L'adhésion à l'OMC approfondit la pénétration impérialiste
La Chine secouée par des manifestations ouvrières
Défense des acquis de la Révolution de 1949 !
Nous reproduisons ci-après une traduction légèrement adaptée dun article publié dans Workers Vanguard (17 et 31 mai 2002), journal de nos camarades américains.
Reproduit du Bolchévik n° 160 (été 2002) et n° 161 (automne 2002).
En mars dernier, le cur industriel de la Chine a connu les plus importantes manifestations ouvrières depuis 1989. Il y a treize ans, la classe ouvrière, mécontente de l'inflation et de la corruption généralisées quapportaient les « réformes de marché » du régime du Parti communiste chinois (PCC), avait fait massivement irruption dans les manifestations initialement étudiantes centrées sur la place Tiananmen ; elle mettait ainsi à l'ordre du jour la possibilité d'une révolution politique pour balayer la bureaucratie stalinienne. Ces dernières années, des millions d'ouvriers ont été jetés dans la lutte quand les industries étatisées qui forment le cur des fondations collectivisées de l'Etat ouvrier déformé chinois se sont retrouvées dans le collimateur des « réformes de marché ». Ces luttes, qui s'étendent aux « zones économiques spéciales » (ZES) capitalistes et aux régions paysannes de l'intérieur du pays, sont amenées à s'intensifier au fur et à mesure que l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ouvre la porte à une pénétration impérialiste plus profonde, menaçant par là même les conditions d'existence de millions d'ouvriers et de paysans.
La vague actuelle de manifestations de masse représente une résistance spontanée de la classe ouvrière chinoise aux conséquences funestes de la course accélérée vers la restauration capitaliste, au nom des « réformes de marché ». Ce qui est en jeu, c'est la défense des acquis sociaux de la Révolution chinoise de 1949, qui a renversé la bourgeoisie chinoise, libéré le pays du joug impérialiste et établi un Etat ouvrier basé sur une économie planifiée et collectivisée.
Des manifestations ont éclaté le 1er mars dans les champs pétrolifères de Daqing, dans la province du Heilongjiang, dans le nord-est du pays. Pendant plus de deux semaines, les ouvriers organisaient tous les jours des manifestations contre les coupes sombres dans les retraites, les soins médicaux et les subventions pour le fioul domestique. Quand ces champs pétrolifères ont été mis en exploitation, au début des années 1960, les ouvriers de Daqing étaient considérés comme des héros de la campagne d'industrialisation de la Chine. Les ouvriers qui travaillaient dans ce genre d'industries d'Etat bénéficiaient du « bol de riz en fer », la garantie du logement, de l'éducation, des soins médicaux et des retraites. Mais avec le quasi-épuisement des gisements, plus de 80 000 ouvriers ont été licenciés au cours des trois dernières années. Quand les autorités ont exigé que les ouvriers restituent la plus grande partie de leurs indemnités de licenciement pour payer une prime d'assurance destinée à financer les soins médicaux et les retraites, cela a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ; les manifestations se sont rapidement étendues à des champs pétrolifères éloignés, comme ceux de la province du Xinjiang, à la frontière de l'Asie centrale.
« Les cadres touchent des avantages substantiels, et nous, rien », expliquait un ouvrier. Les autorités ont tenté de discréditer les ouvriers en prétendant que les manifestations avaient été infiltrées par les réactionnaires du mouvement Falun Gong. Finalement, la police anti-émeute et des unités de la Police populaire armée une force mise sur pied au milieu des années 1980 pour réprimer l'agitation sociale croissante ont été mobilisées depuis les villes environnantes pour mater les manifestations.
Un rapport officiel publié par Pékin le 29 avril, et intitulé « Travail et sécurité sociale en Chine », déclare qu'entre 1998 et 2001, plus de 25 millions d'ouvriers ont été licenciés par les entreprises d'Etat (la Banque mondiale avance le chiffre de 36 millions). Ces licenciements sont le résultat des mesures prises par le régime pour « réformer », fermer ou privatiser les usines jugées « inefficaces » selon les standards du marché capitaliste mondial. Dans un article sur les manifestations de Daqing, le Far Eastern Economic Review (4 avril) écrit que « depuis 1998, les licenciements ont provoqué des dizaines de milliers de conflits similaires, mais plus petits. Terrifié à l'idée que ces conflits puissent se transformer en un mouvement à l'échelle du pays, le gouvernement s'est employé à réprimer la dissidence et à empêcher les groupes protestataires des différentes villes et provinces d'établir des liens entre eux. »
Ce quil y a derrière les craintes du régime, on a pu le voir dans la ville de Liaoyang, où les manifestations ont coïncidé avec celles de Daqing, plusieurs centaines de kilomètres plus au nord. Des ouvriers de l'usine métallurgique des Ferro-alliages de Liaoyang, qui avait fermé ses portes, organisaient chaque jour des manifestations pour exiger le paiement des retraites et des arriérés de salaire qui leur étaient dus. Ils exigeaient aussi l'arrestation des dirigeants de l'usine, qui avaient vendu l'équipement de l'usine et empoché l'argent. Comme dans la plupart des manifestations récentes, ceux qui défilaient à Liaoyang étaient principalement des ouvriers licenciés et des retraités. Mais les rangs des manifestants ont grossi ; ils ont été rejoints par 30 000 ouvriers venus de 20 usines de la région. Un ouvrier de l'Usine chimique de Liaoyang expliquait que « cette action n'est pas organisée ; beaucoup d'ouvriers d'autres usines nous ont rejoints uniquement parce qu'ils ont les mêmes problèmes que l'usine de Ferro-alliages ».
La police, craignant de ne plus pouvoir contenir les manifestations, a arrêté quatre dirigeants ouvriers et, le 20 mars, elle a évacué plusieurs centaines de manifestants de l'enceinte de l'hôtel de ville, où ils s'étaient rassemblés pour remettre une pétition. Selon les témoins, des responsables essayaient également de désamorcer la situation en versant aux ouvriers la moitié de leurs arriérés de salaires et en annonçant qu'ils paieraient bientôt une partie des allocations chômage et des retraites. Mais les ouvriers disent qu'il ne s'agit là que d'une petite partie de ce qui leur est dû.
Les manifestations ont atteint la capitale le 27 mars, quand environ 200 retraités de l'automobile ont organisé une manifestation spectaculaire devant les Ateliers d'automobiles et de motocyclettes de Pékin, bloquant pendant plusieurs heures la circulation sur une des principales artères de la capitale. Ces retraités exigeaient que leur soient versés des arriérés de retraites, et protestaient contre le vol de la propriété de l'Etat par les cadres des entreprises. Des actions similaires se sont multipliées dans toute la Chine. En avril, les mineurs de charbon de la province de Liaoning ont bloqué à plusieurs reprises des lignes de chemin de fer pour protester contre des licenciements. Dans le sud-ouest de la Chine, un millier de métallos retraités, dont une majorité de femmes, ont bloqué deux autoroutes devant l'Usine sidérurgique de Guiyang, une entreprise d'Etat, pour protester contre le montant dérisoire de leurs retraites. Et début mai, les manifestations de protestation reprenaient à Liaoyang pour exiger la libération des quatre dirigeants ouvriers emprisonnés ; des affiches ont fait leur apparition dans des foyers pour travailleurs de Liaoyang, réclamant des enquêtes sur des cadres corrompus de l'usine.
Défense de la Chine contre la contre-révolution capitaliste !
La Révolution de 1949, malgré de profondes déformations bureaucratiques, a été une révolution sociale d'importance historique mondiale. Des centaines de millions de paysans se soulevèrent et prirent possession de la terre sur laquelle leurs ancêtres subissaient depuis des temps immémoriaux une exploitation cruelle. Le pouvoir des seigneurs de la guerre sanguinaires, des usuriers, des propriétaires terriens rapaces et de la bourgeoisie chinoise mesquine fut détruit. La révolution permit aux femmes des avancées gigantesques par rapport à leur misérable statut antérieur, symbolisé par la pratique barbare du bandage des pieds. Une nation qui avait été depuis un siècle ravagée et divisée par les puissances étrangères était unifiée et libérée du joug impérialiste.
Dans les années 1950, la République populaire de Chine instaura une économie socialisée et centralement planifiée sur le modèle de l'Union soviétique et avec l'aide de celle-ci , et l'agriculture fut collectivisée. L'économie socialisée était protégée par un monopole d'Etat du commerce extérieur, pour éviter quelle soit sapée par les importations bon marché depuis des pays capitalistes-impérialistes bien plus développés. En particulier pour les femmes, obtenir un emploi dans l'industrie d'Etat représentait un progrès tellement immense par rapport au mode de vie ancien que les familles organisaient souvent de grandes fêtes pour célébrer l'embauche d'un de leurs membres.
Cependant, la Révolution de 1949 était déformée dès l'origine, sous la férule du régime du PCC de Mao Zedong, qui représentait une caste bureaucratique nationaliste au sommet de l'économie collectivisée. Le régime de Mao, modelé sur la bureaucratie stalinienne en URSS, prêchait l'idée profondément antimarxiste que le socialisme une société sans classes et égalitaire, basée sur l'abondance matérielle pourrait être construit dans un seul pays. En pratique, le « socialisme dans un seul pays » signifiait l'opposition à la perspective de la révolution ouvrière dans le reste du monde et une politique de conciliation vis-à-vis de l'impérialisme mondial.
Le rôle fondamental de la bureaucratie de Pékin est de servir de courroie de transmission des pressions sur lEtat ouvrier quexerce le marché mondial dominé par l'impérialisme. Le caractère fragile et contradictoire de cette caste bureaucratique se manifeste dans le fait que, face à l'agitation ouvrière, le régime actuel fait souvent marche arrière sur certaines de ses « réformes » économiques, et juge occasionnellement certains des siens pour corruption, quelquefois avec une exécution à la clé.
La récente vague de manifestations a inquiété non seulement le régime de Pékin mais aussi les cercles dirigeants américains, qui caressent l'espoir d'une restauration du capitalisme à froid, « par en haut ». C'est ainsi qu'on pouvait lire ce qui suit dans un article publié dans l'influent magazine américain Business Week (8 avril), et intitulé « Les ouvriers de la Chine en colère » : « Le temps ne joue pas en faveur de Pékin. Le gouvernement ne peut pas se permettre de verser ad vitam aeternam des aides sociales aux chômeurs et aux ouvriers mécontents des industries obsolètes. Beaucoup de ceux-là ont la quarantaine et n'ont aucun espoir de trouver un nouvel emploi dans leur province. Et le cycle de fermetures d'usines et de licenciements ne va faire que s'accélérer maintenant que la Chine est membre de l'Organisation mondiale du commerce et que son secteur industriel décrépit est directement confronté à la concurrence étrangère. » L'article déplore qu'alors même que le tourisme, les télécommunications et d'autres secteurs de l'économie sont ouverts aux investissements étrangers, « les manifestations forcent Pékin à ralentir la restructuration industrielle » pour tenter de préserver la stabilité sociale.
