Pour des syndicats industriels !
Pour un parti léniniste d'avant-garde !
Syndicat et parti : le point de vue marxiste
Reproduit du Bolchévik n° 164, été 2003
Nous reproduisons ci-dessous une présentation du camarade Herminio Sanchez, revue pour publication, lors d’une discussion dans la LTF sur les grèves de mai-juin.
L’énorme vague de grèves qui secoue le pays depuis un mois est sans précédent depuis 1995. Les travailleurs montrent qu’ils veulent lutter, et la frustration et la colère augmentent contre la bureaucratie syndicale. Dans d’in-nombrables entreprises le morcellement des syndicats en chapelles politiques concurrentes (CFDT, CGT, FO, SUD, UNSA, ¼) se traduit par le cassage de la grève un jour par la CGT, un autre par l’UNSA (dont fait partie la FGAAC à la SNCF), un autre encore par les « radicaux » du SUD, etc. Ce qu’il nous faut c’est des syndicats industriels unifiant l’ensemble des travailleurs d’une industrie dans un seul syndicat. Trotsky écrivait en 1931:
« Si l’édifice théorique de l’économie politique du marxisme s’appuie entièrement sur la conception de la valeur comme du travail matérialisé, la politique révolutionnaire du marxisme s’appuie, elle, sur la conception du parti comme avant-garde du prolétariat. Quelles que soient les sources sociales et les causes politiques des fautes et des déviations opportunistes, idéologiquement, elles se ramènent toujours à une compréhension erronée du parti révolutionnaire, de ses relations avec les autres organisations prolétariennes et avec la classe tout entière. »
Nous expliquons dans notre Déclaration de principes (voir Spartacist n° 32, printemps 1998) : « Comme pour les bolchéviks de Lénine, notre but est de fusionner les éléments intellectuels et prolétariens, surtout en construisant des fractions communistes dans les syndicats et en s’y battant. Avec de la propagande littéraire, on peut former les premiers cadres mais on ne peut pas rassembler l’avant-garde prolétarienne qui ne vit ni dans un cercle, ni dans une salle de classe, mais dans une société de classes, dans les usines, dans les organisations de masses ; on doit savoir parler à cette avant-garde dans la langue de ses expériences. Même les cadres propagandistes les mieux préparés se désintègrent inévitablement s’ils ne trouvent pas le contact avec la lutte quotidienne des masses. »
Aussi embryonnaire soit-elle, chaque section de la LCI cherche à concrétiser notre orientation prolétarienne. Nous cherchons à construire des fractions communistes dans les syndicats, nous cherchons à avoir des cadres dans le prolétariat qui incarnent notre programme dans notre classe. Quand Lénine dit dans Que faire ? que le parti introduit la conscience de l’extérieur de la lutte économique, il veut dire que les travailleurs ne peuvent pas spontanément, dans le cadre de la lutte économique, transcender leur niveau de conscience trade-unioniste, c’est-à-dire qui accepte le cadre du capitalisme ; il leur faut des révolutionnaires professionnels intervenant dans la classe ouvrière, dans ses luttes, avec leur propagande et leur agitation. C’est ce parti-là que nous voulons construire. Si nous n’arrivons pas à ancrer notre parti dans la classe ouvrière nous ne pourrons pas attirer des couches plus larges d’ouvriers pour diriger une révolution prolétarienne. On voit clairement dans les grèves actuelles le rôle de nos opposants de maintenir le plus bas possible le niveau de conscience de la classe ouvrière. Lutte ouvrière (LO) rejette toute la conception léniniste d’un parti d’avant-garde, pour mieux capituler devant les couches les plus arriérées dans le prolétariat. LO et la LCR rejettent la conception du parti d’avant-garde parce qu’ils n’ont aucune intention de renverser le système capitaliste ; au contraire ils veulent mieux diriger ce système, LO avec sa revendication de « l’interdiction des licenciements », la LCR avec ses offres de service pour participer à un prochain gouvernement.
