A bas les charters racistes, les licenciements, les attaques contre la Sécu !

Pour un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste !

Bureaucrates syndicaux, gauche et « extrême gauche » ont trahi les grèves de mai-juin

Reproduit du Bolchévik n° 165, septembre 2003

3 septembre – Le gouvernement Chirac a fait passer en force son projet de démantèlement du système de retraites, malgré les grèves et manifestations qui ont mobilisé des millions de travailleurs pendant des semaines en mai-juin. Les bureaucrates syndicaux ont fait échouer la grève, isolant les militants et séparant les secteurs grévistes les uns des autres, ouvrant ainsi la voie au vote de la « réforme » des retraites. Mais, comme nous l’écrivions dans notre tract du 15 mai au début des grèves, « la classe ouvrière est en train de réduire en miettes l’unité nationale réactionnaire derrière le gouvernement Chirac qui avait été scellée par le PS, le PC et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) la main dans la main avec les bureaucrates syndicaux. Depuis leur vote pour Chirac l’année dernière “contre Le Pen” jusqu’à leurs louanges pour les impérialistes français comme une force “de paix” contre le massacre colonial de l’impérialisme US en Irak, ces traîtres ont fait tout leur possible pour enchaîner la classe ouvrière à son ennemi de classe » (voir notre précédent numéro du Bolchévik). C’est pourquoi, malgré sa victoire contre les travailleurs, le gouvernement est inquiet d’avoir épuisé cette traîtrise « unité nationale » et craint d’avoir beaucoup plus de difficultés pour mener à bien les nouvelles attaques qui s’annoncent. Par exemple il veut démanteler la Sécu alors que tout le pays fulmine contre sa politique d’austérité criminelle dans la santé qui a provoqué officiellement plus de onze mille morts pendant la canicule du mois d’août.

Les travailleurs ont subi une défaite mais n’ont pas été définitivement vaincus. Pour repousser les nouvelles attaques qui s’ annoncent, la question cruciale est de tirer les leçons de la vague de grèves de mai-juin. De la LCR et ses gros titres « grève générale » chaque semaine dans Rouge, aux lambertistes du Parti des Travailleurs (PT) et leur appel aux bureaucraties de la CGT et de Force ouvrière pour une « grève générale interprofessionnelle », et à Lutte ouvrière et sa « généralisation de la grève », tous ces groupes se sont contentés d’appeler les travailleurs à lutter davantage, tout en restant dans le cadre du capitalisme et sans présenter une perspective politique révolutionnaire qui pouvait tracer la voie d’une lutte victorieuse contre les patrons et leur gouvernement. L’extension de la grève elle-même exigeait d’élargir les revendications à d’autres questions pour entraîner le secteur privé avec sa forte composante d’origine immigrée. Le premier semestre 2003 a été marqué par cinquante-sept (57 !) « vols groupés » de déportations vers l’Afrique de l’Ouest, la Roumanie et la Chine. Sur les sept premiers mois de l’année, 19 425 personnes ont été expulsées du pays. Nous disons : A bas les déportations racistes ! Le gouvernement s’en prend maintenant y compris aux dirigeants des sans-papiers, comme Nasr Eddine Bourrached, porte-parole du Collectif de Perpignan, expulsé vers l’Algérie le 31 août. Romain Binazon, porte-parole des sans-papiers à Paris, a été arrêté le lendemain même de la manifestation anniversaire de l’attaque des flics contre les sans-papiers réfugiés dans l’église Saint-Bernard, alors qu’il protestait contre une expulsion. Comme nous l’écrivions dans un tract de protestation publié dès le premier « charter » Sarkozy (reproduit dans le Bolchévik n° 163, printemps) :

« Aujourd’hui le gouvernement attaque les immigrés parce qu’il croit qu’il peut le faire en toute impunité. Il se base sur la vieille tactique du racisme afin de « diviser pour mieux régner » – c’est à nous de prouver qu’il a tort ! Les puissants syndicats du prolétariat français et allemand, et les syndicats à travers l’Europe doivent se solidariser avec leurs frères et sœurs de classe les plus vulnérables. »

Nous avons fait des prises de parole sur les facs, à Saint-Denis et Rouen contre les charters. Nous mettions en garde dans notre tract que Chirac et Sarkozy utiliseraient « la même répression contre tous les travailleurs quand ils feront grève contre les licenciements et les privatisations ou pour défendre les retraites en France et les prestations sociales en Allemagne. » Cette question était cruciale car le refus des organisations de gauche de mobiliser contre ces déportations était l’expression concrète du soutien de la gauche à Chirac pendant la guerre contre l’Irak. La terreur raciste est dans ce pays un mécanisme essentiel pour diviser et paralyser la classe ouvrière, et l’enchaîner à sa propre bourgeoisie, et c’est pourquoi il est central de s’opposer à ce poison chauvin. Nous disons : A bas Vigipirate ! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !

