Déclaration de la Ligue communiste internationale
A bas le régime militaire!
LAlgérie secouée par la révolte des masses
Reproduit du supplément au Bolchévik no. 156, printemps 2001
30 juinCes dix dernières semaines, lAlgérie a été secouée par la révolte populaire qui monte contre le régime sanguinaire du président Abdelaziz Bouteflika. Cela a commencé par des manifestations contre la terreur policière qui sévit en Kabylie (à lest dAlger) vis-à-vis de la minorité opprimée berbère, mais cela sest rapidement étendu aux masses de jeunes chômeurs et déshérités arabes de villes et bourgades dans tout le pays. Loin de calmer la révolte, la réaction brutale du régime militaire na fait quintensifier la colère des masses, et en particulier de la jeunesse chez qui le taux de chômage sélève à 80%. «Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts! » disait une des banderoles de la manifestation du 14 juin à Alger. Un million de personnes ont participé à cette manifestation, ce qui en fait la plus grande manifestation de toute lhistoire de lAlgérie. Le Quotidien dOran, un journal bourgeois, disait que le pays est «au bord de linsurrection. »
Après presque quarante ans de régime nationaliste bourgeois et une dizaine dannées de guerre civile meurtrière entre les tortionnaires de larmée et les réactionaires islamistes, ce quil faut aujourdhui en Algérie cest une polarisation de classe. La révolte des masses a commencé lorsque la police a tiré et tué un jeune Kabyle lors des manifestations de commémoration du Printemps berbère (révolte quasi-insurrectionnelle en 1980 pour demander essentiellement la reconnaissance officielle du Tamazight, la langue berbère). Les berbères, comme les Indiens américains, sont la population dorigine en Afrique du Nord. Après la conquête arabe, ils ont été pour la plupart repoussés dans les régions montagneuses ou isolées. Aujourdhui en Algérie et au Maroc, où ils vivent pour la plupart, ils sont victimes dune arabisation forcée et dune discrimination culturelle et linguistique.
Mais alors que le Printemps berbère sétait limité à la Kabylie, les manifestations aujourdhui sétendent aussi à la majorité arabe, en colère étant donné le chômage, le manque de logements, la corruption et la répression gouvernementale. Les masses qui sont descendues dans la rue sattaquent ouvertement au régime de Bouteflika aux cris de «Pouvoir assassin! » et « y en a marre de ce pouvoir! »
Les répercussions potentielles de la révolte actuelle vont beaucoup plus loin que les frontières de lAlgérie, troisième producteur de gaz naturel dans le monde. Dans toute lAfrique du Nord, les masses travailleuses, la paysannerie pauvre et les opprimés souffrent sous le joug de lexploitation impérialiste et de laustérité imposées par lintermédiaire des gouvernements nationalistes locaux. Dans la France impérialiste (et en Espagne dans une moindre mesure), il y a de grosses concentrations de travailleurs dorigine maghrébine et ceux-ci constituent une composante stratégique de la classe ouvrière industrielle. Dans toute la France, il y a des explosions de révolte dans les banlieues. Les jeunes des minorités ethniques parmi lesquels il y a énormément de chômage et qui sont victimes de discriminations racistes systématiques, expriment leur juste rage en sen prenant aux flics, forces doccupation, souvent en attaquant les commissariats.
Comme lont dit nos camarades de la Ligue trotskyste de France dans un tract le 15 juin (reproduit ci-dessous), ces ouvriers maghrébins doublement opprimés sont un pont vivant entre le prolétariat multiethnique en France et les travailleurs des semi-colonies; ils pourraient servir de catalyste à la lutte révolutionnaire dans le ventre de la bête impérialiste. Cela sest bien vu lors de la manifestation de solidarité de plusieurs dizaines de milliers de personnes à Paris le 17 juin, où ce tract de la LTF a été distribué. Cétait la mobilisation algérienne en France la plus importante depuis la guerre dAlgérie.
Pour la libération des femmes par la révolution socialiste!
