Déroute électorale de Chirac –
quelle perspective pour repousser les attaques du gouvernement ?
Pour un parti ouvrier révolutionnaire multiethnique !
Reproduit du supplément au Bolchévik n° 167, avril 2004
Chirac-Sarkozy avaient tenté en dernière minute de restaurer l’« unité nationale » derrière le gouvernement en excitant l’hystérie « anti-terroriste » et notamment en décrétant « Vigipirate rouge ». La terreur policière raciste dans les transports en commun et les rafles contre les travailleurs à la peau foncée (avec expulsions immédiates) ont été décuplées, dépassant même le niveau atteint après le 11 septembre 2001 ou après les attentats à Paris en 1995. Mais cela n’a pas marché. Nous disons : A bas Vigipirate ! A bas les expulsions ! Pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés !
Ces élections marquent un tournant dans la situation politique du pays. Pendant deux ans Chirac avait réussi à réaliser l’unité nationale derrière lui avec la complicité explicite, sur différentes questions et alternativement, de toute la gauche et de la soi-disant « extrême gauche ». PS, PCF et LCR avaient voté Chirac aux présidentielles de mai 2002 (soi-disant pour barrer la route à Le Pen). Les mêmes plus l’organisation de jeunesse de la LCR, les JCR, avaient signé l’appel à la manifestation du 14 décembre 2002 contre la guerre en Irak, un appel qui prônait l’unité avec Chirac contre Bush : « Tous ensemble, nous pouvons empêcher cette guerre ! […] Nous appelons les autorités françaises et le parlement à utiliser tous les moyens en leur pouvoir pour empêcher la guerre contre l’Irak. » C’est fort de ce soutien politique que le gouvernement avait pu s’attaquer avec succès aux systèmes de retraite malgré la vague de grèves du printemps 2003.
Dernièrement, c’est LO et la LCR qui ont servi rien moins que de fer de lance au gouvernement en organisant l’exclusion d’Alma et Lila Lévy à Aubervilliers en octobre dernier, pavant ainsi la voie à la mise en place de la loi raciste de Chirac contre les jeunes femmes voilées. Quinze jours avant les élections, le 6 mars, Laguiller paradait dans les rues de Paris « contre le foulard à l’école », au coude à coude avec Jack Lang, ponte du PS, Nicole Guedj, secrétaire d’Etat UMP à la construction des prisons et Corinne Lepage, tête de liste de l’UDF à Paris ! En tant que marxistes, nous nous opposons au voile en tant que symbole de l’oppression des femmes, mais nous avons fait campagne contre ces exclusions qui alimentent les divisions racistes dans la classe ouvrière et entre les communautés « immigrées ».
Il semble aujourd’hui que cette unité derrière Chirac ait volé en éclats. La déconsidération de Raffarin et de Chirac dans la population semble même inquiéter des secteurs de la bourgeoisie, comme le montre l’attitude de l’UDF pendant et après les élections, ou la grogne au sein de l’UMP. Ces secteurs semblent se demander si Raffarin est bien l’homme de la situation capable de mener à bien les « réformes » (destruction de la Sécu, privatisation d’EDF, de la SNECMA, etc.) dont la bourgeoisie a besoin pour pouvoir affronter la concurrence effrénée des autres impérialismes et éviter de dégringoler un peu plus bas dans la hiérarchie internationale.
Il faut rompre avec les PS, PC, LCR, LO !
Il est évident que la déroute électorale de la droite ne représente pas pour autant un soutien enthousiaste des travailleurs aux partis de l’ex-« gauche plurielle ». Les attaques du gouvernement de collaboration de classes de Jospin-Gayssot, préparatoires à celles de Raffarin, sont encore présentes dans les mémoires. Et celles perpétrées par le social-démocrate Schröder en Allemagne sont si brutales que c’est Chirac lui-même qui s’y réfère !
Pourtant, le danger qui guette à nouveau maintenant la classe ouvrière c’est une nouvelle alliance de collaboration de classes entre le PS, le PCF et des bourgeois « de gauche » comme les Verts et les chevènementistes ; l’objectif d’une telle alliance de collaboration de classes serait de remettre en place un gouvernement capitaliste du type Jospin-Gayssot 1997-2002. Le PS, grand vainqueur de ces élections, est d’ailleurs très clair : la dernière chose qu’il veut, c’est une lutte de classe dure contre les capitalistes et leur gouvernement. Le Monde du 1er avril expliquait : « Mais chez les dirigeants socialistes se profile aussi comme une inquiétude : celle que le mouvement social puisse devenir le réceptacle de la colère des Français. “Je ne suis pas favorable à ce que la rue prenne la place des urnes”, a souligné François Hollande devant la presse. » Ces déclarations font étrangement écho aux provocations de Raffarin quand il affirmait pendant les grèves du printemps 2003 que ce n’est pas la rue qui gouverne.
