Le front populaire PS-PC a ouvert la voie aux fascistes de Le Pen

Rompez avec la collaboration de classes!

Pour un vrai parti ouvrier révolutionnaire multi-ethnique!

Reproduit du Bolchévik no. 159, printemps 2002

23 avril—Il faut tirer les leçons des élections d'avant-hier. C'est la politique de Chirac, de Jospin, de Robert Hue et même de la soi-disant "extrême gauche" qui a pavé la voie aux fascistes en faisant de la campagne sécuritaire, c'est-à-dire la répression raciste surtout contre les jeunes d'origine maghrébine, le thème central des élections présidentielles. Aujourd'hui Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire cherchent à se couvrir en blâmant la politique raciste du gouvernement pour ce résultat. Mais elles-mêmes, où étaient-elles? LO a salué les manifestations réactionnaires des flics en novembre dernier, et refuse de s'opposer à Vigipirate, qui représente en France depuis le 11 septembre la réalité de la "guerre contre le terrorisme", prenant pour cible tous les immigrés, et derrière eux le mouvement ouvrier et tous les opprimés. Et quant à la LCR, comment est-ce qu'un parti qui enjolive l'impérialisme français au point de réclamer des interventions militaires de celui-ci partout —des Balkans en 1999 à la Palestine aujourd'hui—, peut combattre le fascisme qui représente le nationalisme français le plus extrême?

Face à cette grave situation, le PS, le PCF, les Verts, les syndicats (CGT, CFDT) ont appelé à "faire barrage à Le Pen", et ils appellent à voter Chirac! On dirait des médecins qui veulent combattre la peste avec le choléra. Quant à la LCR et LO, on peut s'attendre à ce qu'ils prônent l'"unité de la gauche pour combattre l'extrême droite" en remettant en selle pour les législatives un nouveau front populaire (une coalition de partis ouvriers et de partis bourgeois pour diriger l'Etat capitaliste) autour du PS, qui vient de diriger l'Etat capitaliste et raciste français pendant cinq ans. Déjà en 1997 LO avait appelé à voter pour le PS et le PC aux législatives partout où Le Pen était au deuxième tour, contribuant à la victoire de Jospin. Pour nous trotskystes, l'opposition à la collaboration de classes et au front populaire est un principe essentiel. Quand les intérêts de la classe ouvrière sont subordonnés à ceux de la bourgeoisie (et ils le sont toujours dans de telles coalitions), c'est toujours la réaction qui gagne. Nos mots d'ordre dans ces élections sont plus importants que jamais pour organiser la classe ouvrière pour qu'elle se défende elle-même et défende tous les opprimés: A bas Vigipirate! A bas la campagne sécuritaire! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés! Stoppez les déportations! France, ONU, bas les pattes devant le Proche-Orient!

Ces élections marquent un bouleversement dans le paysage politique français. Elles avaient pour cadre l'austérité mise en place par le gouvernement de front populaire: licenciements massifs, fermetures d'usines, privatisations, attaques contre les retraites, etc. Depuis la contre-révolution capitaliste en URSS les bourgeoisies européennes ont mis en place des gouvernements pour démanteler pan par pan l'"Etat-providence", une série de services sociaux et d'acquis ouvriers gagnés dans des luttes acharnées. Ces dernières années c'étaient des gouvernements dirigés par des sociaux-démocrates qui s'étaient chargés de ce travail dans la plupart des pays d'Europe. Avec cela ils ont préparé le boulot pour l'extrême droite qui prend le pouvoir maintenant, avec Haider dans le gouvernement autrichien, et Berlusconi/Fini/Bossi en Italie par exemple. Et comme Blair, du parti travailliste britannique, s'est acoquiné avec Berlusconi contre les ouvriers en lutte.