La Charte d’Amiens et les origines du réformisme syndical en France
La Charte d’Amiens de 1906 est la pierre angulaire dans le mouvement ouvrier français réformiste en ce qui concerne les relations entre le parti et les syndicats. Tout le monde pratiquement s’en réclame. Le point fondamental auquel font référence les gens qui parlent de la Charte d’Amiens, c’est l’indépendance complète des syndicats vis-à-vis des partis politiques. C’est-à-dire que le parti s’active au parlement, mais il n’interfère pas le moins du monde dans les luttes syndicales, sinon peut-être pour les soutenir de l’extérieur. Réciproquement le syndicat ne se mêle pas des campagnes politiques. La Charte d’Amiens demande par exemple au syndiqué de « ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au-dehors ». Cette conception est évidemment tout d’abord anti-historique, comme si le mouvement ouvrier français n’avait pas été fondamentalement affecté depuis 1906 par la trahison d’août 1914 (quand les social-démocraties allemande et française ont trahi le prolétariat en soutenant leur propre bourgeoisie dans la Première Guerre mondiale), la révolution d’Octobre 1917 en Russie, et ensuite la dégénérescence puis la destruction finale de l’Union soviétique. Ensuite, la Charte d’Amiens sert de couverture aux trahisons de toutes ces organisations depuis des dizaines d’années.
De proclamer la Charte d’Amiens comme l’alpha et l’oméga de la question des relations entre parti et syndicat, c’est faire preuve d’une étroitesse nationale tout à fait française. Les relations entre les partis et les syndicats sont très variées suivant les pays et l’époque. En Grande-Bretagne le Parti travailliste a émergé il y a une centaine d’années comme l’expression politique propre de la bureaucratie syndicale ; c’est les syndicats qui ont créé le parti. En Allemagne au contraire c’est le SPD qui a construit les syndicats et qui continue à les contrôler. Aux Etats-Unis le noyau principal des syndicats industriels – par exemple l’UAW, le syndicat des travailleurs de l’automobile – est apparu dans les années 1930 grâce à l’influence du Parti communiste ; il fallait une direction prête à lutter pour intégrer les Noirs et les Blancs dans un seul syndicat, et seuls les communistes pouvaient faire cela. La construction des Teamsters (le syndicat des camionneurs) comme un puissant syndicat sur une base industrielle, était le résultat d’une politique lutte de classe à l’initiative des trotskystes qui ont dirigé la grève générale de Minneapolis de 1934.
Pour en revenir à la Charte d’Amiens il faut comprendre la situation du mouvement ouvrier de l’époque pour expliquer sa genèse. En 1905 les différentes cliques parlementaires se réclamant du socialisme se sont unifiées. Il y avait notamment une aile ouvertement non marxiste, les jauressistes, et une aile qui se réclamait du marxisme, dirigée par Jules Guesde. Guesde voulait que les marxistes influencent le syndicat, Jaurès s’y opposait (pour lui il fallait laisser aux bureaucrates syndicaux la lutte économique, et aux parlementaires petits-bourgeois la lutte politique). Le réformisme était manifestement très puissant dans la SFIO, la social-démocratie de l’époque : le « socialiste » Millerand, quelques années auparavant, avait participé à un gouvernement bourgeois pour la première fois dans l’histoire. C’est pourquoi les syndicalistes révolutionnaires ont fait un bloc avec Jaurès pour préserver l’indépendance du syndicat par rapport à la social-démocratie. Le résultat de ce bloc c’était la Charte d’Amiens.
