évidence développée et le Toudeh aurait pu prendre le pouvoir. Le CCSU jouait de facto le rôle d’un gouvernement dans le nord de l’Iran: il collectait les impôts, assurait la police et la justice, etc. En outre, la présence militaire soviétique dans le nord de l’Iran constituait un énorme encouragement à un soulèvement social. Mais pour Staline, le Toudeh et le prolétariat iranien n’étaient qu’une monnaie d’échange à sacrifier dans la vaine quête d’une «coexistence pacifique» avec l’impérialisme anglo-américain.

L’occupation du nord de l’Iran par l’armée soviétique fin 1945 conduisit à l’établissement de républiques autonomes dans l’Azerbaïdjan et le Kurdistan iraniens, où non seulement les droits nationaux furent accordés, mais des réformes significatives furent aussi réalisées. Toutefois le Kremlin retira ses troupes début 1946, sacrifiant les républiques d’Azerbaïdjan et du Kurdistan dans l’espoir d’obtenir du shah des concessions dans les domaines du pétrole et du gaz. Le marché que proposait Staline, c’est qu’il s’engageait implicitement à ce que le Toudeh utilise son immense autorité dans le prolétariat pour garantir la paix des classes. Cet engagement ne tarda pas à être honoré: le Toudeh allait bientôt gâcher une occasion révolutionnaire.

En juillet 1946, l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) essaya de briser les syndicats pro-Toudeh après une grève victorieuse des ouvriers des raffineries et des puits de pétrole dans la région majoritairement arabe du Khouzistan. Le CCSU appela alors à une grève générale. Après des combats de rue sanglants, attisés par l’AIOC, qui avaient éclaté entre ouvriers arabes et non arabes, les milices du Toudeh prirent le contrôle de la ville stratégique d’Abadan. Mais la direction du Toudeh, à la demande pressante du gouvernement, envoya le secrétaire général du parti et le premier secrétaire du CCSU à Abadan pour mettre fin à la grève, alors que les revendications des ouvriers n’avaient pas été satisfaites. En récompense pour cette trahison, trois membres du Toudeh furent admis au gouvernement. A peine deux mois plus tard, les ministres du Toudeh furent renvoyés; et quand le CCSU réagit en appelant à une journée de grève générale, des centaines de militants furent arrêtés, ses locaux occupés et son journal interdit.

Iran, 1953: une révolution prolétarienne sabotée

Le Toudeh, qui avait déjà saboté une occasion révolutionnaire, se retrouva à nouveau en position de renverser l’oligarchie au pouvoir lors de la crise de la nationalisation du pétrole, sous le régime de Muhammad Mossadegh. En 1949, Mossadegh, riche aristocrate et propriétaire foncier, prit au Majlis (parlement) la tête de l’opposition à un nouvel accord avec l’AIOC, et en 1951 il appelait carrément à la nationalisation du pétrole. Le Front national de Mossadegh était une alliance instable entre des technocrates bourgeois occidentalisés et une aile religieuse dirigée par le clergé chiite derrière l’ayatollah Kachani; c’est la revendication de la nationalisation de l’AIOC et l’opposition aux Britanniques et au shah qui réunissaient temporairement ces forces.

Le Toudeh, initialement, ne s’était pas rallié à Mossadegh, car les staliniens se méfiaient de ses liens avec Washington. Mais il fut obligé par sa base prolétarienne combative d’organiser de gigantesques grèves et manifestations pour exiger la nationalisation. En avril 1951, Abadan fut paralysé par une grève générale ponctuée d’affrontements sanglants avec l’armée. Effrayé par la vague de combativité prolétarienne, le shah nomma Mossadegh Premier ministre, et l’AIOC fut nationalisé. Le cartel mondial du pétrole répliqua en boycottant le pétrole iranien, ce qui étrangla peu à peu l’économie, et Washington se détourna de Mossadegh.

Quand, en 1938, la Grande-Bretagne annonça un boycott du pétrole mexicain après la nationalisation des intérêts pétroliers impérialistes par le régime du général Lázaro Cárdenas, Trotsky écrivit, en défense de la décision mexicaine: «L’expropriation du pétrole, ce n’est ni du socialisme ni du communisme. Mais c’est une mesure hautement progressiste d’autodéfense nationale» et il souligna que «le prolétariat international n’a aucune raison d’identifier son programme avec le programme du gouvernement mexicain» («Le Mexique et l’impérialisme britannique», juin 1938). C’était aussi le devoir des révolutionnaires de défendre la nationalisation de l’AIOC en Iran, tout en refusant d’apporter quelque soutien politique que ce soit au régime nationaliste bourgeois de Mossadegh. Les communistes devaient chercher à mobiliser la classe ouvrière dans une lutte indépendante contre le joug impérialiste, en avançant des revendications comme l’expropriation de toutes les possessions impérialistes; il fallait aussi entreprendre de constituer des conseils d’ouvriers et de paysans pauvres luttant pour le pouvoir d’Etat. Le Toudeh, par contre, alors que la vague de radicalisme prolétarien continuait à enfler, demandait aux masses laborieuses de soutenir politiquement le Front national bourgeois. Quand Mossadegh démissionna pour protester contre le refus du shah de lui accorder des pouvoirs accrus, le Toudeh, en juillet 1952, organisa une grève générale à Téhéran qui obligea le shah à le rappeler.

