Le bilan de la collaboration de classes stalinienne: des révolutions trahies
Proche-Orient, années 1950: révolution permanente contre nationalisme bourgeois
Pour une fédération socialiste du Proche-Orient!
Spartacist (édition française) no. 35, printemps 2003.
Nous publions ci-dessous la traduction dun article en deux parties paru dans Workers Vanguard no. 740, 25 août 2000 et no. 741, 8 septembre 2000.
Il règne au Proche-Orient une pauvreté abominable, et un obscurantisme qui asservit les femmes; le peuple palestinien est spolié par Israël et de nombreuses autres minorités nationales sont opprimées par les régimes nationalistes arabes et iranien. La domination que les puissances impérialistes exercent sur la région a encore renforcé larriération sociale et loppression dans ces pays. Les impérialistes ne cessent dintriguer et de semer la destruction, comme aujourdhui avec les bombardements américano-britanniques contre lIrak, et la préoccupation stratégique qui motive tout cela cest le contrôle des ressources pétrolières, qui fournissent plus de 40% de lénergie mondiale. LArabie saoudite, le Koweit et les émirats de la péninsule arabique détiennent les trois quarts des réserves mondiales de pétrole identifiées. Depuis les années 1920 le contrôle des gisements de pétrole du golfe Persique confère aux impérialismes américain et britannique un énorme avantage stratégique sur leurs principaux rivaux, lAllemagne et le Japon.
Le développement de lindustrie pétrolière a aussi produit un prolétariat dans cette région du monde. Et cest lui qui détient la puissance nécessaire pour prendre la tête de tous les opprimés dans une lutte révolutionnaire contre lasservissement impérialiste. Mais, trahis maintes fois par des nationalistes petits-bourgeois se disant de gauche ainsi que par les staliniens, et écrasés par des régimes bourgeois tyranniques, beaucoup de jeunes anti-impérialistes et les couches les plus opprimées de la population se sont tournés vers le miroir aux alouettes de lintégrisme islamiste. Pourtant dans les années 1950, cette région avait connu un bouillonnement de luttes ouvrières révolutionnaires qui offraient une vraie perspective den finir avec lasservissement impérialiste, la réaction sociale et lexploitation brutale.
Le New York Times du 16 avril 2000 a publié un long article sur le coup dEtat organisé par la CIA en Iran en 1953, en pleine guerre froide de limpérialisme contre lUnion soviétique. En nationalisant le monopole Anglo-Iranian Oil, le gouvernement iranien sattira les foudres des impérialistes, et cela créa une crise révolutionnaire de plus en plus aiguë. Comme le dit le Times: «Lanticommunisme avait atteint son paroxysme à Washington, et les responsables redoutaient que lIran tombe sous linfluence de lUnion soviétique» et avec lui les vastes réserves pétrolières de ce pays. Le Parti communiste pro-Moscou, Toudeh (masses), exerçait une influence hégémonique sur le prolétariat et avait de nombreux partisans dans la petite-bourgeoisie urbaine et parmi les intellectuels. Allen Dulles, le chef de la CIA, soutenait quil fallait que les Etats-Unis installent à Téhéran un gouvernement «qui conclurait un accord équitable sur le pétrole [...] et qui réprimerait vigoureusement un Parti communiste dangereusement fort».
Un an plus tôt, en Egypte, un soulèvement populaire avait conduit au renversement du roi Farouk, fantoche des Britanniques, et le Mouvement des Officiers libres de Gamal Abdel-Nasser avait accédé au pouvoir. Là aussi, les secteurs les plus importants et les plus combatifs de la classe ouvrière attendaient des communistes quils les dirigent. Quelques années plus tard, en 1958 en Irak, un coup dEtat par des officiers de gauche chassa la monarchie hachémite quavaient installée les Britanniques. Et le président américain Dwight Eisenhower avait déclaré à ce propos que des révolutions pourraient «avoir pour conséquence lélimination complète de linfluence occidentale au Moyen-Orient». Dans la période de turbulence révolutionnaire qui sensuivit, le Parti communiste irakien, qui avait une base solide parmi les ouvriers du pétrole arabes et kurdes et des appuis substantiels dans larmée elle-même, aurait effectivement pu semparer du pouvoir dEtat.
Dans tout le Proche-Orient, les partis communistes attiraient les ouvriers avancés et les intellectuels radicaux. Dans ce patchwork de minorités nationales, ethniques et religieuses, les PC étaient à peu près les seules organisations dont la base transcendait les divisions nationales et religieuses: les Juifs jouaient un rôle important dans le mouvement communiste égyptien, les Kurdes dans celui dIrak. Les militants communistes se reconnaissaient dans linternationalisme prolétarien de la Révolution bolchévique (même si cétait dune façon défigurée et pervertie par le stalinisme). Pour eux, lUnion soviétique montrait la voie de la libération du joug impérialiste, cétait un modèle de développement économique. Grâce à la Révolution bolchévique de 1917, les régions musulmanes de lancien empire tsariste lAsie centrale et lAzerbaïdjan, dans le Caucase qui avaient été encore plus arriérées socialement et économiquement que le Proche-Orient, étaient devenues des sociétés modernes où les femmes nétaient plus voilées et asservies, et où tout le monde avait accès à léducation et aux soins médicaux.
Pourtant, les soulèvements révolutionnaires en Iran et en Irak ne débouchèrent pas sur de nouvelles révolutions dOctobre. Au contraire, ces occasions furent sacrifiées par la bureaucratie stalinienne soviétique au nom de la poursuite futile et traître dune «coexistence pacifique» avec limpérialisme. Les directions des partis communistes de la région étaient extrêmement loyales à Moscou et sous son étroit contrôle, à la fois idéologique et financier. Malgré les aspirations révolutionnaires de leurs militants et de leurs sympathisants, les partis communistes du Proche-Orient aidèrent à installer des régimes nationalistes bourgeois qui écrasèrent ensuite la gauche et le mouvement ouvrier et persécutèrent les minorités nationales et ethniques. Comment et pourquoi en fut-il ainsi?
En dernier ressort, cest la dégénérescence stalinienne de lEtat ouvrier soviétique et le remplacement de linternationalisme bolchévique par le dogme nationaliste du «socialisme dans un seul pays» et son corollaire la collaboration de classes, qui expliquent ce qui sest passé. LOpposition de gauche de Léon Trotsky, co-dirigeant de la révolution dOctobre avec V.I. Lénine, a lutté pied à pied contre la dégénérescence stalinienne de lUnion soviétique et de lInternationale communiste. Et finalement le régime bureaucratique stalinien a ouvert toutes grandes les portes à la contre-révolution capitaliste qui a détruit lUnion soviétique en 1991-1992. Dans le cadre de notre combat pour reforger la Quatrième Internationale trotskyste, la Ligue communiste internationale cherche à gagner une nouvelle génération de militants prolétariens révolutionnaires du Proche-Orient à létendard du léninisme authentique.
La «révolution par étapes»: la voie de la défaite
Lhistoire du Proche-Orient dans la deuxième moitié du XXe siècle démontre que même les régimes nationalistes bourgeois les plus «à gauche» quels que soient les airs « socialistes» quils se donnent et malgré leurs déclamations «anti-impérialistes» sont en fait des agents de la domination impérialiste, qui par conséquent perpétuent larriération sociale et économique de leur pays. Comme lécrivait Trotsky en 1927, au lendemain de la défaite de la Deuxième Révolution chinoise, alors que les nationalistes «de gauche» du Guomindang avaient noyé dans le sang la classe ouvrière dirigée par les communistes:
«Tout ce qui relève la foule opprimée des travailleurs pousse fatalement la bourgeoisie nationale à lalliance militaire déclarée avec limpérialisme. La lutte de classe entre la bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes, loin dêtre affaiblie par loppression impérialiste, est au contraire exaspérée, à chaque conflit sérieux, jusquà se changer en guerre civile sanglante.»
«La Révolution chinoise et les thèses du camarade Staline», La question chinoise dans lInternationale communiste
Tant que lURSS existait, laide soviétique, financière et militaire, donnait aux régimes nationalistes bourgeois arabes une certaine marge de manoeuvre vis-à-vis des Etats impérialistes occidentaux et japonais. Mais cétait dans un cadre dominé par Wall Street, la City de Londres, la Deutsche Bank et les keiritsu japonais.
Malgré les réformes agraires limitées réalisées dans les années 1950 et au début des années 1960 par les régimes nationalistes dEgypte, de Syrie et dIrak, le tableau général de la propriété foncière ressemble encore à ce quil était il y a un siècle. De riches propriétaires fonciers possèdent une grande partie des meilleures terres, tandis que des millions de paysans désespérés, incapables dassurer leur subsistance sur leurs minuscules parcelles de terres arides, ont afflué vers les immenses bidonvilles qui entourent Le Caire, Damas et Bagdad.
Beaucoup de ces pays sont déchirés par des antagonismes nationaux, religieux et ethniques; il y a y compris dintenses conflits entre musulmans sunnites et chiites. En Algérie, une bourgeoisie à prédominance arabe domine la minorité nationale berbère; en Egypte, un pays majoritairement musulman, la minorité chrétienne copte est pourchassée et persécutée, en particulier par les intégristes islamistes. La nation kurde est écartelée entre quatre Etats capitalistes qui loppriment: la Syrie, lIrak, lIran et la Turquie. Loppression des femmes, symbolisée par le voile, reste profondément enracinée en Iran et dans tout le monde arabe. Les lois gouvernant le statut personnel sont largement basées sur la charia (la loi islamique), qui approuve la polygamie, accorde aux maris le droit de divorcer pratiquement comme ils veulent et soumet les femmes à l «autorité» de leur père et de leur mari. La condition des femmes, particulièrement dans les zones rurales, est dune arriération moyenâgeuse. En Egypte, 60% des femmes sont illettrées.
