Les femmes et limmigration en France
Spartacist (édition française) no. 35, printemps 2003. Traduit de Spartacist (édition anglaise) no. 57, hiver 2002-03.
Cet article est basé sur une prés entation faite par notre camarade Alison Spencer lors d'une journée d'étude de la Ligue trotskyste de France le 18 mai 2002. Une transcription en a été publiée dans le Bolchévik no. 161, automne 2002. L'article ci-dessous en est une version revue et augmentée pour Spartacist et publiée dans l'édition anglaise en hiver 2002-2003. A cette journée d'étude il y a aussi eu une présentation sur « Ce qu'est le trotskysme et ce qu'il n'est pas » (publiée dans le Bolchévik no. 160, été 2002) qui, partant des élections présidentielles, retraçait l'histoire de la lutte pour le trotskysme authentique contre le révisionnisme et la collaboration de classes.
Le socialiste utopique français Charles Fourier expliquait que la condition féminine est une façon très précise dévaluer à quel degré une société a été purgée de son oppression sociale en général. En ce moment en France, 70000 jeunes filles sont menacées dêtre mariées de force. 35000 jeunes filles subissent ou risquent de subir des mutilations sexuelles. Ce sont les chiffres publiés en janvier 2002. Pour vous donner une idée de laugmentation de loppression des femmes, qui est une mesure de loppression générale dans cette société: il y a dix ans les chiffres montraient que 10000 filles étaient menacées de mutilations sexuelles. Il y a donc une escalade de 250% depuis dix ans! Selon léchelle de Fourier, il y a donc une effrayante régression du progrès et une intensification de loppression sociale dans ce pays.
Cette société qui se pare des atours de la liberté et de légalité est un véritable enfer, surtout pour les jeunes filles et les femmes issues de limmigration. La mutilation sexuelle et les mariages forcés sont des choses qui ne se voient pas au grand jour. Ce sont des peurs et des menaces mortelles qui ont lieu entre les quatre murs du foyer familial. Mais le fait quon voit de plus en plus couramment des femmes voilées montre bien que loppression des femmes et linfluence de la religion augmentent. Il ny a pas de chiffres, mais on voit le foulard islamique partout dans la rue et on voit de plus en plus de tchadors, le voile islamique qui représente lexclusion totale des femmes de la société et leur asservissement dans la famille.
Pour nous les droits démocratiques sont indivisibles, et une attaque contre un, cest une attaque contre tous. Je voudrais expliquer comment cette aggravation de loppression des femmes est directement liée à la politique anti-ouvrière et anti-immigrés de lEtat français qui a été géré par un «gouvernement de gauche» pendant des années. Mais examinons dabord doù vient cette augmentation de linfluence religieuse et des pratiques anti-femmes.
Le foulard et la République
En 1989, en pleine célébration du 200e anniversaire de la Révolution française, trois jeunes filles se sont présentées au lycée portant un foulard islamique. Il y a immédiatement eu une explosion de sacro-sainte «laïcité», qui recouvre des préjugés anti-islam, et au nom des «valeurs républicaines» ces jeunes filles maghrébines ont été exclues de lécole publique et renvoyées au foyer. En fait, lEtat français a dénaturé les objectifs et les valeurs de la Révolution française en sattaquant à ces jeunes filles musulmanes. Sous lAncien Régime du roi, on appelait la France «la fille aînée de lEglise». Le principe de la laïcité de la Révolution française vient de la lutte pour protéger la liberté dexpression et pour arracher la société des mains de lEglise catholique. Que ce principe soit utilisé maintenant par une majorité catholique pour opprimer une minorité musulmane dans la société française est une ironie cruelle de lhistoire. Cela souligne à quel point la bourgeoisie française a dégénéré à lépoque de la décadence impérialiste alors que cette classe avait dirigé la Révolution française, événement historique de la lutte pour lémancipation de lhumanité.
Il nest pas interdit de porter une petite croix à lécole publique. Cette campagne contre les jeunes filles portant le foulard nétait que le début dune campagne raciste et réactionnaire de plus en plus intense contre «lislam en France», une campagne qui ciblait surtout la population dorigine maghrébine de ce pays. Les enquêtes scientifiques montrent que, contrairement à ce que prétend la campagne hystérique contre «limportation de lintégrisme algérien» en France, en fait les jeunes issus de limmigration algérienne sont moins religieux que les Français de souche! (Cest peut-être parce que le voile est plus visible que beaucoup de gens pensent le contraire.) Selon lenquête de lINED (Institut national détudes démographiques) de 1992, 30% des hommes nés en France de deux parents nés en Algérie affirment navoir pas de religion du tout. 60% de ceux qui ont un seul parent né en Algérie disent ne pas avoir de religion. Pour les femmes, les chiffres sont 30% et 58% respectivement. Par contre pour la moyenne des Français de souche, seulement 27% des hommes et 20% des femmes déclarent quils nont pas de religion.
LEglise catholique a un poids considérable dans la société française. Lors des élections présidentielles, lEglise avait en fait deux candidats, Bayrou et Boutin. Et même le maire de Paris ne peut pas empêcher la mainmise de lEglise sur les horaires scolaires: celle-ci insiste que le mercredi reste libre pour le catéchisme. Pourquoi lEtat ne sinsurge-t-il pas pour défendre le principe de la laïcité contre les intrusions de lEglise catholique? La hiérarchie catholique et son idéologie sont tout simplement trop utiles à la bourgeoisie dans le but dentretenir le conservatisme et sanctifier la domination de classe capitaliste. Dun autre côté, la «laïcité» anti-musulmane aide la bourgeoisie à diviser la classe ouvrière et à isoler cette couche combative douvriers maghrébins de leurs frères de classe dans ce pays. Lécole «républicaine» est lendroit où lon enracine les valeurs racistes et anti-arabes de la France deux cents ans après la grande Révolution française.
Par rapport à cette histoire du foulard, à lépoque, la LTF a déclaré: «Dans ce pays gangrené par le chauvinisme et la terreur raciste, ces exclusions ne peuvent représenter quun acte de discrimination raciale. Cest pourquoi nous les condamnons [...]. Il est clair que dans ce pays lintégrisme musulman ne pourrait être que lidéologie dune communauté horriblement opprimée qui aurait perdu tout espoir de trouver dans la société où elle vit une perspective den finir avec cette oppression.» («A bas la campagne anti-immigrés!», le Bolchévik no97, novembre-décembre 1989).