Au cours de l’année 1953, les tensions entre les classes s’intensifièrent encore en Iran. Le boycott international du pétrole iranien poussait la bourgeoisie et certains secteurs de la petite-bourgeoisie dans l’opposition à Mossadegh, tandis que la détérioration de la situation économique poussait les masses plébéiennes au désespoir. L’ayatollah Kachani et ses partisans rompirent avec le Front national et apportèrent leur soutien au shah. Des milliers d’ouvriers affluaient au Toudeh et dans ses organisations syndicales à la recherche d’une solution révolutionnaire aux énormes contradictions de la société iranienne. Les manifestations appelées par le Toudeh surpassaient de très loin celles appelées par le gouvernement.

En août, quand le shah tenta d’arrêter Mossadegh, le Toudeh fit descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes. Il était manifestement en mesure de prendre le pouvoir, mais les staliniens comptaient toujours sur Mossadegh pour mener à bien la «révolution démocratique». Au lieu de cela, Mossadegh fit appel aux généraux pour réprimer le Toudeh – ces mêmes généraux qui travaillaient en étroite collaboration avec les conseillers militaires américains et la CIA pour le renverser. Une mobilisation organisée par les ayatollahs, qui lâchèrent leurs nervis cléricaux-fascistes dans les rues de Téhéran, prépara le terrain pour que l’armée prenne le pouvoir.

Les généraux s’attaquèrent au Toudeh, puis se retournèrent contre le gouvernement Mossadegh. Un Etat policier féroce fut mis en place. Il allait systématiquement et impitoyablement écraser le Toudeh en tant que parti de masse et le contraindre à la clandestinité pendant près de vingt ans. Mais la direction stalinienne du Toudeh s’enfonça encore plus dans l’opportunisme criminel. Fin 1978, alors que des grèves des ouvriers du pétrole ébranlaient le régime du shah, le Toudeh s’aligna derrière la lutte pour le pouvoir de Khomeiny et du clergé islamique, contribuant ainsi à paver la voie au massacre des militants de gauche, des syndicalistes et des Kurdes. Contre toute une série de groupes soi-disant de gauche, en Iran et dans le reste du monde, qui acclamaient les mobilisations khomeinystes, nous proclamions: «Aucun soutien aux mollahs! A bas le shah! Les ouvriers au pouvoir!»

La révolution de 1958-1959 en Irak

Cinq ans seulement après le coup d’Etat fomenté par la CIA en Iran, se produisit la plus puissante manifestation jusqu’à présent de la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière au Proche-Orient. La chute de la monarchie irakienne, en 1958, déclencha un immense soulèvement prolétarien. La classe ouvrière, armée, fortement organisée et dirigée par le Parti communiste (PC) irakien, eut littéralement le pouvoir à portée de la main. Mais la direction stalinienne du PC irakien, sous les ordres directs de Moscou, gâcha cette occasion. La révolution irakienne, sabotée par la politique de collaboration de classes de la direction du PC irakien, qui enchaînait les ouvriers aux officiers nationalistes au pouvoir, fut noyée dans une vague de répression sanglante.

En 1948 déjà, le Parti communiste irakien avait été la force dominante d’un soulèvement contre les bases militaires britanniques dans tout le pays. Il y eut des mobilisations et des grèves massives, comme la grève des ouvriers du pétrole dirigée par les communistes, près de Haditha. Ce soulèvement fut finalement maté par la répression gouvernementale. Des centaines de communistes furent arrêtés; Fahd, le dirigeant du PC irakien, ainsi que deux autres membres du bureau politique, furent pendus en public.

Le PC irakien n’était pas seulement le plus prolétarien des partis communistes du Proche-Orient, il comptait un nombre important de militants appartenant à des minorités nationales, religieuses et ethniques. Depuis sa création en 1934, le PC irakien défendait le droit des Kurdes à l’indépendance. Le parti cherchait à recruter des ouvriers kurdes et publiait une presse en kurde. Au début des années 1950, un tiers des membres du comité central du parti étaient des Kurdes. Mais comme les staliniens, dans tout le Proche-Orient, cherchaient à cimenter des liens avec les nationalistes arabes contre l’alliance du Pacte de Bagdad dominé par les Américains, le PC irakien «arabisa» sa ligne. Dans une déclaration d’août 1955, la direction critiqua la position qu’elle avait précédemment défendue, à savoir qu’il existait «deux principaux groupes nationaux en Irak», et déclara froidement que «le peuple fraternel kurde n’a pas d’intérêts qui soient incompatibles avec les intérêts d’aucun des pays arabes» (cité dans les Vieilles Classes sociales et les mouvements révolutionnaires d’Irak, Hanna Batatu, 1978).