Sur le fond les syndicalistes révolutionnaires cherchaient à s’opposer à l’influence de la social-démocratie qu’ils percevaient à juste titre comme réformiste. Mais c’est Guesde lui-même, représentant de l’aile « marxiste » de la SFIO, anti-jauressiste, qui entrera dans le gouvernement capitaliste pendant la Première Guerre mondiale. Il faut noter que l’indépendance de la CGT par rapport à la SFIO ne la préservera pas de la trahison : dès début août 1914 l’organe officieux de la CGT, la Bataille syndicaliste, commencera à soutenir la guerre de sa propre bourgeoisie contre le Kaiser allemand Guillaume II. Un an plus tard la Bataille syndicaliste devenait la Bataille. A cette époque-là Monatte démissionnait de la Commission administrative de la CGT pour protester contre leur position chauvine. Trotsky écrivait (21 octobre 1929) :
« Son départ du centre syndical n’était au fond qu’une scission. Mais, à cette époque-là, Monatte croyait – avec raison – que les tâches historiques fondamentales du prolétariat sont à placer au-dessus de l’unité avec les chauvins et les laquais de l’impérialisme. C’est en cela précisément que Monatte fut fidèle aux meilleures traditions du syndicalisme révolutionnaire. »
Trotsky explique que la conception des syndicalistes révolutionnaires d’une « minorité agissante » au sein de la CGT « était, par essence, une théorie incomplète du parti prolétarien. Dans toute sa pratique, le syndicalisme révolutionnaire était un embryon de parti révolutionnaire ; de même, dans sa lutte contre l’opportunisme, le syndicat révolutionnaire fut une remarquable esquisse du communisme révolutionnaire. » C’est donc notamment avec les syndicalistes révolutionnaires comme Monatte que l’Internationale communiste voulait former la section française. Pour cela il fallait dépasser la Charte d’Amiens. Appliquer la Charte d’Amiens après la révolution d’Octobre, c’était s’opposer à l’influence communiste dans les syndicats et donc dans la classe ouvrière. Le Quatrième Congrès de l’Internationale communiste a adopté en 1922 une résolution qui disait : « L’autonomie sous toutes ses formes, qu’elle soit anarchiste ou anarcho-syndicaliste, est une doctrine anticommuniste et la résistance la plus décidée doit lui être opposée ; le mieux qu’il puisse en résulter, c’est une autonomie par rapport au communisme et un antagonisme entre syndicats et partis communistes ; sinon c’est une lutte acharnée des syndicats contre le parti communiste, le communisme et la révolution sociale. »
Unité des syndicats, mais scission du parti avec les réformistes
Trotsky expliquait au Quatrième Congrès que les syndicats doivent englober des couches d’ouvriers plus larges que le parti, y compris s’ils ont « les préjugés les plus rétrogrades », par exemple les ouvriers catholiques. Si le syndicat ne comprenait que des communistes, « il n’aurait aucune valeur parce qu’il serait une répétition du parti » :
« L’importance du syndicat consiste en ce que sa majorité est ou doit être composée d’éléments qui ne sont pas encore soumis à l’influence d’un parti ». […]
« Les syndicats représentent une élite qui a besoin d’une direction d’idées ; ces idées ne sont pas spontanées, elles ne tombent pas du ciel ; il doit y avoir une continuité dans ces idées, il faut les justifier, les vérifier par l’expérience, les analyser, les critiquer et ce travail doit s’opérer dans le parti. Aujourd’hui, la grande objection que l’on nous oppose, c’est la subordination des syndicats au parti. Oui, nous voulons subordonner la conscience de la classe ouvrière aux idées révolutionnaires. C’est notre prétention. Il est tout à fait stupide de dire que nous pouvons agir par des pressions du dehors, par des pressions qui ne seraient pas fondées sur la volonté libre des ouvriers eux-mêmes, que le parti possède des moyens de pression à l’égard des syndicats, lesquels sont numériquement plus forts que lui – ou au moins devraient l’être. C’est la réaction de tous les pays qui a toujours répété que le parti et les syndicats veulent soumettre la classe ouvrière à leur volonté. »
Voyez notre Déclaration de principes :
« Les communistes cherchent à unifier le plus solidement possible la classe ouvrière contre les exploiteurs capitalistes ; nous sommes par conséquent opposés aux divisions par métiers dans le prolétariat, et sommes pour le syndicalisme industriel ; nous sommes opposés à la division de la classe ouvrière en syndicats concurrents basés sur des tendances politiques ou des groupes ethniques différents. Ceci est à contraster avec la tâche de l’avant-garde communiste qui est de clarifier et de rendre plus visibles les divergences entre les tendances politiques concurrentes de façon à en rassembler les cadres dans un parti léniniste. Du temps de Lénine, ces tâches politiques différentes étaient reflétées dans des formes organisationnelles différentes : le Comintern, composé de partis, représentait le programme politique bolchévique, seul programme révolutionnaire, et le Profintern [Internationale syndicale rouge] représentait la lutte pour l’unité de la classe ouvrière dans les syndicats. »
Ou, pour schématiser : parti = scission, syndicat = unité. Les réformistes font exactement l’inverse : ils divisent les travailleurs en syndicats concurrents qui brisent chacun les grèves de l’autre, bien qu’ils s’unissent « tous ensemble » avec la bourgeoisie dans des gouvernements capitalistes (front populaire ou pire). Par exemple les bureaucraties syndicales CGT, CFDT, SUD ont toutes appelé à voter Chirac.
