Reproduit du Bolchévik n°168, juin 2004
16 mai – Les épouvantables photos de torture dans la prison d’Abou Ghraib, dans l’Irak occupé par les USA, ont totalement démoli la ligne officielle de Bush que les USA étaient venus pour « libérer » l’Irak et mettre en place la « démocratie ». On assimile maintenant cette « libération » à une jeune soldate américaine tenant en laisse, comme un chien, un prisonnier irakien nu et rampant. Ces photos ne montrent qu’une petite partie de la terreur et des atrocités que les impérialistes, américains, français et autres font subir tous les jours à leurs victimes de par le monde. Ces prisons de la torture et de la mort ne représentent pas des « aberrations » : elles représentent une politique consciente des régimes impérialistes et néocolonialistes qui utilisent de façon routinière la terreur et l’humiliation pour maintenir leur pouvoir. Pour le voir il ne faut pas regarder plus loin que l’histoire sanglante de l’impérialisme français en Indochine et pendant la guerre d’Algérie, ou le traitement des Irlandais ou des masses indiennes aux mains des Britanniques, ou aujourd’hui la prison de Guantanamo.
Pendant la guerre en Irak la Ligue communiste internationale (LCI) a franchement pris un côté : nous étions pour la défense militaire de l’Irak, sans donner aucun soutien politique à Saddam Hussein, contre l’impérialisme américain et ses alliés. Aujourd’hui, sous l’occupation militaire US, nous disons que tout coup porté aux USA et à leur « coalition » qui s’effiloche, y compris tout coup porté à l’armée et la police locales fantoches, est objectivement dans l’intérêt des travailleurs du monde entier. En même temps nous nous opposons inébranlablement à la violence intercommunautaire des réactionnaires religieux et des débris restants du régime baasiste de Saddam Hussein. La force sociale qu’il est crucial de mobiliser politiquement pour porter des coups contre l’occupation US de l’Irak, c’est le prolétariat multiracial des Etats-Unis, et c’est cette perspective pour laquelle luttent nos camarades américains de la Spartacist League/U.S. Etats-Unis, hors d’Irak ! Non à l’ONU !
Les tueurs et sadiques de la prison d’Abou Ghraib sont d’anciens flics et matons qui appliquent aux USA même la terreur d’Etat contre les pauvres, les Noirs, les travailleurs et les immigrés. On rapporte qu’un prisonnier d’Abou Ghraib a été violé et sodomisé avec un manche à balai – exactement comme l’immigré haïtien Abner Louima l’a été dans un poste de police new-yorkais en 1997. L’un des tortionnaires d’Abou Ghraib, Charles Graner Jr., est gardien de prison dans l’infâme prison de SCI Greene en Pennsylvanie où se trouve dans le couloir de la mort Mumia Abu-Jamal, le prisonnier politique noir le plus connu des Etats-Unis. Dans cette prison il y avait eu en 1998 un scandale à propos de gardiens qui avaient frappé et humilié des prisonniers de façon sadique. Dans un article du 3 mai Mumia écrit : « Le traitement horrible que subissent les Irakiens à Abou Ghraib a ses sombres précédents dans les prisons et les postes de police des Etats-Unis. »
L’impérialisme et le racisme
Les atrocités de l’occupation impérialiste ne sont pas des « aberrations ». Elles sont directement le produit d’une société capitaliste en putréfaction, une société basée sur l’exploitation de la classe ouvrière dans les usines et autres moyens de production, par une infime minorité de propriétaires de ces moyens de production, la classe des capitalistes. Ce système irrationnel est basé sur la recherche du profit maximum de chacun de ces capitalistes, et non sur comment satisfaire les besoins de l’humanité. Cela conduit régulièrement à des guerres et autres formes de violence barbare pour permettre aux différentes classes capitalistes nationales de s’approprier une plus grande partie des richesses créées par les ouvriers du monde. En dernier ressort les puissances dominantes, les impérialistes, ne peuvent maintenir que par la force et la violence d’autres peuples sous leur botte pour exploiter les ressources et la main-d’œuvre des colonies. L’impérialisme et la lutte pour diviser et rediviser le monde, c’est cela qui provoque des guerres mondiales. L’objectif américain de la guerre d’Irak non seulement comprenait le contrôle stratégique des sources d’approvisionnement en pétrole du Proche-Orient, mais aussi il s’agissait de montrer la domination sans partage des Etats-Unis sur le monde, notamment sur leurs rivaux d’Europe et du Japon pour le pillage du monde. La guerre en Irak était contre les intérêts de l’impérialisme français et allemand et c’est pour cela qu’ils s’y sont opposés l’année dernière.