En Kabylie, beaucoup de femmes se sont jointes aux manifestations, quelque chose qui sest rarement vu depuis la guerre dindépendance de 1954-1962 contre la France. La dernière fois que des femmes algériennes sont descendues dans la rue en masse, cest au début des années 1990, en réponse aux assassins intégristes du FIS (Front islamique du Salut) et son Armée islamique du Salut (AIS), ainsi quau GIA (Groupe islamique armé) encore plus sanguinaire, qui sattaquaient aux femmes non voilées, aux syndicalistes et aux intellectuels laïques et les assassinait. Mais ces manifestations étaient subordonnées au régime militaire nationaliste, qui lui-même applique des lois réactionnaires anti-femmes. Après son arrivée au pouvoir suite à la victoire contre le colonialisme français en 1962, le FLN a imposé l«arabisation» aux berbères et la loi islamique aux femmes, comme codifiée dans le Code de la famille de 1984. Un parti davant-garde ouvrier, agissant en tribun populaire, lutterait contre toutes les manifestations de chauvinisme arabe et de préjugés anti-femmes et anti-homosexuels. A bas le Code de la famille! Pour la séparation de la religion et de lEtat!
La gauche algérienne sacrifie la lutte pour les droits des femmes afin de se mettre à la remorque des nationalistes au pouvoir, ou des islamistes, ou des deux. La soi-disant «extrême » gauche française, qui capitule devant les sociaux-démocrates qui gouvernent limpérialisme français, fait preuve de la même indifférence révoltante. La lutte pour la libération des femmes, que ce soit lopposition au voile ou la lutte pour le droit à lavortement, est une question stratégique et explosive en Algérie. Lorsque la Ligue communiste internationale a insisté là-dessus cela a fait pousser les hauts cris à un certain Damien Elliott, alors porte-parole de laile gauche du Secrétariat unifié [de feu Mandel], juste au moment où la guerre civile avec les intégristes éclatait. Montrant le même mépris que la bourgeoisie française vis-à-vis de son ancienne colonie, Elliott déclarait en 1992 que la lutte pour le droit à lavortement, cest bien à Paris mais quen Algérie, cest une « imbécillité ultra-gauchiste »!
En 1979, le Secrétariat unifié comme les sociaux-démocrates groupés autour du Socialist Workers Party britannique de feu Tony Cliff (et toute une série de groupes centristes) se sont enthousiasmé pour la « révolution islamique» de Khomeiny en Iran, alors même que celui-ci emprisonnait et tuait des milliers de militants de gauche. Dans les années 1980 ces groupes se rangeaient derrière les impérialistes et sopposaient à larmée soviétique qui combattait les intégristes islamistes en Afghanistan. Au fond ce qui conduisait ces soi-disant organisations de gauche à se réjouir alors que la réaction islamiste férocement anti-femmes sétendait dans la région, cest leur antisoviétisme et leur capitulation devant leur propre bourgeoisie. Aujourdhui, le Secrétariat désunifié et les cliffistes dont la pseudo-internationale vient déclater lannée dernière, ont une part de responsabilité dans le fait que lIran et lAfghanistan sont aujourdhui un enfer pour les femmes. Nous, la Ligue communiste internationale, disons: Non au voile! Avortement libre et gratuit! Pleins droits démocratiques pour les homosexuels!
Les impérialistes ont de toute évidence peur que les soulèvements en Algérie soient le début dun incendie qui embrase toute lAfrique du Nord. Le mois dernier, au sommet de lUnion européenne à Göteborg en Suède, les chefs dEtat réunis ont demandé au régime algérien de prendre « une initiative politique de grande ampleur pour surmonter cette crise ». Les gouvernements européens ont donné une idée de quel genre dinitiative ils ont en tête quand ils ont donné leur approbation aux flics suèdois qui ont tiré sur des manifestants « anti-mondialisation ».