La leçon de ces grèves, c’est la nécessité de lutter pour une nouvelle direction, révolutionnaire et internationaliste, pour la classe ouvrière. Les attaques elles-mêmes du gouvernement ne peuvent se comprendre qu’en regardant la situation dans son cadre international. Le ciment de l’« unité nationale » derrière Chirac c’est l’antiaméricanisme à bon marché. Le PCF et la LCR, qui avaient plébiscité Chirac lors des élections présidentielles de 2002, ont décrit son « opposition » à la guerre américaine en Irak comme étant soi-disant la voie vers la paix. Ce faisant ils ont pavé la voie à l’envoi de troupes coloniales françaises à droite et à gauche en Afrique, et au lancement d’un programme d’expulsions en masse de sans-papiers, pratiquement sans la moindre résistance de la gauche. Pour peu que la guerre ait duré plus longtemps, Chirac espérait s’en tirer sans que l’attaque contre les retraites en France ne fasse de vagues, le PCF et la LCR défilant au cri d’un « droit de veto » de Chirac à l’ONU contre les Américains. L’augmentation des rivalités interimpérialistes s’accompagne d’un renforcement du chauvinisme et du nationalisme, où beaucoup de travailleurs s’imaginent avoir davantage d’intérêts en commun avec leur propre gouvernement capitaliste qu’avec leurs frères de classe américains ou avec leurs collègues d’origine immigrée ici.

La victoire des capitalistes en France sur les retraites a renforcé le chancelier social-démocrate allemand Schröder dans ses propres attaques contre l’assurance chômage et autres acquis ouvriers en Allemagne. Et, quand Schröder a fait passer son plan de démantèlement de la Sécu en Allemagne en juillet, cela a aiguisé l’appétit des capitalistes français d’en faire de même. Dans toute l’Europe de l’Ouest la classe ouvrière se voit arracher ses acquis, obtenus de haute lutte à une époque où la bourgeoisie confrontait la présence soviétique dans toute l’Europe de l’Est. Avec la destruction contre-révolutionnaire de l’Union soviétique, les bourgeoisies européennes clament que le communisme est soi-disant mort et cherchent à reprendre tous ces acquis. En même temps, comme elles ne sont plus liées entre elles et avec les USA par leur haine de l’Etat ouvrier dégénéré soviétique, leurs rivalités s’exacerbent. La guerre de l’impérialisme américain contre l’Irak était en partie au moins dirigée contre les rivaux impérialistes des USA, dont la France. Et le rôle du gouvernement capitaliste français c’est de renforcer la main de ses propres capitalistes en redoublant les attaques contre les travailleurs dans ce pays.

Pour des syndicats industriels ! Pour un parti léniniste d’avant-garde !

La vague de grèves a montré une nouvelle fois que cette société est divisée en deux classes sociales fondamentales : la bourgeoisie avec son Etat, qui possède les usines et l’ensemble des moyens de production, et le prolétariat qui y produit toutes les richesses, y compris la plus-value que s’approprient les capitalistes en ne laissant aux travailleurs que le salaire qui leur permet à grand-peine de se maintenir et de se reproduire. Entre ces deux classes sociales fondamentales il y a une énorme masse petite-bourgeoise (y compris les enseignants, les acteurs, etc.) qui oscille entre les deux mais qui dans cette lutte s’est mobilisée dans l’intérêt des travailleurs et le sien. C’est de par sa position dans la production matérielle que le prolétariat a la puissance sociale pour non seulement arrêter la production (dans la grève), mais aussi l’intérêt historique à renverser l’ensemble de la classe capitaliste. L’Etat n’est pas quelque chose de neutre, au-dessus des classes, mais une force de coercition ayant le monopole officiel de la violence (les flics, l’armée, les matons, les tribunaux) pour maintenir la structure de la société en l’état, autrement dit la dictature de la bourgeoisie sur les ouvriers. Tant qu’elle le peut la bourgeoisie préfère régner derrière la façade du parlementarisme, mais en cas de crise sociale profonde pouvant remettre en cause sa domination elle n’hésite jamais à recourir à la violence la plus brutale, des fascistes de Mussolini en 1922 aux nazis de Hitler en 1933. La Ve République française elle-même prend son origine dans un coup d’Etat par le général de Gaulle pendant la guerre d’Algérie.