Nous luttons depuis toujours pour la séparation de lEglise et de lEtat, ainsi que de la Mosquée et de lEtat, contrairement à ces intégristes qui ne cherchent quà réglementer la vie privée jusque dans ses moindres détails à travers la loi coranique anti-femmes et réactionnaire. Mais en France, où lislam ne sera jamais quune idéologie de ghetto qui accepte la ségrégation, lennemi principal, ce ne sont pas les intégristes islamistes mais lEtat impérialiste français anti-ouvrier et anti-femmes , qui opprime les masses laborieuses en Algérie, en Afrique et ici.
A lépoque où nous défendions ces jeunes filles voilées en France, nous avons aussi salué lArmée rouge en Afghanistan lorsquelle était intervenue pour défendre le gouvernement nationaliste bourgeois de gauche du PDPA qui voulait moderniser le pays. LArmée rouge sest battue contre les intégristes qui jetaient du vitriol au visage des femmes non voilées et qui tuaient les enseignants qui apprenaient à lire aux jeunes filles. Nous avons dénoncé le retrait des troupes soviétiques, qui représentait une trahison des femmes afghanes. Nous avons lutté pour lextension des acquis de la Révolution russe doctobre 1917 aux femmes afghanes. Est-ce quil y a une contradiction entre notre ligne à lépoque sur le foulard ici en France, et sur le voile en Afghanistan? Pas du tout. La question dans les deux situations cétait comment défendre les intérêts des femmes et de la classe ouvrière internationale. En France, la population maghrébine subissait quotidiennement la ségrégation et la terreur raciste et elle était marginalisée par le chauvinisme des directions du mouvement ouvrier. On pouvait donc comprendre que certaines jeunes femmes cherchent dans la religion un refuge et une illusoire dignité retrouvée. Cest pour cela que Marx appelait la religion «le coeur dun monde sans coeur». Le combat des marxistes contre lobscurantisme religieux est inséparable de la lutte pour abolir les conditions matérielles qui dans ce monde induisent le besoin de se réfugier dans des fantasmes célestes. En dautres termes, notre combat est indissolublement lié à la lutte pour la révolution socialiste internationale. En Afghanistan, lintervention de lArmée rouge avait mis à lordre du jour lextension des acquis de la révolution dOctobre, et cétait une question de vie ou de mort pour les femmes afghanes contre les égorgeurs moudjahidins.
Par contre, la gauche française a refusé de défendre les femmes contre la réaction soutenue par les impérialistes en Afghanistan et contre les campagnes racistes de la bourgeoisie en France. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ainsi que ses alliés internationaux du Secrétariat unifié, qui était alors dirigé par Ernest Mandel, a ouvertement appelé au retrait de lArmée rouge en Afghanistan et sest rangée du côté des mollahs et de la CIA contre lUnion soviétique et les femmes afghanes. Lutte ouvrière (LO) était plus évasive mais elle sest rangée du même côté, comparant lintervention soviétique en Afghanistan à ce quont fait les impérialistes français et américains au Vietnam. LO sest ouvertement prononcée du côté de lEtat pour le renvoi des jeunes filles voilées du lycée, alors que la LCR sy est timidement opposée tout en continuant à soutenir loyalement et à entretenir des illusions dans le gouvernement de front populaire de Mitterrand qui avait lancé cette campagne raciste. Sous le front populaire dernièrement, la coalition socialiste-communiste-Verts dirigée par Jospin, LO ne sest pas opposée à Vigipirate et ses mesures dEtat policier contre les immigrés. Quant à la LCR elle na pu se résoudre à protester contre cette répression raciste que pratiquement tout à la fin du règne de Jospin.
Pendant la guerre dAlgérie on avait déjà vu quelque chose du même genre que lutilisation actuelle de la «laïcité» contre les femmes musulmanes en France. Limpérialisme historiquement ne sest jamais gêné pour sallier aux chefs locaux les plus réactionnaires et aux institutions les plus arriérées quand il sagissait dassurer que les profits des colonies arrivent bien. Mais quand les masses algériennes se sont soulevées contre leurs maîtres coloniaux, les autorités françaises et leur armée de tortionnaires ont soudain «découvert» les droits des femmes algériennes opprimées, espérant gagner du soutien pour continuer à coloniser le pays. Comme nous le disions dans un article écrit dans les années 1970:
«Les Français ont utilisé la dégradation des femmes par lislam pour justifier leur refus daccorder des droits, comme le droit de vote, aux musulmans. Les Algériens ont réagi en intensifiant leur orthodoxie musulmane, glorifiant le rôle de leurs femmes comme perpétuatrices de la vraie culture contre linfluence française. Comme elles étaient enfermées chez elles, les femmes algériennes étaient effectivement moins sous influence française que les hommes, malgré les efforts particuliers que faisaient les Français pour les toucher. Pendant la lutte de libération nationale, les Français ont organisé des dévoilements publics pro-Français de femmes musulmanes, et ils ont mis en place un Mouvement pour la solidarité féminine qui fournissait des soins médicaux, de laide juridique, des cadeaux et de linstruction, pour essayer de les faire sortir de lisolement et les mettre au service de limpérialisme français.»
«The Private Life of Islam: A Review» [La vie privée de lislam: une critique], Women and Revolution no10, hiver 1975-1976
Face à ces campagnes racistes de limpérialisme français «en faveur des femmes», où on les dévoilait de force et faisait brûler leur voile dans des «feux de joie», la réaction du FLN fut de répudier publiquement ces femmes et de les traiter de prostituées. Leur mot dordre était: pour une Algérie libre, pas une femme française libre! Comme ils ne pouvaient pas proposer de vrai programme socialiste pour les femmes, qui les libère du joug de lislam en même temps que de celui de limpérialisme français, les nationalistes algériens ont fait du voile leur symbole! Ils ont glorifié loppression des femmes sur lautel de la révolution.
La libération nationale algérienne du joug de limpérialisme français est une victoire que les marxistes défendent avec passion. Mais nulle part autant que dans le cas de lAlgérie indépendante on ne peut voir à quel point le nationalisme bourgeois est incapable de vraiment libérer les masses du «tiers monde» de la misère, de larriération sociale et du pillage impérialiste. Dans la guerre dAlgérie les femmes ont pris les armes et se sont battues héroïquement aux côtés des hommes, et pourtant leurs filles et petites-filles se retrouvent soumises aux contraintes anti-femmes de la loi islamique officielle. Elle sont aussi terrorisées par les intégristes qui ont gagné une grande partie de la population désespérée qui les voit comme une alternative au régime militaire discrédité et brutal du FLN. Seules de profondes révolutions socialistes dans toute cette région du monde peuvent offrir un avenir aux Algériennes et aux Algériens, en plus de donner une formidable impulsion à la lutte révolutionnaire dans les métropoles impérialistes. Dun autre côté, si les ouvriers prenaient le pouvoir ici en France et dans dautres pays impérialistes, cela conduirait directement à la libération des pays du Maghreb par la révolution socialiste.