La classe ouvrière ne manque pas de combativité pour s'opposer à ces attaques, comme on l'a vu en décembre 1995 et plus récemment avec les dockers à Marseille (une couche historiquement très intégrée ethniquement de la classe ouvrière), ou la récente grève générale en Italie. Mais les directions traîtres des partis réformistes et des syndicats dévoient toujours ces luttes vers des combinaisons parlementaires. Pour la première fois depuis 1969 la gauche n'est pas représentée au deuxième tour des élections. C'est tant mieux que le PCF paie si cher pour sa collaboration avec Chirac/Jospin. Il représentait un énorme obstacle sur le chemin de la lutte de classe: ce parti, qui avait sauvé la peau de la bourgeoisie française en 1936, 1944-47 et en mai 68, n'est plus que l'ombre de lui-même. Mais la politique de collaboration de classes du PCF n'a pas été défaite politiquement; LO et LCR partagent toujours la même perspective. D'autre part une partie de la base électorale du PCF, ouvrière et populaire, s'est tournée vers les fascistes comme seule alternative "radicale" à la pourriture de Jospin/Chirac. Ces élections montrent que la haine justifiée qu'a accumulée la classe ouvrière pour ce gouvernement d'austérité peut être exploitée par des démagogues fascistes. C'est pourquoi la lutte contre l'oppression raciste est si centrale dans la lutte anticapitaliste, comme nous l'avons souligné dans notre lettre à Lutte Ouvrière reproduite ci-après.

Des milliers de jeunes lycéens et d'autres sont descendus dans la rue tout de suite, partout en France, pour protester contre le fasciste Le Pen. Maintenant Le Pen se déguise en "candidat normal". Mais il ne faut pas se tromper, c'est un vrai fasciste, pour qui les immigrés doivent être déportés de France, et qui organise des bandes de nervis qui attaquent les jeunes d'origine immigrée. C'était un tortionnaire pendant la guerre d'Algérie. Si ces derniers mois on n'entendait guère parler des fascistes dans les journaux, c'est parce que les flics faisaient eux-mêmes directement les ratonnades et la répresion raciste. On a beaucoup entendu parler de l'"antisémitisme des Maghrébins" récemment, parce que c'était un prétexte pour la répression dans les banlieues; mais ce ne sont pas des Maghrébins qui ont voté pour Le Pen, qui avait déclaré que l'Holocauste des Juifs n'est qu'un "détail", et qui se revendique toujours du régime de Vichy.

Le Pen et les fascistes ne représentent pas de "mauvaises idées" dont on puisse débattre. Le fascisme, c'est un programme pour détruire le mouvement ouvrier organisé, renvoyer les femmes au foyer et massacrer les "immigrés", les Juifs, les minorités et les homosexuels. Les fascistes sont l'expression extrême des intérêts de la bourgeoisie et son armée de réserve contre le prolétariat. C'est pourquoi la lutte contre le fascisme doit être liée à la lutte contre le système d'exploitation capitaliste. Le Pen n'est pas sur le point de prendre le pouvoir dans ce pays, mais son score électoral va se traduire par une augmentation des crimes racistes dans les rues. Il faut écraser les fascistes avant qu'ils ne nous écrasent! Groupes de défense ouvriers/immigrés basés sur les usines!

En 1995 le FN avait inauguré sa campagne électorale avec l'assassinat d'Ibrahim Ali, et "fêté" son score en tuant Brahim Bouraam le Premier Mai. L'appel de Le Pen pour une mobilisation du Front national le Premier Mai, la Journée internationale des travailleurs, est une provocation sinistre. Il faut des mobilisations de masses pour repousser ce danger! Comme l'écrivait Trotsky (Comment vaincre le fascisme):

"Sur la balance de la statistique électorale, 1000 voix fascistes pèsent aussi lourd que 1000 voix communistes. Mais sur la balance de la lutte révolutionnaire 1000 ouvriers d'une grande entreprise représentent une force cent fois plus grande."

Mais au lieu de mobiliser la classe ouvrière pour balayer les fascistes des rues le Premier mai, la pseudo-gauche utilise la colère des jeunes et de tous les opposants aux fascistes pour redorer le blason non seulement des sociaux-démocrates, mais même de Chirac! La "CGT-police" vient d'appeler "tous les policiers républicains à participer à toutes les manifestations organisées par les forces de progrès". En fait les "syndicats" de flics seraient le soutien organique d'un régime fasciste. Nous disons: Flics hors des syndicats!