En même temps, téléphones portables et ordinateurs sont des objets courants parmi les professions libérales du Caire; un grand nombre de travailleurs égyptiens sont concentrés dans des usines de montage automobiles modernes à capitaux étrangers, alors que, dans la vallée du Nil, des villageois aux pieds nus labourent leurs champs avec des outils qui nont guère évolué depuis lépoque des pharaons. Les ouvriers iraniens et irakiens dans lindustrie pétrolière, hautement qualifiés, qui ont derrière eux des dizaines dannées de traditions syndicales et communistes, coexistent avec les préjugés moyenâgeux et larriération sociale.
Cest le même genre de développement inégal et combiné, où une industrie moderne et un puissant prolétariat industriel ont été plaqués sur des sociétés à base largement paysanne, qui prévalait aussi en Russie à la veille de la Révolution bolchévique. Bien quelle-même une puissance impérialiste, la Russie, contrairement aux pays capitalistes plus avancés dEurope de lOuest, navait pas connu de révolution démocratique bourgeoise et restait engluée dans larriération sociale et économique. La bourgeoisie russe, qui était apparue tard dans lère capitaliste, était dépendante du capital occidental et dautant plus vénale quelle était faible. Lautocratie tsariste régnait sur une vaste prison des peuples et une masse de paysans qui vivaient dans la misère. En même temps, grâce aux investissements capitalistes, sétait développée une classe ouvrière peu nombreuse mais combative, concentrée dans de grandes industries modernes, qui montra sa puissance dans la révolution de 1905.
Marx et Engels avaient parlé pour la première fois de «révolution en permanence» dans l«Adresse au comité central de la Ligue des communistes» de 1850, alors que la bourgeoisie venait de passer du côté des vieilles classes réactionnaires contre le jeune prolétariat révolutionnaire dans la révolution démocratique allemande avortée de 1848. Cest ce document qui inspira à Léon Trotsky, à lépoque de la révolution de 1905, la théorie et le programme de la révolution permanente, qui soulignait que la révolution agraire, la démocratie politique et les autres tâches de la révolution démocratique bourgeoise en Russie ne pourraient pas être accomplies par une bourgeoisie faible et dépendante, qui avait bien trop peur du prolétariat pour mobiliser les masses ouvrières et paysannes dans une offensive contre lautocratie. Au contraire, comme le résumera plus tard Trotsky quand il généralisera la perspective de révolution permanente à tous les pays capitalistes dépendants:
«Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes.
«[...] Sans une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, les tâches de la révolution démocratique ne peuvent pas être résolues; elles ne peuvent même pas être sérieusement posées. Mais lalliance de ces deux classes ne se réalisera pas autrement que dans une lutte implacable contre linfluence de la bourgeoisie libérale nationale.
«[...] La dictature du prolétariat qui a pris le pouvoir comme force dirigeante de la révolution démocratique est inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire des incursions profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente.
«[...] Dans un pays où le prolétariat arrive au pouvoir à la suite dune révolution démocratique, le sort ultérieur de la dictature et du socialisme dépendra moins, en fin de compte, des forces productives nationales que du développement de la révolution socialiste internationale.»
la Révolution permanente (1929)
La révolution dOctobre a confirmé cette théorie de la révolution permanente. Lénine na accepté les conclusions programmatiques de lanalyse de Trotsky quà la veille de la révolution, mais il avait forgé un instrument pour la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti bolchévique, précisément en luttant sans concessions contre toutes les variantes de nationalisme bourgeois et de libéralisme, et en particulier contre les opportunistes menchéviques qui étaient à la remorque de la bourgeoisie libérale.
Mais les partis qui se trouvaient à la tête des ouvriers du pétrole iraniens et irakiens dans les années 1950 ne se basaient pas, programmatiquement, sur linternationalisme prolétarien et lopposition révolutionnaire au nationalisme bourgeois. La bureaucratie stalinienne, qui en 1924 avait usurpé le pouvoir en Union soviétique dans une contre-révolution politique, avait répudié le programme bolchévique de révolution socialiste internationale, en faveur du dogme nationaliste du «socialisme dans un seul pays». Cétait une dénégation absolue de la conception marxiste, à savoir, quon ne peut construire une société socialiste que sur une base internationale, en détruisant limpérialisme capitaliste en tant que système mondial et en établissant une division du travail socialiste mondiale. LInternationale communiste, qui était un instrument pour la révolution prolétarienne mondiale, devint linstrument des manoeuvres diplomatiques soviétiques avec les pays capitalistes, conduisant à ladoption dun programme et dune stratégie de collaboration de classes.
Au Proche-Orient et dans dautres pays arriérés, ceci prit la forme du vieux schéma menchévique de «révolution par étapes», qui renvoyait la révolution socialiste aux calendes grecques, tandis que dans l«étape démocratique» elle subordonnait le prolétariat à une bourgeoisie nationale prétendument «progressiste» ou «anti-impérialiste». Mais celle-ci se retourne inévitablement contre ses anciens alliés communistes et leur base ouvrière. Lhistoire a montré que la «deuxième étape» consiste à tuer les rouges et à massacrer les ouvriers! Que ce soit dans la Révolution chinoise de 1925-1927, en Espagne en 1936-1937, en Iran et en Irak dans les années 1950, ou en Indonésie en 1965-1966, la «révolution par étapes» a inéluctablement conduit à la défaite sanglante du prolétariat.
Aujourdhui, les partis communistes du Proche-Orient, durement affectés par les conséquences de leurs trahisons et par la disparition de lUnion soviétique, ne sont plus que lombre deux-mêmes. Quant aux idéologues impérialistes, ils célèbrent la prétendue «mort du communisme» maintenant que le capitalisme a été restauré en Europe de lEst et dans lex-Union soviétique. Mais dans les années 1990, le prolétariat indonésien sest réveillé à la lutte sociale après trois décennies de dictature militaire anticommuniste sanglante, et les travailleurs du Proche-Orient engageront eux aussi à nouveau des luttes révolutionnaires contre les impérialistes qui les asservissent et contre leurs exploiteurs capitalistes locaux. La tâche essentielle, cest de construire des partis léninistes-trotskystes déterminés à défendre les principes de linternationalisme prolétarien et le programme de la révolution permanente. Pour réaliser cette tâche, il faut que la jeune génération douvriers combatifs et dintellectuels de gauche du Proche-Orient assimile les leçons des luttes révolutionnaires passées, trahies par le stalinisme et écrasées par le nationalisme bourgeois arabe.
La dégénérescence stalinienne de lInternationale communiste
La révolution dOctobre 1917 en Russie a eu un énorme impact sur le Proche-Orient. Après lécroulement de lEmpire ottoman et sa défaite au cours de la Première Guerre mondiale, cette région fut dépecée par les impérialistes britanniques et français. La Révolution bolchévique, pendant les trois ans de guerre civile sanglante contre les armées blanches contre-révolutionnaires soutenues par les impérialistes, sétendit, elle, à lAsie centrale musulmane. Elle inspira une série de révoltes nationales et de soulèvements populaires dans le vaste territoire occupé par les forces militaires britanniques, de lEgypte à lIran en passant par le Croissant fertile. Un observateur égyptien de lépoque rapportait que «les nouvelles des succès ou des victoires des bolchéviks» dans la guerre civile russe «semblent produire une bouffée de joie et de satisfaction parmi toutes les classes égyptiennes» (cité dans The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq [Les vieilles classes sociales et les mouvements révolutionnaires dIrak], Hanna Batatu, 1978).
Dans ce climat dagitation sociale, des partis communistes se créèrent en Turquie, en Egypte, au Liban, en Palestine et en Perse (Iran). Cependant, comme dans tout le monde colonial, la classe ouvrière du Proche-Orient était encore numériquement faible et sous-développée, et les partis communistes manquaient de cohésion et dexpérience politique. Du fait de leurs faiblesses internes et de la répression, la plupart de ces partis avaient de facto disparu à la fin des années 1920.
A partir du milieu des années 1930, lorsque des partis communistes commencèrent à réapparaître dans ces pays, lInternationale communiste avait depuis longtemps cessé dêtre un instrument de la révolution socialiste mondiale. A la Treizième Conférence du parti de janvier 1924, un congrès truqué qui coïncida avec la mort de Lénine, lOpposition de gauche trotskyste avait été écrasée. Cétait le commencement du Thermidor soviétique lors duquel une caste bureaucratique conservatrice, dont le principal porte-parole était Staline, a usurpé le pouvoir politique de lavant-garde prolétarienne. En 1935 le Comintern stalinisé était déjà passé carrément dans le camp du réformisme déclaré, et avait adopté un programme de collaboration de classes à lenseigne du «front populaire contre le fascisme». Dans le monde colonial, cela signifiait que les staliniens salliaient ouvertement aux impérialistes «démocratiques» qui asservissaient les masses ouvrières et paysannes.