Le PCF a remporté un relatif succès lors de ces dernières élections, en particulier là où il s’est présenté indépendamment du PS, et il se sent tout requinqué face aux pseudo-trotskystes des LO/LCR. Tirant des leçons de 2002, et se retrouvant maintenant dans l’opposition, le PCF adopte des tons plus radicaux, notamment sur la question du racisme. Sous Jospin, c’est pourtant un ministre PCF des transports, Gayssot, qui collaborait directement à la mise en place du plan de terreur raciste Vigipirate à la RATP et la SNCF, et à la déportation des sans-papiers. A ces élections, dans son bastion de Seine-Saint-Denis, le PCF a présenté un militant d’origine maghrébine, Mouloud Aounit, en tête de liste, alors qu’Aounit, militant du MRAP, est bien connu pour son opposition aux exclusions racistes des jeunes femmes voilées. Et c’est dans ce département que le PCF a réalisé parmi ses meilleurs scores, dépassant les 25 % dans plusieurs villes.
Mais le PCF est devenu réformiste dès les années 1930 ; il n’a d’autres ambitions que de gérer le système capitaliste et les intérêts de la bourgeoisie française. Aujourd’hui encore, il lutte pour reconstituer un nouveau gouvernement de collaboration de classes. Et cela il ne peut le proposer qu’avec le PS. Et c’est tout son problème, car il faut rendre crédible une telle perspective. Or le rejet du PS par la classe ouvrière reste très important encore deux ans après la chute ignominieuse du dernier gouvernement Jospin-Gayssot. C’est ce qu’explique à sa façon le PCF en déclarant dans son éditorial de l’Humanité Hebdo des 3 et 4 avril :
« Renouer le fil entre les déçus désillusionnés et une gauche plus ou moins cadenassée par un Parti socialiste sûr de son hégémonie et incapable de remettre en cause ses cadres idéologiques plus guidés par la “loi du marché” que par la transformation du “monde marchand”, précisément, n’est donc pas une mince affaire. Défi de taille en vérité, qui concerne aussi tous les communistes, engagés dans une reconquête passionnante – mais difficile – des territoires populaires. »
La nature de la future alliance est clairement démontrée dans la région Ile-de-France : le PCF n’a pu que protester contre le veto du PS à mettre Aounit en tête sur la liste du « 9-3 » lors de la fusion des listes PS et PCF entre les deux tours, et ensuite après les élections le refus « scandaleux » du PS de donner à Aounit une vice-présidence au conseil régional, une « discrimination inacceptable » d’après le PCF (le Parisien, 3 avril). Ces vetos racistes du PS en disent cependant plus long sur le PS que sur l’antiracisme du PCF, qui pas un instant n’a envisagé de rompre avec le PS là-dessus.
La combativité ouvrière suffit-elle pour faire reculer Raffarin ?
LO et LCR sentent combien la colère est grande dans la classe ouvrière après la reconduite de Raffarin et sa déclaration qu’il va continuer ses attaques. Ils se remettent à parler de luttes, après six mois d’électoralisme où ils nous ont endormis avec des mots d’ordre sous-réformistes qui présentaient le capitalisme comme pouvant améliorer le sort de la classe ouvrière : « Il faut relever le taux de l’impôt sur les bénéfices, ainsi que sur les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu ; imposer plus lourdement les spéculations boursières […] » (profession de foi commune LCR-LO pour les élections régionales, Lutte de classe, décembre 2003-janvier 2004).
Arlette Laguiller déclare maintenant (éditorial des bulletins d’entreprise de LO du 5 avril) : « Il faut que nous nous défendions nous-mêmes, en utilisant les armes qui sont les nôtres, les grèves, les manifestations et la mobilisation d’une ampleur telle que cela fasse peur aussi bien au patronat qu’au gouvernement. » La LCR est encore plus grandiloquente : « Un million à Paris… Préparons partout dans l’unité une gigantesque manifestation nationale à Paris ! Tous ensemble… Préparons dès aujourd’hui un mouvement de grève générale interprofessionnelle pour faire échouer la contre-réforme de ce gouvernement illégitime !» (tract LCR pour la manifestation du 3 avril). La direction nationale de la LCR clame dans sa résolution des 3 et 4 avril : « Nous n'attendrons pas 2007 ! Il faut chasser le gouvernement Chirac par la rue et par les urnes. »
Déjà tout ce que LO et LCR proposaient pendant les luttes de l’année dernière, c’était de pousser la combativité économique des travailleurs (voir le Bolchévik n° 164, printemps 2003). Les travailleurs du secteur public n’ont pas lésiné sur la combativité, et ils ont souvent fait de lourds sacrifices financiers, avec des semaines de grève dans un pays où les bureaucrates syndicaux n’organisent pas la moindre caisse de grève. Pourtant les retraites ont été sauvagement diminuées par le gouvernement. Les obstacles à la victoire n’étaient pas le manque de combativité, ils étaient d’ordre politique.