La trahison de la bureaucratie syndicale de la CFDT a été patente pratiquement dès le premier jour des grèves de mai. Mais la conclusion qu’en ont tirée les travailleurs, notamment dans la CFDT, a souvent été de simplement changer d’étiquette syndicale. Par exemple le syndicat des fonctionnaires territoriaux du Val-de-Marne, dirigé par un membre de la LCR d’après le Monde (18 juillet), a décidé de passer avec armes et bagages à la FSU. D’autres syndicats, notamment dans la santé, envisagent de se désaffilier pour rejoindre le SUD. Mais les autres syndicats n’ont pas eu une ligne fondamentalement différente sur le terrain, freinant des quatre fers voire cassant ouvertement la grève, comme la CGT à la RATP et la SNCF après le 13 mai. Le problème n’est pas l’étiquette syndicale, c’est l’émiettement de la classe ouvrière en une kyrielle de syndicats avec chacun une ligne réformiste légèrement différente. Les réformistes qui concentrent le tir sur la CFDT le font pour couvrir leur propre rôle traître dans la CGT, la FSU ou FO. Pendant les grèves nous avons avancé la perspective de syndicats industriels. Face à la division sectaire de la classe ouvrière, il nous faut unir tous les ouvriers en un seul poing fermé : une industrie, un syndicat. Nous écrivions :

« La division de la classe ouvrière en plusieurs syndicats largement en fonction des convictions politiques, correspond à la conception bien ancrée en France que les grèves sont avant tout des manifs politiques, et non des actions ouvrières qui stoppent la production. Il s’agit de tactiques de pression extra-parlementaire, tout particulièrement quand la droite est au pouvoir, dans la perspective de ramener au gouvernement les réformistes ou le front populaire. C’est pourquoi quand nous parlons de syndicats industriels dans notre tract récent, nous lions ce point à la question des piquets de grève non filtrants. »

le Bolchévik, été 2003

C’est pourquoi aussi pour nous (et contrairement à la LCR), le SUD ou un autre syndicat plus combatif ou « radical » comme la CNT anarchisante n’est pas l’alternative aux grands syndicats réformistes, car il accentue l’ émiettement de la classe ouvrière, avec pour résultat qu’il y a toujours quelques syndicats pour casser la grève des autres. Nous communistes, nous cherchons à construire et renforcer les syndicats afin d’aider les travailleurs à être dans la meilleure position possible pour combattre les attaques des capitalistes et de l’Etat bourgeois. L’arme la plus puissante des travailleurs est leur unité contre les capitalistes. Parallèlement les communistes authentiques se battent contre la subordination politique des travailleurs à la bourgeoisie ; les réformistes et l’« extrême gauche » poussent cette subordination en déviant la lutte de classe vers la réforme au coup par coup d’un système capitaliste qui de façon inhérente est un système d’exploitation. Il faut défendre tout acquis partiel ou toute réforme, mais pour se libérer de l’esclavage salarié, du racisme et de la guerre il faut une révolution socialiste pour balayer tout ce système capitaliste pourri, et établir une société où c’est les travailleurs qui seront au pouvoir. Pour tracer la voie pour un tel avenir il faut construire un parti révolutionnaire internationaliste léniniste, en luttant politiquement contre tous les partis réformistes et centristes qui maintiennent les luttes dans les limites de la « démocratie », c’est-à-dire la dictature de la bourgeoisie.