Récemment au Maroc, dans la bourgade de Beni Tadjit, située dans une région pétrolifère près de la frontière algérienne, une émeute a éclaté et donné lieu à quatre jours déchauffourées avec larmée, après quun jeune berbère ait été tué. Maroc Hebdo avertissait: « Et des Beni Tadjit, il y en a des centaines au Maroc. Un rien peut les faire basculer dans lexpression dune révolte diffuse, mais violente, contre loubli, lisolement, le chômage et la misère. » En Egypte, pays qui a la classe ouvrière la plus importante dAfrique du Nord, il y a dailleurs eu ces dernières années une augmentation des luttes ouvrières, grèves et occupations contre les privatisations.
Les généraux algériens et leurs petits copains affichent leur richesse avec arrogance mais ils imposent les diktats du FMI qui ont réduit les salaires de moitié, et des produits de première nécessité, qui autrefois étaient subventionnés, sont maintenant pratiquement inaccessibles. Le sud de lAlgérie, avec ses puits de pétrole et de gaz naturel, a été essentiellement transformé en enclave impérialiste coupée de la population algérienne. Pour préparer les privatisations du secteur industriel nationalisé imposées par le FMI, des dizaines de milliers douvriers ont été jetés à la rue. Le gigantesque complexe sidérurgique dEl Hadjar à Annaba a réduit de moitié son personnel. Pourtant ces ouvriers ont donné une indication de leur puissance sociale lorsquils se sont mis en grève contre les licenciements et un gel des salaires en mai 2000. Les gendarmes ont tiré des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc dans une manifestation de 9000 grévistes. Mais ce qui a mis fin à la grève cest la direction de lUnion générale des travailleurs algériens (UGTA) qui a des liens étroits avec le régime militaire.
Il nest pas surprenant quavec la politique de la direction de lUGTA, la classe ouvrière organisée ait été remarquablement absente des récentes manifestations, du moins en tant que force politique indépendante. Le FFS (Front des Forces socialistes) quoique discrédité à cause du rôle davocat pour les intégristes islamiques quil a joué, allant jusquà former un alliance avec le FIS à linitiative des impérialistes en 1995, a joué un rôle proéminent et souvent dirigeant dans ces manifestations. Même le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui a des liens étroits avec les durs de larmée et qui est resté dans le gouvernement de Bouteflika jusquau premier mai dernier, a essayé récemment de se redonner de la crédibilité en tant que force dopposition.
Les syndicats pourraient être un instrument pour lunité de la classe ouvrière, incluant tant les berbères que les arabes, dans la lutte contre le régime militaire. La tâche urgente à laquelle sont confrontés les ouvriers algériens, berbères et arabes, cest de forger un parti davant-garde léniniste pour diriger le prolétariat à la tête de tous les opprimés, vers la prise du pouvoir dEtat. Cela signifie avant tout un combat politique pour que le prolétariat prenne conscience de son rôle révolutionnaire, pour briser létau de la direction de lUGTA, et extirper linfluence tant des intégristes islamiques que des nationalistes qui se font passer pour des oppositionnels au régime parmi les masses populaires.
Pour linternationalisme léniniste!
Cest précisément cette tâche cruciale que lInternationalist Group (IG) centriste fait passer sous la table. LIG a publié un des articles les plus substantiels de tous les groupes de gauche sur les événements actuels, et la posté en français sur son site web sous len-tête LInternationaliste (juin 2001). Comme cest assez typique pour ce groupuscule composé de renégats du trotskysme de la LCI, lIG remplit ses pages de phraséologie apparemment orthodoxe contre le régime nationaliste et les intégristes islamiques, déclarant dans son titre: « Une seule solution: la révolution prolétarienne! » Mais tout ceci nest quun écran de fumée. LIG camoufle ou nie de bout en bout quil y a des obstacles politiques quune avant-garde trotskyste doit combattre et vaincre pour gagner la classe ouvrière au programme de la révolution prolétarienne.