A sa manière, Business Week reconnaît certaines vérités fondamentales sur ce qu'est aujourd'hui la République populaire de Chine. Premièrement, la campagne pour restaurer le capitalisme rencontre une forte résistance de la classe ouvrière. Deuxièmement, la peur de l'agitation sociale freine les tendances restaurationnistes au sein de la bureaucratie au pouvoir.
L'impérialisme américain est déterminé à détruire la Révolution de 1949 d'une manière ou d'une autre et à réduire à nouveau la Chine à un statut d'asservissement semi-colonial. A cette fin, la classe dirigeante américaine combine l'exploitation des ouvertures économiques offertes par Pékin et l'accroissement de la pression militaire. Le Pentagone a récemment augmenté son aide militaire à Taïwan, un Etat capitaliste maintenu depuis plus d'un demi-siècle comme bastion anticommuniste. Les Etats-Unis, en résultat de leur guerre contre l'Afghanistan, ont accru leur présence militaire dans les territoires asiatiques entourant la Chine, au nom de la « guerre planétaire contre le terrorisme ». Ceci s'ajoute à plus de 80 000 soldats stationnés en Corée du Sud et au Japon, qui constituent une épée de Damoclès visant les Etats ouvriers déformés chinois, nord-coréen et vietnamien. Bush met en uvre son projet de système de « défense antimissiles » pour faciliter une première frappe nucléaire contre la Chine, qui possède un arsenal limité mais efficace d'armes nucléaires à longue portée. La provocation de l'avion-espion américain qui s'est déroulée l'année dernière est emblématique du bellicisme américain envers la Chine, et elle a provoqué dans la population chinoise une vague de colère contre l'impérialisme US.
La Ligue communiste internationale se prononce pour la défense militaire inconditionnelle de l'Etat ouvrier déformé chinois contre l'impérialisme et la contre-révolution capitaliste. C'est au prolétariat chinois qu'il incombe de balayer la bureaucratie stalinienne, qui a gravement sapé le système de propriété nationalisée hérité de la Révolution de 1949. Comme nous l'écrivions dans un article intitulé « Révolte des mineurs chinois contre les "réformes de marché" » (le Bolchévik n° 153, été 2000), écrit après la révolte de 20 000 mineurs et de leurs familles dans le nord-est de la Chine :
« La bureaucratie qui pave la voie à la contre-révolution capitaliste prépare simultanément le terrain à une nouvelle explosion révolutionnaire prolétarienne non pas une révolution sociale qui renverserait les bases économiques de la société, comme en 1949, mais une révolution politique pour chasser l'oligarchie dirigeante parasite et placer le pouvoir politique entre les mains de conseils (soviets) d'ouvriers, de paysans et de soldats. La tâche urgente à laquelle le prolétariat est confronté est de construire un parti léniniste-trotskyste, partie intégrante d'une Quatrième Internationale trotskyste reforgée, pour préparer et diriger cette révolution politique à la tête des masses et canaliser les luttes ouvrières spontanées et localisées vers la prise du pouvoir politique. »
Bolchévisme contre stalinisme
Dans un article perspicace publié dans la revue Nation (4 mars), Jiang Xueqin, qui a passé plusieurs mois à parcourir la Chine, écrit que « contrairement à l'idée répandue en Occident que les Chinois ordinaires profitent du marché libre, les Chinois estiment que leur gouvernement et l'élite de la nation complotent pour les vendre pour une bouchée de pain aux impérialistes, c'est-à-dire aux Américains. La frustration engendrée par la politique économique du gouvernement est maintenant inextricablement mêlée à un sentiment anti-occidental qui se développe rapidement. » Jiang note également que feu Mao Zedong est une figure « de plus en plus populaire ». De fait, les manifestants qui défilaient en avril à Liaoyang brandissaient des portraits de Mao, comme l'avaient fait les ouvriers sur la place Tiananmen en 1989.
L'époque de Mao peut assurément apparaître comme égalitaire comparée à aujourd'hui, où des cadres dirigeants dépensent l'équivalent du revenu annuel d'un ouvrier retraité pour un banquet avec des businessmen de Hongkong ou d'Amérique. La Révolution de 1949 est un souvenir vivant pour les familles chinoises, qui ont presque toutes des parents ou des grands-parents ayant connu la meurtrière occupation japonaise et la guerre civile contre le régime haï du Guomindang de Chiang Kai-shek (Tchang-Kaï-chek), qui était soutenu par l'impérialisme américain.
Mais il est vital de comprendre le caractère antiprolétarien du régime du PCC de Mao. La Révolution chinoise était fondamentalement différente de la révolution d'Octobre 1917 en Russie, qui avait été accomplie par un prolétariat conscient, sous la direction du Parti bolchévique de Lénine et Trotsky. La révolution d'Octobre avait instauré un gouvernement basé sur la démocratie prolétarienne le pouvoir des soviets (conseils) d'ouvriers, de paysans et de soldats. Les bolchéviks voyaient la révolution dans la Russie arriérée comme le premier pas d'une révolution socialiste mondiale, particulièrement dans les pays capitalistes avancés.
Cependant, la défaite en 1923 de la Révolution allemande tant attendue démoralisa la classe ouvrière soviétique, qui avait été décimée par la destruction de l'industrie et de l'infrastructure quavaient provoquée la Première Guerre mondiale et la guerre civile sanglante de 1918-1920. Avec la fin de la guerre civile, les tendances bureaucratiques dans le parti et l'administration d'Etat commencèrent à se cristalliser dans une couche bureaucratique. En 1923, Lénine était de plus en plus diminué physiquement. La bureaucratie du parti en plein développement, contrôlée par J.V. Staline, commençait à prendre conscience delle-même. A l'automne de cette année, une Opposition de gauche hétéroclite, dirigée par Léon Trotsky, ouvrit les hostilités contre la montée du bureaucratisme et réclama un programme d'industrialisation planifiée. Le débat qui s'ensuivit dans la presse du parti fut bientôt étouffé. La Conférence du Parti convoquée pour janvier 1924 fut tellement truquée qu'il ne fut accordé à l'Opposition que trois délégués alors même qu'elle avait remporté 25 à 30 % des voix dans les organisations du parti de Moscou et de Pétrograd.
Même si cela n'apparut de façon claire que rétrospectivement, cette conférence marqua le début du Thermidor soviétique, le point décisif où la caste bureaucratique confisqua le pouvoir politique à la classe ouvrière soviétique (voir « Bilan critique Trotsky et l'Opposition de gauche russe », Spartacist édition française n° 34, automne 2001). A partir de ce moment, ceux qui dirigeaient l'URSS, la manière dont l'URSS était dirigée, et les objectifs en vue desquels elle était dirigée, tout cela changea. La vision nationaliste de la bureaucratie trouva son expression dans la proclamation par Staline à lautomne 1924 de la « théorie » antimarxiste du « socialisme dans un seul pays ».
Contrairement à la Révolution bolchévique de 1917, la Révolution de 1949 en Chine fut le résultat d'une guerre de guérilla victorieuse dirigée par le PCC et l'Armée populaire de libération (APL), qui exclut dès le début le prolétariat du pouvoir politique. A la différence de la bourgeoisie russe, qui avait été de facto détruite en tant que classe possédante, la bourgeoisie chinoise a réussi à survivre en tant que classe cohérente en s'installant à Taïwan, à Hongkong et d'autres endroits dans la zone du Pacifique sous la protection de l'impérialisme américain et britannique. La Révolution chinoise n'en fut pas moins une énorme défaite pour les impérialistes, défaite confirmée par l'intervention de l'APL dans la guerre de Corée en 1950-1953, qui empêcha que la Corée du Nord soit submergée par les impérialistes américains et leur régime fantoche de la Corée du Sud.
La banqueroute du maoïsme
Marqué par un volontarisme et un aventurisme économique extrêmes, le pouvoir maoïste chercha à transformer le pays pauvre qu'était la Chine en une puissance mondiale « socialiste » au moyen de l'autarcie économique dans le cadre d'une économie bureaucratiquement centralisée. Dans cette perspective nationaliste étaient contenus les germes de la mise en uvre des « réformes de marché » par la bureaucratie sous le règne de Deng Xiaoping, qui, lui aussi, cherchait à hisser la Chine au statut de « grande puissance ». Aujourd'hui, le noyau central de la bureaucratie ne garde aucun attachement subjectif à l'ordre socialiste ; elle préserve la propriété collectivisée uniquement dans la mesure où elle craint le prolétariat.
L'époque de Mao était loin d'être égalitaire et socialiste. Le « grand bond en avant » fut une tentative d'industrialisation à marche forcée en utilisant le travail des seules masses paysannes. Un épisode caractéristique fut la construction de milliers de petits « hauts fourneaux des cours de ferme » dans les villages. Cette aventure économique se termina par un effondrement économique total, et conduisit à une famine dévastatrice. La « grande révolution culturelle prolétarienne » de Mao en 1966-1976 une lutte de factions convulsive au sein de la bureaucratie, lancée par Mao pour regagner l'autorité qu'il avait perdue après le fiasco du « grand bond en avant » désorganisa l'économie et mit l'éducation au point mort. Le caractère antiprolétarien de la « révolution culturelle » se manifesta notamment par le recours aux « gardes rouges » pour briser une grève générale menée par les cheminots à Shanghaï en 1967. Confrontée aux ravages provoqués par les « dix années perdues », la bureaucratie, deux ans après la mort de Mao en 1976, se tourna vers Deng Xiaoping, qui engagea les « réformes de marché » au nom de la modernisation du pays.
Bien que Mao et Deng soient souvent présentés comme radicalement opposés, ils sont en fait les deux faces de la même médaille, comme on l'a vu avec l'alliance antisoviétique de la Chine avec l'impérialisme US. Après plusieurs années d'affrontements nationalistes entre les bureaucraties de Moscou et de Pékin, Mao déclara à la fin des années 1960 que le « social-impérialisme soviétique » représentait un danger encore plus grand que les Etats-Unis. En 1972, Mao accueillait en grande pompe le président américain Richard Nixon à Pékin, au moment même où les avions américains bombardaient le Vietnam. Renforçant cette alliance, le régime de Deng travailla en tandem avec la CIA pour aider les tueurs moudjahidins afghans qui combattaient contre la présence de l'armée soviétique en Afghanistan dans les années 1980 (voir « China and the US "War on Terror" » [« La Chine et la "guerre contre le terrorisme" américaine », Workers Vanguard n° 776, 8 mars]). L'alliance antisoviétique de la Chine avec les Etats-Unis apporta une contribution cruciale aux efforts de l'impérialisme pour détruire l'Etat ouvrier dégénéré soviétique, qui constituait le contre-poids militaire à l'impérialisme US. Cette alliance antisoviétique a aussi jeté les bases de la pénétration économique impérialiste dans l'Etat ouvrier déformé chinois.