La colère avec les résultats des élections est cyniquement manipulée par la LCR de Krivine/Besancenot. Laguiller a annoncé le soir des élections qu'ils n'allaient pas voter Chirac au deuxième tour, mais dans leur éditorial d'hier ils sont déjà beaucoup plus flous, se refusant à donner une consigne de vote claire: "chacun doit faire le choix qui lui semble le plus justifié". Quant à la LCR, elle fait du blabla sur un "3e tour social contre le fascisme et contre le patronat" (tract de la JCR). Avec l'armée française de la guerre d'Algérie comme "force de protection internationale" en Palestine? Avec le "droit syndical et le droit de grève pour les gendarmes" (Rouge, 13 décembre 2001)? Leur capitulation au triomphalisme de la bourgeoisie et à la campagne idéologique anticommuniste s'est exprimée dans la campagne de Besancenot qui déblatérait sur la "démocratie" et a dénoncé l'organisateur de la révolution socialiste d'Octobre 1917, Léon Trotsky, en disant de lui (le Monde, 11 avril): "Pas sûr qu'il aurait forcément mieux que Staline"; Staline a été le fossoyeur de la révolution russe!

Le désastre du parlementarisme pourrait aussi profiter aux anarchistes. Pas mal de jeunes avec de bonnes impulsions rejettent le crétinisme parlementaire, mais plus que jamais dans le climat de la "mort du communisme" après la contre-révolution capitaliste en URSS, ils sont hostiles à l'idée même qu'il faut une direction aux luttes, et ils rejettent le rôle que doit jouer la classe ouvrière comme direction révolutionnaire. Comme Trotsky le disait, dans les périodes réactionnaires il y a de "monstrueuses récidives idéologiques" où "la pensée sénile retombe pour ainsi dire dans l'enfance". Les nombreuses manifestations spontanées ne sont pas suffisantes pour extirper la gangrène du racisme et du fascisme, et les attaques des capitalistes et des sociaux-démocrates contre la classe ouvrière. Il faut avoir la perspective d'une révolution ouvrière pour balayer tout ce système capitaliste. La classe ouvrière, qui produit les richesses de la société, tire sa puissance de son rôle dans la production; elle doit diriger les luttes de tous les opprimés contre ce système capitaliste pourri. Mais pour cela il lui faut une nouvelle direction, et c'est ce que nous sommes déterminés à construire.

Nous reproduisons ci-dessous notre lettre ouverte à LO pendant la campagne électorale.

 

A bas Vigipirate! A bas la campagne raciste du gouvernement PS-PC-Verts!

Lettre ouverte à Lutte ouvrière

Reproduit du Bolchévik no. 159, printemps 2002

10 mars —Dans cette campagne électorale il n'y a qu'une seule candidature qui cherche de façon rudimentaire à tracer une ligne de classe contre le gouvernement capitaliste: c'est celle d'Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière. Nous sommes d'accord avec elle que les dirigeants du PS sont du même monde que les Seillière et autres patrons qui exploitent les travailleurs dans les usines, et que Jospin pratique la même politique que Chirac. Dans son éditorial des bulletins d'entreprise du 18 février, Laguiller disait sans ambiguïté: "Dans le choix qui va nous être proposé, les travailleurs n'ont pas à lécher la main qui les opprime et ils n'ont ni à voter pour les politiciens de la droite ni pour ceux de la gauche" (Lutte Ouvrière, 22 février). Pour ces élections LO rompt avec son histoire fréquente de soutenir le front populaire (une coalition de partis ouvriers réformistes avec des partis bourgeois pour administrer le capitalisme, une coalition que nous refusons par principe de soutenir) pour "battre la droite" ou "l'extrême droite". Ils ont dans ce numéro de leur journal fait l'éloge de leur dirigeant historique Pierre Bois, récemment décédé, en rappelant qu'il avait refusé de suivre leur propre consigne de vote en 1981 pour élire Miterrand. Cela contraste avec Olivier Besancenot, le candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui a déclaré il y a un mois "qu'il voterait personnellement 'à gauche' car 'il y a une différence entre la droite et la gauche'" (le Monde, 1er février): c'est bien là dans la droite ligne de la politique de la LCR qui depuis plus de 25 ans a toujours soutenu le front populaire de Mitterrand, puis Jospin.