PCF et LCR à la rescousse de Chirac

Lors du second tour de l’élection présidentielle en 2002, toutes les bureaucraties syndicales, de la CFDT à la CGT et au SUD, ont appelé à voter Chirac, soi-disant contre Le Pen. La collaboration de classes est tellement une seconde nature pour le PCF que, en l’absence d’un front populaire (c’est-à-dire une alliance de collaboration de classes, comme l’était la « Gauche plurielle » avec le PS, le PC, et des petits partis bourgeois comme les Radicaux de gauche, les Verts ou les chevènementistes), le PCF a soutenu à plusieurs reprises par la bande les gaullistes, y compris en mai 1968 où ils avaient un penchant pour l’antiaméricain de Gaulle par rapport aux atlantistes de Mitterrand/Mendès France.

Mais la LCR, qui a occasionnellement le cynisme de se prétendre trotskyste, n’est en réalité pas si différente. Même en pleine vague de grèves, la LCR s’est investie dans le village alternatif au sommet impérialiste du G-8 à Evian, un village alternatif dont l’Elysée pouvait claironner qu’il l’avait financé à hauteur d’un million d’euros (le Monde, 2 juin) ! Bien sûr, des milliers de travailleurs et de jeunes ont pris et vont prendre part aux mobilisations « contre la mondialisation néolibérale » en étant du fond du cœur contre Chirac. Ils veulent à juste titre protester contre ce système capitaliste, mais, qu’ils le veuillent ou non, ils se retrouvent embrigadés derrière des groupes comme le PCF et la LCR qui se laissent de bonne grâce prendre au jeu populiste de Chirac. Celui-ci a libéré leur héros José Bové à temps pour le grand rassemblement du 9 août au Larzac, à charge pour Bové de canaliser les énergies à l’automne vers la lutte¼ contre l’OMC contrôlée par les Américains. Comme l’écrivait le très bourgeois le Figaro dans son éditorial du 11 août :

« Il existe des dénominateurs communs entre Bové et le chef de l’Etat : la défense de l’environnement, du dialogue des cultures, d’un monde multipolaire¼ Autant de sujets qui n’émeuvent pas les Américains. Jusqu’à un certain point, le combat mené par José Bové, qui compte des partisans dans le monde entier, sert la cause du président de la République à l’étranger. Et puis l’éleveur du Larzac qui dame le pion à la gauche [il s’agit du PS, chahuté au Larzac] dans le débat intérieur, ce n’est pas mauvais. »

La haine contre les massacres impérialistes et le retour du colonialisme pur et simple en Irak, contre l’oppression terrible du peuple palestinien par l’Etat bourgeois sioniste, la haine contre le gouvernement français accumulée par les enseignants, les intermittents du spectacle, tous les salariés dont la retraite vient d’être charcutée, les travailleurs en lutte contre les licenciements, tout cela ne doit pas simplement trouver un exutoire dans la dénonciation de la « mondialisation libérale » et la domination américaine sur le monde. La « mondialisation libérale », c’est tout simplement le capitalisme après la destruction de l’Union soviétique. L’existence de l’Union soviétique tenait en respect l’impérialisme dans le monde, mais la contre-révolution capitaliste a créé un monde d’exploitation sans frein et de guerres pour la redivision de la planète entre les puissances capitalistes exploiteuses. On ne peut lutter pour une « autre mondialisation » qu’en luttant consciemment pour éradiquer le système capitaliste lui-même par une série de révolutions ouvrières. Nous disons : A bas l’occupation coloniale de l’Irak ! Troupes impérialistes US et alliées, hors du Proche-Orient ! Faire croire, comme la LCR, que les impérialistes français seraient moins criminels que Bush, voire un allié potentiel contre lui, c’est du vulgaire chauvinisme bourgeois français. Ce sont des troupes françaises qui sévissent et attisent les rivalités interethniques sanglantes en Côte d’Ivoire, au Congo et ailleurs : Troupes françaises hors d’Afrique, des Balkans, d’Afghanistan ! Ici ce n’est pas le FBI qui fait la chasse aux immigrés et leurs enfants, mais les flics de Chirac. Ce n’est pas General Electric USA qui licencie, mais le groupe français Alstom.