Comparez maintenant avec les anarchistes de la CNT : ils séparent les ouvriers les plus militants des masses organisées dans la CGT, la CFDT ou ailleurs. Ce faisant ils laissent ces larges masses à la merci des bureaucraties syndicales, et contribuent ainsi à préserver l’emprise de la bureaucratie sur ces travailleurs. Trotsky écrivait au contraire : « La bureaucratie trade-unioniste est l’instru-ment le plus formidable de votre oppression par l’Etat bourgeois. Il faut arracher le pouvoir des mains de la bourgeoisie et, pour cela, il faut renverser son principal agent : la bureaucratie trade-unioniste. » Pour cela il faut créer des fractions communistes dans les syndicats, comme nous le soulignons dans notre Déclaration de principes.
On peut contraster cela aussi avec les pablistes de la LCR ; ils ont eu des positions importantes dans la bureaucratie de pas mal de syndicats CFDT. Ces dernières années, par exemple suite à la signature de l’accord des 35 heures chez Michelin par la direction régionale de la CFDT, ils ont simplement claqué la porte et fondé un nouveau syndicat, le SUD. On voit très bien sur les manifestations la faiblesse organisationnelle de SUD : une petite minorité de militants plus combatifs se retrouve isolée en-dehors de la grande masse des travailleurs qui, s’ils restent syndiqués, continuent à l’être auprès des anciennes grandes fédérations. Ces gens préfèrent diriger leur propre syndicat minoritaire sur une base politique réformiste plus combative, au lieu d’accepter d’être en minorité dans le syndicat. Trotsky insiste comment la tâche principale des communistes dans les syndicats est d’augmenter l’influence politique du parti. Il écrit :
« Le nombre des communistes aux postes de direction des syndicats n’est qu’un indice de l’influence du parti dans ces syndicats. Plus importante est l’estimation du pourcentage des militants communistes par rapport aux masses syndicalisées. Mais le critère principal est l’influence générale du parti sur la classe ouvrière, qui, elle, se mesure à l’ampleur de la circulation de la presse du parti, à l’affluence aux meetings organisés par le parti, au nombre des voix recueillies aux élections, et, par-dessus tout, au nombre des travailleurs et des travailleuses qui répondent aux appels à la lutte lancés par le parti. »
Comparez avec Luta Metalúrgica, le groupe brésilien avec lequel nous avons rompu en 1996 ; ces opportunistes syndicaux faisaient littéralement le contraire de tout cela : pas de presse du parti, mais ils avaient des postes syndicaux dans le syndicat des travailleurs municipaux de Volta Redonda dans l’Etat de Rio ; ils avaient acquis ces postes en enterrant leur programme politique au point de briguer les votes des flics qui représentaient une partie significative de la base du syndicat. Ils ont utilisé pour cela un ex-flic comme leur candidat aux élections syndicales ! Ces individus sans principes sont les grands héros prolétariens de l’IG (Internationalist Group), un groupe formé dans la deuxième moitié des années 1990 pour l’essentiel avec des déserteurs de nos rangs, qui, sous l’impact de la contre-révolution en URSS avaient abandonné la lutte pour un parti ouvrier révolutionnaire (voir le Bolchévik n° 140, automne 1996).
Pour des syndicats industriels !
La division de la classe ouvrière en plusieurs syndicats largement en fonction des convictions politiques, correspond à la conception bien ancrée en France que les grèves sont avant tout des manifs politiques, et non des actions ouvrières qui stoppent la production. Il s’agit de tactiques de pression extra-parlementaire, tout particulièrement quand la droite est au pouvoir, dans la perspective de ramener au gouvernement les réformistes ou le front populaire. C’est pourquoi quand nous parlons de syndicats industriels dans notre tract récent, nous lions ce point à la question des piquets de grève non filtrants.