Le régime irakien fantoche était la pierre angulaire du Pacte de Bagdad, une alliance antisoviétique profondément impopulaire parmi toutes les couches de la société irakienne. En 1956, quand la Grande-Bretagne, la France et Israël envahirent l’Egypte en réaction à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, le PC irakien lança une campagne contre le gouvernement qui déclencha des soulèvements de masse dans les fiefs communistes de Najaf et de Hayy. Dans la ville de Najaf, en novembre 1956, une vague de manifestations dirigées par le PC aboutit à ce que les manifestants chassent la police des rues. On fit appel à la troupe, mais celle-ci fraternisa avec les manifestants. Le mouvement de Najaf provoqua une vague de grèves et de manifestations qui déferla sur Bagdad, Mossoul, Kirkouk et d’autres villes. Le mois suivant, à Hayy, le PC prit la tête d’une quasi-insurrection armée. Des ouvriers en armes prirent le contrôle d’une grande partie de la ville, tirant sur la police depuis les fenêtres et les toits des immeubles, mais furent repoussés quand ils tentèrent de prendre d’assaut le siège du pouvoir local. Des comités révolutionnaires et des «gardes populaires» organisaient la résistance et dressaient des barricades à des points stratégiques de la ville. On fit venir des renforts de police pour écraser la révolte d’Hayy, et deux communistes furent pendus sur la place publique.

Deux ans plus tard, en juillet 1958, un soulèvement révolutionnaire commença quand le Mouvement des Officiers libres irakien renversa la monarchie mise en place par les Britanniques. A l’annonce de la nouvelle, des centaines de milliers de déshérités étaient descendus dans les rues de Bagdad pour crier leur joie et leur haine de la famille royale. Dès le début, le PC apporta son soutien au gouvernement dirigé par le général Abd al-Karim Kassem, que les staliniens proclamèrent «dirigeant unique». Kassem essaya de jouer le PC, très bien organisé, contre les officiers nationalistes pan-arabes et contre le parti Baas, qui voulaient que l’Irak s’intègre à la République arabe unie récemment fondée par Nasser. Comme en Syrie, c’est parce que le Baas et les autres nationalistes arabes voulaient utiliser l’autorité de Nasser et les lois anticommunistes de l’Egypte pour briser la puissance croissante des communistes irakiens, qu’ils cherchaient l’unité avec l’Egypte.

A Washington et à Londres, la révolution de 1958, qui avait balayé la monarchie irakienne, un des principaux piliers de l’alliance antisoviétique anglo-américaine au Proche-Orient, et qui menaçait la domination capitaliste elle-même, alarma les maîtres impérialistes. Les Etats-Unis envoyèrent les Marines de la Sixième Flotte au Liban, et les Britanniques envoyèrent leurs parachutistes en Jordanie. C’était clairement une menace militaire en direction des masses irakiennes.

A la fin de l’été, une insurrection paysanne embrasa les plaines agricoles de l’Irak; les paysans incendièrent les domaines des propriétaires fonciers, détruisirent les livres de comptes et s’emparèrent des terres. L’influence des communistes progressait de façon spectaculaire. Mais les forces de la réaction s’organisaient fiévreusement pour tenter d’écraser la vague révolutionnaire. En mars 1959, des officiers nationalistes et le Baas, soutenus par les grands propriétaires fonciers et les chefs tribaux, s’apprêtèrent à déclencher un coup d’Etat contre-révolutionnaire à partir de la ville de Mossoul, mais le PC fit échec à ce plan en organisant une manifestation d’un quart de million de personnes, ce qui déclencha un soulèvement plébéien qui balaya les réactionnaires des rues de Mossoul.

La révolution ouvrière était à l’ordre du jour. Une déclaration du Baas, au printemps 1959, notait avec inquiétude que les communistes dominaient les syndicats, les organisations paysannes, l’union des étudiants, les forces de résistance populaires et les comités pour la défense de la république. Mais les dirigeants staliniens rejetaient jusqu’à l’idée de diriger une insurrection ouvrière pour renverser l’appareil d’Etat capitaliste, et cherchaient au contraire à devenir partie intégrante de celui-ci: des membres ou sympathisants éminents du PC réussirent à se faire nommer à des postes de responsabilité dans l’administration et l’armée. La question du pouvoir d’Etat prolétarien était posée, et pourtant tout ce que le PC demandait, c’était d’être représenté dans le gouvernement capitaliste. Des rassemblements gigantesques, certains de plus d’un million de personnes, étaient organisés à Bagdad pour soutenir cette revendication du Parti communiste. Des unités de l’armée loyales au PC ouvraient les arsenaux et distribuaient des armes.