Dans la lutte pour conquérir de nouveaux marchés, et dominer le monde, tous les impérialistes utilisent les mêmes méthodes atroces. L’impérialisme français a une histoire coloniale particulièrement horrible, notamment en Indochine (voir notre article saluant la victoire vietnamienne de Dien Bien Phu paru dans le Bolchévik de mars) et en Algérie, avec des méthodes qui ont fait bien des émules. Les escadrons de la mort et les dictatures militaires latino-américaines des années 1960 à 1980 avaient bénéficié directement d’un entraînement des tortionnaires français de la guerre d’Algérie : « De nombreuses délégations d’officiers occidentaux se rendirent en Algérie pour y être informées par leurs collègues français des nouvelles formes de la guerre apparues en Algérie selon le point de vue de la France, à savoir la lutte antisubversive […] avec la participation d’officiers d’Amérique latine » (La guerre d’Algérie 1954-1962, Hartmut Elsenhans). En août dernier le Pentagone avait organisé de regarder le film italien de Gilo Pontecorvo, la Bataille d’Alger, un film longtemps censuré en France qui documentait la torture et certains des crimes horribles commis par les colonialistes français.
Le PCF a publié récemment des articles faisant à juste titre le lien entre les crimes américains actuels, et ceux des impérialistes français pendant la guerre d’Algérie. L’Humanité hebdo avait récemment (8-9 mai) un article intitulé « Quand Bagdad renvoie à Alger ». Mais le même article exige une intervention plus importante de l’impérialisme français en Irak ! :
« Car la France, face à la torture américaine dans les faubourgs de Bagdad, a un rôle à jouer, avec d’autant plus de légitimité qu’elle a su au plus haut niveau mettre en garde contre cette sale guerre. A deux conditions : d’abord en exigeant que les tortionnaires exécutants et responsables soient traduits devant un tribunal des crimes de guerre, et à cet effet la mise en place de la Cour pénale internationale […]. »
Cela revient à alimenter les illusions des travailleurs en France que l’impérialisme de leur propre classe dominante qui les exploite pourrait être mieux que l’impérialisme US, au moment même ou la France sème un chaos sanglant en Côte d’Ivoire. Nous disons : Troupes françaises, hors d’Afrique, hors des Balkans et hors d’Afghanistan ! Il est vrai que l’impérialisme US est l’impérialisme le plus puissant du monde, mais l’impulsion de pousser la France ou l’Union européenne contre les USA revient à du social-chauvinisme vénéneux, et encourage l’« unité nationale » de la classe ouvrière ici avec sa bourgeoisie. Ce qu’il faut en France c’est une lutte de la classe ouvrière contre les capitalistes, en solidarité internationale avec les travailleurs au Proche-Orient, aux Etats-Unis et ailleurs.
Les gouvernements bourgeois français ont toujours saisi l’opportunité pendant les guerres (Afghanistan, Irak) pour renforcer Vigipirate et prendre des mesures de sécurité racistes qui visent la population à la peau foncée. Ils utilisent la lutte « antiterroriste » pour diviser les travailleurs et les empêcher de se battre pour leurs propres intérêts. Après avoir utilisé l’exclusion du lycée de jeunes femmes maghrébines pour alimenter une hystérie raciste anti-musulmans avant les élections régionales, maintenant le gouvernement est en campagne pour la déportation d’imams réactionnaires.
Le gouvernement de droite s’est habilement saisi d’une campagne du maire PCF de Vénissieux contre « l’islam des caves » (l’Humanité hebdo, 8-9 mai). Le nouveau ministre des flics de Villepin a alors déporté vers l’Algérie Abdelkader Bouziane, imam à Vénissieux. Cette expulsion était tellement grotesque que même les tribunaux bourgeois français racistes ont été obligés de l’annuler. Cet imam semble être un véritable obscurantiste religieux et un répugnant réactionnaire antifemmes, mais en quoi est-il plus dangereux que le fasciste anti-immigrés Le Pen ou la réactionnaire catholique, anti-homosexuels Christine Boutin, qui disposent d’une audience de masse à la télévision pour leurs saloperies réactionnaires ? La campagne contre les imams n’a pas pour objectif de stopper les millions de Français « gaulois » qui battent leur femme : elle vise tous les immigrés, et la classe ouvrière organisée derrière. S’il est possible d’expulser un imam bien connu, qui réside en France depuis des dizaines d’années, cela ne rend que plus facile l’expulsion de n’importe quel immigré, sans papiers ou avec. Bouziane a été déporté pour avoir cité le Coran en faveur de la lapidation des femmes, mais personne ne songe à expulser vers le Vatican les curés qui défendent la Bible et Saint Thomas d’Aquin, qui déclarait que « les femmes sont nées pour être maintenues perpétuellement sous le joug de leur seigneur et maître, que la nature a destinés à la domination sur elles, de par la supériorité qu’elle a donnée à l’homme sous tous les rapports. » (cité par August Bebel, La femme et le socialisme).