Mais LO ne s'oppose pas au gouvernement parce qu'elle s'oppose à la collaboration de classe: leur opposition correcte au gouvernement se trouve vidée de tout contenu par leur soutien tacite au plan Vigipirate, et leur soutien explicite aux mobilisations réactionnaires des flics au mois de novembre. L'attitude de LO sur cette question est d'autant plus cruciale que la "sécurité", c'est-à-dire la campagne raciste du gouvernement contre les immigrés et leurs familles, est au centre de la campagne électorale. Le PS a lancé la campagne électorale de Jospin en appelant les flics pour expulser de ses locaux de Rouen un Libyen sans-papiers en grève de la faim, Younis Trabelsi. Le PCF se vante de demander un doublement des crédits pour rétablir l'ordre dans les banlieues. Dans ce contexte, le refus de LO de lutter contre Vigipirate représente un serment de fidélité à l'ordre bourgeois raciste et à l'austérité anti-ouvrière du gouvernement Jospin. Mais si, dans sa campagne, LO s'exprimait clairement contre Vigipirate et la terreur policière, nous envisagerions d'appeler à voter pour eux, sans taire nos critiques de leur programme.

A bas Vigipirate!

Le racisme contre les travailleurs d'origine immigrée, notamment d'origine maghrébine, a toujours été un poison que distille la bourgeoisie (ceux qui possèdent les moyens de production —usines, machines, etc.— comme leur propriété privée) pour diviser la classe ouvrière. Pour les capitalistes c'est un bon moyen pour diviser les ouvriers, ceux qui produisent les richesses dans les usines de ce pays, entre "français" et "immigrés" (dont beaucoup sont nés ici!). La bourgeoisie française s'est saisie des attentats criminels du 11 septembre à New York pour décréter l'"unité nationale" contre le "terrorisme", à laquelle est censée collaborer la classe ouvrière, et pour élargir et approfondir leur campagne raciste. En fait il s'agit d'une guerre raciste ici contre tous les immigrés, et surtout l'importante population d'origine maghrébine et de jeunes issue de l'immigration.

La LTF, elle, a immédiatement réagi après le 11 septembre en s'opposant à la répression à l'intérieur du pays et aux "représailles" impérialistes qui s'annonçaient. Dans un tract nous avons dénoncé dès le 13 septembre la mise en place de Vigipirate renforcé. Quand la guerre contre l'Afghanistan a commencé nous avons appelé à rompre l'unité nationale réactionnaire et raciste, pour une lutte de classe ici contre les capitalistes et leur gouvernement. Nous avons défendu l'Afghanistan contre l'attaque impérialiste, et nous disons aujourd'hui: Troupes US, françaises, de l'ONU, hors d'Afghanistan! Les réactionnaires anti-femmes des talibans avaient au départ été les protégés de l'impérialisme; en 1979 nous avions salué l'intervention soviétique contre les moudjahidines intégristes, parce qu'elle ouvrait une vraie possibilité de libération pour les masses opprimées d'Afghanistan, en particulier les femmes. Nos opposants au contraire s'étaient joints à la campagne anti-soviétique de guerre froide, LO allant jusqu'à caractériser en gros titres l'intervention soviétique de "Vietnam des Russes", la mettant ainsi sur le même plan que la sanglante guerre perdue des impérialistes français et américains.

Une seule grève ici contre l'impérialisme, contre Vigipirate, et en défense de la population d'origine maghrébine et arabe aura plus d'impact que mille manifestations appelant ces impérialistes français racistes à soutenir les Arabes palestiniens. Mais qu'a dit LO sur Vigipirate? Rien. Pas un mot en six mois dans leur presse. Quand nous avons interpelé Arlette Laguiller là-dessus récemment, loin de dire qu'elle s'oppose à Vigipirate, elle a cherché à minimiser Vigipirate en disant qu'il s'agit là du fonctionnement "normal" du capitalisme. En tant que trotskystes nous luttons contre la terreur policière "normale", alors que LO la minimise pour justifier son refus économiste de mobiliser la classe ouvrière contre cette terreur policière. Derrière son silence LO cache une capitulation aux pouvoirs spéciaux de l'Etat capitaliste que représentent Vigipirate, la Loi sur la sécurité quotidienne et les accords "anti-terroristes" de l'Union européenne. Allez dire à des jeunes des banlieues, harcelés par les flics jusque dans leur propre hall d'immeuble, que rien n'a changé pour eux après le 11 septembre! Allez dire cela aux sans-papiers dont les déportations ont augmenté d'au moins trente pour cent! Tous ceux qui veulent vraiment lutter dans l'intérêt des travailleurs et peuples opprimés doivent s'opposer à cet accroissement de la terreur et de la répression racistes de l'Etat. Toutes ces mesures "anti-terroristes" visent en fin de compte et servent à intimider la classe ouvrière qui en a assez des licenciements, des privatisations, des menaces sur les retraites, de l'accroissement des cadences, etc.