Actuellement, le régime de Pékin prêche que la Chine doit devenir une puissance forte et moderne à travers une plus grande intégration dans le marché mondial capitaliste. Ce rêve nationaliste vise à tromper les masses qui se détournent de plus en plus de la bureaucratie. Il sert aussi à tisser des liens commerciaux et en fin de compte politiques et sociaux avec la bourgeoisie chinoise expatriée. Depuis le début des « réformes de marché », le régime de Deng a fait appel avec insistance aux capitalistes chinois. Les ZES ont été établies initialement près de Hongkong et de Macao et le long de la côte en face de Taïwan, dans le but d'encourager les investissements des capitalistes chinois expatriés, qui conservent des liens linguistiques et familiaux avec ces régions. Après 1979, la bourgeoisie expatriée représentait 80 % des investissements étrangers en Chine continentale, et elle en représente aujourd'hui plus de la moitié. Les liens de la classe capitaliste chinoise expatriée avec le continent constituent un canal utile pour les investissements occidentaux et japonais en Chine.
La plus grande partie des investissements du capital chinois a été réalisée en partenariat avec les « princes héritiers », les fils et les filles des grosses légumes du gouvernement de Pékin et des hauts responsables du PCC. Jasper Becker, dans son livre The Chinese (Free Press [2000]), décrit ainsi la couche des jeunes Chinois privilégiés qui ont étudié à l'étranger :
« Ils sont passés par les mêmes universités américaines que les enfants des capitalistes et des responsables du KMT [Guomindang] qui ont fui à Hongkong ou à Taïwan en 1949, et ils partagent maintenant le même mode de vie et les mêmes aspirations. Beaucoup soit possèdent leurs propres entreprises, soit sont associés dans des joint-ventures avec ces capitalistes chinois expatriés. Ils voyagent à l'étranger, ont souvent une grande partie de leur fortune mise à l'abri à l'étranger, ou possèdent un passeport étranger. On peut se demander ce qu'ils feront de leur fortune et de leur pouvoir quand les anciennes générations quitteront la scène, mais il est possible qu'ils puissent conduire la Chine dans la direction politique qu'ont inaugurée Taïwan et Hongkong. »
« Socialisme de marché » et contre-révolution
Le changement de cours économique, de la centralisation bureaucratique sous Mao au « socialisme de marché » sous Deng et Cie, reflète une tendance générale, sous le régime stalinien, à « rationaliser » l'économie par la décentralisation. La planification centralisée, telle qu'elle est pratiquée par une bureaucratie parasitaire et incontrôlée, gaspille inévitablement les ressources économiques et engendre une évidente inefficacité. Les directeurs d'usines minorent souvent délibérément les capacités de production réelles, de manière à ce qu'on leur assigne des objectifs de production faciles à atteindre. Les objectifs du plan sont atteints en termes quantitatifs, mais au prix d'une qualité médiocre et d'une grande uniformité des produits. Les administrateurs et les gestionnaires de l'économie rechignent à utiliser des technologies nouvelles, de peur d'être sanctionnés si celles-ci ne marchent pas.
Dans son analyse classique de la bureaucratie soviétique, la Révolution trahie (1937), Trotsky insistait sur les limites inhérentes au centralisme bureaucratique :
« Mais plus on ira, plus on se heurtera au problème de la qualité et celui-ci échappe à la bureaucratie comme une ombre. La production semble marquée du sceau gris de l'indifférence. Dans l'économie nationalisée, la qualité suppose la démocratie des producteurs et des consommateurs, la liberté de critique et d'initiative, toutes choses incompatibles avec le régime totalitaire de la peur, du mensonge et de la louange. »
Dans la Chine de Deng, la bureaucratie s'est tournée vers le « socialisme de marché » en suivant les exemples de la Yougoslavie et de la Hongrie. Les administrateurs et les gestionnaires de l'économie ont commencé à être rémunérés ou pénalisés sur la base des bénéfices commerciaux ou des pertes. La menace des fermetures d'usines et des licenciements était aussi un moyen de faire respecter la discipline du travail parmi les ouvriers. En même temps l'agriculture était décollectivisée et remplacée par le « système de responsabilité des ménages », c'est-à-dire par la petite propriété paysanne. La pression de la concurrence sur le marché a inévitablement eu pour résultat le développement d'une petite classe de riches fermiers coexistant avec des millions de paysans pauvres. C'est là l'origine de l'énorme masse de travailleurs migrants, que lon évalue à plus de 200 millions, qui affluent dans les villes pour y chercher du travail.
Le « socialisme de marché » affaiblit inévitablement l'économie collectivisée, et renforce les forces de la contre-révolution capitaliste. En Yougoslavie, la décentralisation avait grandement aggravé les inégalités et les conflits économiques (par exemple pour l'accès aux réserves de devises) entre la Serbie, la Croatie et les autres républiques nationales, pavant la voie aux guerres fratricides sanglantes du début des années 1990 qui ont détruit l'Etat ouvrier déformé yougoslave. En Union soviétique, les attaques menées par Gorbatchev contre la planification centralisée au milieu des années 1980, à l'enseigne de la perestroïka (restructuration), ont provoqué le chaos économique et une baisse brutale du niveau de vie. Ceci a créé des conditions favorables pour la contre-révolution capitaliste qui a détruit l'URSS en 1991-1992 sous la direction de Boris Eltsine (un ex-lieutenant de Gorbatchev) et avec le soutien actif de Washington.
Néanmoins, beaucoup d'intellectuels et d'étudiants chinois croient la ligne de la bureaucratie comme quoi la « discipline » apportée par les mesures de marché et l'accord commercial récemment conclu avec l'OMC sont nécessaires pour que la Chine se développe et devienne une puissance industrielle moderne, et pour que sa population engrange les bénéfices matériels de la croissance économique. Quiconque pense que le « libre marché » apportera l'abondance à la Chine n'a qu'à regarder l'ex-Union soviétique, où la restauration du capitalisme a apporté une misère affreuse et des affrontements inter-ethniques sanglants. Et les intellectuels et le personnel avec une formation technique n'y ont pas tiré leur épingle du jeu : après l'écroulement de la structure technique et médicale de la société, les physiciens et les médecins soviétiques se sont retrouvés conduisant des taxis à New York, pour ceux qui avaient de la chance.
Si c'est ce qui est arrivé à l'URSS, qui était une puissance industrielle et militaire mondiale, une Chine capitaliste soumettrait la grande masse de sa population à une misère bien plus grande, et ses intellectuels seraient réduits au statut dégradant qui était le leur dans la société pré-révolutionnaire. La restauration du capitalisme apporterait non seulement un effondrement économique et la paupérisation, mais aussi le danger d'un éclatement du pays et d'un chaos politique sanglant. Quelles que soient les illusions nationalistes de certains étudiants chinois, les quelques grandes puissances impérialistes qui dominent l'économie mondiale n'ont aucune intention de permettre à la Chine de devenir une « grande puissance ». Il n'y a qu'à regarder la Corée du Sud. Tant que l'Union soviétique existait, l'impérialisme US a fait en sorte de soutenir le régime de Séoul en tant que bastion anticommuniste, en lui permettant de développer des chantiers navals et une industrie automobile. Mais quand la crise financière asiatique a éclaté, en 1997, plusieurs années après la destruction de l'URSS, les dirigeants américains et japonais ont coupé les vivres à l'économie sud-coréenne.
Les « réformes de marché » de Pékin ont déjà donné à la classe ouvrière un avant-goût de ce que signifierait la restauration du capitalisme, et les ouvriers ont réagi avec une série de vagues de grèves et de manifestations. Cette lutte doit être une lutte pour une révolution politique, pour instaurer un régime de démocratie ouvrière déterminé à revitaliser l'économie planifiée, restaurer un strict monopole d'Etat du commerce extérieur et exproprier les holdings capitalistes qui ont pris pied dans le pays.
Une Chine révolutionnaire des conseils d'ouvriers et de paysans serait confrontée à une réaction impérialiste hostile. Mais une révolution politique prolétarienne galvaniserait aussi la classe ouvrière au niveau international, et pulvériserait le mensonge de la « mort du communisme » que colportent les classes dirigeantes bourgeoises depuis l'écroulement de l'URSS.
Une révolution politique en Chine, conduite sous la bannière de l'internationalisme prolétarien, ébranlerait vraiment le monde. Elle radicaliserait le prolétariat du Japon, le cur industriel de l'Extrême-Orient, et encouragerait les luttes révolutionnaires des ouvriers et des paysans dans toute l'Asie. Elle déclencherait une lutte pour la réunification révolutionnaire de la Corée par une révolution politique dans le Nord assiégé et une révolution socialiste dans le Sud. C'est seulement en renversant le pouvoir de la classe capitaliste au niveau international, en particulier dans les centres impérialistes d'Amérique du Nord, d'Europe de l'Ouest et du Japon, qu'on pourra jeter les bases d'une modernisation et d'un développement général de la Chine, partie intégrante d'une Asie socialiste. C'est pour donner la direction dont le prolétariat a besoin dans ces luttes que la LCI s'emploie à reforger la Quatrième Internationale de Trotsky le parti mondial de la révolution socialiste.
Les fruits mortels des « réformes de marché »
Un facteur clé dans le déclenchement de l'agitation ouvrière des trois dernières années a été la décision prise par le 15e Congrès national du PCC, en 1997, de privatiser un grand nombre de compagnies de taille petite et moyenne, et de soumettre beaucoup d'entreprises d'Etat plus importantes à des mesures de marché. Historiquement ce sont ces entreprises elles-mêmes, et non le gouvernement central, qui ont à leur charge de fournir les prestations sociales aux ouvriers. Quand les entreprises sont déclarées « en faillite », ou même quand elles sont confrontées à des réductions significatives de leurs subventions, ce ne sont pas seulement les emplois des ouvriers qui sont menacés, mais aussi des prestations sociales comme l'assurance maladie. Le système de retraites centralisé mis en place en 1995 est tellement sous-financé qu'il est souvent incapable de payer les retraites des ouvriers, provoquant ainsi une bonne partie de l'agitation ouvrière actuelle.
La corruption des responsables aggrave considérablement le sort des ouvriers. Beaucoup dusines parmi les plus anciennes sont déclarées en faillite uniquement pour que les ex-directeurs volent les actifs de l'entreprise ou les vendent à des investisseurs privés. Les directeurs, qu'une forte pression incite à faire apparaître des profits, s'arrangent souvent pour que les prêts des banques d'Etat soient utilisés non pour améliorer les méthodes de production ou pour augmenter les fonds destinés aux prestations sociales, mais pour investir dans l'immobilier et spéculer en Bourse.
Les ouvriers de l'automobile de Pékin ont déclenché leurs manifestations après la fermeture de leur usine, qui faisait jadis partie d'une société d'Etat. Après sa fusion avec la société américaine General Motors, en 1983, pour former la première joint-venture chinoise, Beijing Jeep, la nouvelle société a mis la main sur une grande partie des actifs de l'usine. Ceci a eu pour conséquence une réduction de la production, jusqu'à son arrêt complet avec le licenciement ou la mise à la retraite anticipée de 5 000 ouvriers. Aujourd'hui, les constructeurs automobiles japonais transfèrent de plus en plus leur production vers des joint-ventures en Chine, où les salaires sont beaucoup plus bas qu'au Japon.