La contre-révolution capitaliste et la religion
La deuxième étape de cette histoire du foulard a eu lieu en 1994 quand une centaine de jeunes filles ont été renvoyées du lycée. Le contexte international est important pour comprendre deux choses: le retour à la religion et laggravation dune politique anti-ouvrière, anti-immigrés et anti-femmes. Lévénement clé cest la contre-révolution capitaliste en Union soviétique et en Europe de lEst entre 1990 et 1992. Cela a été une énorme défaite pour le mouvement ouvrier au niveau international, une défaite que pratiquement toute la gauche a célébrée.
Les idées réactionnaires prospèrent dans les périodes réactionnaires, et depuis la chute de lURSS on voit une recrudescence des intégrismes de toutes sortes: lintégrisme protestant aux Etats-Unis (ceux qui font des attentats contre les cliniques davortement, le Ku Klux Klan, le gouvernement Bush qui veut faire disparaître les faits scientifiques de lévolution et enseigner «la création» dans les écoles publiques); lintégrisme juif orthodoxe en Israël; linterférence de plus en plus importante de lEglise catholique dans la société civile en Europe; et lintégrisme islamique dans les pays musulmans et dans les métropoles européennes qui ont dimportantes populations musulmanes. Le développement de la religion nest pas seulement une conséquence de la contre-révolution, il a aussi été utilisé par les impérialistes pour fomenter la réaction dans les Etats ouvriers déformés et contre eux. Tous les «opiums du peuple», comme disait Marx, sont diffusés librement dans cette période. Cest le désespoir et lidée fausse que la lutte des classes et le vrai communisme sont des idées dépassées, qui est à la source du développement de cette fausse conscience.
La classe capitaliste qui vole les richesses que les ouvriers produisent a besoin dun bouc émissaire pour faire dérailler les luttes de classe, qui continuent malgré la régression de la conscience politique. La classe ouvrière cherche à se défendre contre les attaques capitalistes. Lorsque le mur de Berlin sest effondré, le «péril vert», celui que lislamisme incarne auprès des bourgeoisies occidentales, a remplacé lancien «péril rouge» de lUnion soviétique. La guerre du Golfe les bombardements et surtout les sanctions asphyxiantes de lONU qui ont tué plus dun million et demi dIrakiens a eu un fort impact dans la population maghrébine et musulmane en France. Cest à ce moment-là qua été mis en place le plan «Vigipirate», dispositif pour intensifier la répression contre les minorités ethniques, qui est maintenant devenu un modèle que tous les pays impérialistes copient pour opprimer leur «ennemi intérieur».
Au niveau national il y a eu des changements économiques et politiques qui ont fortement marginalisé les populations à la peau foncée et qui sont aussi une des causes de laugmentation de loppression des femmes. Une nouvelle crise économique capitaliste a fait monter le taux de chômage et les licenciements. Les enfants de ceux qui ont créé la richesse de la France dans laprès-guerre nont plus la possibilité de trouver des emplois comme leurs pères, qui étaient pourtant la main-doeuvre la plus exploitée et la moins payée. Les usines où les pères immigrés travaillaient sont maintenant fermées ou licencient. Les jeunes issus de limmigration sont traités comme une population superflue dont la bourgeoisie na plus besoin. La bourgeoisie na plus la possibilité de faire des gros profits avec lexploitation économique de ces jeunes et nest donc pas motivée pour investir de largent dans les écoles et dans les banlieues populaires. La seule «industrie» en expansion, cest la police et les prisons.
En fonction de ses besoins économiques, limpérialisme importe dans le prolétariat, au plus bas de léchelle, de nouvelles sources de main-doeuvre bon marché, essentiellement des immigrés venant des régions du monde les plus pauvres et dont on considère quon peut plus facilement se débarrasser en période de récession économique. Cest pour cela que la LCI se bat pour lunité et lintégrité de la classe ouvrière contre le chauvinisme et le racisme. Dans tous les pays où nous avons des sections, nous nous battons pour démasquer le mensonge de «lunité nationale» entre les ouvriers et les patrons et pour gagner le prolétariat à la solidarité de classe avec les immigrés et les minorités ethniques.
La bourgeoisie essaye de dire que le chômage est la faute des immigrés et de leurs enfants, et de faire des mots «délinquant» et «insécurité» des synonymes de «jeunes de minorités ethniques». Il ne fait aucun doute que cela a mis du vent dans les voiles de démagogues fascistes comme Le Pen. Mais plus fondamentalement, cette hostilité raciste contre les immigrés reflète la marginalisation de certaines couches de la population dans une économie en récession. Comme nous lexpliquions en 1996 dans un article sur limmigration en Europe:
«Il est courant dans la gauche européenne de mettre la vague montante de racisme anti-immigrés sur le compte de la démagogie des groupes d«extrême droite». Mais les fascistes ne font quexprimer ouvertement, sans fard et avec violence, les intérêts économiques et politiques des classes dirigeantes européennes dans la conjoncture actuelle. Le capital européen na plus besoin aujourdhui dimporter de la main-doeuvre supplémentaire des pays du tiers monde, alors que les jeunes de la deuxième génération sont économiquement superflus et considérés comme une source de troubles sociaux [...].
«La lutte contre le racisme anti-immigrés ne doit pas être seulement menée avec combativité contre les fascistes, mais aussi au niveau politique contre les dirigeants réformistes traîtres du mouvement ouvrier.»
«Immigration et oppression raciste en Europe», Spartacist édition française no29, été 1996
Même avant la récession économique actuelle, les études sur le chômage montrent quil existe une discrimination particulière envers les jeunes Algériens, même par comparaison avec les autres jeunes Maghrébins. La France na jamais oublié que lAlgérie la combattue et la vaincue. Le taux de chômage pour les Algériens titulaires dun CAP ou dun BEP entre 20 et 29 ans est de 39%, quand pour les Espagnols, les Portugais et les Français, le taux est de 10%. Cest presque quatre fois plus pour les jeunes Algériens! Les jeunes Algériennes connaissent aussi le chômage mais il y a une couche qui a trouvé des emplois stables, même si en général en France la situation de lemploi se présente mieux pour les garçons que pour les filles. Ces chiffres montrent que les jeunes Algériens souffrent toujours de la haine raciste de la France envers son ex-colonie qui lui a infligé une amère défaite militaire.