Mais, pour la bureaucratie soviétique, même la revendication réformiste du PC réclamant quelques ministères dans le gouvernement capitaliste était trop extrême. Quand fin avril 1959 Kassem refusa de le laisser entrer dans le gouvernement, le PC irakien, obéissant aux ordres de Moscou, renonça docilement à réclamer un gouvernement de coalition. Comme Isaac Deutscher, historien marxiste, le montra à l’époque, Khrouchtchev avait trahi les communistes irakiens pour que son entrevue de Camp David avec le président américain Eisenhower ait lieu dans un climat plus favorable:

«La plupart des observateurs occidentaux sur le terrain étaient d’accord pour estimer que Kassem pourrait difficilement résister à une offensive générale communiste. Sa propre base était réduite, et il refusait d’essayer de rallier des forces anticommunistes qui étaient intimidées et désorganisées, et que Nasser cherchait à gagner en traitant Kassem de “marionnette communiste”.

«Puis, pendant l’été, l’offensive communiste fut soudain annulée – à la demande pressante de Moscou. A Moscou, les rapports sur la montée de la température révolutionnaire en Irak avaient provoqué une vive inquiétude. Khrouchtchev rejetait l’idée d’un soulèvement communiste à Bagdad, de peur que cela provoque une intensification des interventions occidentales dans la Méditerranée orientale, mette le Moyen-Orient à feu et à sang, et torpille sa politique de coexistence pacifique. Il faisait déjà des calculs sur ce que pouvait apporter sa visite à Washington, et voulait absolument apporter des preuves de “bonne volonté” soviétique au Moyen-Orient.

«A Moscou, on rédigea un réquisitoire contre les dirigeants communistes irakiens et on ordonna au parti irakien non seulement de se réconcilier avec Kassem, mais de capituler sans condition devant lui, avec seulement le minimum de ménagements pour ne pas perdre complètement la face.»

– reproduit dans Russia, China and the West [La Russie, la Chine et l’Occident], Deutscher (1970)

Kassem et les nationalistes anticommunistes passèrent alors à l’offensive. En juillet, des affrontements sanglants opposèrent des bandes baasistes aux communistes dans les quartiers de Bagdad. Les membres du PC furent chassés du gouvernement et de l’armée. Les dirigeants syndicaux communistes furent démis de leur poste ou arrêtés par la police. A Kirkouk, en juillet 1959, l’organisation locale du PC, majoritairement kurde, transforma un début de révolte en massacre de Turkmènes, qui étaient fortement représentés dans l’élite commerciale de la ville. Le massacre de Kirkouk servit ensuite de prétexte à Kassem pour réprimer le Parti communiste. Pourtant, les staliniens continuaient à se soumettre à lui et encaissaient les coups sans résistance sérieuse. Quand une révolte séparatiste kurde éclata à l’été 1961, le PC la dénonça comme «servant les desseins impérialistes».

En février 1963, le Baas réussit à organiser un coup d’Etat qui provoqua la chute de Kassem et libéra la fureur contre-révolutionnaire. Utilisant des listes de communistes fournies par la CIA, la Garde nationale, milice du parti Baas, déclencha un gigantesque coup de filet, arrêtant et abattant tous ceux qui étaient suspectés d’appartenir au PC. On estime que cette terreur baasiste sanglante se solda par 5000 morts; des milliers d’autres personnes furent emprisonnées, dont beaucoup horriblement torturées. Seul le renversement des baasistes par leurs anciens alliés de l’armée, en novembre 1963, mit fin à l’horreur. En 1969, quand le Baas revint au pouvoir, il termina ce qu’il avait commencé. Juifs, communistes et opposants divers passèrent en procès. Quant aux régions kurdes, elles furent complètement dévastées.

Dans un article polémique sur le Parti ouvrier du Kurdistan (PKK) traduit de Spartakist, l’organe de la section allemande de la Ligue communiste internationale, nous mentionnions cette possibilité manifeste de révolution prolétarienne en Irak en 1958-1959, et notant que le PCI était «le Parti communiste le plus prolétarien au Proche-Orient», nous écrivions:

«Au beau milieu de l’intense agitation sociale qui suivit la chute de la monarchie irakienne en 1959, cette puissante force pour la révolution sociale fut trahie par les staliniens irakiens et par Moscou. Au lieu de mobiliser sa base ouvrière pour s’emparer du pouvoir d’Etat en son nom propre, le PCI poussa les ouvriers à soutenir l’officier bourgeois Abd al-Karim Kassem.»

– «Trotskyism vs. PKK Nationalism» [Trotskysme contre nationalisme du PKK], Workers Vanguard no716, 9 juillet 1999

Dans une lettre publiée dans le numéro suivant («Sur le Parti communiste irakien», Workers Vanguard no717, 6 août 1999), K. Anderson accusait cette prise de position totalement correcte «d’être incroyablement molle par rapport au PC irakien». Anderson écrivait: «Il n’y avait aucune possibilité que ce parti puisse mobiliser “sa base ouvrière pour s’emparer du pouvoir en son nom propre” [...]. Le PC irakien était un obstacle à la révolution, et non sa direction potentielle.» Et le comité de rédaction de Workers Vanguard répondit: «Ce qu’écrit Anderson est parfaitement juste.»