Les manifestations de Daqing sont le résultat de la décision de Pékin, en 1998, de transférer la propriété d'une grande quantité de gisements pétroliers à PetroChina Ltd., une filiale de la société des pétroles d'Etat qui a par la suite émis des actions pour lever des fonds. L'introduction de PetroChina à Wall Street, la Bourse américaine, a donné lieu à une campagne de protestations menée par une cabale anticommuniste conduite par la bureaucratie syndicale de l'AFL-CIO, et incluant des écologistes libéraux et le mouvement pour le « Tibet libre » parrainé par la CIA. Ceci n'avait rien à voir avec la défense des intérêts des ouvriers des champs pétroliers de Daqing, qui se sont fait voler leurs prestations sociales pour arrondir les marges bénéficiaires de PetroChina. Au contraire, ces actions de protestation faisaient partie intégrante de la campagne protectionniste des dirigeants syndicaux pro-impérialistes contre l'adhésion de la « Chine communiste » à l'OMC.
La lutte pour défendre l'industrie nationalisée contre les privatisations et les fermetures d'usines est une question de vie ou de mort pour le prolétariat chinois. C'est littéralement le cas dans l'industrie du charbon la plus grande du monde , où le nombre de tués atteint jusqu'à 10 000 par an, et où l'on annonce presque chaque semaine de nouveaux éboulements de mines. Ces chiffres de mortalité effroyables sont le résultat direct des réductions budgétaires dans les puits étatisés et de la prolifération des mines détenues par des entrepreneurs privés et par des entreprises municipales et de village (les EMV). Le Los Angeles Times (23 janvier) rapporte que « Les mineurs d'hier étaient des employés d'Etat, des piliers relativement bien payés et respectés de la patrie socialiste. Aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux à travailler pour des mines privées, avec des règles de sécurité minimales ou absentes ; ils subsistent ainsi dans lombre de la nouvelle économie, avec la chance d'avoir au moins un travail. »
Les ouvriers des mines d'Etat, qui utilisent un équipement relativement sophistiqué et suivent des règles de sécurité contraignantes, ont typiquement au moins trois mois de formation. Mais, comme le note l'article du Los Angeles Times, les mines gérées de façon privée ont dans une large mesure recours à des ouvriers non formés, principalement des travailleurs migrants. Sans aucune considération pour la vie des ouvriers, les dirigeants des mines privées creusent autant de puits que possible, aménagent moins de sorties et font fonctionner moins de ventilateurs qu'il nen faut pour évacuer les émanations naturelles de gaz la cause, selon un rapport, de la moitié des explosions dans des mines. Un mineur retraité décrit ce qui se passe d'habitude à lannonce dune rare inspection: « Quand les inspecteurs viennent, ils sont souvent conduits directement à un banquet et lestés d'enveloppes rouges remplies de billets. Deng Xiaoping disait "laissons d'abord s'enrichir quelques personnes". Ils s'enrichissent effectivement, en violant la loi. »
La bureaucratie a encouragé le développement des entreprises municipales et de village dans le cadre de la décentralisation économique. Descendant des industries rurales qui accompagnaient l'agriculture collectivisée, les EMV n'ont dans bien des cas de « collectif » que le nom. Elles emploient une main-d'uvre mal payée pour produire des chaussures, des textiles et autres produits du même genre, elles ne sont pas obligées de fournir les prestations sociales dont bénéficient les ouvriers dans l'industrie d'Etat. Depuis des années, les EMV font une concurrence féroce aux usines d'Etat qui produisent le même genre de marchandises, et ces dernières années leur production égalait presque celle de l'industrie d'Etat. Pékin a récemment pris des mesures pour reprendre en main ces entreprises, fermant par exemple des dizaines de milliers de mines dangereuses. Beaucoup d'EMV non rentables ont fermé leurs portes ; d'autres ont été carrément rachetées par des investisseurs privés. Un parti léniniste-trotskyste appellerait à restaurer les prestations sociales garanties pour les ouvriers de l'industrie d'Etat, et à les étendre à ceux des EMV.
On rapporte peu de luttes ouvrières dans les EMV, qui sont isolées et dispersées dans l'intérieur du pays. Il n'en va pas ainsi dans les « zones économiques spéciales », qui comptent des concentrations d'usines modernes et sont souvent situées près de grandes villes comme Hongkong et Canton (Guangzhou). En avril, plus d'un millier d'ouvriers ont occupé une usine de jouets située dans la province du Guangdong et propriété d'une société de Hongkong qui fournit la chaîne de grands magasins américains Wal-Mart et d'autres firmes occidentales. Ces ouvriers avaient été licenciés sans être payés, une pratique qui n'est pas rare chez les patrons des ZES, qui agissent de connivence avec les responsables locaux.
Il faut chasser les capitalistes des ZES et du pays tout entier. Ceci pose la question de la formation de conseils d'ouvriers et de paysans pour chasser la bureaucratie parasite. Défendez et étendez l'économie planifiée et collectivisée ! Expropriez sans compensation les possessions des sangsues impérialistes et des capitalistes chinois expatriés !
Un régime basé sur des conseils d'ouvriers et de paysans ferait l'inverse de la politique du régime actuel, qui consiste à encourager la propriété privée dans les campagnes et qui a engendré une couche d'exploiteurs ruraux. Il interdirait ou restreindrait l'embauche de main-d'uvre et la location de terres supplémentaires par des paysans riches, et encouragerait la recollectivisation de l'agriculture. Il ne s'agit pas de revenir aux communes agricoles de Mao, qui étaient essentiellement des agrégats d'exploitations paysannes arriérées. Pour que la masse des paysans chinois abandonnent leurs lopins privés en faveur de fermes collectives, ils devront être convaincus que cela se traduira par un niveau de vie plus élevé pour eux et leurs familles. C'est pourquoi un gouvernement ouvrier chinois offrirait des réductions d'impôts et du crédit bon marché aux paysans qui rejoindraient les exploitations collectives. Mais comme l'écrivait Trotsky dans un article de février 1930 intitulé « L'aventurisme économique, ses conséquences et ses dangers » :
« La collectivisation productive de l'agriculture sous-entend une base technique bien déterminée. L'économie collective est avant tout l'exploitation des grandes entreprises agricoles. L'importance rationnelle de l'exploitation est déterminée par le caractère des moyens et méthodes qui président à la production. Pas plus qu'on ne pourrait construire un navire en additionnant des barques de pêcheurs, on ne peut édifier de grandes exploitations agricoles avec les charrues et les haridelles des paysans tout unifiées qu'elles soient. La collectivisation de l'économie rurale ne peut être que le résultat de la substitution du matériel mécanique aux instruments primitifs actuels.
« Il s'ensuit que le degré d'industrialisation du pays détermine l'angle de possibilité de la collectivisation de l'économie rurale. »
Trotsky avait écrit ce texte en réponse à la politique de collectivisation forcée menée par la bureaucratie stalinienne soviétique, qui depuis des années cherchait à se concilier les paysans riches (koulaks), qui avaient fini par représenter une menace contre-révolutionnaire immédiate pour l'Etat ouvrier. Les problèmes de la collectivisation abordés par Trotsky sont encore plus aigus dans la Chine d'aujourd'hui. L'écrasante majorité de la population vit dans les campagnes, où les méthodes de production sont encore primitives et où il y a peu d'infrastructure moderne.
Une collectivisation et une modernisation rationnelles de l'agriculture chinoise signifieraient une transformation profonde de la société. L'introduction de technologies modernes dans les campagnes des moissonneuses-batteuses aux engrais chimiques en passant par toute la gamme des techniques de l'agriculture scientifique a pour condition une base industrielle qualitativement supérieure à celle qui existe actuellement. Réciproquement, une augmentation de la productivité dans l'agriculture créerait le besoin d'un développement massif des emplois urbains, pour absorber l'énorme surplus de main-d'uvre devenue superflue dans les campagnes. Il est clair que ceci serait un processus de longue haleine, étant donné en particulier la taille limitée et la productivité relativement faible de la base industrielle existante en Chine. Le rythme, et en dernière analyse la faisabilité même de cette perspective dépendent de l'aide que la Chine recevrait d'un Japon ou d'une Amérique socialistes, ce qui souligne une fois encore la nécessité d'une révolution prolétarienne internationale.
Dans sa réfutation de la doctrine stalinienne de la « construction du socialisme dans un seul pays », le dirigeant bolchévique Léon Trotsky insistait sur le fait que la menace que les forces de l'impérialisme faisaient peser sur l'Union soviétique n'était pas juste militaire, mais plus fondamentalement encore économique :
« Par les chiffres des exportations et des importations, le monde capitaliste nous montre qu'il a, pour réagir, d'autres armes que l'intervention militaire. Dans les conditions du marché, la productivité du travail et du système social dans son ensemble étant mesurée par le rapport des prix, l'économie soviétique est sous la menace bien davantage dune intervention de marchandises capitalistes à bon marché que dune intervention militaire. »
l'Internationale communiste après Lénine (1928)
De fait, la pression militaire et économique sans relâche de l'impérialisme a provoqué la disparition de l'Etat ouvrier dégénéré soviétique, qui a été détruit par la contre-révolution capitaliste en 1991-1992.
L'arme principale dont dispose un Etat ouvrier relativement isolé et relativement arriéré économiquement contre l'intervention des marchandises bon marché, c'est le monopole d'Etat du commerce extérieur c'est-à-dire un strict contrôle des importations et des exportations par le gouvernement. Cependant, les mesures allant dans le sens de la décentralisation de l'économie planifiée et collectivisée de la Chine, introduites par Deng Xiaoping et ses successeurs, ont conduit à une érosion du monopole d'Etat du commerce extérieur. On a donné à des milliers de grandes entreprises d'Etat (ainsi que de firmes étrangères et de joint-ventures) une grande latitude pour importer matières premières et équipements. Le régime de Pékin cherche à protéger l'industrie d'Etat, et aussi l'agriculture, qui est basée sur les petits paysans, de l'impact direct de la concurrence capitaliste étrangère ; il se sert pour cela de droits de douane, de subventions, de licences d'importation, de limites à l'accès aux devises étrangères et d'autres palliatifs du même genre.
Mais ces mesures ne peuvent pas fondamentalement protéger l'économie chinoise contre les puissances impérialistes dominantes. La Révolution de 1949, qui avait renversé la bourgeoisie chinoise et chassé les impérialistes, avait conduit à la création d'une économie centralement planifiée et au monopole du commerce extérieur, avec comme résultat un progrès social massif, y compris le développement de l'industrie. Mais, face aux économies des Etats-Unis, du Japon et de l'Europe de l'Ouest, l'industrie chinoise, avec une productivité du travail relativement faible, ne peut être compétitive sur le marché mondial. En abandonnant le monopole d'Etat du commerce extérieur, la bureaucratie de Pékin ouvre l'économie de la Chine à des pressions impérialistes encore plus importantes.