La bourgeoisie française se saisit de cas comme celui de Bouziane qui sont socialement arriérés, ou de vrais criminels, pour justifier « certaines » expulsions, ouvrant la porte à d’autres expulsions contre les immigrés et contre la gauche. Est visée toute personne considérée par les flics comme « troublant l’ordre public » : les militants de gauche turcs promis à la torture et à la mort, les réfugiés en France des « années de plomb » italiennes, comme Cesare Battisti, etc. C’est pourquoi les marxistes s’opposent à l’expulsion de Bouziane. Nous sommes contre toutes les expulsions, et pas seulement celles liées à la « double peine » (expulsion après avoir purgé une peine de prison). Nous disons : A bas les charters racistes ! Aucune expulsion ! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui ont réussi à mettre les pieds dans ce pays ! Il faut noter que le reste de la gauche (LCR, JCR, LO…) a refusé de prendre position contre l’expulsion de Bouziane. Cela affaiblit considérablement la portée de ses mobilisations dans la rue pour les sans-papiers ou contre la double peine.
La gauche française et l’occupation de l’Irak
Le pendant domestique de l’impérialisme, c’est le racisme à l’intérieur du pays, pour diviser et affaiblir la classe ouvrière. Le pendant de l’opposition agressive de la France à ses rivaux américains pendant la guerre en Irak, c’était la mise en place par Sarkozy le 3 mars 2003 des charters d’expulsions, deux semaines avant le début des opérations militaires américaines en Irak. Il ne peut pas y avoir de lutte contre l’impérialisme sans une lutte pour mobiliser la classe ouvrière contre le racisme, pour une lutte de classe ici contre sa propre bourgeoisie, pour la perspective d’une révolution ouvrière qui seule mettra fin au cycle infernal des guerres des capitalistes pour le pillage et le repartage du monde. Par contre, des groupes comme la LCR montrent leur programme de collaboration de classes de par leur appel à voter pour Chirac en 2002 et leurs appels en 2003 à la bourgeoisie française pour stopper Bush en Irak. Ils voulaient créer un mouvement antiguerre le plus large possible, et pour cela faire l’unité avec les capitalistes « antiguerre ».
Mais une telle unité signifie l’unité entre les travailleurs et leurs exploiteurs, entre les immigrés et ceux qui les oppriment. En ce sens il n’est pas vrai qu’une mobilisation la plus large possible, ou une mégamanifestation, sert automatiquement de raccourci ou d’accélérateur pour un regroupement de forces révolutionnaires : en propageant des illusions dans les exploiteurs capitalistes, de telles manifestations de collaboration de classes rabaissent encore le niveau de conscience de la classe ouvrière, et l’éloignent de la compréhension qu’elle a l’intérêt historique et la puissance sociale pour renverser la classe capitaliste par une révolution. L’année dernière nous sommes intervenus activement dans les manifestations antiguerre pour développer cette perspective lutte de classe révolutionnaire.
Les JCR, organisation de jeunesse de la LCR, se présentent en ce moment sous l’étiquette « Agir contre la guerre » (ACG) pour mobiliser le 5 juin contre la venue de Bush en France. ACG était apparu pendant la mobilisation contre la guerre en Irak ; c’étaient les JCR et les cliffistes de Socialisme par en bas (lié au SWP britannique de feu Tony Cliff) qui tiraient les ficelles d’ACG. ACG avait encore signé l’« appel unitaire » à la manifestation du 12 avril 2003 (après la fin de la guerre) qui disait : « Nous demandons au gouvernement français de prendre les initiatives nécessaires auprès des instances internationales (Assemblée générale de l’ONU, Cour internationale de justice, …) pour condamner les Etats agresseurs ».