Les flics ne sont pas des ouvriers en uniforme, mais les chiens de garde de l'ordre capitaliste

Mais si LO était silencieuse sur Vigipirate, elle a par contre bruyamment et sans délai déclaré sa solidarité avec les "grèves" policières de l'automne dernier. C'était là des "grèves" réactionnaires contre la loi Guigou sur la présomption d'innocence. Comme nous le notions dans notre polémique contre LO là-dessus (voir le Bolchévik n? 158, hiver 2001-2002):

"LO explique: 'Car la police, mais aussi les gendarmes, exercent des fonctions qui sont utiles à l'ensemble de la collectivité, en assurant des tâches de sécurité nécessaires à la vie collective, pour un salaire du bas de l'échelle' (Lutte Ouvrière, 7 décembre 2001). On se croirait dans un scénario des 'Cordier, juge et flic'! L''utilité' des flics, c'est de charger les piquets de grève, de terroriser les jeunes d'origine immigrée dans les banlieues ou de pourchasser les sans-papiers. Quelle 'utilité' peuvent donc avoir les ennemis mortels du mouvement ouvrier si ce n'est de garantir la 'sécurité' et la propriété privée des capitalistes?"

Face à nos arguments sur cette question dans ses meetings publics de février au Havre et à Creil, Arlette Laguiller a prétendu que leur soutien à la police serait une tactique bolchévique tout droit issue de la révolution russe de 1917. Elle nous a maternellement recommandé de relire l'Histoire de la révolution russe de Trotsky. Quel culot! C'est notamment dans cette oeuvre que Trotsky explique la différence entre l'armée et les flics, lors de la révolution de février 1917:

"La foule témoignait à la police une haine féroce. Les agents à cheval étaient accueillis par des sifflets, des pierres, des glaçons. Toute différente fut la prise de contact des ouvriers avec les soldats (...). La police est l'ennemi farouche, inexorable, haï et haineux. Il ne peut être question de se la concilier."

Et, dans la Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne (Problèmes vitaux du prolétariat allemand) (1932), Trotsky ajoutait: "Ici encore, c'est l'existence qui détermine la conscience. L'ouvrier, devenu policier au service de l'Etat capitaliste, est un policier bourgeois et non un ouvrier." La LTF dit: Flics hors des syndicats! LO au contraire leur fait des promesses électorales sur les gilets pare-balles. A tant vouloir améliorer leurs "conditions de travail", est-ce que LO va demander la prochaine fois aussi des fusils automatiques de précision? Est-ce qu'ils leur font la cour en espérant que les flics vont voter Arlette?

Un autre aspect du révisionisme fondamental de Lutte ouvrière sur la question de l'Etat, c'est qu'ils acceptent de l'argent de cet Etat bourgeois que (en petits caractères) ils prétendent vouloir détruire. Laguiller défendait dans son meeting de Creil qu'elle acceptait l'argent de Geneviève de Fontenay, organisatrice des concours de beauté de Miss France, en disant que cet argent viendrait simplement en déduction dans la subvention de l'Etat pour les élections! Et on parle ici de sommes considérables: d'après le Monde (26 décembre), le budget électoral de LO, pour les présidentielles seulement, et qu'ils comptent se faire rembourser par l'Etat, est de 12 millions de francs. C'est l'équivalent des cotisations de leurs membres pendant... la moitié d'un quinquennat, d'après les comptes détaillés qu'ils communiquent au Ministère de l'Intérieur (voir par exemple le Journal officiel de la République française, 9 novembre 2000). Ils disent s'opposer à Jospin, mais veulent bien de son argent! Qui paie les violons choisit la musique!