Avec l'adhésion récente de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les impérialistes occidentaux et japonais exigent que les barrières commerciales qui existent encore en Chine soient éliminées ou radicalement réduites. Pékin a pour la première fois accordé à une banque étrangère la Citibank américaine le droit de fournir des réserves de devises étrangères à des clients chinois. Le régime a promis d'éliminer à terme toutes les restrictions qui empêchent les banques étrangères de proposer des services dans la monnaie locale aux clients chinois. Ces mesures donneront aux banquiers occidentaux et japonais des points de contact directs en Chine avec les entrepreneurs, les hommes d'affaires ruraux et autres forces favorables à la restauration du capitalisme.
Pendant ce temps, les Etats-Unis imposent des droits de douane allant jusqu'à 30 % sur les importations d'acier en provenance de Chine et d'autres pays ! Plusieurs pays exportateurs d'acier, confrontés au protectionnisme américain et décidés à profiter de la réduction des droits de douane chinois dans le cadre de l'accord sur l'OMC, ont fortement augmenté leurs exportations vers la Chine, faisant ainsi dégringoler les revenus de la plus importante société sidérurgique chinoise, Baoshan Iron & Steel.
Les porte-parole du régime déclarent ouvertement que le processus d'ajustement de l'économie aux conditions de la concurrence internationale stipulées par l'OMC, va conduire au cours des trois prochaines années à un triplement du taux de chômage, qui est déjà en hausse ; et ils déclarent que jusqu'à dix millions d'ouvriers perdront leur emploi chaque année. Ce chiffre pourrait même être sous-évalué. Les banquiers et les universitaires occidentaux estiment que le taux de chômage est actuellement autour de 9 à 10 %. Dans les villes de la région de lindustrie lourde sinistrée, on l'estime habituellement à 25 %. Contrairement à ce qui se passe dans les sociétés capitalistes, les industries d'Etat chinoises sont censées maintenir les prestations sociales pour les ouvriers licenciés ; personne n'est expulsé de son logement subventionné. Mais les entreprises d'Etat subissent une forte pression qui les pousse à réduire ce genre de prestations sociales, car les banquiers étrangers exigent que le gouvernement central cesse de renflouer ces entreprises.
C'est parmi la paysannerie que l'OMC fera les plus grands ravages, à mesure que les droits de douane sur les produits étrangers seront fortement réduits. D'après certaines estimations, jusqu'à 40 millions de paysans chinois seraient déplacés si les exigences de l'OMC sont appliquées. Etant donné le caractère arriéré des techniques agricoles chinoises, même les fermiers relativement aisés seraient incapables de concurrencer les produits importés des pays capitalistes avancés. Les régions les plus pauvres du Nord et de l'Ouest, qui incluent la plus grande partie des minorités ethniques de la Chine, seraient particulièrement touchées, ce qui aggraverait l'écart de niveau de vie qui se creuse entre l'arrière-pays rural et les régions côtières de l'Est en plein boom. De plus, du fait que depuis le milieu des années 1980 les responsables locaux sont chargés de récolter les fonds nécessaires aux services publics, la population rurale subit des impôts exorbitants, notamment sous forme d'amendes, qui servent aussi à remplir les poches de responsables corrompus. Ceci a eu pour résultat une flambée de manifestations et d'émeutes paysannes.
Cependant, les effets réels de l'adhésion de la Chine à l'OMC ne sont pas déterminés à lavance. Les règles édictées par l'OMC pour le commerce entre pays membres, de même que tous les autres accords internationaux entre Etats souverains, ne s'imposent pas d'elles-mêmes, et sont en général appliquées avec des infractions. Les gouvernements signataires se déclarent officiellement d'accord pour respecter les règles et les décisions de l'OMC et, si nécessaire, pour modifier en conséquence leur politique existante. Mais si un Etat membre viole ces règles, ouvertement ou subrepticement, ses partenaires commerciaux n'ont d'autre recours que d'exercer des représailles économiques (exactement comme avant que l'OMC n'existe). C'est ainsi que l'Union européenne menace maintenant d'augmenter les droits de douane sur toute une gamme d'importations américaines, en représailles contre la récente augmentation des droits de douane américains sur l'acier décidée par Bush (une augmentation qui violait incontestablement les règles de l'OMC).
De toute évidence, la direction actuelle de la bureaucratie stalinienne chinoise n'a pas adhéré à l'OMC avec l'intention de violer ses règles et de se mettre ainsi à dos les classes dirigeantes américaine, japonaise et européennes. Mais la crainte grandissante de l'agitation sociale intérieure peut la pousser à le faire.
Il y a trois ans, Mark Groombridge et Claude Barfield, deux économistes américains de droite, ont publié sur l'adhésion de la Chine à l'OMC, alors en cours de négociation, un livre où ils exprimaient leur scepticisme sur la possibilité que les dirigeants chinois soumettent les entreprises d'Etat (EE) à une concurrence internationale sans restriction :
« Les auteurs considèrent qu'il est naïf de penser que la Chine permettra aux EE de prendre des décisions basées uniquement sur des considérations commerciales. La Chine tente de restructurer ses EE depuis 1978, en faisant de cette restructuration une priorité absolue depuis 1984. Bien que des progrès considérables aient été accomplis dans certains cas, il est clair que les facteurs commerciaux ne sont pas les seules considérations : des facteurs politiques et sociaux, ainsi que des facteurs économiques douteux comptent également. Politiquement, certains dirigeants chinois considèrent toujours les EE comme un outil pour protéger les dirigeants de l'Etat contre des forces intérieures et étrangères hostiles, en préservant le contrôle des ressources stratégiques. »
Tiger by the Tail : China and the World Trade Organization [Le tigre par la queue : la Chine et l'Organisation mondiale du commerce] (1999)
L'inquiétude des auteurs, c'est que si le gouvernement chinois ne restructure pas son économie selon les diktats de Wall Street et de Washington, « l'OMC sera confrontée après l'adhésion de la Chine, pendant plusieurs années, à des dysfonctionnements et des soubresauts débilitants ».
A leur manière, ces idéologues de droite reconnaissent que la Chine n'est pas actuellement un Etat capitaliste. Les effets économiques réels de l'adhésion seront déterminés par la lutte de la classe ouvrière chinoise et des travailleurs ruraux contre les privations provoquées par les « réformes de marché » introduites par la bureaucratie stalinienne au pouvoir. Cette caste bureaucratique, une couche parasitaire qui administre l'économie collectivisée issue de la Révolution de 1949, joue de plus en plus ouvertement et directement le rôle de courroie de transmission des pressions du capitalisme mondial sur l'Etat ouvrier déformé chinois.
Une révolution politique prolétarienne qui chasserait la bureaucratie et instaurerait le pouvoir des conseils d'ouvriers et de paysans rétablirait une économie centralement planifiée, et avec elle le monopole d'Etat du commerce extérieur. Ceci nécessiterait de se retirer de l'OMC et de dénoncer ou de réviser radicalement certains des autres accords économiques négociés par le régime de Pékin avec les puissances capitalistes. Nous ne préconisons pas ici un retour à l'autarcie économique de l'époque de Mao. Dans toute la mesure du possible, un Etat ouvrier chinois doit tirer parti de la division internationale du travail en encourageant un haut niveau d'exportations et d'importations. En même temps, un régime des conseils d'ouvriers et de paysans serait soumis à une intense hostilité impérialiste, à la fois militaire et économique (par exemple un embargo économique). Ceci souligne le lien inextricable entre la défense des acquis de la Révolution chinoise et la lutte pour la révolution socialiste au niveau international.
L'Etat ouvrier et le monopole du commerce extérieur
Certains militants de gauche chinois évoquent la Nouvelle politique économique (NEP) développée par l'Etat ouvrier soviétique en 1921, afin de justifier l'adhésion de la Chine à l'OMC et les « réformes orientées vers le marché » en général. Une telle comparaison est fondamentalement erronée. Contrairement aux « réformes » de Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Cie., la NEP était considérée comme un moyen temporaire de revitaliser l'économie de l'Etat ouvrier issu de la révolution d'Octobre 1917. En plus des destructions provoquées par la Première Guerre mondiale, après la révolution l'industrie avait été dévastée encore un peu plus par trois ans de guerre civile et un embargo impérialiste. Mais la différence la plus importante est que les bolchéviks de Lénine et Trotsky luttaient pour l'extension internationale de la révolution, en particulier aux pays capitalistes avancés. Alors même que la NEP était appliquée à l'intérieur du pays, les bolchéviks consacraient la plus grande partie de leurs efforts à construire la Troisième Internationale (communiste) une internationale de partis révolutionnaires dont la tâche était de diriger la classe ouvrière pour renverser l'ordre capitaliste mondial.
Lénine décrivait la NEP comme une « retraite stratégique » par rapport aux politiques appliquées pendant la guerre civile, quand le jeune Etat ouvrier s'était défendu avec succès contre l'invasion impérialiste et les armées blanches contre-révolutionnaires. Sous le « communisme de guerre », le régime soviétique réquisitionnait les céréales de la paysannerie pour nourrir son armée et les ouvriers des villes. Ceci provoqua un fort mécontentement chez les paysans, qui commencèrent à refuser de livrer les céréales. La dictature du prolétariat dans la Russie arriérée devait s'appuyer fortement sur la paysannerie, qui constituait l'immense majorité de la population. Avec la guerre civile tirant à sa fin et le reflux de la vague révolutionnaire qui avait déferlé sur l'Europe après la Première Guerre mondiale, les craquements dans la smytchka (alliance) entre le prolétariat et la paysannerie rendirent nécessaire de toute urgence un tournant politique.
Pour faire tourner l'économie, le régime bolchévique fit une série de concessions aux forces du marché. Sous la NEP, les paysans furent autorisés à vendre sur le marché les surplus par rapport aux quotas qu'ils étaient obligés de vendre à l'Etat. La petite industrie (employant moins de 20 personnes) fut encouragée. Les industries d'Etat durent vendre leurs produits sur le marché, donnant aux paysans quelque chose à acheter en échange de leur production. Des facilités furent accordées aux investissements étrangers dans des usines louées ou des joint-ventures, même si l'hostilité impérialiste bloqua dans une large mesure de tels investissements.
Elément crucial, le commerce restait sous le contrôle de l'Etat. Lénine et Trotsky collaborèrent pour faire repousser les propositions de certains éléments de la direction bolchévique, dont Staline, qui allaient dans le sens d'un affaiblissement du monopole d'Etat du commerce extérieur. Quand Nikolaï Boukharine proposa d'avoir recours à des droits de douane pour protéger l'économie soviétique, Lénine répliqua :
« [...] aucune politique douanière ne peut être effective à l'époque de l'impérialisme et du contraste monstrueux entre les pays pauvres et les pays incroyablement riches. Boukharine se réfère plusieurs fois à la protection douanière, sans voir que, dans ces conditions, n'importe quel pays industriel riche peut briser entièrement cette protection. Il lui suffit de mettre en vigueur une prime à l'exportation pour l'entrée en Russie des marchandises qui, chez nous, sont imposées d'une prime douanière. N'importe quel pays industriel est assez riche pour cela, et grâce à cette mesure il peut abattre à coup sûr notre industrie nationale.