Il y a vingt ans nous écrivions dans le Bolchévik (n° 37, février 1983), en faisant référence à Juin 36 : « Ce serait dans le cours de luttes semblables que de nouveaux organes ouvriers – des comités de grève et éventuellement des comités d’usine, les deux élus et révocables à tout moment – peuvent se forger comme base à l’unification du mouvement syndical, non par la fusion par magouilles au sommet des “lieutenants ouvriers du capital” mais en les chassant. » Une telle lutte est donc liée directement à la lutte pour une direction communiste dans les syndicats, sur la base de notre programme, contre les éléments centristes et pro-capitalistes qui transmettent l’idéologie bourgeoise. En 1922 en France le réformiste Jouhaux fit une scission anticommuniste de la CGT. Le PC établit alors son propre syndicat, la CGTU, qui faisait de l’agitation pour la réunification des syndicats. Trotsky écrivait en septembre 1922 :
« La scission des organisations syndicales en France menée pour des raisons politiques par Jouhaux et Cie est un crime tout aussi grave que la conduite de cette clique durant la guerre. Toute tendance ou doctrine a la possibilité de créer son propre groupement au sein de la classe ouvrière. Mais les syndicats sont les organisations de base de la classe ouvrière et l’unité des organisations syndicales est dictée par la nécessité de défendre les intérêts et les droits les plus élémentaires des masses laborieuses. Une scission des organisations syndicales pour des raisons politiques représente tout à la fois une trahison de la classe ouvrière et la confession de sa propre faillite. C’est seulement en isolant une petite partie de la classe ouvrière des groupes révolutionnaires – avec une scission – que Jouhaux et Cie pourraient espérer retenir un peu plus longtemps leur influence et leur organisation. Mais pour cette même raison, les syndicats réformistes ont cessé d’être des syndicats, c’est-à-dire des organisations de masse des travailleurs, et ils sont devenus à la place un parti politique camouflé de Jouhaux et Cie. »
Mais l’unité syndicale n’est pas un fétiche. Un exemple que reprend Trotsky, et qui a constitué un pilier fondamental de la formation de l’Opposition de gauche internationale, c’est le Comité anglo-russe de 1926 : il fallait rompre ce comité qui légitimait politiquement les bureaucrates syndicaux britanniques au moment de la trahison de la grève générale. Mais en général il faut rejeter sur les réformistes la scission ; et c’est bien logique que ce soit eux et pas nous qui cherchions la scission, puisque de cette manière ils isolent les révolutionnaires des masses travailleuses contrôlées par la bureaucratie syndicale. Plus le syndicat regroupe de larges masses, plus largement les communistes pourront lutter pour accroître leur influence parmi les travailleurs.
LO et la grève de Renault de 1947
La CGT réunifiée était dominée au sortir de la guerre par le PCF, étant donné que les autres tendances étaient compromises dans la collaboration sous Vichy avec les nazis. Avec la guerre froide contre l’Union soviétique la CIA organisa et finança en 1947-1948, avec l’appui de la social-démocratie, une scission anticommuniste de la CGT, Force ouvrière (voir le Bolchévik n° 59, décembre 1985). La trajectoire politique de Monatte l’a amené à cette époque à Force ouvrière, mais cela n’a pas empêché Barta, le fondateur du groupe dont est issue LO, de prendre conseil auprès de lui lors de la grève de Renault d’avril-mai 1947.