Ce qu’il faut, c’est lutter contre les illusions propagées par la LCR qu’une « autre mondialisation », un « autre monde », seraient possibles sans renverser tout le système capitaliste par des révolutions ouvrières dans le monde entier. Un organisateur principal du Forum social européen de novembre, c’est le maire PCF de Saint-Denis, Patrick Braouezec, grand pote de Krivine devant l’Eternel. Voilà ce que disait Braouezec au printemps à propos de l’expulsion raciste des Roms de sa commune (l’Humanité, 28 avril) : « Il ne faut pas seulement expulser ces personnes, il faut trouver des solutions viables et pérennes. [Les] traiter avec dignité. » Avec Braouezec, un « autre monde » est possible, où l’expulsion raciste des Roms se fait « avec dignité » ! A partir du moment où on perd de vue que non seulement le capitalisme n’est pas humanisable, mais que seule la classe ouvrière est la force historique pour le renversement du capitalisme, on se retrouve à la traîne non seulement de réformistes comme Krivine ou Braouezec, mais même de Chirac, chef de l’ impérialisme français.

Un « parti de toute la classe » ou un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique ?

Ce dont les travailleurs ont besoin pour vaincre dans une révolution c’est d’un parti ouvrier d’avant-garde, organisé sur la base d’un programme révolutionnaire internationaliste intransigeant. Un tel parti serait aujourd’hui forcément une minorité dans la classe ouvrière, même très petite, et le restera en dehors d’une période révolutionnaire. Mais quand la marée révolutionnaire monte (et l’exploitation capitaliste est la source même de la lutte des ouvriers et de son explosion périodique en poussées révolutionnaires), ce programme intersecte à ce moment-là la classe ouvrière plus largement, lui donne la perspective pour mener à bien une révolution jusqu’à la victoire, et comment. C’est là le secret de la victoire de la Révolution russe de 1917. Les bolchéviks de Lénine avaient lutté pendant 15 ans contre toutes sortes de déviations opportunistes, contre la tendance de leurs opposants menchéviks à subordonner la révolution à la bourgeoisie. La plupart des grands leaders de la social-démocratie internationale traitait les bolchéviks de sectaires indécrottables, de scissionnistes invétérés, etc., etc. C’est parce que les bolchéviks cherchaient à maintenir contre vents et marées le programme révolutionnaire, en luttant contre tous les obstacles à l’intérieur même du mouvement ouvrier, qu’ils ont gagné la majorité de la classe ouvrière au pouvoir des soviets et à la dictature du prolétariat, assurant ainsi le succès de la Révolution d’octobre 1917 (voir notre article paru pour le 85e anniversaire de la révolution, le Bolchévik n° 162, hiver 2002-2003). C’est un tel parti que nous cherchons à construire : notre conception du parti découle de notre objectif révolutionnaire.

La LCR cherche explicitement à construire un parti en opposition à cette conception du parti ; c’est bien normal, parce qu’ils s’opposent désormais à la conception même d’une révolution socialiste comme la révolution d’Octobre – leur groupe de jeunesse y fait encore référence dans son journal “red” (numéro d’été) mais c’est pour la dénaturer totalement en parlant à son propos du « rôle fondamental de la grève générale et de l’auto-organisation des travailleurs », où le parti bolchévique ne joue qu’un rôle anecdotique. Dans son rapport sur le récent congrès international du Secrétariat unifié, dont fait partie la LCR, publié dans leur revue Inprecor (mars-avril), François Vercammen écrivait que la nouvelle internationale qu’ils appellent de leurs vœux « ne ressemblera à aucune des précédentes, et certainement pas aux Internationales marxistes-révolutionnaires de type partidaire. [¼] [Leur organisation] n’est pas “le parti mondial de la révolution socialiste” (objectif qu’elle s’était fixée lors de sa constitution), ni même le noyau central d’un tel parti futur. »

Besancenot a diffusé un article dans Libération (11 juillet) pour pousser en avant la construction d’un « parti de la grève », et insiste en guise de bilan de la grève qu’elle cherche un « débouché politique ». Comme au Brésil ? Là-bas ils ont un membre dans le gouvernement de front populaire de Lula, Miguel Rossetto, qui est ministre « du développement rural chargé de la réforme agraire » – c’est-à-dire chargé de faire se tenir tranquilles les millions de paysans sans-terre, au besoin en envoyant la police militaire détestée ! Ce gouvernement capitaliste est en train de démanteler les retraites, avec le vote des députés brésiliens du Secrétariat unifié (à part deux abstentions, voir Informations ouvrières, 13-19 août) !

Lutte ouvrière : de l’opposition au vote Chirac à un bloc politique avec la LCR ?