Pour éviter que les luttes ne restent isolées à certains secteurs, esentiellement le public, comme au printemps 2003 ou en décembre 1995, il est vital que la classe ouvrière comprenne que les différents gouvernements de la bourgeoisie (de droite comme de gauche) la divisent systématiquement en utilisant notamment la question du racisme. Cette division doit être consciemment combattue par la classe ouvrière. Pour cela il faut un programme internationaliste révolutionnaire, pas le minable plan d’urgence contre les licenciements que nous ont ressassé LO et LCR pendant des mois de campagne électorale. Il faut mobiliser la classe ouvrière contre les rafles de travailleurs sans papiers, contre les campagnes racistes sur le « péril vert » que représenteraient soi-disant les jeunes à la peau foncée (et notamment quelques jeunes femmes voilées !), contre la terreur raciste des flics dans les cités-ghettos. Les CDD et les intérimaires doivent être embauchés immédiatement en CDI à temps complet et avec plein salaire ! Pour lutter contre le chômage qui gangrène les cités-ghettos, il faut partager le travail entre toutes les mains, sans perte de salaire. Sans un programme incluant ce type de perspective on ne pourra pas forger l’unité révolutionnaire du prolétariat dans ce pays.
Si les travailleurs hésitent à se réjouir de la déroute électorale de Chirac c’est parce qu’ils savent que les sociaux-démocrates procèderaient eux-mêmes à la destruction de la Sécu s’ils revenaient au pouvoir, et qu’il faudrait davantage que les grèves combatives de l’année dernière pour empêcher de nouvelles défaites. La combativité des ouvriers risque aujourd’hui d’être dévoyée derrière l’alliance de collaboration de classes que les Hollande, Buffet et Mamère cherchent à nous concocter.
LO met en garde à juste titre contre les illusions dans une gauche qui, rappelle-t-elle, avait voté Chirac il y a deux ans. Quelle ironie pour une organisation qui avait enterré le vote pour Chirac de la gauche pendant des mois à cause du bloc politique avec la LCR… qui elle aussi a appelé au vote Chirac ! Ce bloc sert aux deux organisations pour se réhabiliter l’une l’autre : LO couvre le rôle criminel de la LCR dans l’élection de Chirac, et la LCR couvre la campagne virulente de LO contre les jeunes femmes voilées – voire elle y participe. Mais mettre en garde les ouvriers contre l’ex-gauche plurielle, comme le fait LO, n’est pas suffisant, il faut se battre sur un programme révolutionnaire qui s’adresse aux questions clés de la situation.
Or tant le « programme d’urgence sociale » qu’avance la LCR pour ce « mouvement », que les « revendications vitales de la classe ouvrière » de LO pour des « luttes d’ensemble », l’un comme l’autre sont dans la continuité réformiste de leur programme commun électoral : ils passent consciemment à la trappe (voir notre article dans le Bolchévik n° 167, mars) une des questions clés aujourd’hui, la lutte contre toutes les mesures racistes prises par Chirac-Raffarin. Exit la lutte immédiate contre toutes ces lois, ébauchées ou élaborées par le gouvernement Jospin-Gayssot, que les Raffarin-Sarkozy ont simplement appliquées ou étendues (loi sur la sécurité quotidienne, expulsions massives par charters, loi Perben, loi sur le voile, Vigipirate, etc.) et qui visent à diviser la classe ouvrière pour la paralyser.
Même le PCF peut faire bonne figure aujourd’hui par rapport à LO et à la LCR sur le racisme (ce qui explique peut-être d’ailleurs en partie le meilleur score du PC). Le score des fascistes de Le Pen s’est maintenu au-delà des 15 %, mais les LO et LCR n’ont pas fait campagne contre le racisme ; ils se sont concentrés sur la « reconquête » des électeurs du Front national en allant discuter sur les plateaux de télé avec les Le Pen. En tout cas, depuis l’attentat de Madrid et Vigipirate au niveau « rouge », ni Lutte ouvrière ni la LCR n’ont jugé bon de mentionner Vigipirate dans leur presse hebdomadaire, encore moins de protester contre.