C’était une grève importante dont des militants de LO ont été à l’origine. Le PCF était alors dans le gouvernement et il a fait tout son possible pour attaquer les militants de LO et briser la grève. Le PCF a échoué et il s’est fait jeter hors du gouvernement. Le crime ne paie pas ! Robert Barcia, alias Hardy, le dirigeant historique de LO après Barta, raconte dans son livre la Véritable histoire de Lutte ouvrière qu’à cette époque Monatte a conseillé aux militants de l’UC (prédécesseurs de LO) lors de la grève de 1947 de sortir de la CGT et de créer leur syndicat indépendant. Barcia écrit : « Combattre au sein de la CGT aurait été possible et nécessaire en période de grande mobilisation des travailleurs, mais c’était voué à l’échec alors que l’enthousiasme retombait. En outre, rester à la CGT privait les militants, même s’ils représentaient l’immense majorité de leurs camarades de travail, de toute possibilité d’expression, ne serait-ce que du fait de la discipline syndicale. » Donc LO a créé son propre petit syndicat, qui lorsqu’il a pu participer aux élections de délégués du personnel en juin 1949, réunissait 1 283 voix sur 22 674 votants, soit moins de 6 % des voix. Un petit SUD en quelque sorte, avec Barcia qui déclare qu’ils ne sont pas pour créer des syndicats révolutionnaires, que le SDR était un syndicat revendicatif « comme tout syndicat ».
Lors de la grève Renault de 1947 la première chose que les prédécesseurs de LO ont faite c’est de liquider le parti pour construire le syndicat : « A la mi-mai 1947, Barta cessa de faire paraître La Lutte de classes, le journal politique, étant donné les tâches énormes pendant les semaines qui suivirent la grève. Seule La Voix des travailleurs de chez Renault, une feuille imprimée recto verso, format A3, continua alors de paraître. [¼] Bien sûr, les camarades avaient parfaitement compris l’interruption de La Lutte de classes lors de la grève, car la faire paraître devenait une tâche impossible pour Barta, et cette disparition était secondaire par rapport aux urgences d’une situation qui évoluait de jour en jour, chez Renault et dans le pays. » En fait la Lutte de classe n’a pas reparu pendant un an et demi ! Et le résultat : LO n’a recruté personne de cette action chez Renault.
C’est là un exemple concret de liquidation du parti dans le travail syndical. Parfois nous disons que Lutte ouvrière est un groupe syndicaliste sur la question du parti. Evidemment on voit une expression de cela dans leur propagande actuelle ; leur journal se limite strictement à prôner la combativité ouvrière. Ils font pratiquement disparaître même toute critique de la bureaucratie syndicale, leur ligne étant que la combativité de la base peut forcer les bureaucraties à diriger la lutte jusqu’au retrait du plan Raffarin. Dans leur éditorial de cette semaine ils vont même jusqu’à prôner la confiance dans la bureaucratie de la CGT au moment même où aux yeux de tous les travailleurs dans les entreprises en lutte elle freine le mouvement gréviste des quatre fers :
« Les directions syndicales, qui appellent aux journées de manifestations, et maintenant à poursuivre le mouvement et à une nouvelle journée le 10 juin, entraînent à la lutte. Mais elles ne proposent pas clairement d’obliger le gouvernement à ravaler tous ses projets. »
– Lutte Ouvrière, 6 juin
Face à ce plat réformisme les appels grandiloquents à la grève générale peuvent paraître plus radicaux. Certains d’entre vous ont entendu Arlette Laguiller à la fête de LO argumenter qu’il ne faut pas une grève générale mais une « généralisation du mouvement ». Le dirigeant de LO Barcia, alias Hardy, est plus direct encore : « c’est une ânerie » (le Monde, 10 juin). Mais il y a un fort sentiment, y compris parmi les militants de Lutte ouvrière, pour avancer le mot d’ordre de la grève générale. Tout le reste de la gauche, de la LCR à Socialisme par en bas, à la Gauche révolutionnaire et aux anarchistes de la CNT, crient le plus fort qu’ils peuvent à la grève générale. Surtout les pablistes de la LCR, et comme nous le disons dans notre tract c’est vraiment grotesque que les pablistes, qui ont voté Chirac et il y a encore moins de deux mois le soutenaient pour sa politique irakienne, proclament maintenant la grève générale comme le « troisième tour ».
Dans « Encore une fois, où va la France » (1935), Trotsky écrit :
« L’importance fondamentale de la grève générale, indépendamment des succès partiels qu’elle peut obtenir, mais aussi ne pas obtenir, réside dans le fait qu’elle pose de façon révolutionnaire la question du pouvoir. En arrêtant les usines, les transports, de façon générale les moyens de liaison, les stations électriques, etc., le prolétariat paralyse par cela même non seulement la production mais également le gouvernement. Le pouvoir d’Etat reste suspendu en l’air. Il doit, soit dompter le prolétariat par la faim et par la force, en le contraignant à remettre de nouveau en mouvement la machine de l’Etat bourgeois, soit lui céder la place.