La lutte contre l'oppression raciste est centrale dans la lutte anticapitaliste

Dans ses discours électoraux Arlette Laguiller s'est déclarée pour les droits sociaux et politiques pour les sans-papiers et les travailleurs immigrés en France. Très bien. Nous disons: Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés et leurs familles! Nous luttons pour cela dans le cadre de notre perspective révolutionnaire. Des papiers pour tous c'est un droit démocratique de base pour lequel il faut lutter, mais il faut élargir cela à une lutte contre le racisme systématique qui est enraciné dans le fonctionnement du système capitaliste, et qui prend sa source dans la domination coloniale française en Afrique du Nord avec ses séquelles. Mais pour LO la cause des sans-papiers est une question toute simple de droits démocratiques que doit octroyer leur France républicaine chérie. Pour nous, il s'agit de s'adresser à la discrimination et la ségrégation raciales systématiques des Maghrébins qui se manifestent dans un chômage astronomique chronique dans les ghettos, la discrimination raciale à l'embauche, dans l'emploi et dans le logement, le manque d'écoles et de services sociaux, et tout le système légal de "justice", avec sa police et ses tribunaux qui tuent et emprisonnent surtout les immigrés à la peau foncée et leurs enfants. C'est le système capitaliste lui-même qui est en cause. Ce qu'il faut, c'est forger un vrai parti bolchévique qui prenne la direction du prolétariat dans une lutte en défense de tous les opprimés contre le système capitaliste, un parti léniniste qui soit un tribun populaire dénonçant toutes les formes de l'oppression.

Tant que les ouvriers "français" acceptent l'oppression de leurs frères de classe à la peau foncée ils seront incapables de lutter pour leurs propres intérêts historiques. L'oppression raciste est au coeur de la politique de la bourgeoisie française pour diviser la classe ouvrière multiethnique, l'affaiblir et maintenir sa propre domination; car les ouvriers d'origine maghrébine, africaine, antillaise ou autres continuent à être intégrés dans l'industrie, notamment dans l'industrie privée comme l'automobile et le bâtiment, où ils jouent un rôle crucial. Loin d'être juste des "victimes", les travailleurs d'origine immigrée ont une puissance sociale clé pour faire une révolution ici, et de plus ils représentent un pont vivant vers la révolution dans leurs pays d'origine.

Là encore, les discours de LO sur les droits pour les immigrés, leur participation aux manifestations pour les sans-papiers se trouvent niés par leur silence sur Vigipirate et leur soutien aux mobilisations des flics. L'indifférence à l'oppression raciale est la conséquence directe d'une perspective de collaboration de classes. La méthode fondamentale des réformistes est de chercher des alliés dans un secteur ou un autre de "leur" bourgeoisie nationale. Ils ne cherchent pas en tout cas des alliés dans les couches de la classe ouvrière qui sont victimes d'une oppression spécifique.

Réformes ou révolution?

Il est frappant dans les discours électoraux de Laguiller ou dans son récent livre Mon communisme comment à aucun moment elle ne parle de révolution ouvrière. Tout son programme se résume en un train de mesures que le gouvernement (de droite ou de gauche, mais capitaliste) devra appliquer sous la pression des travailleurs. Son plus fameux mot d'ordre, c'est l'interdiction des licenciements pour les entreprises qui font des profits. Cette revendication accepte sans fard l'idée que le capitalisme serait soi-disant rationnel, alors que, comme tout marxiste le sait, c'est un système motivé par le profit qui pousse à réduire les salaires et à appauvrir le prolétariat et qui conduit à des crises périodiques de "surproduction", c'est-à-dire au chômage massif. Les capitalistes ont recours à ce que Marx appelait l'"armée de réserve de chômeurs" comme arme contre le mouvement ouvrier et faire baisser les salaires.

Contre les illusions réformistes que propage LO dans l'Etat capitaliste nous exigeons: Une échelle mobile des salaires et des heures de travail! Répartition du travail entre toutes les mains ouvrières sans diminution de salaire! Organisez les non syndiqués dans les syndicats! Pour une formation professionnelle organisée par les syndicats pour les jeunes, les femmes, et les minorités opprimées! En fait ces revendications vont de pair avec des luttes extra-parlementaires de la classe ouvrière, avec des occupations d'usines et des comités d'usine. Comme le disait Trotsky dans le Programme de transition (1938): "La 'possibilité' ou l''impossibilité' de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les ouvriers comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l'esclavage capitaliste".

Pour prendre "toujours le camp des travailleurs", il faut rompre avec la politique raciste du gouvernement!