Pour Lutte ouvrière (LO), qui a montré dans les manifestations de grévistes une influence importante dans de nombreux cortèges d’enseignants et aussi de travailleurs, la perspective se résumait à ce qu’il y ait un mouvement de la base assez fort pour forcer les directions syndicales à agir, ou pour les contourner : « œuvrer à la base pour que les grévistes généralisent eux-mêmes leur grève » (Lutte de Classe, numéro spécial d’été en guise de bilan de la grève). Lutte ouvrière évite ainsi le combat politique contre les bureaucrates syndicaux, et finit sur le fond par les exonérer : leurs quelques critiques finissent alors par servir de couverture aux mêmes bureaucrates. Déjà pendant la grève Arlette Laguiller avait écrit mensongèrement que « les directions syndicales [¼] entraînent à la lutte » (Lutte Ouvrière, 6 juin). Même après la défaite ils déclarent dans leur revue Lutte de Classe : « Les confédérations syndicales, et plus particulièrement la CGT, ont cependant contribué, bien malgré elles, à certains égards, à développer le mouvement. »

LO déclare que la CGT est un « syndicat réformiste », mais en réalité ils caressent dans le sens du poil les vieux staliniens réformistes anti-CFDT de l’appareil cégétiste : ils se plaignent simplement de « sa stratégie qui, depuis plusieurs années, s’aligne de plus en plus sur celle de la CFDT pour prôner une “stratégie de négociation”, au lieu de fixer comme objectif clairement annoncé la riposte générale du monde du travail et au lieu de proposer des actions allant clairement dans le sens de cet objectif. » « Plusieurs années » ? ? Est-ce qu’ils ont entendu parler des accords de Grenelle où la CGT a liquidé la grève générale de Mai 68 ? Pour LO, même une situation pré-révolutionnaire comme Mai 68 n’était en fait guère plus qu’une grosse grève qui a gagné quelques concessions économiques. Trotsky expliquait au contraire dans un texte de 1935 sur la France : « L’ importance fondamentale de la grève générale, indépendamment des succès partiels qu’elle peut obtenir, mais aussi ne pas obtenir, réside dans le fait qu’elle pose de façon révolutionnaire la question du pouvoir » (voir notre article « Syndicat et parti : le point de vue marxiste » paru dans notre précédent numéro pour un développement plus complet sur la question de la grève générale).

Lutte ouvrière écrit à juste titre que la CGT « n’a [pas] pour perspective la confrontation radicale de la classe ouvrière avec la bourgeoisie et son Etat. C’est une perspective qu’elle rejette au contraire, intégrée qu’elle est dans l’Etat de la bourgeoisie et dans ses institutions ». C’est pourquoi il faut lutter pour une direction révolutionnaire des syndicats, pas pousser comme LO la bureaucratie vers la gauche ou la contourner. Trotsky écrivait dans son article « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste » :

« Tout à fait possible est l’existence de syndicats révolutionnaires qui non seulement ne sont plus des soutiens de la police impérialiste, mais qui se fixent comme tâche de renverser directement le système capitaliste. A l’époque de l’impérialisme décadent, les syndicats ne peuvent être réellement indépendants que dans la mesure où ils sont consciemment dans l’action des organes de la révolution prolétarienne. Dans ce sens, le programme transitoire adopté par le dernier Congrès de la IVe internationale est non seulement le programme d’activité du parti mais, dans ses lignes essentielles, également le programme de l’activité syndicale. »

Mais LO au contraire n’a pas un mot sur la question cruciale de la conscience politique de la classe ouvrière. Ils se cachent derrière la conscience réformiste actuelle des ouvriers pour ne pas avancer de perspective révolutionnaire, et en dernier ressort servir de couverture de gauche à la bureaucratie syndicale. Ils concluent leur article de Lutte de Classe en avançant comme perspective, au cas où la mobilisation ouvrière reprend à l’automne, qu’elle devra mettre en avant « non seulement des revendications telles que le retrait de tous les plans anti-ouvriers du gouvernement, aussi bien celui déjà consacré par une loi pour ce qui est de la retraite, que celui encore à venir concernant l’assurance maladie, mais aussi qu’elle mette en avant des objectifs qui protègent les travailleurs contre les licenciements collectifs et le fléau du chômage. » On reconnaîtra là le fameux mot d’ordre de l’« interdiction des licenciements », que partage aussi la LCR, que régurgite aussi la GR, etc.