Lorsque lAllemagne nazie a envahi lUnion soviétique en juin 1941, celle-ci sest jointe aux Alliés, et les partis communistes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France sont devenus les défenseurs sociaux-patriotes les plus empressés de leur propre bourgeoisie capitaliste. Les staliniens britanniques et français se sont opposés à la lutte pour lindépendance dans lInde sous domination britannique, dans lIndochine française et les autres colonies; quant à la direction du PC syrien, elle sest portée volontaire pour combattre pour la France «démocratique». Après la défaite de lAllemagne nazie au prix de 27 millions de morts soviétiques , Staline honora ses engagements envers ses alliés impérialistes en les aidant à faire dérailler des possibilités révolutionnaires en Grèce, en France, en Italie, contribuant ainsi puissamment à la restabilisation de lordre bourgeois ébranlé en Europe de lOuest. En Yougoslavie, puis en Chine en 1949, la victoire de forces autochtones de guérilla à base paysanne dirigées par des staliniens conduisit à la création dEtats ouvriers bureaucratiquement déformés, comme ceux établis sous loccupation soviétique en Europe de lEst (voir «Yugoslavia, East Europe and the Fourth International: The Evolution of Pabloist Liquidationism» [La Yougoslavie, lEurope de lEst et la Quatrième Internationale: lévolution du liquidationnisme pabliste], Prometheus Research Series no 4, mars 1993).
La Quatrième Internationale trotskyste fut la seule à maintenir la ligne dinternationalisme prolétarien quavaient les bolchéviks de Lénine pendant la Première Guerre mondiale: défaitisme révolutionnaire contre tous les belligérants impérialistes. La Deuxième Guerre mondiale était tant pour la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis que pour lAllemagne, lItalie et le Japon, un conflit pour un nouveau partage des marchés, des sources de matières premières et de main-doeuvre bon marché du monde, tout comme lavait été la Première Guerre mondiale. Et les trotskystes continuèrent à lutter pour libérer les colonies de limpérialisme. Ils savaient que lUnion soviétique, bien que bureaucratiquement dégénérée, restait un Etat ouvrier basé sur la propriété collectivisée, et appelaient donc à la défense militaire inconditionnelle de lURSS contre lagression impérialiste et la contre-révolution interne. En même temps, nous navons pas cessé de lutter pour chasser la bureaucratie stalinienne traître par une révolution politique prolétarienne.
La guerre de 1948
La Deuxième Guerre mondiale changea radicalement la face du Proche-Orient. Les Etats-Unis, devenus la puissance impérialiste hégémonique, prirent progressivement la place des Britanniques et des Français comme maîtres de la région. Laffaiblissement des puissances impérialistes dEurope de lOuest, alors que les masses coloniales se radicalisaient, conduisit à la création de toute une série dEtats nominalement indépendants. La classe ouvrière, qui avait été considérablement renforcée du fait quune industrie sétait développée dans la région pour soutenir la machine de guerre britannique, se trouvait maintenant confrontée à des Etats bourgeois autochtones. La victoire soviétique sur lAllemagne nazie, et le fait que le Kremlin, en réaction au déclenchement de la guerre froide impérialiste, se donnait des airs combatifs, renforcèrent considérablement lautorité des partis communistes en Iran et dans les pays arabes.
Après la guerre, la création de lEtat sioniste dIsraël, consécutive au retrait britannique de Palestine, fut un événement particulièrement important pour le Proche-Orient. La bureaucratie soviétique, après avoir cultivé et favorisé le nationalisme arabe pendant près de vingt ans, effectua un virage à 180 degrés et soutint la partition impérialiste de la Palestine et lémergence de lEtat sioniste. Léphémère soutien du Kremlin à Israël, conçu comme une manoeuvre contre limpérialisme britannique, provoqua une immense désorientation dans les partis communistes de la région. La seule organisation à défendre une position internationaliste prolétarienne dans la guerre de 1948 entre Israël et les Etats arabes fut la Revolutionary Communist League (RCL), le petit groupe trotskyste palestinien. Tout en reconnaissant le droit à lautodétermination tant au peuple de langue hébraïque quau peuple arabe palestinien, la RCL sopposa résolument à la partition impérialiste et prit une position de défaitisme révolutionnaire dans la guerre:
«Cette guerre ne peut dans aucun des camps être qualifiée de progressiste [...]. Elle affaiblit le prolétariat et renforce limpérialisme dans les deux camps [...]. La seule voie vers la paix entre les deux peuples de ce pays, cest de retourner les fusils contre les instigateurs de meurtre des deux camps!» [souligné dans loriginal]
«Against the Stream» [Contre le courant], Fourth International, mai 1948
Cest la position internationaliste que défend aujourdhui la Ligue communiste internationale. Nous défendons les droits nationaux du peuple palestinien spolié, nous nous opposons à la répression sioniste, et nous exigeons le retrait immédiat et inconditionnel de tous les soldats israéliens et de leurs auxiliaires, les «colons» fascisants des territoires occupés. Mais nous ne dénions pas pour autant les droits nationaux au peuple de langue hébraïque. Sous le capitalisme, quand des populations nationales sont géographiquement interpénétrées, seul le groupe national le plus fort peut exercer son droit à lautodétermination, en chassant ou en détruisant le plus faible. Dans de telles situations, la seule possibilité de solution démocratique, cest de renverser le pouvoir capitaliste et dinstaurer la dictature du prolétariat, la seule classe qui na aucun intérêt à perpétuer les antagonismes nationaux. Ce quil faut cest que les ouvriers de langue hébraïque rompent avec le chauvinisme sioniste, et que les ouvriers arabes se libèrent de lemprise du nationalisme petit-bourgeois et de lintégrisme islamiste, et quils sunissent dans une lutte commune pour la révolution socialiste à la fois contre la bourgeoisie israélienne meurtrière et contre tous les régimes arabes. Si lEtat sioniste dIsraël a des rapports particulièrement étroits avec limpérialisme US, les Etats bourgeois arabes nen sont pas moins des ennemis de la libération palestinienne.
Limpact de la guerre de 1948 a été profond et durable. Près dun million dArabes ont été expulsés de Palestine la plupart vers des camps de réfugiés sordides où eux et leurs enfants vivent encore aujourdhui. En même temps, des populations juives séfarades, dites «orientales», fuyaient les pays arabes pour aller en Israël. Cette migration était encouragée par les régimes arabes aussi bien que par les sionistes. La défaite arabe a totalement discrédité les régimes arabes traditionalistes, dont lincompétence et la corruption sont apparues au grand jour, ce qui a provoqué la chute de gouvernements et de monarchies dans toute la région, contribuant ainsi à paver la voie au pouvoir pour une série de régimes nationalistes arabes. En même temps, Israël servait dennemi «extérieur» aux nationalistes arabes, leur permettant de détourner de leurs oppresseurs capitalistes la colère et la frustration des masses.
Les communistes égyptiens et la montée de Nasser
Limpact de ces événements fut particulièrement évident dans lEgypte de laprès-guerre. Historiquement le centre politique et culturel du monde arabe, ce pays est de loin le plus peuplé de tous les pays arabes. LEgypte était aussi militairement lEtat le plus puissant en confrontation directe avec lEtat sioniste dIsraël. Cest pour cela que le colonel Nasser, lhomme fort égyptien, fut la figure dominante du nationalisme arabe dans les années 1950 et 1960, influençant par son intervention le cours des événements en Syrie, en Irak, au Yémen et ailleurs au Proche-Orient.
Il y a deux générations de cela, Nasser était considéré par beaucoup comme lincarnation dune mythique «révolution arabe» et dune alternative «socialiste» non communiste pour les «pays non alignés» du Proche-Orient, dAsie et dAfrique. Il avait rehaussé son prestige «anti-impérialiste» avec la guerre de Suez en 1956, dans laquelle il avait tenu tête à Israël, à la Grande-Bretagne et à la France. Cependant, si Nasser inspirait tant denthousiasme, cétait pour une bonne part dû aux staliniens eux-mêmes qui entretenaient les illusions dans son«socialisme arabe». En réalité, cest en grande partie dans le but décraser la classe ouvrière combative dEgypte, qui était principalement sous la direction des communistes, que Nasser était venu au pouvoir.
La montée de la lutte des classes en Egypte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, même si elle natteignit pas le même niveau quen Iran ou en Irak, permit néanmoins aux jeunes groupements communistes, dont le plus éminent était le Mouvement égyptien de libération nationale (MELN), fondé par lintellectuel juif Henri Curiel, dacquérir jusquà un certain point une influence de masse. Lorganisation nationaliste égyptienne traditionnelle, le Wafd, avait été grandement discréditée par sa pratique gouvernementale corrompue et oppressive pendant les années de guerre, où elle avait joué ouvertement le rôle de larbin des Britanniques. Lorsquun soulèvement de masse contre loccupation britannique embrasa le pays, et au fur et à mesure que les ouvriers imposaient leur pouvoir par des grèves, les communistes réussirent à remplacer le Wafd à la tête du mouvement ouvrier, notamment dans le textile, la principale industrie du pays.