En général pour une fille, il nest plus aussi facile que dans les vingt dernières années de se séparer de sa famille. Rompre avec la famille implique de trouver un travail, mais lemploi qui apportait lindépendance financière est rare aujourdhui. Ces conditions matérielles sont à la base du retour vers la religion pour beaucoup de jeunes filles musulmanes. Mais cest très contradictoire. Beaucoup revendiquent leur identité islamique et en même temps dénoncent au nom même de lislam des traditions qui les refoulent dans le foyer. Il y en a qui portent le voile comme un acte de défiance envers la société française qui traite les Arabes avec mépris. En plus, il arrive souvent que les filles qui portent le foulard et qui adoptent cette image de pudeur obtiennent le droit de sortir de la maison et davoir des amis, ce qui leur était refusé avant. Mais cet espace de «liberté», grotesquement déformé et obtenu grâce au voile, ne dure pas longtemps. Toutes les filles qui portent le foulard islamique savent que leur avenir, selon les traditions de la famille et de la religion, cest le foyer; et la société occidentale ne leur offre pas davenir non plus. Lors dune conférence sur les femmes à la Sorbonne en janvier 2002, Fadela Amara faisait remarquer que «dans les années 1980 nous les grandes soeurs avions commencé à gagner notre liberté et à faire les premiers pas vers légalité, mais ensuite tout sest graduellement effondré dans les années 1990, avec le chômage massif, lintégrisme, et le repli dans la communauté».
Tous les livres écrits par ces jeunes femmes elles-mêmes décrivent une vie «schizoïde»: il y en a qui sortent de la maison voilées et se changent en minijupe dans les toilettes dun McDonald, et qui essaient déviter la surveillance des grands frères qui jouent le rôle de flics dans la famille, y compris avec une brutalité effrayante. Souvent, le sentiment dêtre déchirées entre la société française dun côté, qui leur demande dabandonner toute identité arabe, et la famille de lautre côté qui leur demande un comportement de pudeur, les détruit littéralement. Ces jeunes filles se suicident beaucoup plus que les autres filles de la même classe dâge. Les jeunes rappeuses musulmanes de la cité Lyautey à Strasbourg décrivent la situation des jeunes musulmanes dans leur chanson intitulée Les femmes dislam: si on se voile, cest les Français qui vous le reprochent, si on ôte le voile, cest le quartier dont on fait partie qui vous en veut de sortir.
Les lois anti-immigrés et la double peine des femmes
Pour les jeunes filles, la politique toujours plus restrictive de limmigration a créé un véritable marché matrimonial, qui les tue carrément. Pour comprendre comment les lois contre limmigration ont renforcé loppression des femmes, il faut retourner quelques décennies en arrière. Déjà en 1974, avec la crise du pétrole et la récession économique, les capitalistes français ont décidé quils navaient pas besoin de plus de main-doeuvre maghrébine (qui avait commencé à remplacer la main-doeuvre en provenance de lEurope de lEst et du Sud pendant et après la guerre dAlgérie). En 1974 lEtat français a claqué la porte au nez des peuples venant des ex-colonies exploitées par limpérialisme français. Aux hommes qui sétaient cassé les reins pour les profits des capitalistes français on offrait dix mille francs et un billet aller simple pour le Maghreb. La France a peut-être eu envie darrêter totalement limmigration à cette époque, mais lUnion européenne faisait un peu pression pour le droit au regroupement familial. Malgré tout, il était très dur pour un ouvrier, fréquemment licencié, et logé dans un dortoir pour hommes célibataires, de prouver à lEtat français quil pouvait subvenir aux besoins de sa propre famille et remplir les conditions nécessaires pour avoir droit au regroupement familial.
Les restrictions et les conditions pénibles de pauvreté ont poussé beaucoup de familles, et surtout les femmes, dans la clandestinité et sur le marché du travail au noir où, si on a de la chance, on trouve des boulots tellement sales et mal payés que les Français nen veulent pas. Légalement, la plupart des femmes qui sont venues avec le regroupement familial navaient pas le droit de travailler. Cest ainsi que la bourgeoisie française a renforcé avec ses lois anti-immigrés toutes les vieilles traditions répressives et la ségrégation des femmes maghrébines au foyer, coupées de la société.
Plus tard, dans les années 1980 et 1990 il y a eu les lois Pasqua, Debré et Chevènement qui ont encore plus limité le droit de résider en France et elles ont aussi facilité les expulsions. Il faut noter que les gouvernements soi-disant «de gauche» nont jamais abrogé les lois anti-immigrés mises en place par la droite. Ils ont au contraire augmenté larsenal légal et la répression policière contre les immigrés. Cest Mitterrand qui a déclaré que la France avait atteint son «seuil de tolérance» avec limmigration, pour justifier les expulsions. Cest Jospin, avec sa campagne sécuritaire, qui a augmenté la répression policière contre les jeunes des banlieues et pavé la voie au Front national de Le Pen.
En 1993 il y a eu un changement significatif avec la loi Pasqua-Méhaignerie. Le Code de la nationalité, qui donnait automatiquement le droit aux enfants détrangers nés en France de devenir français, a été aboli. Il fallait que les jeunes issus de limmigration réclament la citoyenneté française entre lâge de 16 et de 21 ans. (La loi a été modifiée depuis et maintenant un enfant né en France de parents étrangers devient français à 18 ans, mais seulement après des démarches bureaucratiques remplies dobstacles administratifs.) Ces lois ont créé une situation telle que toute une génération de jeunes qui sont nés, qui ont grandi et ont été éduqués en France, qui connaissent à peine le pays de leurs parents ou grands-parents, et qui souvent ne parlent même pas la langue de leurs parents, a été stigmatisée et déclarée «non française».
Cette loi a eu un impact profond. Rejetés par deux sociétés, celle de leur pays de naissance et celle de leur famille, et sans possibilité dêtre intégrés à une société qui noffre ni emploi ni avenir, pas mal de jeunes ont cherché une identité dans la religion. La discrimination existe même linguistiquement. Les jeunes nés en France sont appelés «immigrés» ou «issus de limmigration» ou la «deuxième» ou «troisième» génération. Comme je suis Américaine je suppose automatiquement que pratiquement tout le monde est «dorigine immigrée». Est-ce quon compte combien de générations il y a entre les Cro-Magnon et Le Pen? (Je ne veux pas offenser les Cro-Magnon, mais il est clair que Le Pen est une sorte de retour en arrière.) La discrimination linguistique reflète la discrimination réelle contre une population que la France ne veut pas intégrer et qui peut toujours être expulsée, comme les Juifs lont été, malgré leur citoyenneté française: sous Vichy, 15154 Français, en majorité des Juifs, ont été dénaturalisés pour faciliter leur déportation vers les camps de la mort. Il faut se souvenir de ça quand on voit les nouvelles lois toujours plus restrictives sur le Code de la nationalité.