« Quels que soient les mots d’ordre et le motif pour lesquels la grève générale a surgi, si elle entraîne les véritables masses, et si ces masses sont bien décidées à lutter, la grève générale pose inévitablement devant toutes les classes de la nation la question : qui va être le maître de la maison ? »
Une grève générale c’est inévitablement une confrontation politique avec l’Etat bourgeois. Par exemple Mai 68 posait la question à brûle-pourpoint : le pouvoir à quelle classe ? Mais actuellement on a plutôt l’habitude des journées d’action d’un jour qui ne sont au fond guère plus qu’une grande manifestation avec débrayage, où le lendemain beaucoup d’ouvriers retournent à leur poste de travail et les militants qui veulent poursuivre la bataille de classe se font abandonner par les dirigeants syndicaux. Une grève générale qui se prolonge pose la question qu’il faut décider de laisser fonctionner certains secteurs de l’économie à un certain niveau pour assurer la survie de la population. Les éboueurs de Marseille ont par exemple ramassé les ordures dans les quartiers nord où habitent les travailleurs, et laissé pourrir les ordures dans les quartiers riches. Donc le comité dirigeant la grève générale décide d’autoriser certains camions pour livrer des produits de première nécessité, il y a un service minimum parmi les hôpitaux et les pompiers décidé par les grévistes, certains moyens de transport doivent être autorisés pour transporter les piquets volants, etc. C’est-à-dire les grévistes gouvernent en embryon l’éco-nomie.
C’est pour cela que nous ne jouons pas à la légère avec ce mot d’ordre. Trotsky expliquait que, face à une grève générale, le gouvernement peut prendre peur et faire à l’avance des concessions, mais par définition ce sont des concessions qui bien sûr demeurent dans le cadre du capitalisme, et donc par définition excluent des revendications stupides à la LO/LCR/GR comme l’interdiction des licenciements. C’est-à-dire une telle grève générale ne résout rien de fondamental. Le gouvernement cède et la fin de la grève générale lui permet de rassembler ses forces pour la contre-attaque.
Deuxième possibilité : si l’armée est suffisamment sûre et si la grève générale est seulement conçue pour « faire peur » à l’ennemi (une formule que reprendrait volontiers LO, puisque son programme maximum c’est que la classe ouvrière fasse peur aux bourgeois pour leur arracher des concessions), dans ce cas Trotsky dit que la grève peut facilement se transformer en simple aventure et révéler sa totale impuissance et s’achever dans la répression. Vous avez par exemple la grève de décembre 1938 qui entre dans cette catégorie. Ce sont les pablistes qui, avec leur vote pour Chirac et avec leurs demandes que l’impérialisme français oppose un veto à l’ONU contre Bush, ont contribué à ce que le gouvernement se sente aussi sûr de lui pour attaquer d’abord les sans-papiers et ensuite l’ensemble des travailleurs.
Soit enfin il y a la grève générale qui « mène directement aux barricades », c’est-à-dire le prélude à l’insurrection, menant soit à la défaite soit à la victoire. Un petit groupe de propagande de combat trotskyste sait qu’une condition clé pour la victoire c’est un parti bolchévique dirigeant la majorité des secteurs clés du prolétariat, et par conséquent il est hautement irresponsable et aventuriste de se lancer là-dedans si on sait que ce parti reste à construire. Le parti allemand a essayé en 1921 et cela a été un fiasco complet.