En février 1946, la répression par la police dune manifestation étudiante au Caire se solda par la mort dun certain nombre détudiants. Le 21 février, le «Comité national des ouvriers et des étudiants» dirigé par les communistes appela à une grève qui paralysa totalement le pays; au cours de celle-ci dautres manifestants furent tués. Alors que grèves et manifestations éclataient dans tout le pays, une grève paralysa à nouveau le pays le 4 mars. A Alexandrie, des forces britanniques agissant aux côtés de flics égyptiens tirèrent sur les manifestants, tuant 28 personnes. Cherchant désespérément à mettre fin au soulèvement, les Britanniques annoncèrent quils retireraient leurs troupes dans la zone du Canal de Suez. Une vague de répression gouvernementale sensuivit, ciblant en particulier les dirigeants communistes.
Après la guerre de 1948, le régime discrédité proclama létat de siège, tandis que des émeutiers excités par le groupe fascisant des Frères musulmans pillaient les boutiques juives, incendiaient les synagogues et massacraient plusieurs dizaines de Juifs. Au moins à une occasion, les communistes organisèrent la défense dun magasin juif contre les pogromistes. Quand les expulsions massives et lémigration de Juifs commencèrent, Henri Curiel et dautres fondateurs et dirigeants du communisme égyptien furent parmi les premiers visés.
Lagitation populaire contre loccupation militaire britannique explosa à nouveau en octobre 1951, quand les Britanniques refusèrent de se plier à un décret du gouvernement Wafd qui leur enjoignait dévacuer la zone du Canal. Le gouvernement égyptien sétant révélé impuissant, les communistes se mirent à la tête de la vague anti-britannique qui déferlait sur le pays. La répression gouvernementale sétant avérée incapable denrayer la vague de grèves, les communistes continuèrent à étendre leur influence dans le syndicat du textile du Caire et de sa région, les syndicats des transports du Caire, et à dautres endroits. Fin 1951 le Mouvement démocratique de libération nationale (MDLN), lorganisation qui avait succédé au MELN, était devenu la force politique dominante dans le mouvement syndical égyptien.
En janvier 1952, un incident armé entre forces britanniques et égyptiennes dans la zone du Canal déclencha des émeutes au Caire, au cours desquelles une grande partie du quartier commercial du centre-ville fut incendiée. Avec un gouvernement totalement discrédité et pratiquement paralysé, le pays était de plus en plus polarisé entre dune part les Frères musulmans, qui se développaient rapidement, et de lautre les communistes. Les militants étudiants des Frères musulmans recevaient un entraînement militaire dans les universités, circulaient sur les campus à bord de jeeps militaires, en tirant en lair à la mitraillette pour intimider leurs adversaires.
Le MDLN avait aussi une organisation militaire, mais son rôle était de soutenir le «Mouvement des Officiers libres» de Nasser, une coalition hétérogène dans larmée qui comprenait des Frères musulmans, des wafdistes et le MDLN. Nasser utilisait le MDLN pour imprimer les tracts des Officiers libres et assurer un certain nombre dautres tâches. Pendant ce temps-là, les Officiers libres allaient donner un coup de main aux Frères musulmans et à leurs «bataillons de la libération» dans la zone du Canal. Lun de ceux qui jouaient un rôle central dans cette opération cest Anouar Al-Sadate, frère darmes de Nasser (et futur président dEgypte), qui avait déclaré dans une interview en 1952 quHitler était un grand patriote qui travaillait pour le bien de son peuple.
En juillet 1952, les Officiers libres semparèrent du pouvoir, balayant la monarchie déconsidérée. Le MDLN soutint le coup dEtat militaire quil estimait être lexpression du «mouvement démocratique national». Le mois suivant, les ouvriers du textile de Kafr El-Dawar, près dAlexandrie, se mirent en grève, confiants que le régime était de leur côté puisque leurs dirigeants leur en avaient donné lassurance. Mais Nasser décida de passer à loffensive contre le mouvement ouvrier organisé. Il fit arrêter deux dirigeants de la grève, qui furent condamnés à mort pour «crime grave contre lEtat» et pendus dans lenceinte de lusine. Les communistes furent mis hors la loi et les grèves furent interdites, et un régime corporatiste de contrôle syndical fut mis en place dans lequel les syndicats se retrouvaient de facto sous le contrôle du régime militaire.
La nationalisation du Canal de Suez par Nasser en 1956, suivie de linvasion de lEgypte par la Grande-Bretagne, la France et Israël marqua un tournant dans lhistoire du Proche-Orient de laprès-guerre. Washington, en forçant la Grande-Bretagne et la France à retirer leurs troupes, confirma que limpérialisme US était devenu le caïd impérialiste dans la région. Ce que les Etats-Unis voulaient faire alors, cétait renforcer le Pacte de Bagdad (CENTO), une alliance militaire régionale antisoviétique similaire à lOTAN en Europe de lOuest. Mais Nasser, prenant la tête dune campagne contre ladhésion des gouvernements arabes au Pacte de Bagdad, se tourna vers lUnion soviétique, tout en continuant la répression contre les communistes. Moins dun mois avant la nationalisation du Canal de Suez, un tribunal militaire condamnait 40 communistes à des peines de prison et de travaux forcés.
Létablissement de relations plus étroites entre lUnion soviétique et lEgypte conduisit les Soviétiques à faire une réévaluation de Nasser. Désormais on présenta son coup dEtat de 1952 comme une «révolution anti-impérialiste». Les différents groupes communistes en Egypte, unis par leur soutien enthousiaste à Nasser, décidèrent de fusionner leurs forces. Pour aller dans le sens de la vague montante du nationalisme pan-arabe de Nasser, le Parti communiste unifié dEgypte décréta quil était interdit aux Juifs de jouer un rôle dirigeant dans le parti.
Comme Nasser avait réussi à mater les communistes égyptiens, les nationalistes au pouvoir en Syrie cherchèrent à sunir à lEgypte afin de contrecarrer linfluence croissante du Parti communiste syrien. Comme en Egypte, les communistes syriens sétaient liés politiquement à des nationalistes bourgeois qui se révélèrent les pires ennemis des travailleurs. Le parti Baas au pouvoir en Syrie, quoique violemment anticommuniste, se donnait des airs «de gauche»: comme il résistait aux pressions occidentales lincitant à adhérer au Pacte de Bagdad, il avait fait des ouvertures à lUnion soviétique et fait entrer les communistes dans la coalition gouvernementale.
Le Parti communiste syrien continuait à se développer de façon spectaculaire, et en 1957 il était à la tête des trois fédérations syndicales. Il continuait à saluer en Nasser le «dirigeant du front national de libération arabe» tout en objectant à lunion prévue avec lEgypte. Mais la création en 1958, sous la direction de Nasser, de la «République arabe unie» conduisit à la répression du puissant PC syrien, alors le plus grand du Proche-Orient, et à larrestation de ses dirigeants et de centaines de ses militants.
Lannée suivante, Nasser se retourna brutalement contre les communistes égyptiens qui le soutenaient et ordonna larrestation de pratiquement tous les militants de gauche du pays. Les communistes emprisonnés furent humiliés, torturés et contraints de répudier leurs idées politiques. Et pourtant, alors même que leurs camarades étaient battus à mort ou quon les laissait mourir par manque de soins médicaux, les communistes continuèrent à soutenir politiquement Nasser.
Pendant toute la durée de leur alliance diplomatique avec le régime bonapartiste militaire de Nasser, les staliniens du Kremlin ont livré à lEgypte capitaliste davantage de missiles anti-aériens et de matériel militaire en tout genre quils nen ont fournis au Nord-Vietnam, alors même que les ouvriers et les paysans vietnamiens menaient un combat héroïque et finalement victorieux contre limpérialisme US. Comme on pouvait sy attendre, le nationaliste bourgeois Nasser finit par se retourner contre ses parrains soviétiques. Dans les années 1970, Anouar Al-Sadate, le successeur quil sétait lui-même désigné, mit lEgypte totalement dans lorbite de limpérialisme américain.
LIran après la Deuxième Guerre mondiale
Cest en Iran que sest produit le plus formidable soulèvement ouvrier de laprès-Deuxième Guerre mondiale au Proche-Orient. Le Toudeh, parti communiste pro-Moscou, était, après plus de vingt ans de travail (clandestin en grande partie), très enraciné dans le prolétariat, et il sétait spectaculairement développé vers la fin de la guerre. En 1944 le Toudeh avait déjà 25000 membres. Il avait constitué un Conseil central des syndicats unis (CCSU) dIran, qui en 1946 revendiquait 400000 adhérents. Les forces du Toudeh étaient alors concentrées dans le nord de lIran, car le parti se conformait à Staline qui ne voulait pas de luttes sociales dans les pays impérialistes «démocratiques» ni dans leurs colonies: il décourageait donc ouvertement tout travail dans le sud occupé par les Britanniques, et en particulier dans la région pétrolière du Khouzistan, où lexplosion couvait.
Cependant, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une situation pré-révolutionnaire sétait de toute évidence développée et le Toudeh aurait pu prendre le pouvoir. Le CCSU jouait de facto le rôle dun gouvernement dans le nord de lIran: il collectait les impôts, assurait la police et la justice, etc. En outre, la présence militaire soviétique dans le nord de lIran constituait un énorme encouragement à un soulèvement social. Mais pour Staline, le Toudeh et le prolétariat iranien nétaient quune monnaie déchange à sacrifier dans la vaine quête dune «coexistence pacifique» avec limpérialisme anglo-américain.