En fait, c’était complètement faux, et à l’opposé de toute l’argumentation de l’article auquel nous renvoyions nos lecteurs dans notre réponse, «Iraqi Rulers’ Bloody Road to Power» [La voie sanglante des dirigeants irakiens vers le pouvoir] (Workers Vanguard no511, 5 octobre 1990). Comme nous le notions dans une résolution du comité central de la Spartacist League/U.S. adoptée à l’issue d’une discussion approfondie dans l’organisation: «Affirmer, comme Anderson dans sa lettre, qu’il n’y avait aucune possibilité que le PC irakien “ait pu mobiliser ‘sa base ouvrière pour s’emparer du pouvoir en son nom propre’” revient à dire qu’il n’y a aucune contradiction entre la base prolétarienne et la direction stalinienne. De ce fait, cela élimine toute possibilité qu’un parti trotskyste intervienne pour exploiter cette contradiction, et par extension élimine aussi toute possibilité de révolution socialiste prolétarienne.»

Comme l’ont démontré les événements en Irak, des situations révolutionnaires peuvent se produire, et se produisent généralement alors que la plus grande partie de la classe ouvrière est encore sous l’emprise d’une direction réformiste. Ce fait, en lui-même, ne détermine pas pour autant que la révolution sociale doive se terminer par une défaite, comme l’implique logiquement l’affirmation d’Anderson. Au contraire, la question de la victoire ou de la défaite du prolétariat dépend de si oui ou non l’avant-garde révolutionnaire réussit à remplacer les dirigeants réformistes traîtres à la tête de la classe ouvrière. Pendant la révolution et la guerre civile espagnoles dans les années 1930, Trotsky nota que le niveau de conscience politique du prolétariat espagnol, dans sa majorité, était plus avancé encore que celui du prolétariat russe en 1917. Ce qui manquait en Espagne, c’était un parti bolchévique, que Trotsky s’efforça inlassablement de créer dans le creuset même de la révolution.

Au cours de la discussion interne, un camarade fit remarquer qu’il y avait une différence importante entre les partis staliniens et sociaux-démocrates dans la manière dont ils étaient perçus. Le régime de Moscou était vu «comme l’héritier de la Révolution russe. Les gens le voyaient et y adhéraient sans prêter attention à la contre-révolution politique qui s’était produite». C’est pourquoi les partis staliniens «[...] ne furent jamais simplement équivalents aux partis socialistes. Cela a duré longtemps. C’est seulement avec la montée de l’“eurocommunisme” et finalement l’élimination de l’Union soviétique que les partis staliniens devinrent simplement identiques aux partis réformistes. Ils avaient toujours eu un radicalisme indifférencié qui les mettait à part, de sorte qu’aucun militant noir sain d’esprit n’aurait adhéré au Parti socialiste américain, mais que beaucoup d’entre eux adhérèrent au Parti communiste.» Effectivement, les partis sociaux-démocrates de masse, qui de par leur nature se basent sur des illusions dans la «démocratie» parlementaire impérialiste, ne se sont jamais développés au Proche-Orient, ni presque nulle part ailleurs dans le monde colonial.

Par contre à la fin des années 1930 et dans les années 1940, des noyaux trotskystes dans des pays coloniaux comme l’Indochine et Ceylan (Sri Lanka) acquirent une base de masse aux dépens des staliniens. Ces derniers avaient en effet été amenés à rejeter la lutte pour l’indépendance nationale étant donné leur ralliement au front populaire et, plus tard, l’alliance du régime soviétique avec les impérialistes «démocratiques» pendant la guerre. Intervenant dans l’agitation sociale qui accompagnait la défaite et le désarmement des forces d’occupation japonaises au Vietnam à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les trotskystes réussirent à diriger une insurrection prolétarienne à Saïgon contre l’entrée des troupes britanniques et françaises, tandis que les staliniens d’Hô Chi Minh, eux, collaboraient avec les impérialistes «démocratiques». Bien que réprimée dans le sang par les impérialistes (avec l’aide des staliniens), l’insurrection de Saïgon donnait un exemple concret de comment l’intervention d’un parti trotskyste dans le soulèvement prolétarien de 1958-1959 en Irak aurait pu déboucher sur une révolution socialiste détruisant l’ordre bourgeois dans ce pays.