« C'est pourquoi tous les raisonnements de Boukharine sur la politique douanière n'impliquent rien d'autre, en pratique, qu'une tentative de laisser l'industrie russe sans la moindre défense et le passage, recouvert du voile le plus léger, au système du commerce libre. »
« Le monopole du commerce extérieur » (décembre 1922)
Lénine concluait : « il ne peut être question d'aucune politique douanière sérieuse actuellement, à l'époque de l'impérialisme, en dehors du système du monopole du commerce extérieur ». Cette bataille avec Boukharine, qui à cette époque représentait une petite minorité dans le parti, préfigurait une bataille similaire menée par Trotsky au milieu des années 1920, quand Boukharine et Staline étaient aux commandes du parti.
Industrialisation et internationalisme prolétarien
Si la NEP réussit à revitaliser la vie économique, elle créa aussi une couche de spéculateurs, de petits négociants et de paysans aisés (koulaks), qui exerçaient une influence corrosive sur l'appareil de l'Etat ouvrier. Lénine était très inquiet du danger que cela représentait, particulièrement quand ces couches trouvèrent des porte-parole parmi les responsables de l'Etat et les dirigeants du parti. Lénine, exclu de la vie publique par ses problèmes de santé pendant l'année qui précéda sa mort, en janvier 1924, mena une de ses dernières batailles contre la bureaucratie qui se développait et exerçait une pression conservatrice sur l'avant-garde prolétarienne numériquement réduite organisée dans le Parti bolchévique.
Dès avril 1923, Trotsky mettait en garde contre le danger que représentait la « crise des ciseaux » (le manque de produits manufacturés en quantité suffisante en échange des denrées agricoles, qui conduisait les paysans à refuser de livrer de la nourriture aux villes). Début octobre, il écrivit au comité central bolchévique pour demander qu'il s'attelle à la nécessité urgente d'une industrialisation planifiée et ouvre une campagne contre le bureaucratisme dans le parti. Plus tard au cours du même mois, l'échec de la révolution allemande attendue ébranla les espoirs des ouvriers soviétiques qu'une révolution prolétarienne en Europe mettrait fin à l'isolement désespéré de la république soviétique. La démoralisation qui gagnait la classe ouvrière renforça le « triumvirat » alors au pouvoir de Staline, Zinoviev et Kamenev, qui représentaient la vision conservatrice et la perspective nationaliste de la couche bureaucratique en voie de consolidation.
Une opposition antibureaucratique hétéroclite qui exigeait une planification économique et une accélération de l'industrialisation se constitua autour de Trotsky pendant la période préparatoire à la treizième conférence du parti, qui eut lieu en janvier 1924. Lors de cette conférence, l'Opposition de gauche fut bureaucratiquement vaincue par Staline et ses alliés du triumvirat. Avec le recul du temps, Trotsky écrivait dans son article de 1935 « L'Etat ouvrier, thermidor et bonapartisme » :
« L'écrasement de l'Opposition de gauche signifia, dans le sens le plus direct et le plus immédiat, le passage du pouvoir, des mains de l'avant-garde révolutionnaire aux mains des éléments les plus conservateurs de la bureaucratie et des sommets de la classe ouvrière. 1924, voilà l'année du commencement du Thermidor soviétique. »
Fin 1924, Staline proposa la « théorie » du « socialisme dans un seul pays ». Initialement développé comme justification de l'autarcie économique, ce dogme antimarxiste servit plus tard de justification idéologique à la bureaucratie pour renier la cause de la révolution prolétarienne internationale ; cétait une tentative futile de se concilier l'impérialisme mondial. Comme l'écrivait Trotsky dans son ouvrage de référence, la Révolution trahie (1937) :
« La tergiversation en présence des exploitations paysannes individuelles, la méfiance à l'égard des grands plans, la défense d'un développement au ralenti, le dédain du problème international, tels sont les éléments qui, réunis, formèrent la théorie du "socialisme dans un seul pays", formulée pour la première fois par Staline au cours de l'automne 1924, après la défaite du prolétariat en Allemagne. Ne pas nous hâter en matière d'industrialisation, ne pas nous brouiller avec le moujik, ne pas compter sur la révolution mondiale et, tout d'abord, préserver le pouvoir bureaucratique de toute critique ! »
Boukharine, qui avait émergé comme le théoricien principal du régime bureaucratique, avançait l'idée du « socialisme à construire même sur une base de misère technique » et faire toujours davantage de concessions aux paysans riches. En 1925, il lançait aux koulaks « enrichissez-vous », une politique de conciliation potentiellement fatale avec des forces sociales qui chercheraient inévitablement à restaurer le capitalisme en Russie. Encouragés par la bureaucratie, les « Nepmen » devenaient de plus en plus nombreux : à la fin de 1926, presque 60 % de la main-d'uvre industrielle travaillait dans la petite industrie privée, sous la coupe de petits capitalistes qui contrôlaient l'approvisionnement et la distribution. Les Nepmen et les koulaks exigeaient l'autorisation de vendre leur production sur le marché mondial et d'importer des produits industriels et de consommation.
La politique de conciliation de plus en plus marquée de la bureaucratie vis-à-vis des koulaks conduisit à un conflit d'intérêts au sein du triumvirat, en dressant Zinoviev et Kamenev, avec leurs bases prolétariennes à Leningrad et à Moscou, contre la politique prokoulaks de Staline et Boukharine. Pendant l'été 1925, Staline prit le contrôle de l'organisation du parti à Moscou ; plus tard dans la même année, il écrasa la base de soutien de Zinoviev. En 1926, Zinoviev et Kamenev joignirent leurs forces à celles de l'Opposition de gauche de Trotsky pour former l'Opposition unifiée (OU). L'OU préconisait la construction planifiée d'une industrie lourde, qui devait être financée par une augmentation de l'impôt payé par les koulaks. L'Opposition réclamait aussi une hausse des salaires ouvriers et l'utilisation d'incitations économiques pour encourager la collectivisation volontaire chez les paysans les plus pauvres.
En réponse aux tentatives de Boukharine pour affaiblir le monopole du commerce extérieur, la « Plate-forme de l'Opposition » de septembre 1927 affirmait que le monopole d'Etat « est larme indispensable de la construction socialiste dans la situation où les pays capitalistes possèdent une base technique plus développée ». Mais, comme l'expliquait ensuite la plate-forme :
« Aucune politique intérieure ne peut nous éviter à elle seule les dangers économiques, politiques et militaires provenant de l'encerclement capitaliste. La tâche intérieure se ramène à se renforcer par une politique de classe juste, par des rapports justes de la classe ouvrière avec la paysannerie et par un acheminement continuel dans la voie de la construction socialiste. Les ressources intérieures de l'URSS sont innombrables et rendent la chose tout à fait possible. En utilisant en même temps, dans ce but, le marché capitaliste mondial, nous lions nos futures destinées historiques au développement ultérieur de la révolution mondiale. La victoire de la Révolution mondiale dans les pays avancés rompra l'encerclement capitaliste, nous libérera de lourdes obligations militaires, nous renforcera largement dans le domaine de la technique, accentuera la rapidité de notre développement à la ville, à la campagne, à l'usine, à l'école, etc., nous donnera la possibilité de construire le socialisme, autrement dit, la société où les classes disparaissent, société ayant comme base une technique perfectionnée, une égalité réelle de tous ses membres dans le travail et la répartition des produits du travail. »
Quand la politique de conciliation des koulaks s'avéra être le désastre prédit par l'Opposition, Staline entreprit de purger ses anciens partenaires de bloc boukhariniens et de mettre en uvre une partie du programme économique de l'Opposition. Ce tournant écarta la menace immédiate d'une restauration capitaliste. N'ayant assuré aucune des bases techniques ou économiques, l'Etat soviétique avec la brutalité caractéristique de Staline entreprit de collectiviser la paysannerie et de lancer un rythme d'industrialisation aventureux.
En formant l'OU, Trotsky et Zinoviev-Kamenev partageaient une opposition théorique commune au « socialisme dans un seul pays », et une opposition à la politique économique propaysans de Staline et Boukharine. Cependant, sur la question internationale critique de la révolution chinoise de 1925-1927, qui était en cours, Trotsky et Zinoviev avaient des divergences fondamentales. Sur les instructions du Comintern, le Parti communiste chinois (PCC) était enfoui à l'intérieur du parti nationaliste bourgeois, le Guomindang (Kuomintang), une politique qui devait paver la voie à une défaite sanglante. Avant même la formation de l'OU, Trotsky avait appelé à un retrait complet du PCC du Guomindang. Cette exigence, à laquelle s'opposaient Zinoviev et ses partisans, n'était pas la ligne publique de l'OU.
La plate-forme de l'OU appelait à la « dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et de la paysannerie », en insistant que la révolution chinoise ne pouvait être qu'une révolution démocratique nationale, et non socialiste. Là encore, c'était à l'opposé de la position de Trotsky. En septembre 1927, Trotsky argumentait que « la tâche à l'ordre du jour est la dictature du prolétariat » en Chine. C'est sur la base de l'expérience de la défaite de la Révolution chinoise de 1927 que Trotsky généralisa sa théorie de la révolution permanente, qui avait été confirmée par la révolution d'Octobre : dans des pays à développement capitaliste retardataire, seule la dictature du prolétariat, s'appuyant sur les masses paysannes et luttant pour étendre le pouvoir prolétarien aux pays impérialistes, peut briser les chaînes du despotisme politique et de l'arriération économique et sociale. Dans son article de 1928 « Les erreurs de l'Opposition », Trotsky écrivait :
« L'automne dernier, nous n'avons pas dit publiquement que l'expérience de 1925-27 avait déjà liquidé le mot d'ordre de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie pour la révolution chinoise, et qu'à l'avenir ce mot d'ordre conduirait soit à une régurgitation du guomindanguisme soit à des aventures. Nous l'avons prédit tout à fait clairement et précisément. Mais, même sur ce point, nous avons fait des concessions (tout à fait inadmissibles) à ceux qui sous-estimaient la profondeur du reflux sur la question chinoise. »
La Chine à un tournant
Aujourd'hui en Chine, la politique de la bureaucratie stalinienne ressemble de près à celle préconisée par Boukharine, et d'autres après lui. Le régime actuellement au pouvoir à Pékin a écarté même la feuille de vigne du socialisme égalitaire, et beaucoup de ses rejetons aspirent ouvertement à devenir des capitalistes.