LO fait croire à ses jeunes membres qu’il s’agit là d’un mot d’ordre du programme transitoire de la IVe Internationale dont parle Trotsky. Quel grossier mensonge ! Le mot d’ordre de « l’interdiction des licenciements » contribue à propager des illusions dans la classe ouvrière qu’il serait possible d’abolir un mécanisme fondamental du système capitaliste – sans faire une révolution ! En fait, les licenciements sont, tout comme les crises économiques elles-mêmes, inhérents au capitalisme ; quelle que soit la démographie, les capitalistes font toujours en sorte qu’il y ait une armée de réserve de chômeurs pour faire pression sur les salaires à la baisse. Mais pour LO, si la classe ouvrière se mobilise suffisamment pour faire peur au gouvernement et aux capitalistes, ils donneront tout ce qu’on veut pour préserver leur système. L’essence même du programme de transition au contraire est de faire le pont entre le niveau de conscience actuel de la classe ouvrière et la prise de conscience qu’il faut une révolution communiste :

« La IVe Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme “minimum”, dans la mesure où elles ont conservé quelque force de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications partielles “minimum” des masses se heurtent aux tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent – et cela se produit à chaque pas – la IVe Internationale met en avant un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. Le vieux “programme minimum” est constamment dépassé par le PROGRAMME DE TRANSITION dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne. »

Ce programme développe toute une série de mots d’ordre, comme par exemple le partage du travail entre toutes les mains avec une échelle mobile des salaires et des heures de travail, une revendication vitale pour le prolétariat contre la gangrène du chômage. Le programme de transition, écrit par Trotsky en 1938 alors que les nazis avaient pris le pouvoir en Allemagne, déclare aussi : « La dénonciation intransigeante des préjugés de race et de toutes les formes et nuances de l’arrogance et du chauvinisme nationaux, en particulier de l’antisémitisme, doit entrer dans le travail quotidien de toutes les sections de la IVe Internationale comme le principal travail d’éducation dans la lutte contre l’impérialisme et la guerre. » Mais LO, dans ses éditoriaux pendant la grève, refusait semaine après semaine de parler d’autre chose que de la lutte économique des ouvriers pour que le gouvernement renonce à son plan de destruction des retraites. Un des secteurs les plus importants de travailleurs en grève c’étaient les cheminots et les agents de la RATP ; quand on discute avec ces travailleurs on peut souvent remarquer un obstacle immédiat qui obscurcit leur niveau de conscience : ils croient que Vigipirate, le plan de terreur raciste de quadrillage systématique des gares et moyens de transports, est là pour les protéger contre le « terrorisme » ; c’est ainsi que ces travailleurs se font enchaîner à l’Etat, voyant les flics comme étant de leur côté. Mais LO, qui est bien implantée parmi ces travailleurs, refuse de s’opposer à Vigipirate même sur le papier !

Lutte ouvrière déclare : « Certaines de ces mesures [de Chirac-Raffarin] reflètent l’obéissance directe à des exigences ou des desiderata du grand patronat ou des classes privilégiées. D’autres mesures, comme la démagogie sécuritaire, les lois répressives contre les pauvres ou les travailleurs immigrés, sont indifférentes au grand patronat et sont destinées surtout à plaire à l’électorat de droite et d’extrême droite (il est vrai que les deux aspects se recoupent souvent) » (Lutte de Classe, été 2003). Pour LO les mesures racistes sont donc essentiellement motivées par des questions électorales. C’est pourquoi dans la lutte des classes LO fait d’habitude disparaître ces questions, se contentant dans les grèves d’exhorter les travailleurs à lutter. Les cadres de LO dressent un portrait de nous comme des gens qui font une fixation sur Vigipirate et sont incapables de parler d’autre chose que de cela, tentant ainsi implicitement de justifier leur propre refus de s’opposer à Vigipirate. Mais chercher à mobiliser la classe ouvrière contre la terreur raciste qui vise notamment les jeunes d’origine maghrébine fait partie intégrante de la lutte pour que les travailleurs s’affranchissent politiquement des liens, comme le racisme, qui les enchaînent aux capitalistes.