La lettre d’Anderson était un dérapage politique qui, poussé à sa conclusion logique, conduit à la position que le stalinisme est «contre-révolutionnaire jusqu’à la moëlle», c’est-à-dire que la bureaucratie stalinienne et les partis staliniens sont purement et simplement réactionnaires. Historiquement, ce sont des réformistes et des centristes qui défendent cette position. Le «Comité international» de Gerry Healy-David North, par exemple, le fait pour jeter aux orties la position trotskyste de défense militaire inconditionnelle des Etats ouvriers dégénéré et déformés (voir «Anatomy of a Healyite Russia Hater – David North: Joseph Hansen’s Natural Son» [Anatomie d’un healiste antisoviétique – David North: le fils naturel de Joseph Hansen], Workers Vanguard no456, 1er juillet 1988). Notre petite avant-garde révolutionnaire n’est pas immunisée contre les pressions politiques puissantes et omniprésentes exercées par les forces extérieures dans cette période post-soviétique. Ce qui est crucial, c’est que le parti soit capable de corriger ses erreurs, de clarifier et de résorber les divergences politiques dans un débat politique interne réfléchi et approfondi mené conformément à nos normes du centralisme démocratique léniniste. Dans ce cas précis, la discussion a étendu et approfondi notre compréhension de comment le mouvement communiste s’est développé au Proche-Orient; nous avons étudié l’histoire des luttes pour baliser la voie pour ceux qui veulent combattre aujourd’hui pour de nouvelles révolutions d’Octobre au Proche-Orient.

Les marxistes, les pseudo-trotskystes et le nationalisme arabe

Dans la turbulence révolutionnaire qu’a connue le Proche-Orient à la fin des années 1940 et au début des années 1950, l’intervention d’une organisation trotskyste, même relativement petite, aurait pu scissionner les partis communistes, en arrachant ouvriers et intellectuels subjectivement révolutionnaires à leurs dirigeants staliniens traîtres. C’était la voie à suivre pour forger d’authentiques partis d’avant-garde léninistes dans cette région. Mais la perspective de forger un parti d’avant-garde léniniste est rejetée par nos opposants à gauche, qui pour la plupart se sont mis à la remorque du nationalisme arabe.

Typiques à cet égard sont les pseudo-trotskystes du Secrétariat unifié (SU) de feu Ernest Mandel, qui se sont enthousiasmés pour une mythique «révolution arabe». Ils justifiaient ainsi leur suivisme envers des nationalistes arabes «de gauche», depuis les despotes militaires comme Nasser jusqu’aux nationalistes petits-bourgeois de l’Organisation de libération de la Palestine. Le SU a constamment soutenu le nationalisme palestinien. De l’approbation enthousiaste des actes de terrorisme indiscriminé contre les Juifs au début des années 1970, il en est venu à soutenir aujourd’hui l’accord de «paix» entre l’OLP et Israël. C’est parce que le SU soutient des régimes nationalistes bourgeois arabes qu’il soutient le nationalisme palestinien et c’est logique.

Quand la lutte pour l’indépendance algérienne amena au pouvoir les nationalistes petits-bourgeois du Front de libération national (FLN), Michel Pablo, le mentor de Mandel, accepta un poste dans l’appareil gouvernemental bourgeois du dirigeant FLN Ben Bella. Le Socialist Workers Party américain, qui venait de passer du trotskysme au centrisme, considérait que le régime de Ben Bella était un «gouvernement ouvrier et paysan», suggérant qu’il allait établir un gouvernement ouvrier révolutionnaire, comme les bolchéviks en Russie. Les nationalistes arabes du FLN s’étaient engagés à préserver la propriété capitaliste, avaient proclamé l’islam religion d’Etat et pratiquaient une politique discriminatoire à l’égard de la minorité berbère. Mais les pablistes persistèrent dans leur soutien politique, même quand en 1963 Ben Bella réprima dans le sang une révolte berbère.

Le soutien politique du SU à des nationalistes bourgeois fut «théorisé» dans une déclaration publiée en 1974 par ses groupes arabes. Le titre anglais en était «The Arab Revolution, Its Character, Present State, and Perspectives» [La révolution arabe, sa nature, son état actuel et ses perspectives]. Malgré des allusions à la «révolution socialiste» et même à la «dictature du prolétariat», le SU se plaçait sur le même terrain que les nationalistes arabes, en déclarant que «l’unité nationale arabe est la tâche centrale de la révolution arabe», et en s’enthousiasmant pour son «potentiel révolutionnaire». Le fond de commerce du pablisme, c’est l’idée qu’une «dynamique» objectivement révolutionnaire pousse les masses vers le socialisme, éliminant ainsi le besoin de forger un parti d’avant-garde révolutionnaire. Mais la dynamique de la «révolution arabe» que les pablistes voyaient était une «dynamique» qui conduisait non pas au socialisme, mais à la consolidation d’un Etat bourgeois unifié!