Loppression des femmes et la famille
Comment les lois anti-immigrés tuent-elles les jeunes filles issues de limmigration et nées en France? Voici la conclusion de lenquête de Michèle Tribalat dans son livre Faire France (1995):
«La suspension du recrutement de travailleurs a rendu très attractif le mariage avec une jeune femme résidant en France, surtout lorsquelle a la nationalité française. Les filles élevées en France sont ainsi trop souvent captives dun marché matrimonial ethnique où la famille trouve elle-même un intérêt, souvent financier, sinon moral, à marier leur fille avec un postulant à lémigration.»
Autrement dit, cest une vie desclavage et les filles ne sont que la propriété en chair humaine quon peut acheter, vendre, mutiler et même tuer si ça protège «lhonneur de la famille». Le «meurtre pour lhonneur» de Fadime Sahindal, étudiante kurde en Suède, a scandalisé et on en a parlé dans la presse. Fadime Sahindal a été tuée par son père en janvier 2002, parce quelle avait commis le «crime» de refuser un mariage arrangé et quelle avait un copain.
Souvent, les familles profitent des vacances scolaires pour renvoyer les filles dans leur pays dorigine, pour être excisées en Afrique noire, et surtout être mariées de force en Turquie et au Maghreb. En ce qui concerne les mariages forcés, selon le Coran, il est interdit pour une femme de se marier avec quelquun qui nest pas musulman, bien que les hommes puissent épouser qui ils veulent. Les filles qui se battent contre leur sort sont souvent kidnappées, tabassées, et parfois tuées. Les livres sur ce sujet ne manquent pas. Dans son autobiographie Née en France, Histoire dune jeune beur (1990), Aïcha Benaïssa, une jeune femme dorigine algérienne, raconte comment elle a été kidnappée et renvoyée en Algérie où elle a été enfermée à clé dans la maison de sa famille parce quelle avait osé sortir avec un Français. Aïcha Benaïssa explique sa situation personnelle dans un contexte social plus large:
«La virginité, chez nous, cest tellement important! Surtout pour préserver lhonneur des parents. Tout lhonneur de la famille repose sur la virginité de la jeune fille à marier. On se sent comme dépossédée de son propre corps dans ce quil a de plus intime [...]. Vierge ou dépravée, il ny a pas dautre alternative.»
Elle cherchait sans cesse à senfuir, mais elle sest rendue compte que le problème allait beaucoup plus loin que ses gardiens et flics de frères dans la famille. En Algérie, dit-elle:
«Les policiers sont les gardiens de la morale publique. Les autres hommes surveillent eux aussi tous les faits et gestes des femmes dans la rue. Comme si tous les hommes étaient des pères. Des pères très répressifs, collectivement garants de la moralité de toutes les filles du pays.»
Ailleurs en Afrique noire et centrale, la virginité des filles et le prix quelles peuvent atteindre sur le «marché matrimonial» sont garantis par la mutilation sexuelle. Ca na rien à voir avec une différence «culturelle». Les mutilations sexuelles sont des actes violents et barbares. Lexcision cest lablation dune partie du clitoris et des petites lèvres. Linfibulation cest une excision complétée par lablation des grandes lèvres dont les deux moignons sont suturés bord à bord. Louverture vaginale disparaît pour laisser la place à un minuscule orifice pour lécoulement des règles et des urines. Comme vous pouvez limaginer, ces mutilations sexuelles produisent des douleurs extrêmes, des infections, des accouchements difficiles et parfois fatals, sans parler de la suppression du plaisir sexuel de la femme. Souvent quand des jeunes filles résistent à cette mutilation, on les menace de renvoyer leur propre mère au pays, où elle sera répudiée et rejetée de la société. Il y a beaucoup de suicides de mères et de filles qui cherchent à échapper à cette barbarie.
Il faut souligner que les femmes de toutes les classes sociales, même les femmes de la bourgeoisie, sont opprimés par ces pratiques. Cela montre bien que la principale source de loppression de la femme dans une société divisée en classes cest linstitution de la famille, et que même les femmes bourgeoises sont opprimées en tant que femmes. Mais les femmes de la classe ouvrière sont doublement opprimées et les ouvrières issues de limmigration subissent une triple oppression.
Ces exemples effrayants de mutilations sexuelles, de mariages forcés, de meurtres pour lhonneur, montrent quune question simple, démocratique et fondamentale comme notre lutte pour les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés et leurs familles, cest vraiment une question de vie ou de mort pour les femmes et les jeunes filles! Ces exemples montrent aussi lhypocrisie de la bourgeoisie française qui se vante dêtre lhéritière des idées de la Révolution française et du Siècle des lumières. Quel mensonge! Avec cette politique anti-immigrés et anti-ouvrière, la bourgeoisie française renforce et perpétue les pratiques les plus barbares et les plus sanglantes de lhistoire. Marx avait compris quil faut balayer le système capitaliste pour donner réalité aux belles idées des Lumières.
Alors que la bourgeoisie sattaque aux immigrés, il faut se souvenir du rôle clé que les travailleurs immigrés ont joué dans les luttes de classe en France, comme pendant la Commune de Paris en 1871. Comme le disait Karl Marx:
«Proclamant hautement ses aspirations internationalistes parce que la cause du producteur est partout la même et que son ennemi est partout le même, quelle que soit sa nationalité (quel que soit son vêtement national) Paris a proclamé le principe de ladmission des étrangers à la Commune, il a même élu un ouvrier étranger (membre de lInternationale) à son Exécutif, il a décrété la destruction du symbole du chauvinisme français: la colonne Vendôme!»
Karl Marx, la Guerre civile en France (1871)
Lasservissement des femmes dans les pays musulmans nest pas enraciné dans un caractère réactionnaire qui serait spécifique à lislam, comme les impérialistes le prétendent aujourdhui. Il ny a quà lire les farces de Molière pour voir quil y a une longue histoire de mariages forcés dans «la douce France» aussi. Tant que le pouvoir de lEglise sur la société civile nétait pas brisé, au moins en partie, le «choix» des femmes était limité: soit un mariage arrangé, soit senfermer au couvent pour le restant de sa vie. Dailleurs avant 1965 les femmes françaises navaient légalement même pas le droit de travailler sans lautorisation écrite de leur mari! Mais contrairement aux pays africains et maghrébins, en France la propriété capitaliste sest développée et a profondément miné les rapports sociaux féodaux arriérés. Ceux-ci ont été pratiquement balayés par la grande Révolution démocratique bourgeoise de 1789 qui a ouvert la voie au développement dune société industrielle avancée. Cette révolution a aboli la monarchie et laristocratie, limité le pouvoir de lEglise, et beaucoup amélioré le statut des femmes, quoique beaucoup des acquis légaux des femmes aient été repris par la suite au fur et à mesure que la bourgeoisie consolidait son pouvoir. Dans le monde musulman, le capitalisme est arrivé tardivement, et il est arrivé avec le colonialisme européen qui a fait alliance avec les pouvoirs féodaux locaux. Dans les pays colonisés, et aussi parmi les concentrations dimmigrés dans les métropoles impérialistes, le capitalisme a renforcé les traditions barbares et anti-femmes.