Donc vous voyez que la question de la grève générale fait directement partie de la stratégie révolutionnaire ; quand des réformistes comme la LCR la soulèvent c’est uniquement pour manipuler la colère et la combativité des travailleurs pour mieux se positionner comme des partenaires incontournables du prochain front populaire. Le culot de la LCR va jusqu’à dire : « Grève générale ! Faire céder le gouvernement c’est possible ». Mais c’est eux qui ont mis en place ce gouvernement ! Les pablistes utilisent cyniquement le ressentiment des travailleurs vis-à-vis des tactiques démobilisatrices des bureaucrates. Comme nous l’expli-quons dans notre tract (voir en dernière page) nous sommes pour élargir et unifier la lutte pour écraser le plan du gouvernement de démanteler les retraites, pour unifier les travailleurs et les chômeurs dans une lutte pour du travail pour tous, pour faire partir en grève le prolétariat du secteur privé avec sa forte composante d’origine immigrée. Notre objectif est d’élever le niveau de conscience des masses travailleuses, en montrant que leurs besoins ne peuvent être satisfaits que par la prise du pouvoir d’Etat par le prolétariat et l’expropriation de la bourgeoisie.
Et pour commencer nous ne cessons de revenir aux points fondamentaux du marxisme sur la division de la société en deux classes irréconciliables, avec l’Etat non pas comme garant de l’harmonie sociale et de la justice, mais comme force de coercition, possédant le monopole de la force armée, pour maintenir les exploités et les opprimés à leur place dans la société capitaliste. D’où notre opposition à Vigipirate et la question des piquets de grève comme embryon des milices ouvrières. A l’époque impérialiste il y a une tendance croissante à l’intégration des syndicats à l’Etat bourgeois, que ce soit sous la forme de la présence de la police dans les rangs des syndicats, ou que ce soient les subventions massives de l’Etat bourgeois pour les appareils syndicaux ; ces subventions représentent l’essentiel du budget des syndicats et affranchissent l’appareil de la nécessité de recruter des membres cotisants au syndicat. Qui paie les violons choisit la musique ! Nous luttons pour l’indépendance des syndicats par rapport à l’Etat. Comme le rapporte notre camarade Xavier sur son intervention lors du meeting sur les grèves dans les transports à la fête de LO cette année :
« J’interviens pour le journal le Bolchevik, journal qui, comme vous le savez, est interdit de stand à la fête de LO. Le premier point que je voudrais faire est sur la combativité. Face à de telles attaques, la classe ouvrière ne peut être que combative. Et ces attaques ne se passent pas seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe. La classe ouvrière lutte aussi en Autriche, en Allemagne, en Italie. Mais la combativité, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante. Si la combativité était suffisante, il y a longtemps que la révolution aurait eu lieu. Déjà cette combativité devrait être organisée pour arrêter la production. Comme en a parlé le camarade de Juvisy, des piquets de grève, non pas à la française, mais de vrais piquets qui bloquent la production, où personne ne passe, devraient être mis en place. La grève ce ne doit pas être seulement de sempiternelles manifestations de rue, mais ce doit être l’arrêt de la production. Mais les quelques piquets de grève qui ont été mis en place sur les dépôts de bus ont été immédiatement attaqués. Le gouvernement et la direction ont envoyé les CRS et les flics pour les casser. Ces chiens de garde ont été envoyés par les patrons. Aussi quand, il y a un an, les flics se sont mis en grève pour avoir de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires, on a vu toute la gauche, y compris Lutte ouvrière, les soutenir. On voit le résultat aujourd’hui. Non seulement ils attaquent les piquets, mais dans toutes les manifestations, à Paris comme en province, on les voit parader comme « syndiqués ». Mais la classe ouvrière devrait se mobiliser pour les foutre dehors. Les AG de grévistes devraient discuter comment mettre hors des manifestations ces flics.
« Un deuxième point que je veux soulever, c’est la question immigrée. Tous les jours les cheminots défilent dans les gares. Ils croisent les travailleurs africains ou maghrébins du nettoyage. Mais aucune revendication n’est discutée dans les AG pour qu’ils rejoignent la grève. Comme ceux-ci n’ont pas l’ « honneur » d’avoir une carte d’identité française ou d’être européens, ils ne peuvent pas bénéficier du statut des fonctionnaires. Ce statut est un statut raciste [le chahut commence]. Il faut se battre pour que ces ouvriers puissent bénéficier du statut. [Chahut énorme, micro coupé.]
« Le travail des révolutionnaires est de construire un parti révolutionnaire qui va changer la conscience de la classe ouvrière. C’est en intervenant sur la question des flics ou la question immigrée qu’on va changer la conscience de la classe ouvrière. »