Dabord lIG fait passer lUGTA pour meilleure quelle nest, et argumente que:
«A lépoque où lappareil du gouvernement FLN contrôlait toutes les organisations sociales... lUGTA était un appareil corporatiste, une courroie de transmission du parti unique bourgeois. A la suite de la décomposition et défenestration du FLN, cette relation étroite sest distendue.... Aujourdhui la direction de la centrale syndicale a tissé des liens avec plusieurs partis bourgeois, principalement le RND, le FLN et le RCD.»
Mais tous ces partis ont des liens avec le régime militaire et, comme ladmet lIG, le plus important, le RND (Rassemblement national démocratique) a été mis en place comme instrument politique de larmée par la bureaucratie de lUGTA! De toute façon la ligne de lIG pue le cynisme. Au Mexique lIG accuse la CTM, fédération syndicale corporatiste, dêtre une organisation de patrons, « un instrument direct de lEtat bourgeois » (Cf. « Mexico: NAFTAs Man Targets Labor » [Mexico, lhomme de lALENA sattaque à la classe ouvrière], Workers Vanguard no 748, 15 décembre 2000). LUGTA est-elle ou a-t-elle donc été aussi un instrument direct de létat bourgeois?
LIG prétend être pour « légalité de droits pour larabe, le tamazight et le français », mais en même temps se réjouit que la soi-disant « absence de slogans revendiquant la reconnaissance constitutionelle du tamazight » dans certaines des manifestations berbères « pourrait être un point de départ pour poser la nécessité dun programme internationaliste capable de mobiliser les ouvriers arabophones dans une lutte de classe révolutionnaire. » Cest tout simplement une capitulation au nationalisme dominant en Algérie, celui de la majorité arabe. Le point de départ pour mobiliser les ouvriers arabes sur une base internationaliste cest de les gagner à défendre activement les droits de la minorité berbère, pas de passer la question sous la table.
Le plus révélateur de la capitulation de lIG au nationalisme algérien cest le fait que dans un article de 23 pages on ne trouve que trois phrases éparses qui se réfèrent au prolétariat français. Dans un pays semi-colonial comme lAlgérie, la lutte pour la révolution socialiste dans le bastion impérialiste est central à une perspective révolutionnaire. Mais pour lIG ce nest quune petite remarque à mentionner au passage.
Pour essayer de nier lexistence des obstacles qui sélèvent devant les masses, lIG se décarcasse pour minimiser le danger que représentent les intégristes. Tout en dénonçant la réaction islamique, lIG, cynique, attaque notre article «La guerre civile saigne lAlgérie » (Cf. Le Bolchévik n° 145, printemps 1998) prétendument « imprégné du sentiment que tout était perdu et que la victoire des islamistes était proche [...] précisément au moment où les groupes islamistes armés étaient endigués par larmée.» La touchante confiance de lIG dans la capacité des nationalistes bourgeois de liquider les intégristes islamistes est démentie par sa propre admission que malgré le cessez-le-feu de 1997, rien que lannée dernière, 9000 personnes ont été massacrées. Notre mise en garde à lépoque reste tout aussi juste aujourdhui:
« Larmée ou une partie de celle-ci, pourrait bien appliquer tout ou une partie du programme réactionnaire du FIS. Les forces de répression pourraient ne pas se limiter à emprisonner les dirigeants et agitateurs du FIS et se retourner contre, en particulier, le mouvement ouvrier. »
LIG est si pressée de prendre ses désirs pour des réalités et de dire que les intégristes nont plus dinfluence quil va jusquà généraliser au-delà des frontières de lAlgérie, et qualifie de défaitiste notre affirmation que « la Révolution iranienne de 1979 a ouvert une période dascendance politique de lislam dans le monde historiquement musulman. » (« Déclaration des principes et quelques éléments de programme », Spartacist édition française n° 32, printemps 1998). LIran est toujours sous le joug de la théocratie islamiste qui est venue au pouvoir en 1979. Cette même année, les moujahedines soutenus par la CIA ont commencé une guerre de dix ans contre les troupes soviétiques en Afghanistan, qui est aujourdhui sous la coupe des talibans fanatiques. La guerre civile dAlgérie est dailleurs alimentée par lIslam politique montant, y compris les milices intégristes comme le GIA dont lorigine est dans la guerre dAfghanistan, financée par les USA. De plus, les intégristes islamistes constituent aujourdhui les forces principales qui cherchent à se faire passer pour une opposition au nationalisme bourgeois aux yeux des masses populaires dEgypte, des territoires occupés palestiniens ou dIndonésie.