LOrigine de la famille, de la propriété privée et de lEtat (1884), de Friedrich Engels, explique la conception marxiste de la base matérielle de loppression des femmes. Dans cet ouvrage, Engels montre comment lorigine de loppression de la femme se trouve dans la division de la société en classes. Sous le «communisme primitif» de lâge de pierre, la division du travail entre hommes et femmes se basait sur la biologie (les femmes devant mettre au monde et allaiter les enfants), et il nétait pas nécessaire que la femme ait un statut social subordonné. Avec le développement de la technologie, en particulier celui de lagriculture, il sest créé pour la première fois un surplus, ce qui a conduit à la division en classes. Au fur et à mesure que les classes se développaient, linstitution de la famille est devenue nécessaire. Comme lexplique Engels:
«Donc, au fur et à mesure que les richesses saccroissaient, dune part elles donnaient dans la famille une situation plus importante à lhomme quà la femme, et, dautre part, elles engendraient la tendance à utiliser cette situation affermie pour renverser au profit des enfants lordre de succession traditionnel [cest-à-dire le droit maternel]. [...]
«Le renversement du droit maternel fut la grande défaite historique du sexe féminin. Même à la maison, ce fut lhomme qui prit en main le gouvernail; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de lhomme et simple instrument de reproduction.»
Donc, la naissance de la famille monogamique est complètement liée à lhéritage de la propriété privée et cest dici que vient limportance de la virginité des filles et de la soumission des femmes. Engels dit:
«Elle [la famille] est fondée sur la domination de lhomme avec le but exprès de procréer des enfants dune paternité incontestée, et cette paternité est exigée parce que ces enfants entreront un jour en possession de la fortune paternelle, en qualité dhéritiers directs. [...] [Le lien conjugal] ne peut plus être dénoué au gré des deux parties. En règle générale, cest maintenant lhomme qui peut seul dénouer le lien et répudier sa femme. Le droit dinfidélité conjugale lui reste dailleurs garanti jusquà présent, du moins par la coutume (le Code Napoléon le concède expressément à lhomme, pourvu quil namène pas sa concubine au domicile conjugal), et ce droit sexerce toujours davantage, à mesure que le développement social va sélevant; si la femme se souvient de lantique pratique sexuelle et veut la restaurer, elle est punie plus sévèrement quà toute autre période antérieure.»
Je voudrais souligner limportance que Marx et Engels accordaient à la question femme. Cette oeuvre magnifique dEngels a été écrite en hommage à Karl Marx qui avait entrepris une recherche approfondie sur la question de la famille. Contre toutes les valeurs étouffantes de la société bourgeoise, Marx et Engels ont examiné toute lexpérience humaine, y compris lhistoire des rapports sexuels. Avec notre journal Femmes et révolution qui est maintenant intégré à Spartacist, le journal international de la LCI, nous essayons de suivre leur exemple: il faut traiter de la totalité de lexpérience humaine si on veut vraiment changer le monde, se débarrasser de tous les cas doppression et ouvrir la voie à lexpansion de la liberté à tous les niveaux. Marx et Engels avaient aussi un sens de lhumour et une audace que nous admirons. Par exemple, sur la question de la promiscuité, la honte et lhypocrisie de la bourgeoisie, Engels écrit:
«Et si la stricte monogamie est le comble de toute vertu, la palme revient au ver solitaire qui possède, dans chacun de ses cinquante à deux cents anneaux ou articles, un appareil sexuel masculin et féminin complet et passe toute son existence à saccoupler avec lui-même dans chacun de ses segments.»
Mieux vaut être un ver solitaire quune jeune fille mariée de force!
Libération des femmes par la révolution socialiste!
Il y a plusieurs associations qui se sont formées en réponse à ce besoin urgent daider ces jeunes filles. Nous avons parlé avec une association turque qui reçoit trois ou quatre appels par jour de jeunes filles qui sont mariées de force ou menacées de lêtre. Jai parlé avec lassociation GAMS (Groupe femmes pour lAbolition des Mutilations Sexuelles) qui a été fondée pour lutter contre les mutilations sexuelles des femmes africaines, mais qui maintenant fait aussi beaucoup de travail pour sauver les jeunes filles des mariages forcés. Ces organisations font un travail parfois héroïque et urgent, mais elles sont affaiblies par le nationalisme et le sectoralisme. Chaque groupe est organisé sur la base de la nationalité et la sexualité: GAMS pour les Africaines, Elélé pour les Turques, Nanas Beurs pour les Maghrébines, etc. Cest lindifférence totale à ces questions de la part des partis de gauche et des syndicats qui est la cause de cet isolement national. Le Parti communiste fait certes pas mal de travail social pour garder la face dans les municipalités où il est, et vient parfois en aide à des individus désespérés. Mais il est tout autant que le Parti socialiste du mauvais côté dans la lutte pour mobiliser tout le mouvement ouvrier si puissant en faveur de la défense des immigrés et des femmes! Labdication politique de «directions» qui ne se battent pas pour ceux qui sont particulièrement opprimés produit des syndicats faibles qui ne défendent les intérêts daucun de leurs membres. Et le climat politique est dominé par des arguments racistes tant de la part de la droite que de la «gauche».
Lisolement des peuples opprimés dans cette société et le désespoir qui existe aujourdhui, cest le fruit amer des trahisons de la gauche. Dans les années 1980, les jeunes du mouvement «beur» (qui signifie «arabe» en verlan) et leurs parents avaient beaucoup despoir dans le gouvernement Mitterrand. Les jeunes du mouvement «beur» ont traversé le pays à pied, de Lyon à lElysée, pour déclarer «nous sommes ici» et pour exiger légalité. Il ny avait pas un seul mot dordre religieux dans le mouvement à lépoque. Mais le gouvernement Mitterrand, un gouvernement capitaliste mis en place avec le soutien de tous les partis de gauche, sauf notre parti la LTF, bien évidemment, na pas apporté légalité à la jeunesse issue de limmigration. Au contraire, ce gouvernement a poursuivi les expulsions, a réduit le droit au regroupement familial, et a intensifié la répression policière dans les banlieues qui était le fer de lance des attaques contre toute la classe ouvrière.