Loccupation du nord de lIran par larmée soviétique fin 1945 conduisit à létablissement de républiques autonomes dans lAzerbaïdjan et le Kurdistan iraniens, où non seulement les droits nationaux furent accordés, mais des réformes significatives furent aussi réalisées. Toutefois le Kremlin retira ses troupes début 1946, sacrifiant les républiques dAzerbaïdjan et du Kurdistan dans lespoir dobtenir du shah des concessions dans les domaines du pétrole et du gaz. Le marché que proposait Staline, cest quil sengageait implicitement à ce que le Toudeh utilise son immense autorité dans le prolétariat pour garantir la paix des classes. Cet engagement ne tarda pas à être honoré: le Toudeh allait bientôt gâcher une occasion révolutionnaire.
En juillet 1946, lAnglo-Iranian Oil Company (AIOC) essaya de briser les syndicats pro-Toudeh après une grève victorieuse des ouvriers des raffineries et des puits de pétrole dans la région majoritairement arabe du Khouzistan. Le CCSU appela alors à une grève générale. Après des combats de rue sanglants, attisés par lAIOC, qui avaient éclaté entre ouvriers arabes et non arabes, les milices du Toudeh prirent le contrôle de la ville stratégique dAbadan. Mais la direction du Toudeh, à la demande pressante du gouvernement, envoya le secrétaire général du parti et le premier secrétaire du CCSU à Abadan pour mettre fin à la grève, alors que les revendications des ouvriers navaient pas été satisfaites. En récompense pour cette trahison, trois membres du Toudeh furent admis au gouvernement. A peine deux mois plus tard, les ministres du Toudeh furent renvoyés; et quand le CCSU réagit en appelant à une journée de grève générale, des centaines de militants furent arrêtés, ses locaux occupés et son journal interdit.
Iran, 1953: une révolution prolétarienne sabotée
Le Toudeh, qui avait déjà saboté une occasion révolutionnaire, se retrouva à nouveau en position de renverser loligarchie au pouvoir lors de la crise de la nationalisation du pétrole, sous le régime de Muhammad Mossadegh. En 1949, Mossadegh, riche aristocrate et propriétaire foncier, prit au Majlis (parlement) la tête de lopposition à un nouvel accord avec lAIOC, et en 1951 il appelait carrément à la nationalisation du pétrole. Le Front national de Mossadegh était une alliance instable entre des technocrates bourgeois occidentalisés et une aile religieuse dirigée par le clergé chiite derrière layatollah Kachani; cest la revendication de la nationalisation de lAIOC et lopposition aux Britanniques et au shah qui réunissaient temporairement ces forces.
Le Toudeh, initialement, ne sétait pas rallié à Mossadegh, car les staliniens se méfiaient de ses liens avec Washington. Mais il fut obligé par sa base prolétarienne combative dorganiser de gigantesques grèves et manifestations pour exiger la nationalisation. En avril 1951, Abadan fut paralysé par une grève générale ponctuée daffrontements sanglants avec larmée. Effrayé par la vague de combativité prolétarienne, le shah nomma Mossadegh Premier ministre, et lAIOC fut nationalisé. Le cartel mondial du pétrole répliqua en boycottant le pétrole iranien, ce qui étrangla peu à peu léconomie, et Washington se détourna de Mossadegh.
Quand, en 1938, la Grande-Bretagne annonça un boycott du pétrole mexicain après la nationalisation des intérêts pétroliers impérialistes par le régime du général Lázaro Cárdenas, Trotsky écrivit, en défense de la décision mexicaine: «Lexpropriation du pétrole, ce nest ni du socialisme ni du communisme. Mais cest une mesure hautement progressiste dautodéfense nationale» et il souligna que «le prolétariat international na aucune raison didentifier son programme avec le programme du gouvernement mexicain» («Le Mexique et limpérialisme britannique», juin 1938). Cétait aussi le devoir des révolutionnaires de défendre la nationalisation de lAIOC en Iran, tout en refusant dapporter quelque soutien politique que ce soit au régime nationaliste bourgeois de Mossadegh. Les communistes devaient chercher à mobiliser la classe ouvrière dans une lutte indépendante contre le joug impérialiste, en avançant des revendications comme lexpropriation de toutes les possessions impérialistes; il fallait aussi entreprendre de constituer des conseils douvriers et de paysans pauvres luttant pour le pouvoir dEtat. Le Toudeh, par contre, alors que la vague de radicalisme prolétarien continuait à enfler, demandait aux masses laborieuses de soutenir politiquement le Front national bourgeois. Quand Mossadegh démissionna pour protester contre le refus du shah de lui accorder des pouvoirs accrus, le Toudeh, en juillet 1952, organisa une grève générale à Téhéran qui obligea le shah à le rappeler.
Au cours de lannée 1953, les tensions entre les classes sintensifièrent encore en Iran. Le boycott international du pétrole iranien poussait la bourgeoisie et certains secteurs de la petite-bourgeoisie dans lopposition à Mossadegh, tandis que la détérioration de la situation économique poussait les masses plébéiennes au désespoir. Layatollah Kachani et ses partisans rompirent avec le Front national et apportèrent leur soutien au shah. Des milliers douvriers affluaient au Toudeh et dans ses organisations syndicales à la recherche dune solution révolutionnaire aux énormes contradictions de la société iranienne. Les manifestations appelées par le Toudeh surpassaient de très loin celles appelées par le gouvernement.
En août, quand le shah tenta darrêter Mossadegh, le Toudeh fit descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes. Il était manifestement en mesure de prendre le pouvoir, mais les staliniens comptaient toujours sur Mossadegh pour mener à bien la «révolution démocratique». Au lieu de cela, Mossadegh fit appel aux généraux pour réprimer le Toudeh ces mêmes généraux qui travaillaient en étroite collaboration avec les conseillers militaires américains et la CIA pour le renverser. Une mobilisation organisée par les ayatollahs, qui lâchèrent leurs nervis cléricaux-fascistes dans les rues de Téhéran, prépara le terrain pour que larmée prenne le pouvoir.
Les généraux sattaquèrent au Toudeh, puis se retournèrent contre le gouvernement Mossadegh. Un Etat policier féroce fut mis en place. Il allait systématiquement et impitoyablement écraser le Toudeh en tant que parti de masse et le contraindre à la clandestinité pendant près de vingt ans. Mais la direction stalinienne du Toudeh senfonça encore plus dans lopportunisme criminel. Fin 1978, alors que des grèves des ouvriers du pétrole ébranlaient le régime du shah, le Toudeh saligna derrière la lutte pour le pouvoir de Khomeiny et du clergé islamique, contribuant ainsi à paver la voie au massacre des militants de gauche, des syndicalistes et des Kurdes. Contre toute une série de groupes soi-disant de gauche, en Iran et dans le reste du monde, qui acclamaient les mobilisations khomeinystes, nous proclamions: «Aucun soutien aux mollahs! A bas le shah! Les ouvriers au pouvoir!»
La révolution de 1958-1959 en Irak
Cinq ans seulement après le coup dEtat fomenté par la CIA en Iran, se produisit la plus puissante manifestation jusquà présent de la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière au Proche-Orient. La chute de la monarchie irakienne, en 1958, déclencha un immense soulèvement prolétarien. La classe ouvrière, armée, fortement organisée et dirigée par le Parti communiste (PC) irakien, eut littéralement le pouvoir à portée de la main. Mais la direction stalinienne du PC irakien, sous les ordres directs de Moscou, gâcha cette occasion. La révolution irakienne, sabotée par la politique de collaboration de classes de la direction du PC irakien, qui enchaînait les ouvriers aux officiers nationalistes au pouvoir, fut noyée dans une vague de répression sanglante.
En 1948 déjà, le Parti communiste irakien avait été la force dominante dun soulèvement contre les bases militaires britanniques dans tout le pays. Il y eut des mobilisations et des grèves massives, comme la grève des ouvriers du pétrole dirigée par les communistes, près de Haditha. Ce soulèvement fut finalement maté par la répression gouvernementale. Des centaines de communistes furent arrêtés; Fahd, le dirigeant du PC irakien, ainsi que deux autres membres du bureau politique, furent pendus en public.
Le PC irakien nétait pas seulement le plus prolétarien des partis communistes du Proche-Orient, il comptait un nombre important de militants appartenant à des minorités nationales, religieuses et ethniques. Depuis sa création en 1934, le PC irakien défendait le droit des Kurdes à lindépendance. Le parti cherchait à recruter des ouvriers kurdes et publiait une presse en kurde. Au début des années 1950, un tiers des membres du comité central du parti étaient des Kurdes. Mais comme les staliniens, dans tout le Proche-Orient, cherchaient à cimenter des liens avec les nationalistes arabes contre lalliance du Pacte de Bagdad dominé par les Américains, le PC irakien «arabisa» sa ligne. Dans une déclaration daoût 1955, la direction critiqua la position quelle avait précédemment défendue, à savoir quil existait «deux principaux groupes nationaux en Irak», et déclara froidement que «le peuple fraternel kurde na pas dintérêts qui soient incompatibles avec les intérêts daucun des pays arabes» (cité dans les Vieilles Classes sociales et les mouvements révolutionnaires dIrak, Hanna Batatu, 1978).