Cela fait longtemps que les positions de LO sur les oppressions spécifiques sont du poison. Avec leur moralisme bourgeois ils ont exclu de leur fête en 1992 le groupe Act-Up, une action typiquement homophobe. Ils se rangent du côté de l'Etat contre les jeunes en s'opposant à la légalisation du cannabis, une question qui sert de prétexte à la répression raciste contre les jeunes des banlieues. Et il y a leur indifférence au danger fasciste que représentent Le Pen et le FN: encore le 4 février on pouvait voir Laguiller à la télévision dans un "débat" avec le Pen; elle contribuait ainsi à légitimer ses appels au meurtre raciste, comme si c'était des idées que l'on pourrait "discuter".

Il y a des moments où de telles questions sont au coeur du débat politique; aujourd'hui Vigipirate et la répression policière, surtout contre les jeunes des banlieues, sont au centre de la politique en France. Avant les élections présidentielles de 1981 nous avions envisagé de donner un soutien critique à Georges Marchais, candidat du PCF, car à ce moment-là l'Union de la gauche était rompue et Marchais se présentait seul contre la bourgeoisie (de plus il refusait de condamner l'intervention soviétique en Afghanistan); c'est pourquoi un vote pour Marchais pouvait signifier un vote de classe. Mais quand le PC a attaqué au bulldozer un foyer de travailleurs maliens à Vitry-sur-Seine, nous avons été obligés de retirer notre soutien critique, car un vote pour Marchais aurait signifié un soutien à cette atrocité raciste, qui était un gage donné à la bourgeoisie pour que le PCF retrouve sa place dans le front populaire de Mitterrand.

Plus récemment, nos camarades britanniques ont accordé l'année dernière un soutien critique au Parti travailliste socialiste (SLP) d'Arthur Scargill: c'était le seul parti qui ouvertement faisait campagne contre tout soutien aux travaillistes de Blair qui gouvernent l'impérialisme britannique. (La mal-nommée Socialist Alliance, soutenue entre autres par les congénères britanniques de LO —Workers Fight—et de la LCR, appelait à voter travailliste partout où elle ne se présentait pas.) Nos camarades diffusaient le matériel électoral du SLP au porte-à-porte et dans les rues, appelant à voter SLP, tout en intervenant dans les meetings électoraux du SLP en polémiquant contre le réformisme étroitement national et le stalinisme de Scargill.

Nous ne sommes pas des anarchistes qui refusent par principe d'envisager une participation aux élections: ils évitent ainsi de combattre les illusions parlementaires des travailleurs, et en fait ils les abandonnent ainsi aux Jospin, Hue et Laguiller. Au meeting de Creil Arlette Laguiller nous a répondu que nous avions une contradiction entre considérer un soutien critique à LO s'ils s'opposaient à Vigipirate et en même temps les caractériser de réformistes. Si la condition pour un soutien critique était d'avoir un programme révolutionnaire, nous ne pourrions soutenir que des groupes avec qui nous devrions fusionner immédiatement! Il peut être approprié de donner un soutien critique à un parti réformiste quand celui-ci se présente indépendamment de et en opposition aux partis bourgeois et aux formations bourgeoises (y compris les fronts populaires), et qu'il ne s'identifie pas à une politique ouvertement anti-ouvrière. Le soutien critique permet alors à une organisation léniniste de se solidariser avec les travailleurs qui veulent tracer une ligne de classe, tout en montrant à ces travailleurs la différence cruciale qu'il y a entre un programme révolutionnaire et un programme réformiste. Une telle tactique peut faire avancer la conscience de la classe ouvrière vers une compréhension communiste de sa tâche historique de renverser le capitalisme, une tâche pour laquelle le réformisme représente un obstacle.

LO, malgré ses consignes d'opposition au gouvernement, se retrouve à la traîne de Jospin et Chirac quand elle capitule face au climat d'hystérie raciste qu'ils entretiennent et qui domine la vie politique du pays. Tant que LO ne s'oppose pas à Vigipirate et aux mobilisations réactionnaires et racistes des flics, la LTF ne peut pas soutenir la campagne de LO. Il n'y a aucun parti dans ces élections qui présente un candidat représentant dans un sens réel les intérêts des travailleurs. Nous allons malgré tout intervenir dans cette campagne électorale en luttant pour gagner la classe ouvrière, les minorités et la jeunesse à la compréhension qu'il faut un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste, luttant pour unifier les luttes de la classe ouvrière dans le monde entier pour en finir une bonne fois pour toutes avec l'exploitation capitaliste et le racisme.

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