Ahmed Boubeker dans Libération-Lyon décrit quels résultats lintensification de la ségrégation raciste et la trahison de la gauche ont produits à lendroit même où est né le mouvement pour légalité des jeunes issus de limmigration:
«Qui a connu la capitale des beurs entre 1981 et 1983 ne reconnaît plus les lieux [...]. Au 10 de la rue Gaston-Monmousseau, à lendroit même où se trouvait le local de lAssociation S.O.S. Avenir Minguettes à lorigine de la première marche des Beurs, on trouve aujourdhui une salle de culte. [...] Des anciens militants du mouvement beur rêvent tout haut [...] de lunité des jeunes immigrés dans la foi: Le prochain chapitre de lhistoire des jeunes Arabes de France sera musulman ou ne sera pas! Quon ne me parle plus des Beurs, à quoi donc a servi cette histoire, à part faire pleurer les cathos et faire vendre des badges aux feujs (juifs)? En vérité, le vrai malheur est de vivre à loccidentale, alors que lislam en héritage nous rend invincibles.»
cité dans les Banlieues de lislam de Gilles Kepel, 1987
La bourgeoisie française joue le rôle classique de «diviser pour mieux régner» en utilisant le racisme anti-arabe. Surtout depuis le 11 septembre 2001, les médias nous bombardent dhistoires de «réseaux terroristes islamiques» en France. Dabord il faut bien voir que les vrais «réseaux terroristes» cest lOTAN, lONU, les gouvernements impérialistes américain et français. Qui a torturé des civils en Algérie? Qui a détruit et bombardé lex-Yougoslavie? Qui opprime les quartiers populaires et les banlieues pauvres avec une armada policière? Qui licencie les ouvriers et attaque leur existence? Cest la bourgeoisie française, pas quelques intégristes islamiques!
En plus, la bourgeoisie française a vraiment du culot parce que cest elle qui a importé lislam en France consciemment pour fliquer les ouvriers immigrés et pour empêcher lunité entre Arabes et Français dans la classe ouvrière. La bourgeoisie française a utilisé lislam comme rempart contre le communisme, tant à lextérieur du pays que dans les usines et les quartiers immigrés en France. Dans les années 1980, les ouvriers immigrés ont été en pointe dans des grèves puissantes, surtout dans lindustrie automobile. Les patrons, avec leurs «syndicats» jaunes comme la CSL (Confédération des syndicats libres) ont délibérément utilisé la religion pour isoler et contrôler les militants dans les usines. La revendication dun lieu de culte na jamais été une revendication du mouvement ouvrier au Maghreb! Mais ici en France, ce sont les patrons, à travers la CSL, qui ont avancé cette revendication. Gilles Kepel explique dans son livre les Banlieues de lislam:
«La mise en place dune structure islamique à lintérieur de lusine présente pour la direction plusieurs avantages, dans la perspective à court terme du maintien de la paix sociale et de la productivité, en attendant que les OS [ouvriers spécialisés] cèdent la place aux robots. Cela renforce ladhésion des travailleurs musulmans à lesprit de lentreprise, à laquelle ils se montrent reconnaissants de leur permettre de pratiquer leur culte, et cela crée un nouveau type dinterlocuteurs, de médiateurs entre direction et ouvriers, ce qui relativise le monopole de la représentation syndicale. [...] Les revendications douverture de salles de prière auraient donc été satisfaites parce quelles étaient perçues comme une manière de favoriser lesprit maison, le consensus social entre ouvriers et direction.»
Dun côté le patronat français encourage lislam dans lusine, de lautre les médias des patrons accusent les grévistes maghrébins dans les grandes grèves de 1982 à Citroën, à Talbot, à Renault, dêtre des «ayatollahs dans les usines»! La politique de la gauche et de la direction syndicale était tout aussi dégoûtante. Au lieu dorganiser lunité de la classe ouvrière en lutte contre les patrons et le gouvernement Mitterrand, la gauche pourrie a capitulé devant le gouvernement quelle avait aidé à mettre au pouvoir et a laissé tomber les immigrés. Dailleurs Pierre Mauroy, premier ministre soi-disant «socialiste», na-t-il pas accusé une grève de Renault dêtre fomentée par les «moudjahidins»?
Cette indifférence à loppression raciale vient directement dune perspective de collaboration de classes. La gauche française et les directions syndicales cherchent leurs alliés dans la bourgeoisie française (cette année cétait Chirac pour qui ils ont même appelé à voter!) au lieu dorganiser les ouvriers les plus opprimés ici en France comme un secteur clé et le meilleur allié de la classe ouvrière française. A la Poste, une camarade ma raconté lhistoire dune grève des travailleurs des DOM-TOM [territoires français doutre-mer]. Comme elle défend ces ouvriers, elle sest bien sûr mise en grève aussi, mais le lendemain sa direction syndicale lui a expliqué quelle navait pas le droit, et quelle ne serait pas couverte par le syndicat parce que cétait une grève uniquement pour les travailleurs qui venaient des DOM-TOM. Voilà comment la bureaucratie syndicale introduit la politique raciste des patrons («diviser pour mieux régner») dans le mouvement ouvrier lui-même.
Dans les industries où les ouvriers immigrés sont exploités et utilisés comme armée de réserve de travailleurs, comme le bâtiment, ce quil faut cest une campagne pour syndiquer tous ces travailleurs immigrés et les intégrer dans les luttes de classe en défense de tous les ouvriers qui se battent contre le même Etat capitaliste et les mêmes patrons. Un ouvrier sans-papiers sera en meilleure position pour lutter pour ses propres intérêts et refuser dêtre utilisé comme briseur de grève sil a une carte de la CGT, parce que derrière cette carte, il y a la puissance du mouvement ouvrier français, de dizaines de milliers de travailleurs. La vraie solidarité avec les sans-papiers, ce nest pas une manifestation une fois par an avec des stars de cinéma mais la solidarité et légalité réelle qui résultent de luttes de classe unies.