LIG camoufle le danger de la réaction religieuse pour mieux capituler devant la direction actuelle du « mouvement de masse ». Ils ne veulent pas reconnaître limpact énorme qua eu la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, qui a fait régresser le niveau de conscience politique du prolétariat dans le monde entier. LIG au lieu de cela capitule devant cette régression et confond délibérément le désir de lutter des travailleurs avec la conscience révolutionnaire quil faut pour triompher sur la bourgeoisie. Dans la pratique cela les conduit à faire passer des forces qui sont hostiles à la classe ouvrière pour meilleures quelles ne sont et à se mettre à leur remorque. La tâche des marxistes ce nest pas simplement de senthousiasmer sur la lutte des classes, mais de diriger cette lutte vers la victoire en établissant une dictature du prolétariat à léchelle internationale.
Traduit de Workers Vanguard n° 761, 6 juillet 2001
Paris, le 15 juinLe meurtre le 18 avril par la police de Massinissa Guermah, un lycéen de 18 ans, à Beni-Douala en Kabylie, a mis le feu aux poudres dune explosion de colère qui a embrasé la Kabylie. Les jeunes sen sont pris aux mairies, aux commissariats, à tous les symboles de lEtat bourgeois algérien et même des partis bourgeois berbères, le RCD et le FFS. La féroce répression du gouvernement de Bouteflika a déjà fait une centaine de morts et des milliers de blessés, mais les manifestations se succèdent en Kabylie, à Alger, à Oran, et aussi maintenant dans le pays chaoui au Sud-Est du pays. Hier la manifestation dun million de personnes à Alger sest soldée par une dizaine de morts et des centaines de blessés. A bas la répression du gouvernement algérien contre les Berbères! Libération immédiate des jeunes emprisonnés!
Les jeunes qui sont descendus dans la rue, autour du vingt-et-unième anniversaire de la révolte du Printemps berbère de 1980, exigent la reconnaissance de leur propre langue, le tamazight. Ils protestent aussi contre la misère et le chômage de masse qui frappe officiellement 30% de la population (et bien plus dans la jeunesse), le manque cruel de logements, la corruption rampante, et le mépris et linjustice dont ils sont victimes en permanence de la part de lEtat. Le pays est saigné par une guerre civile qui a fait plus de 100000 morts, tués par des groupes islamistes ou par larmée et ses troupes spéciales. Cette guerre est la conséquence de la faillite des nationalistes bourgeois au pouvoir. Le développement de lintégrisme islamiste en un mouvement de masse reflétait de façon réactionnaire labsence dune alternative communiste, ainsi que limpasse manifeste du nationalisme bourgeois, notamment après le massacre des jeunes en 1988. Nous avons constamment refusé de soutenir tant le régime militaire que les islamistes, que ce soit dans les élections de 1992 ou dans la guerre civile qui sen est suivie.
Plus que tout, cest la classe ouvrière que craint le gouvernement, car cest la seule force sociale qui ait la puissance pour diriger les Berbères, les paysans pauvres, les jeunes chômeurs, les femmes et tous les opprimés dans un assaut révolutionnaire contre lordre capitaliste. Le 20 mars, à peine un mois avant le début de la révolte, les travailleurs du pétrole partaient en grève contre la privatisation de la Sonatrach, et il y avait des débrayages dans dautres secteurs. Ce jour-là, le Matin écrivait: «La fronde des travailleurs daujourdhui préoccupe gravement les autorités algériennes. [...] Ce qui nétait ainsi quune menace sectorielle a fini par prendre les proportions dune colère générale.»