Un des critiques les plus acerbes de la corruption engendrée par les « réformes de marché » est la journaliste He Qinglian, qui s'est récemment exilée aux Etats-Unis. Son article « China's Listing Social Structure » [La structure sociale branlante de la Chine] (New Left Review, septembre-octobre 2000) fustige la direction du Parti communiste parce qu'elle installe ses rejetons (ses fils et filles), les « princes héritiers », dans les affaires, ce qu'elle appelle le principe « une famille, deux systèmes ». C'est un jeu de mots sur la politique appliquée par le régime pour faciliter le retour de la colonie britannique de Hongkong sous contrôle chinois en 1997. Celle-ci se résumait dans la formule « un pays, deux systèmes », en référence au fait que, bien que le pouvoir politique réside à Pékin, Hongkong demeure capitaliste.
Certains responsables se sont mis à leur compte comme exploiteurs en faisant transiter des fonds vers la Chine via des sociétés bidon à Hongkong, sous la forme d'investissements « étrangers ». Il y a eu récemment d'importantes sorties de capitaux hors du pays, malgré des lois contre les exportations de capitaux. Les « princes héritiers » et d'autres entrepreneurs investissent souvent dans d'autres pays via les liens établis dans le cadre des joint-ventures et d'autres transactions avec des hommes d'affaires étrangers.
Décrivant la polarisation sociale croissante de la Chine, He Qinglian écrit :
« Beaucoup de villes chinoises grandes ou moyennes ont maintenant des quartiers riches, souvent gardés par des systèmes de sécurité dernier cri. La consommation est, elle aussi, hautement stratifiée. Des boutiques spécialisées vendent des articles à la mode aux riches ; les échoppes sur les trottoirs proposent des produits bon marché aux pauvres. Le pouvoir politique commercialisé redistribue la richesse à une élite qui se reproduit d'une génération à l'autre. Les membres de la classe moyenne ou des classes inférieures ont une conscience aiguë des mécanismes de dépossession et d'exploitation. Le phénomène le plus flagrant est le contraste entre le sort des cadres supérieurs et celui des ouvriers quand une entreprise d'Etat fait faillite. Les ouvriers sont jetés à la rue sans aucune indemnité, mais un ancien cadre supérieur ou directeur d'usine ne tombe jamais dans le même puits de pauvreté. Au contraire, il sera souvent réemployé par l'acheteur de ce qui reste des actifs de l'entreprise à cause non pas de ses talents de manager, mais de sa coopération dans la liquidation des propriétés d'Etat. Ce genre de patrons manifestent des tendances de plus en plus antisociales. Il en résulte une augmentation des incidents terroristes, des attaques physiques contre les riches, des arrêts de travail et du sabotage dans les entreprises d'Etat autant de manifestations de conflits de classes. »
C'est la description saisissante d'un pays au bord de l'explosion. Mais à quoi cela va-t-il conduire ?
Beaucoup dans la gauche défendent l'idée antimarxiste que la restauration capitaliste a triomphé en Chine et que la bureaucratie est devenue une classe possédante à part entière (une vision apparemment partagée par He). C'est aussi la position de gens qui passent pour des « trotskystes » en Chine, comme le groupe Pioneer, basé à Hongkong et associé avec le Secrétariat unifié (SU, dont fait partie la Ligue communiste révolutionnaire de Krivine/Besancenot). Un article publié dans la revue du SU International Viewpoint (mars 2002) déclare : « L'écrasante majorité des technocrates et des bureaucrates l'épine dorsale du PCC ont bénéficié largement de la restauration de l'économie de marché capitaliste, et ils n'ont assurément aucune raison de renverser son cours. »
Nombreux sont ceux dans la bureaucratie qui aspirent à une place dans la classe dirigeante d'une Chine capitaliste pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Mais ceci nécessitera une contre-révolution sociale pour détruire l'Etat ouvrier et créer un nouvel Etat bourgeois. Dans la Révolution trahie, Trotsky écrivait à propos de l'URSS sous Staline : « La contradiction entre les formes de la propriété et les normes de la répartition ne peut pas croître indéfiniment. Ou les normes bourgeoises devront, d'une façon ou d'une autre, s'étendre aux moyens de production, ou les normes socialistes devront être accordées à la propriété socialiste. » En Chine, malgré l'érosion de l'industrie nationalisée, les entreprises d'Etat constituent encore le cur de l'économie. Comme l'écrivait Trotsky, la bureaucratie « continue à défendre la propriété étatisée par crainte du prolétariat ».
Depuis son soutien à la contre-révolution du mouvement polonais Solidarnosc au début des années 1980 jusqu'à la Chine aujourd'hui, en passant par son appui à la contre-révolution dirigée par Eltsine en URSS en 1991-1992, le SU a pris systématiquement fait et cause pour les forces de la contre-révolution « démocratique ». Le SU a soutenu à plusieurs reprises des « dissidents » chinois pro-impérialistes qui jouent le rôle d'agents locaux de la restauration capitaliste, et, en novembre dernier, dans un meeting à Tokyo, un porte-parole de Pioneer déclarait que son groupe défendrait l'Etat capitaliste qu'est Taïwan dans une guerre avec la Chine. Contre ce genre de « trotskystes » de contrefaçon, la LCI prend position pour la défense militaire inconditionnelle de l'Etat ouvrier déformé chinois contre Taïwan ou tout autre Etat capitaliste, ou contre toute menace de contre-révolution capitaliste intérieure. Le combat pour la révolution politique prolétarienne suppose la défense des acquis de la Révolution de 1949.
Prenez garde aux hommes de paille « syndicalistes » de l'impérialisme !
La Fédération pan-chinoise des syndicats (ACFTU), la seule organisation syndicale légalement autorisée en Chine, agit comme le bras séculier de la bureaucratie pour contrôler les ouvriers, y compris dans les zones économiques spéciales (ZES), où les responsables syndicaux agissent ouvertement de concert avec les exploiteurs capitalistes. Cette année, à l'occasion du Premier Mai traditionnellement une célébration de la solidarité ouvrière internationale , des responsables de l'ACFTU, de façon grotesque, ont « rendu hommage » à un groupe d'entrepreneurs capitalistes qualifiés de « travailleurs modèles » !
Des organisations ouvrières indépendantes de la bureaucratie ont commencé à apparaître dans la récente vague de manifestations ouvrières. A Daqing, des ouvriers du pétrole à la retraite ont construit leur propre organisation, opposée à l'ACFTU. D'autres ouvriers ont essayé d'installer une nouvelle direction afin de transformer leur syndicat ACFTU en organisation qui lutte pour leurs intérêts. Toute organisation qui veut défendre les intérêts des ouvriers doit prendre position pour la défense de l'Etat ouvrier et de ses fondations collectivisées. Comme nous l'écrivions dans « Révolte des mineurs chinois contre les "réformes de marché" » (le Bolchévik n° 153, été 2000) :
« Une révolution politique prolétarienne commencera sous la bannière des luttes contre l'inégalité sociale et l'oppression politique, comme en 1989. La lutte pour la liberté des syndicats sur la base de la défense de la propriété socialisée ainsi que pour le droit de réunion et la liberté de la presse, se développera en lutte pour la démocratie des soviets, pour la formation de conseils ouvriers qui s'opposeront aux parasites bureaucratiques et réprimeront les éléments contre-révolutionnaires. La question centrale est celle de la direction révolutionnaire, qui ne peut être résolue qu'en forgeant un parti léniniste-trotskyste pour introduire la conscience socialiste révolutionnaire dans la classe ouvrière. »
Alors que les luttes ouvrières se développent en Chine, l'importance centrale de la défense des acquis de la Révolution de 1949 est illustrée par la négative avec l'histoire de Han Dongfang, qui est présenté par la bureaucratie syndicale américaine de l'AFL-CIO et par les médias capitalistes comme un dirigeant syndical « indépendant ». En 1989, Han, qui était cheminot, devint l'un des dirigeants de la Fédération ouvrière autonome de Pékin, une organisation ouvrière qui joua un rôle clé pendant les manifestations de la place Tiananmen. Des groupes similaires se multipliaient dans les autres villes, et étaient rejoints par les propres syndicats ACFTU du régime. L'entrée de la classe ouvrière dans les manifestations à l'initiative des étudiants signifiait le début d'une révolution politique. Confrontée à ce soulèvement prolétarien, la bureaucratie se fracturait, avec des officiers récalcitrants qui refusaient d'appliquer l'ordre de réprimer les manifestations. Finalement, le régime trouva des unités qu'il pouvait mobiliser contre les manifestations et déclencha une campagne de terreur sanglante qui visait directement les ouvriers. Mais ce qui manquait cruellement dans le soulèvement de 1989, c'était une direction révolutionnaire.
Contraint de fuir la Chine, Han parvint jusqu'aux Etats-Unis, où il fut adopté par des députés de droite et la hiérarchie de l'AFL-CIO. Converti au christianisme, Han devint bientôt un « dissident » pro-impérialiste. Il finit par s'établir à Hongkong, où il publie la revue China Labour Bulletin (Bulletin des travailleurs chinois, qui n'est maintenant disponible que sur Internet), qui inclut une correspondance avec des ouvriers en Chine. Ses apparitions régulières sur les ondes de Radio Free Asia, une émanation du gouvernement américain qui émet en direction de la Chine, montrent quel objectif il poursuit. En 1999, Han et trois autres activistes chinois des « droits de l'homme » ont publié une lettre qui félicitait le député républicain de Californie Christopher Cox pour son « travail courageux pour promouvoir la liberté dans la République populaire de Chine ». Cette même année, Cox avait été le fer de lance de la chasse aux sorcières raciste contre le scientifique d'origine taïwanaise Wen Ho Lee ; il déclamait que les dizaines de milliers de personnes originaires de Chine populaire résidant aux Etats-Unis, étudiants, scientifiques et autres, étaient des « agents communistes » potentiels.
En guise de défense des droits des ouvriers, l'officine de Han et d'autres du même genre, comme le « China Labour Watch » [L'observateur des travailleurs chinois] basé à New York, cherchent à faire peser la pression impérialiste sur l'Etat ouvrier déformé chinois. On les encense à l'Ouest comme les précurseurs d'une version chinoise du Solidarnosc polonais. En France ils reçoivent le soutien actif des lambertistes du Parti des travailleurs (PT). Ainsi la « commission internationale d'enquête du mouvement ouvrier et démocratique contre la répression en Chine », une émanation du PT, a invité Han Dongfang à son banquet annuel le 16 juin. L'organisation internationale du PT, l'Entente internationale des travailleurs, a publié récemment une brochure sur les Cinq de Liaoyang « avec l'aide du China Labour Bulletin » (voir Informations ouvrières n° 550, 7-12 août). Cai Chongguo, l'éditeur de la version française du China Labour Bulletin, le Bulletin des travailleurs chinois, apparaît régulièrement dans l'hebdomadaire lambertiste Informations ouvrières. Le Bulletin est édité avec l'aide du secteur international de Force ouvrière, le syndicat issu de la scission anticommuniste de la CGT qui avait été manigancée en 1947 par la CIA et l'AFL-CIO. Les lambertistes sont fortement implantés dans la bureaucratie de FO. Malgré leurs lamentations actuelles sur l'impact désastreux pour la classe ouvrière de la pénétration impérialiste accrue, les lambertistes préconisent depuis longtemps de faire des blocs avec n'importe qui, y compris avec la bureaucratie syndicale raciste et anticommuniste de l'AFL-CIO, et avec des opposants déclarés de la propriété collectivisée en Chine, dans le but de restaurer la « démocratie » en Chine, c'est-à-dire le capitalisme (voir notre article « En bloc avec la bureaucratie de l'AFL-CIO américaine le PT de Lambert pour la "démocratie" capitaliste en Chine », le Bolchévik n° 152, printemps 2000).