La direction traître du mouvement ouvrier a capitulé devant lislam réactionnaire qui vise surtout les ouvriers maghrébins les plus combatifs sans parler de ce que ça veut dire pour une ouvrière davoir des mollahs dans sa boîte! Dans les années 1980, la CGT et les maoïstes sortaient des tracts dans lesquels ils saccusaient mutuellement dêtre de mauvais musulmans qui mangent pendant le Ramadan! Ils naccusaient pas la CSL dêtre une organisation des patrons et hors du mouvement ouvrier, mais dêtre «contrôlée par les sionistes»! Et à lépoque où la CGT et le PCF capitulaient devant lislam et lantisémitisme importés par les patrons dans les usines françaises, leur parti frère en Iran, le Toudeh, soutenait totalement le gouvernement de Khomeiny. Là-bas le PCF et le Toudeh approuvaient la répression contre les militants de gauche des Fedayins, deux ans avant que le Toudeh lui-même se voie à son tour éliminé par la réaction islamique!
Le problème cest que les organisations qui dirigent le mouvement ouvrier français ont pour but de gérer le capitalisme et non pas de le détruire. Cest pourquoi elles continuent à capituler devant le racisme et à le justifier, car loppression raciste est un aspect fondamental du capitalisme français. Les grèves douvriers majoritairement immigrés sont restées isolées, ce qui a facilité la tâche aux capitalistes pour les briser. Cest le cas de la grève de Flins en mars 1995. Dun autre côté les grèves du secteur public (comme lénorme grève de décembre 1995) ne se sont pas étendues au secteur privé où se trouve cette couche combative douvriers immigrés.
Malgré le chômage et les licenciements, les travailleurs immigrés et leurs enfants occupent toujours une position centrale dans la production française. Ils représentent aussi un lien vivant avec les travailleurs dAfrique et dAsie. Loin dêtre juste des «victimes opprimées», les travailleurs immigrés ont une puissance sociale qui peut jouer un rôle énorme dans une révolution. Ce quil faut cest une direction révolutionnaire, un tribun du peuple, qui lutte contre la terreur raciste quotidienne dans les banlieues, qui lutte contre la précarité de lemploi, surtout pour les jeunes issus de limmigration, qui lutte contre loppression des femmes, y compris les mariages forcés, lexcision, et pour le droit à lavortement libre et gratuit. Cest à la construction dune telle direction révolutionnaire que nous nous consacrons, et nous prenons comme exemple phare lexpérience du parti bolchévique et de la révolution dOctobre 1917.
La Révolution russe et les femmes
Comment sortir de cette situation? Revenons à lOrigine de la famille, de la propriété privée et de lEtat dEngels:
«[...] lémancipation de la femme, son égalité de condition avec lhomme est et demeure impossible tant que la femme restera exclue du travail social productif et quelle devra se borner au travail privé domestique. Pour que lémancipation de la femme devienne réalisable, il faut dabord que la femme puisse participer à la production sur une large échelle sociale et que le travail domestique ne loccupe plus que dans une mesure insignifiante. Et cela nest devenu possible quavec la grande industrie moderne qui non seulement admet sur une grande échelle le travail des femmes, mais aussi le requiert formellement et tend de plus en plus à faire du travail domestique privé une industrie publique.»
Envisageant la révolution socialiste, Engels écrit:
«Les moyens de production passant à la propriété commune, la famille conjugale cesse dêtre lunité économique de la société. Léconomie domestique privée se transforme en une industrie sociale. Lentretien et léducation des enfants deviennent une affaire publique; la société prend également soin de tous les enfants, quils soient légitimes ou naturels.»
La Révolution russe a lutté pour mettre ces idées en pratique. Elle a immédiatement donné aux femmes le droit de vote un droit que les Américaines nont obtenu quen 1918 à cause de lexemple soviétique, et que les Françaises nont obtenu quen 1944! Toutes les lois contre les homosexuels ont été abolies. Le pouvoir de lEglise de contrôler les mariages, légitimer les naissances, etc. a été aboli. La conception même d«illégitimité» a été abolie. Comme ils savaient quon ne peut pas simplement «abolir» la famille, quil faut la remplacer par des institutions sociales collectives, les bolchéviks se sont immédiatement attelés à ce travail et ont pris les mesures quils pouvaient dans le contexte de pauvreté et darriération héritée de la vieille société et de la guerre civile.
Mais la libération des femmes nest pas quelque chose quon puisse accomplir seulement à coups de nouvelles lois. Il fallait changer les conditions matérielles dexistence et trouver les ressources pour le faire. Lénine en était très conscient, surtout en ce qui concernait le travail dans lOrient soviétique où les femmes étaient voilées et opprimées par les traditions musulmanes. Mais ces traditions étaient enracinées dans les conditions matérielles: dans lancienne société le droit de posséder leau et les terres était lié au mariage, par exemple. Un homme qui possédait plusieurs femmes possédait aussi plus de terres. «La terre à ceux qui la travaillent» était donc un moyen de libérer les femmes de la polygamie et des mariages forcés, mais ce nétaient pas des changements quon pouvait accomplir dun jour à lautre ou par décret.
De nombreuses femmes bolchéviques, sous la direction du Jenotdel (département des femmes ouvrières et paysannes), ont mis le voile elles-mêmes pour aller éduquer et libérer les femmes dAsie centrale. Cétait un travail extrêmement dangereux et de nombreuses organisatrices bolchéviques ont été tuées. Cest pourquoi le nouvel Etat ouvrier a remis en vigueur la peine de mort explicitement contre «les meurtres anti-féministes» qui étaient déclarés des «crimes contre-révolutionnaires». La création dune économie planifiée et collectivisée a permis à lEtat ouvrier dinvestir le surplus de lOuest plus développé dans lEst arriéré et de créer ainsi plus dégalité entre les peuples de lUnion soviétique. Ca se voit clairement quand on regarde les conditions de vie dans les républiques de lex-Union soviétique et quon les compare à celles de lAfghanistan, de lautre côté de la frontière. Du côté soviétique, les femmes nétaient plus voilées et asservies, elles savaient lire et écrire; par contre en Afghanistan elles étaient pour la plupart analphabètes. Il y avait une différence considérable dans les chiffres de la mortalité infantile et de lespérance de vie de chaque côté de la frontière. Evidemment, avec la contre-révolution, tout le vieux fatras est revenu dans les anciennes républiques soviétiques. Les femmes y sont les premières et principales victimes de la dévastation économique et de la réaction qui ont accompagné le retour au capitalisme.
Comme le déclarait Trotsky en 1924 dans un discours à lUniversité communiste pour les travailleurs dOrient, au moment où le pouvoir bolchévique poursuivait sa perspective de libération des femmes en Asie centrale: «Il ny aura pas de meilleur communiste en Orient, pas de meilleur combattant pour les idées de la révolution et pour les idées du communisme, que la travailleuse éveillée à la conscience de classe.» Et nous ajouterons quil ny aura pas de meilleur combattant dans les luttes de classe et pour un avenir socialiste, ici, et de lautre côté de la Méditerranée, que les femmes issues de limmigration.