Après la victoire contre le colonialisme français et lindépendance en 1962, le pays a bâti un secteur industriel significatif, en utilisant les revenus pétroliers pour importer des usines entières. Ceci a créé un prolétariat industriel dans les industries lourde (comme par exemple le complexe sidérurgique dEl Hadjar ou la fabrique de camions de la SNVI à Rouiba) et légère et dans le transport, qui avec les ouvriers du pétrole et du gaz qui produisent à eux seuls 35% du PIB a une puissance sociale qui dépasse de loin son poids numérique.
La clé pour mobiliser cette puissance, cest la construction de partis bolchéviques internationalistes, en Algérie et en France. Depuis lindépendance, la classe ouvrière en Algérie est assujettie par le nationalisme bourgeois à sa propre classe dirigeante. La direction corporatiste de la fédération syndicale, lUGTA, est directement liée au régime, et elle a fini par dénoncer son propre soutien initial à la manifestation pour la « défense des libertés démocratiques » à Alger le 7 juin. Un parti bolchévique lutterait pour que la classe ouvrière rompe avec le nationalisme bourgeois, et pour la gagner au programme de la révolution socialiste.
Les nationalistes algériens affirment quune nation homogène sest forgée dans le creuset de la guerre dindépendance. Cest un mensonge, comme le montrent la révolte actuelle en Kabylie, ainsi que les discriminations et la répression dont sont constamment victimes les Kabyles. Partout en Afrique, la «construction de la nation» nest que le synonyme de loppression des groupes nationaux ou ethniques minoritaires par le groupe dominant. Le fait que les antagonismes nationaux et ethniques nont pas disparu mais se sont aiguisés en quelque sorte sous le régime nationaliste bourgeois, souligne la nécessité de renverser le capitalisme comme pré-condition à légalité nationale et au développement économique.
Le gouvernement cherche aujourdhui à diviser la classe ouvrière en exacerbant le nationalisme dominant, celui de la population arabophone, contre les Berbères. Il faut forger un parti ouvrier davant-garde ayant un programme pour la prise du pouvoir. Un tel parti lutterait pour mobiliser la classe ouvrière, notamment les ouvriers arabophones, en défense des droits des Berbères. Les trotskystes appellent à une égalité complète entre toutes les langues utilisées en Algérie larabe, le berbère et le français. A bas larabisation forcée! Les ouvriers au pouvoir accorderaient aux régions berbères le pouvoir politique pour administrer les questions dordre local ou régional, dans le cadre dune politique décidée démocratiquement au niveau national. A ce stade les différentes régions berbérophones nont pas consolidé une nation, même si cela peut arriver si la répression sintensifie encore de la part du régime militaire et/ou des intégristes qui sont virulemment chauvins arabes.
En Algérie les directions nationalistes berbères du RCD et du FFS sont complètement discréditées. Le RCD est complètement lié à laile «éradicatrice» de larmée, alors que le FFS favorise la «réconciliation» avec les islamistes du FIS. Le Monde (29-30 avril) annonçait lappel du FFS à lUnion européenne, y compris à la France, «pour lenvoi dune mission dinvestigation sur le terrain». Il est certain que larmée algérienne a commis bien des crimes, mais de faire appel à limpérialisme français cest vraiment obscène, au moment même où les médias regorgent de «révélations» sur la torture systématique et les assassinats de masse commis par limpérialisme français pendant la guerre dAlgérie (voir notre article paru dans le Bolchévik n° 156, printemps 2001). Ce que pense le gouvernement de front populaire de Jospin-Gayssot des jeunes Algériens, on peut le voir avec les déportations des sans-papiers qui essaient déchapper à la misère et au désespoir en Algérie, avec les procès sans preuve et truqués contre de soi-disant «réseaux terroristes islamistes», avec le renforcement de la terreur policière pour réprimer les révoltes de jeunes issus de limmigration dans les ghettos en France même, et avec lexclusion raciste des lycées de jeunes femmes qui portent le foulard. Impérialisme français, bas les pattes devant lAlgérie! Pleins droits de citoyenneté pour tous ceux qui ont réussi à mettre les pieds en France!