Les pablistes écartaient totalement la possibilité de gagner la base ouvrière des partis staliniens des pays arabes en opposition aux trahisons des luttes révolutionnaires que perpétraient leurs dirigeants dans des alliances de collaboration de classes avec des nationalistes arabes. Au contraire, le SU critiquait les traîtres staliniens parce qu’ils ne capitulaient pas assez devant Nasser:

«L’incapacité sectaire à comprendre la question nationale a désarmé les partis communistes arabes, et en premier lieu le Parti communiste syrien, dans leur opposition à l’union syro-égyptienne de 1958, qui était en partie dirigée contre eux. Au lieu de mener sa lutte démocratique dans le cadre de l’union, le PC syrien s’est opposé à l’union en tant que telle, ce qui l’a complètement isolé des masses syriennes et a facilité la répression qui s’est abattue sur lui. De même, en s’opposant à l’union pour soutenir le général Kassem, le Parti communiste irakien a perdu une part considérable de son influence parmi les nationalistes. Dans toutes ces positions, le mouvement stalinien arabe s’est placé au pôle opposé du mouvement nationaliste, en dénigrant les aspirations nationales des masses arabes au nom d’une prétendue attitude de classe, négligeant totalement le potentiel révolutionnaire de la question de l’unité arabe.»

– «La révolution arabe, sa nature, son état actuel et ses perspectives»

Les soi-disant anti-pablistes rassemblés dans le «Comité international» de Gerry Healy eux aussi s’enthousiasmèrent pour la «révolution arabe» à partir de 1967, et poussèrent ce soutien jusqu’à sa logique extrême dans les années qui suivirent en jouant le rôle d’agents de relations publiques stipendiés pour divers régimes bourgeois arabes (voir «Le healysme implose», Spartacist édition française no23-24, printemps 1986).

Nous, par contre, nous avons toujours insisté que l’idée d’une «révolution arabe» transcendant les classes était une mystification qui entravait une véritable libération nationale et sociale des travailleurs de l’Orient arabe. Comme nous l’écrivions après la guerre israélo-arabe de 1967:

«Beaucoup de soi-disant marxistes pensent que la lutte pour la “libération nationale” des pays arabes s’est confondue avec la lutte pour le socialisme dans ces pays, ou même qu’elle l’a remplacée. En conséquence, ils attribuent le rôle d’“agent révolutionnaire” à des cliques petites-bourgeoises au lieu de la classe ouvrière, et ils considèrent Nasser et les autres militaristes comme les libérateurs des masses arabes. Ce genre de soutien à une “libération nationale” sans contenu de classe prolonge l’asservissement des masses arabes à leurs propres bourgeoisies.»

Spartacist édition anglaise, no11, mars-avril 1968

La voie communiste vers la libération sociale

En un peu plus d’une décennie, le SU est passé du soutien à la «révolution arabe» de Nasser et Cie au soutien à la «révolution islamique» de l’ayatollah Khomeiny – rejoint en cela par presque tous les groupes pseudo-trotskystes dans le monde. Parmi ceux-ci la tendance internationale fondée par Tony Cliff, récemment disparu, et dirigée par le Socialist Workers Party (SWP) britannique, longtemps représenté aux Etats-Unis par l’International Socialist Organization (ISO), figurait en bonne place. La stalinophobie enragée est la marque de fabrique de l’officine social-démocrate de Cliff, depuis l’époque de la guerre de Corée (1950-1953), quand Cliff rompit avec le mouvement trotskyste en s’opposant à la défense militaire inconditionnelle des Etats ouvriers déformés nord-coréen et chinois contre l’impérialisme.

L’antisoviétisme de guerre froide et le soutien aux intégristes se rejoignirent pour les cliffistes en Afghanistan, où les impérialistes utilisèrent la lutte des mollahs contre l’intervention soviétique en 1979 pour mener une guerre par procuration contre l’Union soviétique. Washington armait et soutenait le djihad (guerre sainte) réactionnaire des intégristes – qui était aussi soutenu par pratiquement tous les régimes du Proche-Orient. Nous avons salué haut et fort l’intervention de l’Armée rouge soviétique en Afghanistan contre les forces dirigées par les mollahs, et nous avons appelé à l’extension à l’Afghanistan des acquis sociaux de la révolution d’Octobre. L’intervention militaire soviétique offrait la possibilité d’ouvrir la voie à l’émancipation de la population affreusement opprimée d’Afghanistan; par contre, le retrait décidé par le Kremlin en 1988-1989 pava la voie aux massacres sanglants qui s’ensuivirent.

Mais les cliffistes se tenaient fermement dans le camp de la réaction. Aux Etats-Unis, l’ISO proclamait un soutien sans réserve aux mollahs: «Tout comme les socialistes ont applaudi à la défaite des USA au Vietnam, nous applaudissons à la défaite des Russes en Afghanistan. Elle encouragera tous ceux qui, en URSS et en Europe de l’Est, veulent briser le pouvoir des héritiers de Staline» (Socialist Worker, mai 1988). Les cliffistes acclamèrent ensuite avec enthousiasme la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, qui a conduit à une paupérisation massive des travailleurs et à des massacres fratricides.