Le régime irakien fantoche était la pierre angulaire du Pacte de Bagdad, une alliance antisoviétique profondément impopulaire parmi toutes les couches de la société irakienne. En 1956, quand la Grande-Bretagne, la France et Israël envahirent lEgypte en réaction à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, le PC irakien lança une campagne contre le gouvernement qui déclencha des soulèvements de masse dans les fiefs communistes de Najaf et de Hayy. Dans la ville de Najaf, en novembre 1956, une vague de manifestations dirigées par le PC aboutit à ce que les manifestants chassent la police des rues. On fit appel à la troupe, mais celle-ci fraternisa avec les manifestants. Le mouvement de Najaf provoqua une vague de grèves et de manifestations qui déferla sur Bagdad, Mossoul, Kirkouk et dautres villes. Le mois suivant, à Hayy, le PC prit la tête dune quasi-insurrection armée. Des ouvriers en armes prirent le contrôle dune grande partie de la ville, tirant sur la police depuis les fenêtres et les toits des immeubles, mais furent repoussés quand ils tentèrent de prendre dassaut le siège du pouvoir local. Des comités révolutionnaires et des «gardes populaires» organisaient la résistance et dressaient des barricades à des points stratégiques de la ville. On fit venir des renforts de police pour écraser la révolte dHayy, et deux communistes furent pendus sur la place publique.
Deux ans plus tard, en juillet 1958, un soulèvement révolutionnaire commença quand le Mouvement des Officiers libres irakien renversa la monarchie mise en place par les Britanniques. A lannonce de la nouvelle, des centaines de milliers de déshérités étaient descendus dans les rues de Bagdad pour crier leur joie et leur haine de la famille royale. Dès le début, le PC apporta son soutien au gouvernement dirigé par le général Abd al-Karim Kassem, que les staliniens proclamèrent «dirigeant unique». Kassem essaya de jouer le PC, très bien organisé, contre les officiers nationalistes pan-arabes et contre le parti Baas, qui voulaient que lIrak sintègre à la République arabe unie récemment fondée par Nasser. Comme en Syrie, cest parce que le Baas et les autres nationalistes arabes voulaient utiliser lautorité de Nasser et les lois anticommunistes de lEgypte pour briser la puissance croissante des communistes irakiens, quils cherchaient lunité avec lEgypte.
A Washington et à Londres, la révolution de 1958, qui avait balayé la monarchie irakienne, un des principaux piliers de lalliance antisoviétique anglo-américaine au Proche-Orient, et qui menaçait la domination capitaliste elle-même, alarma les maîtres impérialistes. Les Etats-Unis envoyèrent les Marines de la Sixième Flotte au Liban, et les Britanniques envoyèrent leurs parachutistes en Jordanie. Cétait clairement une menace militaire en direction des masses irakiennes.
A la fin de lété, une insurrection paysanne embrasa les plaines agricoles de lIrak; les paysans incendièrent les domaines des propriétaires fonciers, détruisirent les livres de comptes et semparèrent des terres. Linfluence des communistes progressait de façon spectaculaire. Mais les forces de la réaction sorganisaient fiévreusement pour tenter décraser la vague révolutionnaire. En mars 1959, des officiers nationalistes et le Baas, soutenus par les grands propriétaires fonciers et les chefs tribaux, sapprêtèrent à déclencher un coup dEtat contre-révolutionnaire à partir de la ville de Mossoul, mais le PC fit échec à ce plan en organisant une manifestation dun quart de million de personnes, ce qui déclencha un soulèvement plébéien qui balaya les réactionnaires des rues de Mossoul.
La révolution ouvrière était à lordre du jour. Une déclaration du Baas, au printemps 1959, notait avec inquiétude que les communistes dominaient les syndicats, les organisations paysannes, lunion des étudiants, les forces de résistance populaires et les comités pour la défense de la république. Mais les dirigeants staliniens rejetaient jusquà lidée de diriger une insurrection ouvrière pour renverser lappareil dEtat capitaliste, et cherchaient au contraire à devenir partie intégrante de celui-ci: des membres ou sympathisants éminents du PC réussirent à se faire nommer à des postes de responsabilité dans ladministration et larmée. La question du pouvoir dEtat prolétarien était posée, et pourtant tout ce que le PC demandait, cétait dêtre représenté dans le gouvernement capitaliste. Des rassemblements gigantesques, certains de plus dun million de personnes, étaient organisés à Bagdad pour soutenir cette revendication du Parti communiste. Des unités de larmée loyales au PC ouvraient les arsenaux et distribuaient des armes.
Mais, pour la bureaucratie soviétique, même la revendication réformiste du PC réclamant quelques ministères dans le gouvernement capitaliste était trop extrême. Quand fin avril 1959 Kassem refusa de le laisser entrer dans le gouvernement, le PC irakien, obéissant aux ordres de Moscou, renonça docilement à réclamer un gouvernement de coalition. Comme Isaac Deutscher, historien marxiste, le montra à lépoque, Khrouchtchev avait trahi les communistes irakiens pour que son entrevue de Camp David avec le président américain Eisenhower ait lieu dans un climat plus favorable:
«La plupart des observateurs occidentaux sur le terrain étaient daccord pour estimer que Kassem pourrait difficilement résister à une offensive générale communiste. Sa propre base était réduite, et il refusait dessayer de rallier des forces anticommunistes qui étaient intimidées et désorganisées, et que Nasser cherchait à gagner en traitant Kassem de marionnette communiste.
«Puis, pendant lété, loffensive communiste fut soudain annulée à la demande pressante de Moscou. A Moscou, les rapports sur la montée de la température révolutionnaire en Irak avaient provoqué une vive inquiétude. Khrouchtchev rejetait lidée dun soulèvement communiste à Bagdad, de peur que cela provoque une intensification des interventions occidentales dans la Méditerranée orientale, mette le Moyen-Orient à feu et à sang, et torpille sa politique de coexistence pacifique. Il faisait déjà des calculs sur ce que pouvait apporter sa visite à Washington, et voulait absolument apporter des preuves de bonne volonté soviétique au Moyen-Orient.
«A Moscou, on rédigea un réquisitoire contre les dirigeants communistes irakiens et on ordonna au parti irakien non seulement de se réconcilier avec Kassem, mais de capituler sans condition devant lui, avec seulement le minimum de ménagements pour ne pas perdre complètement la face.»
reproduit dans Russia, China and the West [La Russie, la Chine et lOccident], Deutscher (1970)
Kassem et les nationalistes anticommunistes passèrent alors à loffensive. En juillet, des affrontements sanglants opposèrent des bandes baasistes aux communistes dans les quartiers de Bagdad. Les membres du PC furent chassés du gouvernement et de larmée. Les dirigeants syndicaux communistes furent démis de leur poste ou arrêtés par la police. A Kirkouk, en juillet 1959, lorganisation locale du PC, majoritairement kurde, transforma un début de révolte en massacre de Turkmènes, qui étaient fortement représentés dans lélite commerciale de la ville. Le massacre de Kirkouk servit ensuite de prétexte à Kassem pour réprimer le Parti communiste. Pourtant, les staliniens continuaient à se soumettre à lui et encaissaient les coups sans résistance sérieuse. Quand une révolte séparatiste kurde éclata à lété 1961, le PC la dénonça comme «servant les desseins impérialistes».
En février 1963, le Baas réussit à organiser un coup dEtat qui provoqua la chute de Kassem et libéra la fureur contre-révolutionnaire. Utilisant des listes de communistes fournies par la CIA, la Garde nationale, milice du parti Baas, déclencha un gigantesque coup de filet, arrêtant et abattant tous ceux qui étaient suspectés dappartenir au PC. On estime que cette terreur baasiste sanglante se solda par 5000 morts; des milliers dautres personnes furent emprisonnées, dont beaucoup horriblement torturées. Seul le renversement des baasistes par leurs anciens alliés de larmée, en novembre 1963, mit fin à lhorreur. En 1969, quand le Baas revint au pouvoir, il termina ce quil avait commencé. Juifs, communistes et opposants divers passèrent en procès. Quant aux régions kurdes, elles furent complètement dévastées.
Dans un article polémique sur le Parti ouvrier du Kurdistan (PKK) traduit de Spartakist, lorgane de la section allemande de la Ligue communiste internationale, nous mentionnions cette possibilité manifeste de révolution prolétarienne en Irak en 1958-1959, et notant que le PCI était «le Parti communiste le plus prolétarien au Proche-Orient», nous écrivions:
«Au beau milieu de lintense agitation sociale qui suivit la chute de la monarchie irakienne en 1959, cette puissante force pour la révolution sociale fut trahie par les staliniens irakiens et par Moscou. Au lieu de mobiliser sa base ouvrière pour semparer du pouvoir dEtat en son nom propre, le PCI poussa les ouvriers à soutenir lofficier bourgeois Abd al-Karim Kassem.»
«Trotskyism vs. PKK Nationalism» [Trotskysme contre nationalisme du PKK], Workers Vanguard no716, 9 juillet 1999
Dans une lettre publiée dans le numéro suivant («Sur le Parti communiste irakien», Workers Vanguard no717, 6 août 1999), K. Anderson accusait cette prise de position totalement correcte «dêtre incroyablement molle par rapport au PC irakien». Anderson écrivait: «Il ny avait aucune possibilité que ce parti puisse mobiliser sa base ouvrière pour semparer du pouvoir en son nom propre [...]. Le PC irakien était un obstacle à la révolution, et non sa direction potentielle.» Et le comité de rédaction de Workers Vanguard répondit: «Ce quécrit Anderson est parfaitement juste.»