Lutte ouvrière s’est distinguée pendant plus d’un an du marais pro-Chirac du PCF et de la LCR. Mais ils ont dès la fin des grèves du printemps entamé des pourparlers avec la LCR pour les élections¼ du printemps 2004. Il y a tout un échange de lettres grotesque entre LO et la LCR. LO commence le 28 juin en critiquant la LCR pour son vote Chirac, déclamant qu’il s’agit là d’une « trahison de vos idées [ ?] et des nôtres ». La LCR lui fait la réponse du berger à la bergère en démasquant fort justement le manque de principes de LO elle-même, faisant remarquer : « comment une organisation communiste, révolutionnaire, prolétarienne pourrait ne serait-ce qu’ envisager de mener des campagnes électorales communes avec une organisation composée de “traîtres chiraquiens” ? » (Rouge, 24 juillet) LO répond le 25 juillet en disant qu’effectivement le vote Chirac de la LCR en 2002 n’est pas un obstacle pour un bloc éventuel (« votre attitude à ce moment-là ne nous empêche pas d’envisager une campagne commune ») ; d’après LO, pour qu’il y ait accord entre les deux organisations la LCR n’est pas obligée de dénoncer son vote pour la droite, mais seulement de ne pas recommencer pendant la période de leur accord électoral ! Dans les copieuses lettres que LO et LCR se sont échangées pour tracer un programme commun électoral, il n’y a pas un seul mot contre le racisme, ni contre l’occupation coloniale de l’Irak, ni contre les troupes françaises en Afrique ! La volte-face de LO par rapport à la LCR montre maintenant que même l’opposition de LO au vote Chirac n’était pas une question de principe. Sous la pression de la vague massive de grèves, LO a glissé vers un « tous ensemble » avec la LCR pour dévier les luttes de la rue et des usines vers le parlement.

LO et la LCR sont certainement d’accord avec la CNT, quand celle-ci déclare : « La conscience des travailleurs se construit dans la grève et elle porte en elle sa propre capacité à imposer ses revendications (c’est nous qu’on bosse, qu’on produit, si on arrête¼ c’est pas au patronat, c’est pas à Matignon¼ la vraie démocratie elle est ici !) » (le Combat Syndicaliste, 17 juillet). Cet argument est entièrement faux, et les grèves récentes l’ont encore prouvé ; spontanément les travailleurs n’ont pas dépassé le cadre de la lutte pour repousser l’offensive patronale sur les retraites ; à aucun moment cette lutte ne s’est développée vers la compréhension qu’il faut renverser l’ensemble du système capitaliste. Et dans les moments de crise, les anarchistes ont toujours fait le contraire de ce qu’ils avaient préconisé dans les périodes calmes : lors de la révolution espagnole de 1936-1939 ils sont carrément entrés, de concert avec les staliniens ( !), dans le gouvernement bourgeois républicain qui étrangla la révolution.

La compréhension communiste ne peut en effet se baser que sur une profonde connaissance scientifique des rapports économiques et politiques entre les diverses classes sociales et couches sociales, et une telle connaissance, indispensable si l’on veut renverser l’ordre social existant, ne peut pas émerger spontanément de la lutte économique elle-même. Il faut pour cela l’intervention d’un parti révolutionnaire pour imprégner les travailleurs de cette conscience, contre l’idéologie dominante propagée par la classe dominante avec son armée de professeurs et de journalistes et avec ses représentants dans la classe ouvrière. Lénine écrivait :

[…] « Tout rapetissement de l’idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l’idéologie bourgeoise. On parle de spontanéité. Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l’idéologie bourgeoise [¼], car le mouvement ouvrier spontané, c’est le trade-unionisme [syndicalisme], la Nur-Gewerkschaftlerei ; or, le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. C’est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie [les révolutionnaires de l’époque], est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu’a le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie et de l’attirer sous l’aile de la social-démocratie révolutionnaire. »

C’est cette perspective qui a guidé notre intervention parmi les grévistes. Nous sommes encore un très petit groupe de propagande et nous avons de nombreux obstacles devant nous dans le mouvement ouvrier : les réformistes du PS et du PCF, mais aussi les pseudo-trotskystes et les « syndicalistes révolutionnaires » et anarchistes. Nous cherchons à construire dans la lutte avec ces groupes le parti qui dirigera la classe ouvrière ici et internationalement à de nouvelles révolutions d’Octobre. Rejoignez-nous !

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