Un an plus tard, avec le discrédit à peu près complet de Chirac dans la classe ouvrière, ces opportunistes font entendre une autre musique. Tout le monde parle de la torture pendant la guerre d’Algérie et autres crimes de l’impérialisme français. Les JCR dénoncent « une incroyable déferlante de violences racistes contre les musulmans ». Elles déclarent carrément dans leur éditorial de mai (« red ») : « L’embargo que la France et l’ONU ont soutenu contre le peuple irakien pendant 12 ans n’était pas moins criminel que l’occupation militaire par les Etats-Unis et leurs alliés ! » C’est fort bien dit ; est-ce une polémique contre leur propre rôle il y a un an où dans ACG elles semaient des illusions dans l’ONU ?
Pourtant la gauche est incapable de tirer honnêtement le bilan politique du mouvement antiguerre de l’année dernière. La raison c’est que, malgré une phrase occasionnelle sur la « révolution », même les JCR ne croient pas qu’il soit réaliste de tracer une perspective de révolution socialiste. La démoralisation qui s’est répandue dans la classe ouvrière après la contre-révolution capitaliste en URSS, et qui fait croire à beaucoup que le socialisme c’est peut-être une belle idée, mais que cela ne marche pas, sert de prétexte à la gauche pour avancer un programme strictement limité à quelques réformes minimales sous le capitalisme.
Un exemple frappant c’est les listes de LO-LCR pour les élections européennes, pour lesquelles les JCR font activement campagne en prétendant qu’elles représenteraient « un point d’appui pour renforcer les luttes contre les attaques sociales qui se développent à l’échelle européenne. » Mais leur plate-forme accepte que l’Europe soit capitaliste, simplement il faut lutter pour défendre les services sociaux que les gouvernements capitalistes sont partout obligés de démanteler pas à pas pour accroître la compétitivité de leurs produits sur le marché mondial. LO-LCR contribuent ainsi à renforcer la fausse conscience dans la classe ouvrière qu’il est impossible d’en demander davantage puisque même les « trotskystes » d’« extrême gauche » en restent à des platitudes creuses. Nous disons au contraire que pour défendre les services sociaux et autres conquêtes acquises dans de dures luttes de classe, il faut résolument lutter pour élargir la conscience des travailleurs à la lutte contre le racisme, contre l’oppression des femmes, et pour en finir avec l’exploitation capitaliste elle-même une bonne fois pour toutes.
Mais LO est bien connue, et en est fière, pour sa lutte pour expulser des lycées les jeunes femmes voilées. Cela n’a pas empêché la LCR de faire un bloc politique avec LO pour une campagne électorale non-stop depuis six mois. Maintenant Rouge, l’hebdomadaire de la LCR, publie hypocritement une interview en dernière page de son édition du 6 mai, « Contre la guerre », de Salma Yaqoob, avec une photo d’elle portant le foulard islamique. Salma Yaqoob préside la Stop the War Coalition (Coalition pour stopper la guerre) à Birmingham, une coalition où figurent de façon proéminente les cliffistes britanniques du SWP. Heureusement que Salma Yaqoob, avec son hidjeb, n’est pas lycéenne à Aubervilliers : Pierre-François Grond, du Comité central de la LCR, aurait risqué de l’exclure avec l’aide de LO, comme il l’avait fait pour Alma et Lila Lévy.
Les cliffistes français de Socialisme par en bas, qui ont passé des années dans le PS de Jospin entre 1994 et 1997, se sont fait admettre au début de l’année dans la LCR. Etant donné la lancinante campagne raciste contre les populations de culture musulmane dans les métropoles impérialistes, et la ligne officielle de la LCR sur le foulard, les cliffistes, qui ont été très actifs contre l’expulsion d’Alma et Lila Lévy, pourraient faussement donner l’impression qu’ils représentent une tendance de gauche dans la LCR par rapport à la direction réformiste cynique de Krivine/Besancenot. Pourtant rien n’est moins vrai, sans même parler de leur soutien politique à toutes sortes d’islamistes réactionnaires comme le FIS algérien dans les années 1990. Au moment de leur entrée dans la LCR en janvier dernier un dirigeant des cliffistes français, Nick Barrett, dénonçait comme « ultra-gauche » la position de la LCR de ne pas, pour une fois, faire campagne au second tour des élections pour le PS (Discussion Bulletin Number Four, janvier).