En fait, cétait complètement faux, et à lopposé de toute largumentation de larticle auquel nous renvoyions nos lecteurs dans notre réponse, «Iraqi Rulers Bloody Road to Power» [La voie sanglante des dirigeants irakiens vers le pouvoir] (Workers Vanguard no511, 5 octobre 1990). Comme nous le notions dans une résolution du comité central de la Spartacist League/U.S. adoptée à lissue dune discussion approfondie dans lorganisation: «Affirmer, comme Anderson dans sa lettre, quil ny avait aucune possibilité que le PC irakien ait pu mobiliser sa base ouvrière pour semparer du pouvoir en son nom propre revient à dire quil ny a aucune contradiction entre la base prolétarienne et la direction stalinienne. De ce fait, cela élimine toute possibilité quun parti trotskyste intervienne pour exploiter cette contradiction, et par extension élimine aussi toute possibilité de révolution socialiste prolétarienne.»
Comme lont démontré les événements en Irak, des situations révolutionnaires peuvent se produire, et se produisent généralement alors que la plus grande partie de la classe ouvrière est encore sous lemprise dune direction réformiste. Ce fait, en lui-même, ne détermine pas pour autant que la révolution sociale doive se terminer par une défaite, comme limplique logiquement laffirmation dAnderson. Au contraire, la question de la victoire ou de la défaite du prolétariat dépend de si oui ou non lavant-garde révolutionnaire réussit à remplacer les dirigeants réformistes traîtres à la tête de la classe ouvrière. Pendant la révolution et la guerre civile espagnoles dans les années 1930, Trotsky nota que le niveau de conscience politique du prolétariat espagnol, dans sa majorité, était plus avancé encore que celui du prolétariat russe en 1917. Ce qui manquait en Espagne, cétait un parti bolchévique, que Trotsky sefforça inlassablement de créer dans le creuset même de la révolution.
Au cours de la discussion interne, un camarade fit remarquer quil y avait une différence importante entre les partis staliniens et sociaux-démocrates dans la manière dont ils étaient perçus. Le régime de Moscou était vu «comme lhéritier de la Révolution russe. Les gens le voyaient et y adhéraient sans prêter attention à la contre-révolution politique qui sétait produite». Cest pourquoi les partis staliniens «[...] ne furent jamais simplement équivalents aux partis socialistes. Cela a duré longtemps. Cest seulement avec la montée de leurocommunisme et finalement lélimination de lUnion soviétique que les partis staliniens devinrent simplement identiques aux partis réformistes. Ils avaient toujours eu un radicalisme indifférencié qui les mettait à part, de sorte quaucun militant noir sain desprit naurait adhéré au Parti socialiste américain, mais que beaucoup dentre eux adhérèrent au Parti communiste.» Effectivement, les partis sociaux-démocrates de masse, qui de par leur nature se basent sur des illusions dans la «démocratie» parlementaire impérialiste, ne se sont jamais développés au Proche-Orient, ni presque nulle part ailleurs dans le monde colonial.
Par contre à la fin des années 1930 et dans les années 1940, des noyaux trotskystes dans des pays coloniaux comme lIndochine et Ceylan (Sri Lanka) acquirent une base de masse aux dépens des staliniens. Ces derniers avaient en effet été amenés à rejeter la lutte pour lindépendance nationale étant donné leur ralliement au front populaire et, plus tard, lalliance du régime soviétique avec les impérialistes «démocratiques» pendant la guerre. Intervenant dans lagitation sociale qui accompagnait la défaite et le désarmement des forces doccupation japonaises au Vietnam à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les trotskystes réussirent à diriger une insurrection prolétarienne à Saïgon contre lentrée des troupes britanniques et françaises, tandis que les staliniens dHô Chi Minh, eux, collaboraient avec les impérialistes «démocratiques». Bien que réprimée dans le sang par les impérialistes (avec laide des staliniens), linsurrection de Saïgon donnait un exemple concret de comment lintervention dun parti trotskyste dans le soulèvement prolétarien de 1958-1959 en Irak aurait pu déboucher sur une révolution socialiste détruisant lordre bourgeois dans ce pays.
La lettre dAnderson était un dérapage politique qui, poussé à sa conclusion logique, conduit à la position que le stalinisme est «contre-révolutionnaire jusquà la moëlle», cest-à-dire que la bureaucratie stalinienne et les partis staliniens sont purement et simplement réactionnaires. Historiquement, ce sont des réformistes et des centristes qui défendent cette position. Le «Comité international» de Gerry Healy-David North, par exemple, le fait pour jeter aux orties la position trotskyste de défense militaire inconditionnelle des Etats ouvriers dégénéré et déformés (voir «Anatomy of a Healyite Russia Hater David North: Joseph Hansens Natural Son» [Anatomie dun healiste antisoviétique David North: le fils naturel de Joseph Hansen], Workers Vanguard no456, 1er juillet 1988). Notre petite avant-garde révolutionnaire nest pas immunisée contre les pressions politiques puissantes et omniprésentes exercées par les forces extérieures dans cette période post-soviétique. Ce qui est crucial, cest que le parti soit capable de corriger ses erreurs, de clarifier et de résorber les divergences politiques dans un débat politique interne réfléchi et approfondi mené conformément à nos normes du centralisme démocratique léniniste. Dans ce cas précis, la discussion a étendu et approfondi notre compréhension de comment le mouvement communiste sest développé au Proche-Orient; nous avons étudié lhistoire des luttes pour baliser la voie pour ceux qui veulent combattre aujourdhui pour de nouvelles révolutions dOctobre au Proche-Orient.
Les marxistes, les pseudo-trotskystes et le nationalisme arabe
Dans la turbulence révolutionnaire qua connue le Proche-Orient à la fin des années 1940 et au début des années 1950, lintervention dune organisation trotskyste, même relativement petite, aurait pu scissionner les partis communistes, en arrachant ouvriers et intellectuels subjectivement révolutionnaires à leurs dirigeants staliniens traîtres. Cétait la voie à suivre pour forger dauthentiques partis davant-garde léninistes dans cette région. Mais la perspective de forger un parti davant-garde léniniste est rejetée par nos opposants à gauche, qui pour la plupart se sont mis à la remorque du nationalisme arabe.
Typiques à cet égard sont les pseudo-trotskystes du Secrétariat unifié (SU) de feu Ernest Mandel, qui se sont enthousiasmés pour une mythique «révolution arabe». Ils justifiaient ainsi leur suivisme envers des nationalistes arabes «de gauche», depuis les despotes militaires comme Nasser jusquaux nationalistes petits-bourgeois de lOrganisation de libération de la Palestine. Le SU a constamment soutenu le nationalisme palestinien. De lapprobation enthousiaste des actes de terrorisme indiscriminé contre les Juifs au début des années 1970, il en est venu à soutenir aujourdhui laccord de «paix» entre lOLP et Israël. Cest parce que le SU soutient des régimes nationalistes bourgeois arabes quil soutient le nationalisme palestinien et cest logique.
Quand la lutte pour lindépendance algérienne amena au pouvoir les nationalistes petits-bourgeois du Front de libération national (FLN), Michel Pablo, le mentor de Mandel, accepta un poste dans lappareil gouvernemental bourgeois du dirigeant FLN Ben Bella. Le Socialist Workers Party américain, qui venait de passer du trotskysme au centrisme, considérait que le régime de Ben Bella était un «gouvernement ouvrier et paysan», suggérant quil allait établir un gouvernement ouvrier révolutionnaire, comme les bolchéviks en Russie. Les nationalistes arabes du FLN sétaient engagés à préserver la propriété capitaliste, avaient proclamé lislam religion dEtat et pratiquaient une politique discriminatoire à légard de la minorité berbère. Mais les pablistes persistèrent dans leur soutien politique, même quand en 1963 Ben Bella réprima dans le sang une révolte berbère.
Le soutien politique du SU à des nationalistes bourgeois fut «théorisé» dans une déclaration publiée en 1974 par ses groupes arabes. Le titre anglais en était «The Arab Revolution, Its Character, Present State, and Perspectives» [La révolution arabe, sa nature, son état actuel et ses perspectives]. Malgré des allusions à la «révolution socialiste» et même à la «dictature du prolétariat», le SU se plaçait sur le même terrain que les nationalistes arabes, en déclarant que «lunité nationale arabe est la tâche centrale de la révolution arabe», et en senthousiasmant pour son «potentiel révolutionnaire». Le fond de commerce du pablisme, cest lidée quune «dynamique» objectivement révolutionnaire pousse les masses vers le socialisme, éliminant ainsi le besoin de forger un parti davant-garde révolutionnaire. Mais la dynamique de la «révolution arabe» que les pablistes voyaient était une «dynamique» qui conduisait non pas au socialisme, mais à la consolidation dun Etat bourgeois unifié!
Les pablistes écartaient totalement la possibilité de gagner la base ouvrière des partis staliniens des pays arabes en opposition aux trahisons des luttes révolutionnaires que perpétraient leurs dirigeants dans des alliances de collaboration de classes avec des nationalistes arabes. Au contraire, le SU critiquait les traîtres staliniens parce quils ne capitulaient pas assez devant Nasser:
«Lincapacité sectaire à comprendre la question nationale a désarmé les partis communistes arabes, et en premier lieu le Parti communiste syrien, dans leur opposition à lunion syro-égyptienne de 1958, qui était en partie dirigée contre eux. Au lieu de mener sa lutte démocratique dans le cadre de lunion, le PC syrien sest opposé à lunion en tant que telle, ce qui la complètement isolé des masses syriennes et a facilité la répression qui sest abattue sur lui. De même, en sopposant à lunion pour soutenir le général Kassem, le Parti communiste irakien a perdu une part considérable de son influence parmi les nationalistes. Dans toutes ces positions, le mouvement stalinien arabe sest placé au pôle opposé du mouvement nationaliste, en dénigrant les aspirations nationales des masses arabes au nom dune prétendue attitude de classe, négligeant totalement le potentiel révolutionnaire de la question de lunité arabe.»