La gauche algérienne a montré sa banqueroute il y a longtemps. Le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune sest raccroché au char du FIS depuis des années, par exemple lors de leur soutien à la grève réactionnaire du FIS en 1991, ou de lalliance de SantEgidio de 1995 avec lui; lors des dernières élections ils ont reçu en sous-main le soutien du FIS pour se faire élire. Les intégristes islamistes les plus vicieux avaient été entraînés par la CIA en Afghanistan pour combattre lArmée rouge. Les islamistes du FIS ont pour perspective de renforcer encore la chariah (loi islamique) contre les femmes, qui interdit le mariage avec des hommes non-musulmans, autorise la polygamie, rend le divorce presque impossible pour les femmes (sans parler du droit à lavortement), et les relègue à un statut de mineures éternelles qui doivent «obéissance» à leur mari. La manifestation de milliers de femmes à Béjaïa le 4 juin contre la répression témoigne de la mobilisation des femmes à un niveau sans précédent depuis 1962.
Quant au Parti socialiste des travailleurs (PST), affilié au Secrétariat unifié dont fait partie Alain Krivine, ils ont une bureaucrate haut placée dans lUGTA, ils soutiennent les comités de village en Kabylie et ne parlent pas de la centralité de la classe ouvrière; en guise de parti ils proposent des comités et coordinations sans base de classe, où le FFS bourgeois peut se réhabiliter. Toute la perspective du PST est de ramener le soulèvement actuel vers une «lutte démocratique et sociale contre le régime des tyrans en Algérie», cest-à-dire une lutte demeurant dans le cadre du capitalisme. Ce groupe sest toujours présenté comme une opposition loyale, voire ont soutenu ouvertement le régime nationaliste. Au début des années 60 leur dirigeant international, Michel Pablo, avait accepté un poste dans le régime de Ben Bella, et il y était resté alors que larmée noyait dans le sang une révolte en Kabylie en 1963. Ils cherchent sans arrêt à faire pression sur le régime militaire pour quil soit plus «démocratique». Le but dun tel crétinisme parlementaire cest de dévier les luttes ouvrières vers le terrain parlementaire; cest une perspective vraiment suicidaire dans un pays ravagé par la guerre comme lAlgérie, sous la botte de limpérialisme, où la démocratie bourgeoise relève des châteaux en Espagne.
La faillite complète des nationalistes bourgeois au pouvoir confirme de façon frappante par la négative lexactitude de la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky, qui a été prouvée par lexpérience de la Révolution bolchévique de 1917. Comme nous lécrivions dans le Bolchévik (n° 145, printemps 1998):
«Trotsky a expliqué que dans les pays économiquement arriérés, la faible bourgeoisie nationale reliée par un millier de ficelles à limpérialisme et apeurée devant sa propre classe ouvrière est incapable de réaliser les buts des révolutions bourgeoises classiques telles que la Révolution française de 1789. Il écrivait que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes (la Révolution permanente, 1930). La libération véritable des pays coloniaux et semi-coloniaux ne peut être réalisée quà travers le renversement du capitalisme par la révolution socialiste. Pour éviter que cette lutte ne soit étranglée par larriération, la pauvreté et lintervention impérialiste, elle doit nécessairement être reliée à la lutte pour la révolution prolétarienne au coeur des métropoles impérialistes.»
Les ouvriers dorigine algérienne qui occupent une place stratégique dans lindustrie en France, notamment dans lautomobile, représentent un pont vivant pour lier la lutte révolutionnaire entre les deux pays.
Pendant des années la classe ouvrière algérienne a été écrasée par une guerre civile sanglante. Celle-ci continue, mais aujourdhui il y a la possibilité tangible dune polarisation de la société sur une base de classe. Cela exige lindépendance politique complète et inconditionnelle du prolétariat, incarnée par la direction dun parti davant-garde léniniste. Cest la perspective de la révolution permanente de Trotsky. Cest pour cette perspective que combat la Ligue communiste internationale.