Non seulement le PS a dirigé le gouvernement de l’Etat capitaliste impérialiste français pendant cinq ans, y compris pendant la guerre des Balkans, mais il continue la même politique raciste dans les municipalités qu’il contrôle que lorsque Chevènement ou Vaillant, ministres des flics sous Jospin, orchestraient la campagne sécuritaire raciste, avec son cortège de jeunes tués « en essayant de fuir » les flics. Manuel Valls, maire PS d’Evry en banlieue parisienne, vient de prendre position pour exclure de leur logement HLM des familles dont les enfants auraient brûlé des voitures (voir le Monde, 11 mai). Ce n’est pas un hasard si les jeunes, notamment ceux issus de l’immigration nord-africaine, en butte à la discrimination et à la terreur racistes, s’identifient fortement au peule palestinien qui leur renvoie une image terriblement agrandie de leur propre oppression.
Pour le pouvoir ouvrier au Proche-Orient !
Nous défendons le peuple palestinien, malgré les crimes du Hamas qui a revendiqué de nombreux attentats tuant de façon indiscriminée des civils israéliens juifs et même arabes. En Palestine c’est tout un peuple qui est réprimé, enfermé, menacé de déportation en masse et de génocide. La situation en Palestine est différente de l’Irak où les impérialistes cherchent à utiliser les chiites contre les sunnites, les Kurdes contre les Arabes, etc.
L’Irak n’est pas non plus le Vietnam où la résistance à la domination étrangère, combinée avec un soulèvement des ouvriers et des paysans, a réussi à renverser le capitalisme. L’Irak n’est pas une nation, mais un Etat artificiel créé par les impérialistes britanniques, et dont les frontières ont été tracées sur une feuille de papier au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il y a des dizaines d’années, la principale force qui aurait pu faire triompher une solution à la violence intercommunautaire en Irak, le Parti communiste, a été anéantie par les trahisons du stalinisme et la répression impitoyable des régimes baasistes soutenus par les impérialistes. Aujourd’hui, le Parti communiste siège dans le « conseil de gouvernement », l’instance fantoche des Américains. Avec un Parti communiste de facto détruit, ne restaient qu’un nationalisme tiers-mondiste de plus en plus discrédité et l’intégrisme islamique réactionnaire.
La résistance actuelle est principalement organisée par les dirigeants tribaux et religieux des Arabes sunnites et des chiites, des éléments qui n’ont pas la moindre envie de bouleverser les rapports sociaux existants et qui, s’il n’y avait pas d’occupation, chercheraient tous à prendre l’ascendant sur leurs congénères ainsi que sur le Nord kurde. Les Kurdes, en tant que peuple, constituent une nation qui, outre l’Irak, est présente en Iran, en Syrie et en Turquie, et qui est animée par une juste aspiration à l’autodétermination nationale. La LCI est pour une république socialiste d’un Kurdistan unifié. Beaucoup de Kurdes irakiens considèrent aujourd’hui l’occupation américaine d’un œil favorable, car ils y voient une garantie contre une reconquête arabe. Ce sentiment s’est étendu aux Kurdes de Syrie qui ont réclamé les droits de citoyenneté dans une récente manifestation où beaucoup criaient des slogans pro-américains. Le régime syrien a réagi avec brutalité, tuant au moins onze Kurdes.
Aujourd’hui en Irak, le droit à l’autodétermination des Kurdes ne peut pas être satisfait tant qu’il est subordonné à l’occupation américaine. Pour que la lutte pour l’indépendance kurde aille de l’avant, il faut une opposition intransigeante à l’occupation. Ceci signifie nécessairement une confrontation politique avec les nationalistes kurdes de l’Union patriotique du Kurdistan et du Parti démocratique du Kurdistan qui collaborent avec l’impérialisme américain. L’histoire n’a jamais été tendre avec les Kurdes quand leurs dirigeants se vendent à l’impérialisme. Les Etats-Unis sont opposés même à un semblant d’autodétermination pour le peuple kurde. Le dépeçage impérialiste du Kurdistan a servi non seulement à démembrer la nation kurde, mais aussi à affaiblir les Etats néocoloniaux qui ont reçu une part du butin. Et Washington est déterminé à ce que cela continue.