«La révolution arabe, sa nature, son état actuel et ses perspectives»
Les soi-disant anti-pablistes rassemblés dans le «Comité international» de Gerry Healy eux aussi senthousiasmèrent pour la «révolution arabe» à partir de 1967, et poussèrent ce soutien jusquà sa logique extrême dans les années qui suivirent en jouant le rôle dagents de relations publiques stipendiés pour divers régimes bourgeois arabes (voir «Le healysme implose», Spartacist édition française no23-24, printemps 1986).
Nous, par contre, nous avons toujours insisté que lidée dune «révolution arabe» transcendant les classes était une mystification qui entravait une véritable libération nationale et sociale des travailleurs de lOrient arabe. Comme nous lécrivions après la guerre israélo-arabe de 1967:
«Beaucoup de soi-disant marxistes pensent que la lutte pour la libération nationale des pays arabes sest confondue avec la lutte pour le socialisme dans ces pays, ou même quelle la remplacée. En conséquence, ils attribuent le rôle dagent révolutionnaire à des cliques petites-bourgeoises au lieu de la classe ouvrière, et ils considèrent Nasser et les autres militaristes comme les libérateurs des masses arabes. Ce genre de soutien à une libération nationale sans contenu de classe prolonge lasservissement des masses arabes à leurs propres bourgeoisies.»
Spartacist édition anglaise, no11, mars-avril 1968
La voie communiste vers la libération sociale
En un peu plus dune décennie, le SU est passé du soutien à la «révolution arabe» de Nasser et Cie au soutien à la «révolution islamique» de layatollah Khomeiny rejoint en cela par presque tous les groupes pseudo-trotskystes dans le monde. Parmi ceux-ci la tendance internationale fondée par Tony Cliff, récemment disparu, et dirigée par le Socialist Workers Party (SWP) britannique, longtemps représenté aux Etats-Unis par lInternational Socialist Organization (ISO), figurait en bonne place. La stalinophobie enragée est la marque de fabrique de lofficine social-démocrate de Cliff, depuis lépoque de la guerre de Corée (1950-1953), quand Cliff rompit avec le mouvement trotskyste en sopposant à la défense militaire inconditionnelle des Etats ouvriers déformés nord-coréen et chinois contre limpérialisme.
Lantisoviétisme de guerre froide et le soutien aux intégristes se rejoignirent pour les cliffistes en Afghanistan, où les impérialistes utilisèrent la lutte des mollahs contre lintervention soviétique en 1979 pour mener une guerre par procuration contre lUnion soviétique. Washington armait et soutenait le djihad (guerre sainte) réactionnaire des intégristes qui était aussi soutenu par pratiquement tous les régimes du Proche-Orient. Nous avons salué haut et fort lintervention de lArmée rouge soviétique en Afghanistan contre les forces dirigées par les mollahs, et nous avons appelé à lextension à lAfghanistan des acquis sociaux de la révolution dOctobre. Lintervention militaire soviétique offrait la possibilité douvrir la voie à lémancipation de la population affreusement opprimée dAfghanistan; par contre, le retrait décidé par le Kremlin en 1988-1989 pava la voie aux massacres sanglants qui sensuivirent.
Mais les cliffistes se tenaient fermement dans le camp de la réaction. Aux Etats-Unis, lISO proclamait un soutien sans réserve aux mollahs: «Tout comme les socialistes ont applaudi à la défaite des USA au Vietnam, nous applaudissons à la défaite des Russes en Afghanistan. Elle encouragera tous ceux qui, en URSS et en Europe de lEst, veulent briser le pouvoir des héritiers de Staline» (Socialist Worker, mai 1988). Les cliffistes acclamèrent ensuite avec enthousiasme la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, qui a conduit à une paupérisation massive des travailleurs et à des massacres fratricides.
La guerre en Afghanistan a mis en lumière le caractère central de la question femmes dans lOrient islamique, à la fois comme force motrice pour la révolution sociale et comme point de ralliement pour la réaction soutenue par les impérialistes. Au début de la guerre, le New York Times (9 février 1980) écrivait: «Cest le fait que le gouvernement révolutionnaire de Kaboul ait accordé de nouveaux droits aux femmes qui a poussé les hommes musulmans orthodoxes des villages pachtounes de lest de lAfghanistan à prendre les armes.» Dun autre côté, ce sont des femmes afghanes, armées et organisées en milices, qui furent parmi les combattants les plus ardents pour défendre le régime nationaliste modernisateur contre les moudjahidins soutenus par les Etats-Unis.
Même dans les «démocraties» capitalistes les plus avancées dEurope de lOuest et dAmérique du Nord, les femmes restent très opprimées malgré légalité légale et politique; elles subissent la discrimination dans lemploi et les salaires, et se voient assigner comme rôle principal dans la société celui de femmes au foyer et de génitrices; des droits fondamentaux comme lavortement leur sont soit refusés, soit constamment remis en cause. Lislam, en grande partie parce quil existe surtout dans des pays semi-coloniaux où larriération sociale est renforcée par lasservissement impérialiste, na pas été obligé dadapter son code moral répressif et de limiter son pouvoir temporel pour se conformer au principe de légalité politique formelle issu des révolutions démocratiques bourgeoises en Europe de lOuest et en Amérique du Nord.
Limpérialisme, tout en introduisant la technologie capitaliste la plus avancée dans ces pays arriérés, renforçait les aspects les plus réactionnaires et les plus répressifs de la société semi-féodale. Malgré une indépendance formelle, les bourgeoisies semi-coloniales restent dépendantes des impérialistes, et craignent toute remise en cause de leur domination de classe par le prolétariat à la tête de la paysannerie pauvre et de tous les opprimés. Ces nationalistes bourgeois sont hostiles à lémancipation des femmes, qui ne peut se réaliser que par une révolution socialiste amenant un bouleversement complet des rapports de propriété capitalistes et de toutes les institutions sociales qui y sont associées.
Dun autre côté, la lutte contre loppression des femmes est une force motrice pour la lutte révolutionnaire dans ce genre de pays. Décrivant la liberté nouvellement conquise des femmes de lAsie centrale soviétique dans un discours prononcé en 1924 devant l«Université communiste des travailleurs de lOrient», Léon Trotsky déclarait:
«Aujourdhui encore, on peut observer en Orient le pouvoir de lislam, des vieux préjugés, croyances et coutumes, mais ceux-ci tomberont de plus en plus en poussière et en cendres [...]. Et ceci signifie, en outre, que la femme orientale, qui est la plus paralysée dans sa vie, ses habitudes et sa créativité, qui est lesclave des esclaves, se retrouvera soudain libérée de toute entrave religieuse quand elle aura, étant donné les exigences des nouvelles relations économiques, arraché son voile; elle aura une soif passionnée dacquérir de nouvelles idées, une nouvelle conscience politique qui lui permettra dapprécier sa nouvelle position dans la société. Et il ny aura pas de meilleur communiste en Orient, pas de meilleur combattant pour les idées de la révolution et pour les idées du communisme, que la femme travailleuse éveillée à la conscience révolutionnaire.» [traduit de langlais]
Le Proche-Orient est un foyer incandescent de rivalités impérialistes autour du contrôle des réserves de pétrole vitales de la région. Il y sévit aussi une oppression intense et aux mille facettes: oppression des femmes, des minorités nationales, ethniques et religieuses, ainsi que des homosexuels et dautres. Mais ces cinquante dernières années, il sest aussi développé un prolétariat moderne considérable dans les centres urbains de tout le Proche-Orient. Cette classe ouvrière industrielle a la puissance sociale nécessaire pour diriger les masses opprimées dans la lutte pour renverser lordre capitaliste et ouvrir la voie au socialisme. La clé, cest de forger une direction révolutionnaire du prolétariat, sur le modèle des bolchéviks de Lénine qui ont dirigé la Révolution russe de 1917, basée sur la théorie et le programme de la révolution permanente de Trotsky.
Le renversement révolutionnaire du capitalisme ne peut pas se limiter à un seul pays. Il doit nécessairement balayer les régimes bonapartistes sanguinaires de Syrie et dIrak, les intégristes moyenâgeux dIran et du Soudan, les monarchies réactionnaires de Jordanie, dArabie saoudite et des pays du Golfe, ainsi que la bourgeoisie sioniste dIsraël. Il faut que ce soit une lutte internationaliste liée au combat pour la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés dEurope et dAmérique du Nord. Pour cela il faut forger des partis trotskystes qui se réapproprieront lhistoire riche en combats de classe unitaires du Proche-Orient. Ceci fait partie de la lutte pour gagner la classe ouvrière de cette région du monde à la tête de la paysannerie et des nombreuses nationalités opprimées au drapeau de linternationalisme léniniste. Pour une fédération socialiste du Proche-Orient! Pour la révolution socialiste mondiale!