En Europe de l'Est et dans l'ex-Union soviétique, beaucoup d'ouvriers avaient avalé le mensonge comme quoi la restauration capitaliste leur apporterait la prospérité et un niveau de vie comparable à celui des Etats-Unis, de l'Europe de l'Ouest et du Japon. Mais il ne sera pas facile de vendre la « libre entreprise » aux ouvriers chinois, dont beaucoup ont déjà fait l'expérience de la misère de l'exploitation du « marché libre » dans les ZES. Il est indicatif que, pour servir l'impérialisme, Han doive avoir recours à un blabla de gauche pour dénoncer la corruption des cadres riches et l'exploitation capitaliste dans ce genre d'usines.
La lutte pour la libération des femmes
Ce n'est pas par hasard que les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les récentes manifestations ouvrières. Si la Révolution de 1949 a apporté d'immenses acquis sociaux et économiques aux femmes chinoises, beaucoup de ces acquis ont été érodés par les « réformes de marché ».
Après 1949, les femmes ont eu accès à l'éducation et au droit d'épouser l'homme de leur choix (ainsi que le droit de divorcer), des droits codifiés par la loi sur le mariage de 1950. Cependant, le poids de l'arriération paysanne traditionnelle empêchait fréquemment ces droits nouvellement conquis de devenir réalité. De plus, l'idéologie stalinienne glorifie la famille, en particulier en Chine où le Parti communiste était basé sur la paysannerie. Les cadres du parti chargés de faire appliquer la loi sur le mariage dans les villages cédaient souvent à la pression des paysans qui voulaient maintenir la structure familiale traditionnelle.
Néanmoins, avec l'établissement d'un développement industriel planifié, les femmes ont été incorporées très rapidement dans la main duvre à de nombreux niveaux, même si certaines discriminations subsistaient. On peut mesurer aujourd'hui les qualifications et l'éducation qu'elles ont conquises en regardant le chantier du gigantesque barrage des Trois gorges, où des femmes ainsi que des hommes conduisent certains des engins de terrassement les plus puissants du monde. Il serait difficile de trouver l'équivalent de ce spectacle dans les sociétés capitalistes même les plus avancées. Et certainement pas dans un pays comme l'Inde capitaliste, qui avant 1949 était à peu près au même niveau de développement social que la Chine, mais qui reste aujourd'hui plongée dans une pauvreté épouvantable, des pratiques anti-femmes barbares et une arriération omniprésente.
Mais aujourd'hui les femmes, dans des villes comme Guangzhou (Canton) représentent seulement le tiers des emplois dans l'industrie d'Etat, contre près de la moitié auparavant. C'est en partie dû à la discrimination contre les femmes les plus âgées. Depuis plusieurs années, l'âge officiel de la retraite pour les femmes est plus bas que pour les hommes. En 1994 le régime a commencé à encourager les « retraites anticipées », puis l'âge de la retraite a été abaissé, au point que dans certaines grandes usines il est maintenant de 42 ans pour les femmes (et 52 pour les hommes). Dans une large mesure, c'est une forme de licenciement déguisé.
Avec un cynisme consommé, le rapport gouvernemental du 29 avril intitulé « Travail et sécurité sociale en Chine » se félicite qu'« au total 30 villes ont jusqu'à présent mis en uvre un programme de formation à la "création d'entreprise", en offrant une formation aux personnes licenciées et sans emploi qui souhaitent établir une petite affaire ». C'est une mince consolation pour l'immense majorité des femmes qui ont perdu leur emploi. Au milieu des années 1990, une étude réalisée dans la ville économiquement sinistrée de Shenyang, dans le Nord-Est du pays, montrait qu'une large proportion des personnes licenciées étaient des femmes de plus de 35 ans. Beaucoup sont contraintes de survivre misérablement en tenant de petites échoppes. Comme il était à prévoir, il y a aussi une augmentation de la prostitution. Un danger supplémentaire pour les droits des femmes est représenté par le développement de sectes religieuses réactionnaires comme Falun Gong, qui s'oppose à l'avortement et considère que les femmes sont inférieures aux hommes, et où règnent des préjugés anti-homosexuels.
Dans les campagnes, où vivent les deux tiers de la population, les femmes ont énormément souffert depuis le début de la décollectivisation de l'agriculture, qui a commencé en 1978. Même si les communes de l'époque de Mao étaient essentiellement des ensembles étendus de parcelles paysannes arriérées, les femmes avaient accédé à un certain niveau d'égalité. Mais la division de la terre en parcelles attribuées individuellement la première « réforme de marché » a insufflé une nouvelle vie aux horreurs séculaires enracinées dans la structure familiale chinoise traditionnelle, comme l'infanticide des filles et l'achat et la vente d'« épouses ». La vie rurale apparaissant comme une impasse pour les jeunes femmes, beaucoup d'entre elles affluent dans les ateliers-prisons des ZES, même si cela signifie travailler jusqu'à 14 heures par jour, avec à peine un ou deux jours de congé par mois.
Comme nous l'écrivions dans « Chine : la misère du "marché libre" prend les femmes pour cible » (Women and Revolution n° 45, hiver-printemps 1996) :
« Une Chine dirigée par des conseils ouvriers et paysans démocratiquement élus n'aurait aucun mal à régler son compte à la racaille qui trafique des êtres humains. Mais pour venir à bout de la pathologie sociale qui a conduit au retour de l'infanticide des filles, à l'abandon d'enfants et à la vente de femmes comme esclaves, il faut remédier à la pauvreté et à l'isolement des masses paysannes, ce qui à son tour exige la modernisation et la mécanisation massives des campagnes, pour jeter les bases matérielles d'une recollectivisation rationnelle de l'agriculture. Cette tâche dépend de l'intégration économique de la Chine dans une Asie socialiste, basée sur la capacité industrielle avancée de pays comme le Japon et l'Australie. »
Pour un parti léniniste-trotskyste !
La résistance de la classe ouvrière chinoise aux attaques contre ses conditions de vie a créé des fissures au sein même de la caste bureaucratique. La décision du président chinois Jiang Zemin d'inviter les capitalistes à adhérer au PCC a rencontré une opposition interne significative. De peur que des ouvriers mécontents puissent se lier à de tels éléments de gauche, le régime a récemment placé en résidence surveillée un maoïste connu, Wei Wei, et a interdit au moins deux journaux qui publiaient des articles sur la corruption et le sort de la classe ouvrière. (Pour une polémique trotskyste contre les positions de Wei Wei, voir « Whither China ? "Market Socialism" and the Legacy of Mao » [Où va la Chine ? Le « socialisme de marché » et l'héritage de Mao], Workers Vanguard n° 743 et 745, 6 octobre et 3 novembre 2000.)
Il y a quelques années, à Shenyang, des vétérans du PCC s'étaient rebellés après l'arrestation d'un responsable local, Zhou Wei. Zhou, un cadre du PCC depuis plus de 40 ans, avait mené une série de campagnes de manifestations et de pétitions dénonçant le gouvernement pour corruption et pour son refus de défendre les paysans, les ouvriers et les retraités comme lui. Les manifestations dans cette ville étaient devenues tellement fréquentes que les barrages routiers du jour étaient annoncés dans les bulletins d'information du matin ! De tels événements illustrent le potentiel qui existe pour forger un nouveau parti communiste égalitaire en Chine. Mais ceci requiert une lutte politique acharnée pour arracher de tels militants à l'impasse du maoïsme et pour les gagner au communisme authentique de Lénine et Trotsky.
Un parti léniniste-trotskyste chinois mènerait une lutte sans concessions contre le chauvinisme han colporté par le régime nationaliste du PCC. Il chercherait à ce que le prolétariat s'imprègne de la compréhension qu'il doit lutter pour les intérêts de tous les opprimés depuis les femmes et les homosexuels jusqu'aux paysans pauvres et aux minorités nationales et ethniques.
La défense des travailleurs migrants qui ont afflué dans les villes et les bourgades représente une tâche cruciale. Contraints à accomplir les travaux les plus dangereux et les plus mal considérés, ils sont privés des droits des citadins régulièrement enregistrés, et ils sont généralement contraints de vivre dans des quartiers séparés. Dans une situation de montée du chômage, les tensions s'aggravent entre les citadins et les travailleurs migrants ; les premiers accusent les seconds de leur voler leur emploi et de faire baisser les salaires. Les militants ouvriers doivent lutter pour que ces migrants bénéficient des droits dont jouissent les citadins régulièrement enregistrés, y compris l'accès au logement et à l'école, et il faut revendiquer « à travail égal, salaire égal ».
A ce jour, les manifestations les plus combatives ont généralement été le fait d'ouvriers licenciés, ou d'ouvriers âgés vivant avec une retraite misérable. Ce qu'il faut, c'est de faire entrer dans la bataille le cur stratégique du prolétariat chinois ceux qui sont employés dans les industries de base et les transports. Ce sont ces ouvriers qui ont la puissance sociale nécessaire pour chasser la bureaucratie et vaincre les forces de la restauration capitaliste. Mais ceci n'arrivera ni automatiquement ni spontanément. Il faut construire en Chine un parti révolutionnaire d'avant-garde qui pourra unifier dans la lutte tous les secteurs de la classe ouvrière, en alliance avec les travailleurs ruraux et les pauvres des villes.
Avant tout, il faut un parti léniniste-trotskyste pour donner aux travailleurs chinois une stratégie révolutionnaire basée sur l'internationalisme prolétarien. Pour les ouvriers chinois, même les plus avancés, la perspective d'une révolution socialiste au Japon ou aux Etats-Unis peut sembler lointaine ou utopique. Ce qui est en réalité utopique, c'est de croire qu'il y a en Chine une voie nationalement limitée vers le socialisme. La modernisation de la Chine signifie assurer une vie décente pour tous ses habitants sur la base de l'accès à la technologie avancée et aux ressources productives qui sont actuellement concentrées en Amérique du Nord, en Europe de l'Ouest et au Japon ; elle requiert des révolutions prolétariennes dans les centres impérialistes et l'établissement d'une économie socialiste internationalement planifiée. La Ligue communiste internationale lutte pour construire les partis révolutionnaires qui sont l'élément indispensable pour conduire la classe ouvrière au pouvoir au niveau international.