La présence coloniale américaine a exacerbé et attisé les récriminations entre peuples et tribus, elle continuera à le faire et cela ne peut mener qu’à des querelles intestines sanglantes. Pour que l’autodétermination kurde devienne réalité, il faudra une révolution ouvrière, dirigée par des partis prolétariens internationalistes, trotskystes, qui renverseront ces quatre régimes capitalistes, déploieront l’étendard de la libération et de la fin de l’oppression nationale pour la myriade de peuples qui constituent le Proche-Orient. Ceci, et notre combat pour l’émancipation de tous les peuples de la région, représente l’application de la théorie trotskyste de la révolution permanente, qui affirme que dans les pays à développement capitaliste retardataire, la libération nationale authentique et les autres droits démocratiques fondamentaux ne pourront être arrachés que par la révolution socialiste prolétarienne victorieuse.
Quand les Etats-Unis ont pris Bagdad, les médias américains ont passé en boucle les images montrant les chiites des quartiers pauvres du ghetto de Saddam City acclamant les Américains, en proie à l’illusion que les soldats américains allaient mettre fin à la répression que la majorité chiite avait endurée sous le règne de Saddam. Saddam City fut rebaptisée Sadr City, et devint bientôt un foyer d’opposition à l’occupation américaine. Mais sous la domination cléricale les chiites ne peuvent qu’inverser les termes de l’oppression qu’ils avaient subie sous la domination sunnite. Sans un pouvoir prolétarien, il n’y aura aucun apaisement des antagonismes ethniques, religieux et nationaux.
Les forces chiites ont récemment kidnappé et menacé d’exécution trois civils japonais, parmi lesquels un jeune étudiant antiguerre qui effectuait des recherches sur les effets de l’uranium appauvri sur la population irakienne. Cette prise d’otages, qui était censée destinée à obtenir le départ des 500 soldats japonais présents en Irak, témoigne du caractère réactionnaire de la direction islamiste. Elle reflète la même conception que celle des dirigeants impérialistes américains qui infligent des punitions collectives aux peuples d’Irak. La démolition du village tsigane de Kawlia, rasé par l’« armée du Mahdi » de Moqtada Al-Sadr au motif que ce hameau accueillait des danses et des femmes « de mauvaise vie », est un témoignage supplémentaire d’une hostilité envers les « étrangers » et constitue en outre un avertissement pour les femmes irakiennes quant au sort qui les attendrait sous la férule des cléricaux chiites.
Dans cette situation les JCR déclarent dans leur dernier journal (« red », mai) donner un « soutien inconditionnel et critique » à la résistance. Soutien inconditionnel ? De notre côté nous ne donnons aucun soutien aux attentats devant des mosquées pour tuer des chiites, aux prises d’otages civils innocents, ou à d’autres actions qui sont des crimes vis-à-vis de la classe ouvrière. Nous, Ligue communiste internationale, défendons chaque coup porté aux occupants impérialistes de l’Irak mais n’accordons aucun soutien politique aux forces cléricales réactionnaires, et mettons en garde que la victoire de l’un ou l’autre de ces éléments ne pourrait avoir comme conséquence que davantage de massacres et de répression. En fait, la victoire de la révolution prolétarienne dans tout le Proche-Orient requiert une lutte contre toutes les formes de fondamentalisme religieux, ainsi que le renversement des monarques, des généraux, des massacreurs sionistes et de tous les autres dirigeants capitalistes. Les marxistes s’emploient à mobiliser les masses opprimées derrière la puissance du prolétariat dans la lutte contre les occupations coloniales, en utilisant les mobilisations ouvrières (grèves, boycotts des cargaisons militaires et des transports de troupes) au service d’une perspective révolutionnaire contre les forces d’occupation impérialistes et la bourgeoisie locale. Nous sommes politiquement hostiles à toute autre stratégie étrangère à nos objectifs prolétariens.
Les JCR déclarent correctement qu’ « il n’y a pas d’autres forces que les travailleurs et les pauvres en Irak qui puissent réellement conduire le pays à s’émanciper de la domination étrangère » (« red », mai). Ils dénoncent la politique du Parti communiste irakien dans les années 1950 « de s’associer avec une soi-disant “aile progressiste” de la bourgeoisie irakienne » (« red », mai). De fort belles paroles, mais qui prêtent à sourire quand on se rappelle que la LCR (organisation mère à laquelle les JCR sont « politiquement subordonnées ») s’était associée avec la soi-disant aile antiguerre de la bourgeoisie française impérialiste.
Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique
Nous communistes nous dénonçons la torture et le meurtre impérialistes comme des méthodes barbares d’oppression. Nous avons pour but de libérer la classe ouvrière et tous les opprimés de l’exploitation et de l’inégalité, et nous répudions de telles méthodes. La politique militaire communiste cherche à unifier les travailleurs et les peuples opprimés par-delà les frontières nationales, en écrasant les classes dirigeantes qui poussent les populations à mener la guerre l’une contre l’autre. Le marxisme est prolétarien, internationaliste et révolutionnaire. Il a trouvé sa plus haute expression pratique à ce jour dans la Révolution bolchévique de 1917. L’expérience historique de l’Armée rouge de Trotsky, dans les conditions de la guerre civile et d’une invasion impérialiste, représente une réfutation frappante de l’idée que la torture et autres atrocités sont inhérentes à toutes les armées.
En 1920 l’armée de la Pologne capitaliste, dirigée par un homme fort nationaliste, Jozef Pilsudski, et soutenue par les impérialistes (notamment français, avec la présence du jeune de Gaulle comme conseiller militaire), avait envahi l’Ukraine soviétique. En avril l’Armée rouge lança une contre-offensive victorieuse, et Léon Trotsky, chef de l’Armée rouge, lança l’ordre suivant :
« De tous les secteurs des fronts ouest et sud-ouest arrivent des rapports d’atrocités inouïes commises par les forces des Gardes blancs polonais contre des prisonniers et des blessés de l’Armée rouge. Ils sont torturés, battus, fusillés ou pendus. […] Ces faits suscitent une colère et un désir justifié de vengeance dans le cœur de chaque combattant. Une telle vengeance est juste. Mais elle doit être dirigée contre ceux qui sont réellement responsables pour les attaques méprisables et les atrocités brutales – contre le gouvernement de Pilsudski, contre les propriétaires fonciers polonais et contre la bourgeoisie polonaise. Il serait cependant erroné et indigne de combattants révolutionnaires de se venger sur des prisonniers polonais. Non, l’Armée rouge se montrera magnanime envers l’ennemi capturé et blessé.
« Nous expliquerons le caractère criminel de ses classes dirigeantes au soldat de la Légion polonaise que nous aurons capturé, qu’il s’agisse d’un paysan ou d’un ouvrier. Nous éclairerons son esprit et ferons de lui notre meilleur ami et camarade d’idées, exactement comme nous l’avons fait avec nos prisonniers de guerre allemands, autrichiens, hongrois, koltchakistes, dénikinistes [des gardes blancs russes contre-révolutionnaires] et autres. »
– « La guerre avec la Pologne », Ecrits militaires de Trotsky (1920)
Bien sûr, de telles atrocités se produisirent quand même du côté de l’Armée rouge, comme l’a montré l’écrivain Isaac Babel qui avait pris part à la campagne de Pologne de 1920 avec la « Cavalerie rouge ». Dans son histoire Argamak, Babel raconte : « Le cosaque Tikhomolov avait tué sans autorisation deux officiers prisonniers… Le chef d’escadron Baulin choisit une punition plus sévère que tout ce qu’un tribunal aurait pu infliger : il prit à Tikhomolov son étalon et renvoya Tikhomolov dans les charrettes de transport. »Tous les yeux sont tournés aujourd’hui vers les crimes de l’impérialisme US en Irak, mais il faut se rappeler comment l’année dernière Chirac avait utilisé la haine justifiée contre les préparatifs de guerre contre l’Irak, pour créer une atmosphère d’« unité nationale » avec la diplomatie française contre Bush, et pour, grâce à elle, mettre en place début mars 2003 la politique des charters d’expulsions racistes, et à la suite l’attaque en règle contre les retraites. Ce n’est pas en voulant jouer un impérialisme capitaliste (le sien) contre un autre qu’on pourra arrêter la guerre et la torture. Le système capitaliste est basé sur l’exploitation de la classe ouvrière ; c’est un système qui renforce l’oppression raciste, et un système qui engendre les guerres de conquête pour les marchés capitalistes, indépendamment de qui dirige l’appareil d’Etat capitaliste : Républicain ou Démocrate, gaulliste ou social-démocrate. Notre but c’est de forger le parti ouvrier révolutionnaire multiethnique qui balaiera cette classe capitaliste assoiffée de sang et qui remettra la richesse du pays et du monde entre les mains des travailleurs qui la créent, au service de toute l’humanité.