La guerre en Afghanistan a mis en lumière le caractère central de la question femmes dans l’Orient islamique, à la fois comme force motrice pour la révolution sociale et comme point de ralliement pour la réaction soutenue par les impérialistes. Au début de la guerre, le New York Times (9 février 1980) écrivait: «C’est le fait que le gouvernement révolutionnaire de Kaboul ait accordé de nouveaux droits aux femmes qui a poussé les hommes musulmans orthodoxes des villages pachtounes de l’est de l’Afghanistan à prendre les armes.» D’un autre côté, ce sont des femmes afghanes, armées et organisées en milices, qui furent parmi les combattants les plus ardents pour défendre le régime nationaliste modernisateur contre les moudjahidins soutenus par les Etats-Unis.

Même dans les «démocraties» capitalistes les plus avancées d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, les femmes restent très opprimées malgré l’égalité légale et politique; elles subissent la discrimination dans l’emploi et les salaires, et se voient assigner comme rôle principal dans la société celui de femmes au foyer et de génitrices; des droits fondamentaux comme l’avortement leur sont soit refusés, soit constamment remis en cause. L’islam, en grande partie parce qu’il existe surtout dans des pays semi-coloniaux où l’arriération sociale est renforcée par l’asservissement impérialiste, n’a pas été obligé d’adapter son code moral répressif et de limiter son pouvoir temporel pour se conformer au principe de l’égalité politique formelle issu des révolutions démocratiques bourgeoises en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord.

L’impérialisme, tout en introduisant la technologie capitaliste la plus avancée dans ces pays arriérés, renforçait les aspects les plus réactionnaires et les plus répressifs de la société semi-féodale. Malgré une indépendance formelle, les bourgeoisies semi-coloniales restent dépendantes des impérialistes, et craignent toute remise en cause de leur domination de classe par le prolétariat à la tête de la paysannerie pauvre et de tous les opprimés. Ces nationalistes bourgeois sont hostiles à l’émancipation des femmes, qui ne peut se réaliser que par une révolution socialiste amenant un bouleversement complet des rapports de propriété capitalistes et de toutes les institutions sociales qui y sont associées.

D’un autre côté, la lutte contre l’oppression des femmes est une force motrice pour la lutte révolutionnaire dans ce genre de pays. Décrivant la liberté nouvellement conquise des femmes de l’Asie centrale soviétique dans un discours prononcé en 1924 devant l’«Université communiste des travailleurs de l’Orient», Léon Trotsky déclarait:

«Aujourd’hui encore, on peut observer en Orient le pouvoir de l’islam, des vieux préjugés, croyances et coutumes, mais ceux-ci tomberont de plus en plus en poussière et en cendres [...]. Et ceci signifie, en outre, que la femme orientale, qui est la plus paralysée dans sa vie, ses habitudes et sa créativité, qui est l’esclave des esclaves, se retrouvera soudain libérée de toute entrave religieuse quand elle aura, étant donné les exigences des nouvelles relations économiques, arraché son voile; elle aura une soif passionnée d’acquérir de nouvelles idées, une nouvelle conscience politique qui lui permettra d’apprécier sa nouvelle position dans la société. Et il n’y aura pas de meilleur communiste en Orient, pas de meilleur combattant pour les idées de la révolution et pour les idées du communisme, que la femme travailleuse éveillée à la conscience révolutionnaire.» [traduit de l’anglais]

Le Proche-Orient est un foyer incandescent de rivalités impérialistes autour du contrôle des réserves de pétrole vitales de la région. Il y sévit aussi une oppression intense et aux mille facettes: oppression des femmes, des minorités nationales, ethniques et religieuses, ainsi que des homosexuels et d’autres. Mais ces cinquante dernières années, il s’est aussi développé un prolétariat moderne considérable dans les centres urbains de tout le Proche-Orient. Cette classe ouvrière industrielle a la puissance sociale nécessaire pour diriger les masses opprimées dans la lutte pour renverser l’ordre capitaliste et ouvrir la voie au socialisme. La clé, c’est de forger une direction révolutionnaire du prolétariat, sur le modèle des bolchéviks de Lénine qui ont dirigé la Révolution russe de 1917, basée sur la théorie et le programme de la révolution permanente de Trotsky.

Le renversement révolutionnaire du capitalisme ne peut pas se limiter à un seul pays. Il doit nécessairement balayer les régimes bonapartistes sanguinaires de Syrie et d’Irak, les intégristes moyenâgeux d’Iran et du Soudan, les monarchies réactionnaires de Jordanie, d’Arabie saoudite et des pays du Golfe, ainsi que la bourgeoisie sioniste d’Israël. Il faut que ce soit une lutte internationaliste liée au combat pour la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés d’Europe et d’Amérique du Nord. Pour cela il faut forger des partis trotskystes qui se réapproprieront l’histoire riche en combats de classe unitaires du Proche-Orient. Ceci fait partie de la lutte pour gagner la classe ouvrière de cette région du monde – à la tête de la paysannerie et des nombreuses nationalités opprimées – au drapeau de l’internationalisme léniniste. Pour une fédération socialiste du Proche-Orient! Pour la révolution socialiste mondiale!

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